L’X, l’équation du mérite, une exposition du Mus’X

Dossier : 225e anniversaire de l'École polytechniqueMagazine N°749 Novembre 2019
Par Hubert JACQUET (64)

À l’occasion du 225e anni­ver­saire de l’École poly­tech­nique, l’espace muséal de l’X accueille jusqu’au 7 février pro­chain sa deuxième expo­si­tion : L’X, l’équation du mérite, qui lève le voile sur le rôle des mathé­ma­tiques dans les pre­mières décen­nies de la vie de l’École poly­tech­nique et nous fait com­prendre pour­quoi elles font par­ties de l’ADN de cette institution.

L’histoire se déroule à la fin de 1798. À peine admis à l’École poly­tech­nique, un jeune élève trouve une démons­tra­tion simple, concise, élé­gante, d’un impor­tant théo­rème d’algèbre, rela­tif à l’élimination, sur lequel l’analyse n’avait encore pro­duit qu’un volume énorme, et presque illi­sible. Laplace veut aus­si­tôt connaître un géo­mètre qui débute si pré­ma­tu­ré­ment. Quelques minutes d’entretien accroissent encore la haute opi­nion que la lec­ture du Mémoire sur l’élimination lui avait déjà ins­pi­rée. L’élève s’appelle Siméon-Denis Pois­son, ce qui donne à l’auteur de La méca­nique céleste l’occasion de citer ces vers, pas­sés pro­verbe, de Jean de La Fontaine :

Petit pois­son devien­dra grand, Pour­vu que Dieu lui prête vie.

Cette anec­dote n’est qu’une des mille facettes de la pas­sion­nante expo­si­tion consa­crée au rôle de mathé­ma­tiques dans la vie de l’X entre 1794 et 1831. L’ex­po­si­tion : L’X, l’é­qua­tion du mérite nous fait décou­vrir l’incroyable période d’innovation péda­go­gique et scien­ti­fique qui carac­té­rise ces années et nous montre com­ment notre ins­ti­tu­tion, héri­tière de la Révo­lu­tion, a su à son tour révo­lu­tion­ner l’enseignement supé­rieur et y asso­cier les plus grands savants.

Un parcours vivant et soigneusement balisé

Pour gui­der le visi­teur, vingt et un pan­neaux expli­ca­tifs et deux vidéos rap­pellent le contexte, les évé­ne­ments et les inno­va­tions qui ont mar­qué cette période. Accom­pa­gnés de tableaux, gra­vures, livres, écrits, épures et objets de toute nature réunis dans l’espace muséal, ils évoquent aus­si la des­ti­née sou­vent hors du com­mun de ceux qui en furent les acteurs : Gas­pard Monge, Joseph-Louis Lagrange, Pierre-Simon Laplace, Joseph Fou­rier, et tant d’autres qui ont lais­sé leur empreinte. Et les visi­teurs qui sou­haitent gar­der la trace de cette visite, ou reve­nir sur tel ou tel aspect, peuvent conser­ver la pla­quette remar­quable qui leur est remise.

Mathématiques et méritocratie

Si le recours au concours comme mode de sélec­tion des élèves est bien un héri­tage de la Révo­lu­tion et une rup­ture avec les pri­vi­lèges nobi­liaires, la pré­do­mi­nance don­née aux mathé­ma­tiques est un héri­tage de l’Ancien régime : les écoles d’ingénieurs exi­geaient déjà de leurs élèves un bon niveau dans ces matières. C’est pour­quoi le pre­mier exa­men d’admission com­porte trois dis­ci­plines – l’arithmétique, l’algèbre et la géo­mé­trie – aux­quelles s’ajoute un exa­men de mora­li­té. Dans les années sui­vantes, de nou­velles connais­sances scien­ti­fiques sont exi­gées mais ce n’est qu’en 1800 qu’aura lieu une épreuve de dic­tée, puis en 1804 des épreuves de des­sin et d’analyse gram­ma­ti­cale. Une autre sin­gu­la­ri­té du mode de recru­te­ment est de ne pas pro­cé­der à une répar­ti­tion uni­forme sur tout le ter­ri­toire, comme le fait l’École nor­male supé­rieure créée au même moment.

Un enseignement généraliste de pointe

A l’origine, l’École était appe­lée à rem­pla­cer les diverses écoles d’ingénieurs créées sous l’Ancien régime. Mais très vite cette ambi­tion s’est révé­lée irréa­liste, en rai­son de la diver­si­té des com­pé­tences requises par les ser­vices publics. La mis­sion de l’École s’est alors foca­li­sée sur une for­ma­tion scien­ti­fique géné­rale qui puisse ser­vir de base aux spé­cia­li­sa­tions alors pro­po­sées (Artille­rie, Génie, Mines, Ponts et chaus­sées…) et des exa­mens de sor­tie sont ins­tau­rés. Le rôle des mathé­ma­tiques s’en trouve évi­dem­ment ren­for­cé. Cette évo­lu­tion d’une ins­ti­tu­tion ini­tia­le­ment tour­née vers les appli­ca­tions, l’« école de Monge », à une école plus tour­née vers la théo­rie, l’« école de Laplace », a don­né lieu à de vifs débats qui ne sont pas sans rap­pe­ler ceux qui animent encore l’X d’aujourd’hui. Car la volon­té d’excellence était déjà forte et a per­mis à l’enseignement d’être tou­jours à la pointe.

“La création de l’X est l’occasion d’expérimenter
de nouvelles voies pédagogiques”

Une pédagogie nouvelle

Don­ner un poids pré­do­mi­nant aux mathé­ma­tiques amène à se poser la ques­tion des modes d’apprentissage les plus per­ti­nents. Jusqu’alors, la for­ma­tion était le plus sou­vent indi­vi­duelle et assu­rée par des manuels ou des pré­cep­teurs, et plus rare­ment dans les uni­ver­si­tés. La créa­tion de l’X est l’occasion d’expérimenter de nou­velles voies péda­go­giques. Dans les pre­mières années, des exer­cices pra­tiques sont orga­ni­sés à par­tir de modèles pro­po­sés par des ingé­nieurs et les élèves y tra­vaillent avec les conseils de leurs cama­rades les plus avan­cés. Cette expé­ri­men­ta­tion prend fin rapi­de­ment et, à l’initiative de Laplace, la fonc­tion de « répé­ti­teur » est mise en place. Les répé­ti­tions pren­dront rapi­de­ment la forme d’interrogations orales, les fameuse « colles ».

Une autre inno­va­tion péda­go­gique marque cette époque. Elle concerne la forme des exa­mens qui étaient encore oraux. L’habitude était jusqu’alors de deman­der une simple res­ti­tu­tion des cours. Les exa­mi­na­teurs de l’École attendent plus des can­di­dats ou élèves : ils leur demandent de mon­trer leur capa­ci­té d’initiative en leur sou­met­tant des pro­blèmes à résoudre.

Les défis de la nouveauté

Les fon­da­teurs de l’École et ses pre­miers res­pon­sables choi­sissent d’enseigner les plus récents déve­lop­pe­ments de la science, alors que celle-ci est en pleine évo­lu­tion. C’est le cas de la méca­nique new­to­nienne avec le cal­cul dif­fé­ren­tiel qui per­met de pré­dire les mou­ve­ments des corps en astro­no­mie comme en artille­rie. Mais seuls les savants les plus avan­cés en avaient la maî­trise. Il a alors fal­lu repen­ser la struc­ture et le conte­nu des cours, l’enchaînement des démons­tra­tions pour pré­sen­ter un ensemble cohé­rent et ration­nel de concepts, de théo­rèmes et de for­mules, ce qui ne fut pas tou­jours facile. C’est ain­si que la plu­part des élèves eurent du mal à suivre les cours de Lagrange qui avait déve­lop­pé une approche de l’algèbre en par­tant des notions de fonc­tion et de déri­vée et pro­po­sé une concep­tion uni­taire des mathé­ma­tiques. Son suc­ces­seur dut réor­ga­ni­ser le cours d’analyse pour le rendre accessible.

Destins croisés

Il est dif­fi­cile d’évoquer les pre­mières années de la vie de l’X sans s’intéresser à une école éga­le­ment créée à la même date par la Conven­tion, l’École nor­male supé­rieure, à qui il revient de for­mer des ensei­gnants répu­bli­cains. Monge, Laplace et Lagrange y enseignent les mathé­ma­tiques et de nom­breux pro­fes­seurs de l’X seront – et sont encore – d’anciens nor­ma­liens. Plus tour­née vers l’enseignement, l’ENS pri­vi­lé­gie for­te­ment la théo­rie, par­tant de l’idée que toute tech­nique est fruit de la Science. Mal­gré ces dif­fé­rences, une longue conni­vence s’est éta­blie entre deux ins­ti­tu­tions qui par­tagent de nom­breuses valeurs, dont la prio­ri­té don­née aux sciences et à l’excellence.

Une aventure d’hommes

En nous fai­sant décou­vrir cer­tains moments du par­cours de quelques mathé­ma­ti­ciens célèbres, l’exposition : L’X, l’é­qua­tion du mérite nous rap­pelle que cette époque fut avant tout une épo­pée dans laquelle se trou­vèrent enga­gés des hommes aux des­tins peu ordi­naires. Seule une femme, hélas, figure dans la liste, Sophie Ger­main qui réus­sit à suivre les cours de la pre­mière pro­mo­tion en emprun­tant l’identité de Leblanc et put ain­si cor­res­pondre avec Lagrange et enta­mer une car­rière de mathé­ma­ti­cienne. Le visi­teur apprend ain­si les ori­gines turi­noises de Lagrange, découvre que Cau­chy fut ensei­gnant-cher­cheur avant l’heure, ses cours four­nis­sant un des pre­miers exemples d’enseignement asso­cié à la recherche, et lit la bio­gra­phie de Cha­brol de Vol­vic qui se pas­sion­nait pour les sta­tis­tiques et ins­tau­ra le goût des tableaux sta­tis­tiques dans l’administration.

Pour en savoir plus : https://225.polytechnique.fr/exposition‑x.html

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