Changer les portefeuilles d’activités : entre inertie et erreur stratégique

Dossier : SupplémentMagazine N°748 Octobre 2019
Par Jean ESTIN

Les grands groupes englués dans les mar­chés mûrs occi­den­taux et dans les métiers tra­di­tion­nels peuvent dif­fi­ci­le­ment croître au-delà de 4 à 6 % par an. Ils ne créent donc pas de valeur. La réponse stra­té­gique et finan­cière passe par une modi­fi­ca­tion pro­fonde de leurs por­te­feuilles d’activités et de géo­gra­phies pour se repo­si­tion­ner sur des mar­chés en forte crois­sance, et réal­louer leurs res­sources pour y éta­blir des posi­tions de leadership.

L’exercice n’est pas simple. Les nou­veaux mar­chés ou géo­gra­phies ciblés peuvent être trop petits au regard des métiers his­to­riques et n’avoir qu’un impact faible, alors que les vrais chan­ge­ments de métiers à grande échelle sont risqués.

Focus sur différents exemples 

Réussite : General Electric 1980–2000

GE a effec­tué 2 modi­fi­ca­tions majeures de son por­te­feuille d’activité pen­dant ces 20 ans :

  • Une inter­na­tio­na­li­sa­tion accé­lé­rée de ses métiers qui avait de fortes posi­tions concur­ren­tielles (sys­tème médi­caux, équi­pe­ments de pro­duc­tion d’énergie, moteurs d’avion…) avec une part du CA à l’international qui est pas­sée de 35 % en 1980 à 60 % en 2000 ;
  • Une crois­sance mas­sive dans les ser­vices finan­ciers qui ont crû de 10 % en 1980 jusqu’à 50 % du CA du groupe en 2000 et ont repré­sen­té 65 % de la crois­sance de sa capi­ta­li­sa­tion bour­sière sur la période.

En 20 ans, GE est deve­nu une des pre­mières ins­ti­tu­tions finan­cières mon­diales, dans une indus­trie qui est pas­sée de 4,5 à 8 % du PIB amé­ri­cain, et a connu une crois­sance excep­tion­nelle sur le plan mon­dial. Son TSR a été de 25 % par an.

Échec : General Electric 2000–2018

Depuis 2000, GE a mené une stra­té­gie de crois­sance et de conso­li­da­tion dans plu­sieurs sec­teurs d’équipements indus­triels liés à l’énergie et au trans­port. Ce mou­ve­ment a été limi­té par 3 fac­teurs : cycli­ci­té des métiers, crois­sance effec­tive infé­rieure aux anti­ci­pa­tions, concur­rence crois­sante de groupes chinois.

GE a par ailleurs ven­du une large part de ses acti­vi­tés de ser­vices finan­ciers entre 2015 et 2017, dans une période conjonc­tu­rel­le­ment défa­vo­rable. Mau­vais choix, mau­vais timing : GE ne croît plus et n’a pas créé de valeur (TSR annuel moyen de – 7 %) depuis 2000.

Évolution insuffisante et inertie : Siemens 2000–2018

Sur les 20 der­nières années, Sie­mens a connu une pre­mière étape de déve­lop­pe­ment en Asie émer­gente entre 1998 et 2008 (de 10% en 1998 à 21% du chiffre d’affaires en 2008), avec un TSR annuel de 11%, mais cette évo­lu­tion ne s’est pas pour­sui­vie entre 2008 et 2018. En termes de por­te­feuille de métiers, le groupe s’est – tar­di­ve­ment – désen­ga­gé de ses acti­vi­tés dans les télé­com­mu­ni­ca­tions ain­si que dans l’éclairage. Il a par ailleurs conser­vé ses autres métiers sans évo­lu­tion ou rup­ture majeure.

Les évo­lu­tions natu­relles de ces métiers et leurs nou­velles déno­mi­na­tions (par exemple, acti­vi­tés de sys­tèmes indus­triels auto­ma­ti­sés rebap­ti­sées en “Digi­tal Fac­to­ry“) n’ont pas chan­gé la struc­ture du por­te­feuille. La crois­sance est res­tée faible (2 % p.a. depuis 1998), ain­si que le TSR (7 % par an).

Que faire ?

Il n’y a pas de créa­tion de valeur sans ambi­tion, prise de risques et choix forts. C’est le rôle des CEOs de faire ces choix et celui de leurs conseils d’administration de les pous­ser et les aider dans ces choix. Il n’y a pas de métier attrac­tif pour l’éternité. La créa­tion de valeur passe néces­sai­re­ment par des modi­fi­ca­tions régu­lières et pro­fondes de leurs por­te­feuilles d’activités.

Para­doxa­le­ment, les évo­lu­tions de por­te­feuilles d’activités sont d’autant plus dif­fi­ciles que l’entreprise a réus­si à croître his­to­ri­que­ment, car les nou­veaux déve­lop­pe­ments doivent être plus signi­fi­ca­tifs. Un grand groupe diver­si­fié doit créer de la valeur au-delà de celle créée par cha­cun de ses métiers. Elle repose sur sa capa­ci­té à cap­tu­rer les vagues de crois­sance et à gérer acti­ve­ment son por­te­feuille d’actifs en fonc­tion de ces vagues.

Dans le cas contraire, il n’a pas d’utilité et finit par se scin­der par mor­ceaux et dis­pa­raître. La vague d’éclatement en cours des grands conglo­mé­rats amé­ri­cains (Gene­ral Elec­tric, Uni­ted Tech­no­lo­gies, Dow­Du­Pont, Honey­well…) après 20 ans d’absence de créa­tion de valeur ne se limi­te­ra pas aux USA. Elle attein­dra aus­si l’Europe.

Poster un commentaire