2049, bleu, blanc, vert

Dossier : La météorologie partie 2Magazine N°748 Octobre 2019
Par Pierre BAHUREL (X89)

21 avril 2049, 7 heures, ma jour­née com­mence. Je m’appelle Lisa et j’ai 17 ans. Avant de par­tir au lycée, je regarde comme chaque matin mon bul­le­tin Open Ocean sur MyEarth, mon réseau social pré­fé­ré. L’info me concerne : même si je vis loin de la mer, je m’active pour la pro­tec­tion des océans sans les­quels aucun déve­lop­pe­ment durable n’est pos­sible. Les scien­ti­fiques l’ont prou­vé il y a plus de qua­rante ans et nos gou­ver­nants ont com­men­cé à bou­ger. L’océan four­nit la moi­tié de l’oxygène que je res­pire, idem pour ma nour­ri­ture. Je veux savoir com­ment il va, la cha­leur et le CO2 qu’on y stocke, et l’impact sur son aci­di­fi­ca­tion et la bio­di­ver­si­té. Je vois aus­si que les îles du Paci­fique ne sont pas à la fête, avec un indice de phy­to­planc­ton encore à la baisse, mais que l’Arctique a plu­tôt mieux pas­sé l’hiver que l’an der­nier si j’en crois la cou­ver­ture de glace de ce matin. Ça ne chan­ge­ra pas ma jour­née, mais celle de beau­coup de pêcheurs et de popu­la­tions locales dans le monde et oui, ça me concerne. Côté météo, MyEarth pro­met encore du chaud, les éoliennes vont res­ter les bras ballants…

21 avril 2049, 7 heures, l’heure de pré­pa­rer le brie­fing Metoc. Je suis Gra­ham, plon­geur pour une socié­té d’énergie marine. J’inspecte les ins­tal­la­tions sous-marines sen­sibles. Ce métier n’est pas facile : la visi­bi­li­té n’est pas tou­jours au ren­dez-vous, et c’est par­fois dan­ge­reux avec les cou­rants. On a de plus en plus recours à mes ser­vices : les océans ont pris une place énorme dans la course à l’énergie durable. Près de 300 TWh sont pro­duits par l’Union euro­péenne aujourd’hui, ce qui couvre les besoins éner­gé­tiques de 70 mil­lions d’habitants. 400 000 per­sonnes y tra­vaillent au quo­ti­dien. Avant mes sor­ties, je me connecte sur mon appli per­son­na­li­sée pour pré­pa­rer ma mis­sion. J’y retrouve mon espace tac­tile et holo­gra­phique, et je baigne dans le bout d’océan numé­rique que je vais explo­rer, des nuages jusqu’à la ther­mo­cline : l’évolution pré­vue des cou­rants au cours de la jour­née, la tem­pé­ra­ture de l’eau en pro­fon­deur, le vent et les vagues en sur­face, mais aus­si la tur­bi­di­té pour savoir si j’y ver­rai quelque chose. La pré­vi­sion fine des cou­rants a non seule­ment un impact opé­ra­tion­nel mais éco­no­mique pour ma socié­té : une baisse de 10 % de vitesse des cou­rants dimi­nue le chiffre d’affaires de 20 %, autant l’anticiper, d’autant qu’à terre la bio­masse donne moins.

21 avril 2049, 7 heures. La nuit s’est dérou­lée sans encombre et mon ensemble de runs Glo­bal Ocean pour Coper­ni­cus a tour­né de façon nomi­nale sur les super­cal­cu­la­teurs de Tou­louse. Je suis Adam et je fais en sorte avec l’équipe que les téra­oc­tets de don­nées océa­niques atten­dues soient pro­duits et dif­fu­sés chaque jour. À côté, les Météo s’inquiètent de tor­nades à l’entrée de la Manche ; les Agro ont l’air plus sereins – leurs pro­grammes ont récem­ment incor­po­ré les nou­velles cou­ver­tures végé­tales déployées tout autour de la Médi­ter­ra­née. Nos modèles numé­riques cou­plés ont bien inté­gré les mil­lions d’observations nou­velles issues de satel­lites et des mesures reçues cette nuit – cette régle­men­ta­tion impo­sant que tout véhi­cule soit un sen­seur envi­ron­ne­men­tal a vrai­ment fait beau­coup ! Mes variables essen­tielles, une cin­quan­taine de para­mètres qui décrivent l’océan sur un mil­liard de points de grille, sont toutes à jour. L’océan est bleu comme l’eau, blanc comme la glace, vert comme sa bio­lo­gie, en per­pé­tuel mou­ve­ment et connec­té à l’atmosphère, aux rivières et au vivant. J’ai un océan tout neuf devant moi. Cette pré­vi­sion euro­péenne pour les semaines à venir a déjà fait le tour du monde avant que je n’intervienne, nos col­lègues cana­diens en pren­dront bien­tôt connais­sance, les Aus­tra­liens l’ont déjà inté­grée. L’information s’enrichit à chaque échange et sa qua­li­té aug­mente à chaque nou­velle obser­va­tion que nos drones ont mis­sion de recueillir là où elles ont du poids. Je vois cli­gno­ter les retours des pre­miers contri­bu­teurs – bio­lo­gistes et cli­ma­to­logues, entre­pre­neurs et ser­vices publics, déci­deurs poli­tiques et jeunes citoyens. Dire qu’il y a trente ans, il fal­lait tout expliquer !


Cet article fait par­tie d’une col­lec­tion de points de vue et de rêves sur la « météo en 2049 »…

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