Le contenu, nouvel or noir du marketing sur internet

Dossier : Marketing digitalMagazine N°746 Juin 2019
Par Antoine HERMITE (93)

La publi­ci­té tra­di­tion­nelle sur le web s’avère coû­teuse et peu effi­cace vu le nombre de sol­li­ci­ta­tions que reçoivent les inter­nautes. Aus­si les annon­ceurs se tournent-ils de plus en plus vers un nou­veau mode de com­mu­ni­ca­tion basé sur la dif­fu­sion de conte­nus attrac­tifs. C’est l’avènement du conte­nu marketing.

Le numé­rique a trans­for­mé la manière de faire de la publi­ci­té. Avec l’usage de la don­née, de nou­veaux codes créa­tifs, la publi­ci­té devient plus per­son­na­li­sée et plus mesu­rable. Mais de façon beau­coup plus large, le numé­rique a révo­lu­tion­né la manière dont les marques com­mu­niquent avec leurs cibles, leurs pros­pects et leurs clients. Elles peuvent créer avec eux un dia­logue plus conti­nu, plus riche, et plus per­son­na­li­sé. Pour sus­ci­ter l’intérêt de leurs inter­lo­cu­teurs, les marques ne peuvent plus se conten­ter de par­ler d’elles et de leurs pro­duits mais doivent élar­gir le pro­pos : il s’agit du conte­nu mar­ke­ting. Alors que la publi­ci­té est habi­tuel­le­ment res­sen­tie comme une intru­sion impo­sée à l’internaute, le conte­nu mar­ke­ting est recher­ché et consom­mé pour lui-même. L’internaute pas­sif, déran­gé par la publi­ci­té, fait place à un inter­naute enga­gé dans une communauté.


REPÈRES

À la fin de l’année 2018, SEB créait la sur­prise en rache­tant la socié­té 750g Inter­na­tio­nal, un édi­teur de sites et ser­vices culi­naires, pré­sent dans quatre pays euro­péens, aux États-Unis et au Bré­sil, avec 90 000 recettes, et 10 mil­lions de fans Face­book. SEB ne compte plus par­ler uni­que­ment de ses appa­reils, mais aus­si entre­te­nir un dia­logue plus étroit avec ceux qui cui­sinent grâce à des recettes ou des tech­niques de cuisine.


Des contenus de plus en plus attirants

Ce conte­nu peut être diver­tis­sant, infor­ma­tion­nel et utile ; en lien avec des pro­duits ou sim­ple­ment asso­ciés aux valeurs ou au ter­ri­toire de la marque.

Par­mi ces typo­lo­gies de conte­nus, on a notam­ment de l’inspiration (les plus belles balades dans le monde), du diver­tis­se­ment pur (clips musi­caux, sketchs…), des aides au choix (trou­ver le bon smart­phone ou le meilleur cré­dit immo­bi­lier), des « aides au faire » (com­ment chan­ger son pneu ? com­ment réus­sir sa crème chan­tilly ?). Et aus­si des expé­riences vécues : les marques réuti­lisent sou­vent par exemple les posts sociaux des inter­nautes ou influen­ceurs et notam­ment les pho­tos de leurs réa­li­sa­tions : maquillage, plat, etc.

Une approche très bénéfique

Le mar­ke­ting par le conte­nu pré­sente des carac­té­ris­tiques struc­tu­rantes. Il per­met de s’adresser à sa cible bien avant qu’elle envi­sage d’acheter son pro­duit. Il consti­tue une alter­na­tive au réfé­ren­ce­ment payant (achat de mots-clés sur Google). Avec une stra­té­gie de conte­nu struc­tu­rée, la marque peut res­sor­tir bien posi­tion­née dans les résul­tats de recherche de Google et éco­no­mi­ser des coûts très impor­tants de publi­ci­té Google AdWords.

Il per­met une inter­ac­tion plus riche et plus qua­li­fiante qu’une publi­ci­té : a prio­ri un inter­naute qui lit une vidéo sur com­ment peindre un por­tail a des chances signi­fi­ca­tives d’avoir comme pro­jet de peindre un por­tail, et donc d’acheter de la peinture.

Il est per­çu comme plus authen­tique par les consom­ma­teurs, donc peut géné­rer des enga­ge­ments plus impor­tants notam­ment en temps passé.

Enfin, il n’est pas blo­qué par les filtres habi­tuels (le taux d’Adblock – blo­queur de publi­ci­tés ins­tal­lé par les inter­nautes – est proche de 30 % et peut mon­ter sur cer­tains sites à 60 %).

Le clip sur le jeu vidéo d’Ubisoft Assassin’s creed, avec les you­tu­bers Nor­man et Squee­zie, a réa­li­sé près de 65 mil­lions de vues sur You­tube. L’implication d’influenceurs dans la réa­li­sa­tion et la dif­fu­sion de conte­nus peut don­ner une beau­coup plus grande puissance.

L’univers de contenus de Red Bull

Le conte­nu mar­ke­ting est désor­mais adop­té dans tous les sec­teurs avec un niveau de matu­ri­té plus ou moins forte. La réfé­rence en matière de content mar­ke­ting est sans aucun doute Red Bull. Pour vendre sa bois­son éner­gi­sante, Red Bull a construit un uni­vers puis­sant de conte­nus autour des sen­sa­tions extrêmes. Red Bull donne des ailes et le prouve en fai­sant sau­ter depuis l’espace Felix Baum­gart­ner et par des cen­taines d’autres évé­ne­ments extrêmes. Cette stra­té­gie a été un accé­lé­ra­teur pour la marque, et son impli­ca­tion dans le conte­nu est pous­sée par la Red Bull Media House qui pro­duit du conte­nu vidéo et audio à des­ti­na­tion du consom­ma­teur et le dis­tri­bue sur ses propres pla­te­formes (ex : Red Bull TV). Le conte­nu a pris une telle place chez Red Bull que la marque en a fina­le­ment fait une acti­vi­té éco­no­mique à part entière avec la Red Bull Media House qui pro­pose notam­ment une place de mar­ché média pour vendre son exper­tise et ses conte­nus à d’autres marques.

Une approche largement plébiscitée

Sans atteindre l’ampleur de Red Bull, de nom­breuses marques ont déployé des stra­té­gies de conte­nu avec suc­cès. Leroy Mer­lin a par exemple bâti une impor­tante pré­sence sur You­tube grâce à de très nom­breux tuto­riaux de bri­co­lage qui lui per­mettent d’être très bien réfé­ren­cé dans les résul­tats de recherche You­tube, mais aus­si Google. Schweppes a quant à lui construit un média de réfé­rence sur la vie la nuit : sor­ties, évé­ne­ments, recettes de cocktails.

“La publicité est habituellement ressentie
comme une intrusion imposée à l’internaute”

Une démarche en trois temps

La mise en place d’une stra­té­gie de conte­nu mar­ke­ting doit com­prendre trois étapes.

Dans une pre­mière étape, il s’agit de défi­nir le ter­ri­toire de conte­nu de la marque qui sera à l’intersection entre le ter­ri­toire mar­ke­ting de la marque et le ter­ri­toire acces­sible sur les canaux numé­riques ; car cer­tains sont encom­brés et inac­ces­sibles à un coût rai­son­nable. Il est en effet impos­sible pour de nom­breux mots-clés de sor­tir en résul­tat sur la pre­mière liste de résul­tat de Google… Cette étape doit per­mettre, en ana­ly­sant les conte­nus exis­tants sur le web, ce que disent les clients et leurs attentes, d’identifier les ter­ri­toires pré­emp­tables. Puis de construire la stra­té­gie de conte­nu, en incluant la défi­ni­tion des canaux de dif­fu­sion de ses conte­nus : sur le site de la marque, une pla­te­forme dédiée, les réseaux sociaux… et bien sûr les objec­tifs atten­dus et le retour sur investissement.

Dans une seconde étape, il s’agit de pro­duire et dis­tri­buer les conte­nus avec un enjeu à la fois de qua­li­té mais aus­si de productivité.

Enfin, le déploie­ment des conte­nus est accom­pa­gné d’une démarche de mesure de la per­for­mance, d’optimisation du conte­nu ou de sa dis­tri­bu­tion, de pilo­tage de la conver­sion pour trans­for­mer un consom­ma­teur de conte­nu en consom­ma­teur de pro­duits et ser­vices de la marque. En tout état de cause, la stra­té­gie de conte­nu, pour être per­for­mante, doit être pilo­tée par la donnée.

Vil­la Schweppes, un exemple de conte­nu de marque réus­si. Ce site de la marque de bois­son est deve­nu le site de réfé­rence de la culture de la nuit (soi­rées, endroits, recettes de cock­tails, etc.).


Le vertige des chiffres

Le mar­ché des outils pour le mar­ke­ting de conte­nu est esti­mé à 10 mil­liards de dol­lars en 2023 (esti­ma­tion For­res­ter). Le mar­ché du mar­ke­ting de conte­nu devrait pas­ser de 195 Mds de dol­lars en 2016 à 412 Mds en 2021 (source Tech­na­vio). Chaque cita­din amé­ri­cain est expo­sé en moyenne à 3 000 à 5 000 publi­ci­tés par jour.
1 440 conte­nus sont publiés sur Word­Press chaque minute. 


Créativité et maîtrise des techniques numériques

Le déploie­ment d’une démarche de conte­nu mar­ke­ting néces­site bien sûr des com­pé­tences créa­tives alliées à des com­pé­tences mar­ke­ting, mais comme toutes les acti­vi­tés numé­riques, elle néces­site la mise en œuvre d’outils tech­no­lo­giques qui vont ser­vir à cha­cune des étapes cette stra­té­gie : sa per­ti­nence, sa per­for­mance, son retour sur inves­tis­se­ment. Il s’agit notam­ment d’outils d’Insight (défi­ni­tion de stra­té­gie de posi­tion­ne­ment séman­tique), d’outils d’assistance à la pro­duc­tion de conte­nu (ex. : pro­duc­tions de vidéo semi-auto­ma­ti­sée), d’outils d’A/B tes­ting (pour choi­sir les conte­nus les plus per­ti­nents et amé­lio­rer les par­cours de conver­sion), d’outils de col­lecte de don­nées, d’outils de mesure (mesure d’audiences, de crawl de Google, de conver­sion), etc.

L’intelligence arti­fi­cielle dans ce sec­teur du conte­nu pro­gresse len­te­ment mais sûre­ment. On estime à plu­sieurs mil­liers le nombre de socié­tés, start up ou plus matures qui pro­posent des outils pour le mar­ke­ting de contenu.

“Plusieurs milliers de sociétés proposent
des outils pour le marketing de contenu”

De nouveaux défis à relever

Comme l’ensemble de la révo­lu­tion du mar­ke­ting digi­tal, l’avènement du conte­nu mar­ke­ting pose de nou­veaux défis aux entre­prises et marques. Le pre­mier de ces défis est l’évolution cultu­relle et humaine qu’elle impose. Il s’agit aux entre­prises d’adjoindre aux com­pé­tences mar­ke­ting tra­di­tion­nelles de nou­velles com­pé­tences à la fois tech­no­lo­giques, mais aus­si orien­tées dans une logique d’information et de divertissement.

S’il se dif­fuse via les pla­te­formes mon­diales des GAFA (moteur de recherche Google, Face­book, réseaux sociaux, etc.), le conte­nu reste local car, pour fonc­tion­ner, il doit faire appel à des réfé­rences cultu­relles, un esprit voire un humour spé­ci­fique. Chaque marque doit construire un dis­cours et une approche qui lui sont propres. Ces carac­té­ris­tiques font de l’industrie du conte­nu mar­ke­ting un domaine non adres­sable par les GAFA : pas assez sca­lable, pas assez inter­na­tio­nal, pas assez auto­ma­ti­sable. Il existe donc une oppor­tu­ni­té de com­plé­men­ta­ri­té avec les mas­to­dontes de la tech amé­ri­caine, où ceux qui réus­si­ront allie­ront une com­pré­hen­sion fine de la tech­no­lo­gie, une créa­ti­vi­té forte, une capa­ci­té à pro­duire des volumes tout en gar­dant une qua­li­té de pro­duc­tion du « fait main ». Une véri­table indus­trie d’artisanat de luxe. Une indus­trie où la France a toutes les qua­li­tés pour réussir.

Commentaire

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tru.do-khac.1979répondre
20 août 2019 à 10 h 15 min

Bon­jour, mer­ci pour cet article.
Pour réa­li­ser la « seconde étape de pro­duc­tion et de dis­tri­bu­tion de conte­nus », il fau­dra reprendre le savoir-faire des indus­tries créa­tives, notam­ment en matières de mana­ge­ment de droit d’au­teur, qui a été récem­ment impac­té par la direc­tive euro­péenne sur le droit d’auteur.
Le site du Groupe X‑Pro­prié­té-Intel­lec­tuelle pro­pose d’ailleurs en libre accès des réflexions de ses membres. http://www.x‑propriete-intellectuelle.org
Cordialement.
Tru Do-Khac, Pré­sident fon­da­teur X‑Pro­prié­té-Intel­lec­tuelle

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