Sébastien Boyer et Thomas Palomares

Sébastien Boyer et Thomas Palomares (2011) Un binôme fécond depuis l’École

Dossier : TrajectoiresMagazine N°745 Mai 2019
Par Pierre LASZLO

On s’habitue au tra­vail en binôme en pré­pa, lors des tra­vaux pra­tiques. Cet entraî­ne­ment se pro­longe à l’X. Dans son livre, Le Lan­gage de l’École poly­tech­nique, Impri­me­rie natio­nale (1908), le lin­guiste Mar­cel Cohen notait, il y a plus d’un siècle déjà : « Lorsque deux cama­rades tra­vaillent régu­liè­re­ment l’un près de l’autre, comme il est d’usage à l’École, cha­cun d’eux est dit le binôme de l’autre. »

Sébas­tien Boyer et Tho­mas Palo­mares, pas­sés par des pré­pas au lycée Hoche, à Ver­sailles, et Lagar­rigue, à Lyon, se binô­mèrent à l’École. L’un et l’autre d’un altruisme pro­non­cé, ils orga­ni­sèrent le Point Gam­ma de leur ­pro­mo­tion, res­pec­ti­ve­ment vice-pré­sident et pré­sident. Ils en ­gar­dèrent le goût du tra­vail en com­mun. En outre, cette expé­rience leur don­na comme une frin­gale d’entrepreneuriat, avec comme double objec­tif, « mon­ter un pro­jet depuis zéro et s’investir pour long­temps dans ce pro­jet ». Nous ver­rons com­bien ils y ont réussi.

Boyer, avec un père cadre et une mère enga­gée dans la poli­tique locale et une fra­trie nom­breuse, inté­gra en 32, via la filière maths-phy­sique. Il fit son ser­vice mili­taire dans la Marine natio­nale, offi­cier de navi­ga­tion à Nou­méa, huit mois durant, une expé­rience dont il garde un sou­ve­nir chaleureux.

Sébastien et Thomas en Amérique

Leurs par­cours ulté­rieurs les condui­sirent, l’un et l’autre aux États-Unis.

Boyer choi­sit le MIT : en plus de lui offrir la qua­li­té excep­tion­nelle de son ensei­gne­ment en infor­ma­tique, cette uni­ver­si­té lui pro­po­sait de finan­cer entiè­re­ment ce par­cours. Il fut extrê­me­ment satis­fait de la qua­li­té des ensei­gne­ments, et y acquit un com­plé­ment appré­cié d’aisance en anglais, écrit et oral. Les com­plé­ments de for­ma­tion qu’ils s’y choi­sirent furent sur­tout immer­sion dans l’hyperconcret — le cam­bouis, comme on disait naguère. Les­quels ? L’intelligence arti­fi­cielle (IA) et la robo­tique ; l’apprentissage par les machines — Deep Lear­ning en anglais — qui qua­li­fie l’ensemble de logi­ciels d’IA des véhi­cules auto­nomes : acqui­si­tion d’informations sur l’environnement, hié­rar­chi­sa­tion en concepts et leur orga­ni­sa­tion par réseaux neu­ro­naux. Boyer publia trois articles sur ces sujets, en par­ti­cu­lier une ana­lyse mathé­ma­tique de la sta­bi­li­té de la cir­cu­la­tion urbaine à Singapour.

En effet, nos deux gaillards, durant leur sco­la­ri­té à l’École, firent un stage de recherche chez IBM à Sin­ga­pour, y étu­diant donc la ­cir­cu­la­tion urbaine : comme on sait, cette ville-État est res­treinte en super­fi­cie, la den­si­té de popu­la­tion y conges­tionne la cir­cu­la­tion automobile.

Cette même année 2016, Palo­mares s’inscrivit dans le Dépar­te­ment des sciences du mana­ge­ment et de l’ingénierie à Stan­ford. Lui aus­si se foca­li­sa sur l’IA et l’apprentissage par des machines. Dans une for­ma­tion au lan­ce­ment de start-up, il pro­po­sa une entre­prise, Dee­pLook, pour blo­quer les vidéos vio­lentes et sen­suelles sur Inter­net, par l’intelligence arti­fi­cielle. « Mon pro­cé­dé est conçu pour jouer le rôle d’une mère de trois enfants, plu­tôt vieux jeu, qui regarde en direct les vidéos pos­tées sur Inter­net et relève celles qui lui semblent inap­pro­priées. Mais, contrai­re­ment à cette mère, notre logi­ciel peut vision­ner simul­ta­né­ment des dizaines de mil­liers de vidéos. »

Le temps de l’incubation

Un très utile com­plé­ment à leurs for­ma­tions scien­ti­fiques fut l’Alchemist, un incu­ba­teur de start-up. Depuis août 2016, Sébas­tien Boyer et Tho­mas Palo­mares ont en effet créé leur entre­prise, Farm­Wise, à San Fran­cis­co. Boyer en est le Chief Exe­cu­tive Offi­cer, Palo­mares le Chief Tech­no­lo­gy Offi­cer. Ces titres recouvrent la réa­li­té d’un binôme conti­nué et tou­jours très vivace. Ils prennent à deux toutes les ­déci­sions stra­té­giques. Leur objec­tif est de construire et com­mer­cia­li­ser des robots pour l’agriculture, à com­men­cer par la Cen­tral Val­ley de ­Cali­for­nie, immense région de pro­duc­tion inten­sive. Pour­quoi ­l’­agriculture ? Les trois rai­sons pré­si­dant à ce choix furent œuvrer dans la durée, pour le long terme ; un altruisme social, conforme à l’une des devises de l’École (chan­ger le monde par les sciences) ; l’importance de la com­po­sante tech­nique, dans toute moder­ni­sa­tion agricole.

Trois pro­to­types pour le désher­bage sont d’ores et déjà fonc­tion­nels depuis l’été 2018. Avan­tages de tels robots ? Dis­pen­ser de l’utilisation de pes­ti­cides, qui peuvent se révé­ler nocifs. Ce fut là leur tout pre­mier impé­ra­tif, s’affranchir de pro­duits chi­miques, poten­tiel­le­ment nocifs pour l’environnement. Boyer et Palo­mares visent une agri­cul­ture authen­ti­que­ment bio­lo­gique. Aujourd’hui, la seule alter­na­tive aux pro­duits chi­miques serait de le faire manuel­le­ment, à la pioche. Cela n’est évi­dem­ment pas éco­no­mique, ni appli­cable à grande échelle.

« Leur objectif est de construire et commercialiser des robots pour l’agriculture. »

Palo­mares se voit dans la conti­nui­té de ses grands-parents mater­nels, dont la ferme en Haute-Savoie, extrê­me­ment auto­ma­ti­sée, ­pro­dui­sait des fro­mages. Fin 2017, les deux X avaient levé 6,2 mil­lions de dol­lars, un demi-mil­lion en février et 5,7 en novembre. Cela leur per­mit de com­men­cer à recru­ter ingé­nieurs et tech­ni­ciens pour leur socié­té. En février 2018, ils étaient plus d’une demi-dou­zaine à y tra­vailler. Sébas­tien Boyer et Tho­mas Palo­mares visent un effec­tif d’une quin­zaine de per­sonnes fin 2018. Au nombre de leurs inves­tis­seurs, un poids lourd, qui accep­ta aus­si de deve­nir le pre­mier de leurs admi­nis­tra­teurs, Bruce Leak — un ingé­nieur et infor­ma­ti­cien for­mé à Stan­ford, qui fit par­tie de l’équipe de Steve Jobs chez Apple et qui mit au point les appli­ca­tions Quick Time (1991), avant de fon­der sa pre­mière start-up.

Un robot agricole

Com­ment fonc­tionne leur robot ? Aris­tote (Trai­té de l’âme) dis­tin­guait déjà les trois fonc­tions : se suc­cèdent per­cep­tion, repré­sen­ta­tion et action. La per­cep­tion est assu­rée par des camé­ras, qui enre­gistrent les abords immé­diats du robot. La repré­sen­ta­tion, qui s’ensuit, ­pro­pose des images de plantes : tant l’espèce culti­vée, que les espèces ­para­sites nocives, qu’il convient d’éradiquer. Un algo­rithme iden­ti­fie ces ­mau­vaises herbes, il est du même type que les mul­tiples logi­ciels — sou­vent poli­ciers — de recon­nais­sance des visages. Le troi­sième stade est celui de la des­truc­tion des­dites mau­vaises herbes, des ­cou­teaux, les effec­teurs en l’occurrence, les cisaillent au ras du sol. L’étape d’apprentissage, à par­tir de leurs images, vise l’éradication de quelques dizaines d’espèces de mau­vaises herbes, pour cha­cune des cultures maraî­chères pro­té­gées de la sorte.

À la mi-février 2018, les trois pre­mières machines com­man­dées fermes étaient fabri­quées par un construc­teur, à Sali­nas, en Cali­for­nie. Elles sont mues par un moteur die­sel ; mais l’objectif de Boyer et Palo­mares est à plus ou moins brève échéance la pro­pul­sion électrique.

Ils se plaisent beau­coup à San Fran­cis­co, l’un et l’autre. Ils s’y ­main­tiennent en forme, phy­sique par du jog­ging et du ten­nis, du kite surf à l’occasion ; intel­lec­tuelle, par la lec­ture de récits de — vous l’aurez devi­né — créa­tions réus­sies d’entreprises ; et un retour au pia­no, sous la conduite de Mar­gue­rite Gra­ve­leau (voir son por­trait dans la JR de février 2018).

Leur binôme exi­geait un double por­trait, que donc voici ! 

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