Un intérêt bien compris pour la lutte en faveur du climat

Dossier : Chine et environnementMagazine N°744 Avril 2019
Par Jean-Paul MARÉCHAL
Longtemps rétive à tout engagement international en matière de climat, la Chine a radicalement changé de position au cours des deux années qui ont précédé la COP 21. Ce revirement répond à des nécessités économiques, politiques et diplomatiques.

Alors que les négo­cia­tions de la COP 24 de Kato­wice du 2 au 15 décembre 2018 sem­blaient s’enliser, le site inter­net de l’agence de presse natio­nale chi­noise Xin­hua publiait le 14 décembre un article inti­tu­lé « La Chine est l’un des rares pays à res­pec­ter les enga­ge­ments de l’Accord de Paris pour lut­ter contre les chan­ge­ments cli­ma­tiques, selon Al Gore ». Par­tant des décla­ra­tions de l’ancien vice-pré­sident amé­ri­cain, l’article bros­sait le por­trait d’une Chine verte à la pointe des éner­gies renou­ve­lables et res­pec­tueuse de ses enga­ge­ments inter­na­tio­naux en matière de cli­mat. Il est vrai que, depuis la défec­tion amé­ri­caine de l’Accord de Paris en juin 2017, Pékin se pré­sente comme le pays lea­der en matière de lutte contre le chan­ge­ment climatique.


REPÈRES

Le régime cli­ma­tique inter­na­tio­nal se com­pose de trois textes : la Conven­tion cadre des Nations unies sur le chan­ge­ment cli­ma­tique (1992), le Pro­to­cole de Kyo­to (1997) et l’Accord de Paris (2015). Le pre­mier est entré en vigueur en 1994, le deuxième en 2005 et le troi­sième en 2016.


Une croissance énergivore

Depuis le lan­ce­ment du pro­ces­sus de réforme et d’ouverture par Deng Xiao­ping en 1978, la Chine a connu quatre décen­nies d’une crois­sance excep­tion­nel­le­ment forte et ininterrompue.

Entre 1980 et 2015, le PIB chi­nois (avec Hong Kong) est pas­sé de 395,7 à 9 174,1 mil­liards de dol­lars (à leur valeur de 2010). Une mul­ti­pli­ca­tion par 23 qui cor­res­pond à un taux de crois­sance annuel avoi­si­nant 9,4 %. Une telle aug­men­ta­tion de la richesse pro­duite n’a été pos­sible que grâce à une extra­or­di­naire consom­ma­tion d’énergie. Et c’est ain­si qu’entre 1980 et 2015 l’offre totale d’énergie pri­maire en Chine a pro­gres­sé de 602 à 2 987 mil­lions de tonnes équi­valent pétrole, la Chine dépas­sant les États-Unis en 2009.

Natu­rel­le­ment, le volume de rejets de gaz à effet de serre a lit­té­ra­le­ment explo­sé : les émis­sions annuelles de CO2 résul­tant de la com­bus­tion d’énergies fos­siles sont pas­sées de 789 mil­lions de tonnes en 1971 à un peu plus de 9 mil­liards de tonnes en 2016, la Chine dépas­sant le niveau amé­ri­cain en 2007 et deve­nant, par là même, le pre­mier « contri­bu­teur » mon­dial au chan­ge­ment climatique.

“La Chine est devenue en 2007
le premier « contributeur » mondial
au changement climatique”

Un mix énergétique très carboné

Une telle évo­lu­tion est prin­ci­pa­le­ment due à la part du char­bon dans le mix éner­gé­tique chi­nois. En effet, en 2012, celui-ci repré­sen­tait 66 % de la consom­ma­tion d’énergie pri­maire contre 20 % pour le pétrole, 5 % pour le gaz, 8 % pour l’hydroélectricité, 1 % pour les autres éner­gies renou­ve­lables et moins de 1 % pour le nucléaire. Le char­bon est donc, bien avant tout autre com­bus­tible, à l’origine de l’essentiel des rejets de CO2 chinois.

Une prise de conscience tardive

La véri­table prise de conscience de l’importance de la « ques­tion envi­ron­ne­men­tale » par les auto­ri­tés va avoir lieu au cours des années 2000 sous l’effet de la mul­ti­pli­ca­tion des phé­no­mènes de pol­lu­tion et du mécon­ten­te­ment que ces der­niers entraînent au sein de la popu­la­tion, mécon­ten­te­ment sus­cep­tible de miner à terme la légi­ti­mi­té du Par­ti communiste.

Il est vrai que la situa­tion est deve­nue par­ti­cu­liè­re­ment alar­mante. Elle est résu­mée par un néo­lo­gisme qui appa­raît au cours des années 2000 et qui se passe de com­men­taire : « air­po­ca­lypse » ! Au milieu des années 2000, il était géné­ra­le­ment admis que la pol­lu­tion de l’air cau­sait en Chine envi­ron 650 000 décès par an. Or, une étude parue en 2015 abou­tit au chiffre effa­rant de 1,6 mil­lion de morts par an, soit 17 % des décès comp­ta­bi­li­sés en Chine. 83 % des Chi­nois sont expo­sés à des niveaux de pol­lu­tion de l’air qui sont consi­dé­rés, aux États-Unis, comme dan­ge­reux pour la san­té, ou dan­ge­reux pour des per­sonnes fra­giles. En 2012, la Com­mis­sion natio­nale pour le déve­lop­pe­ment et la réforme publie son pre­mier Plan natio­nal pour le chan­ge­ment cli­ma­tique. L’année sui­vante, un Plan d’action de contrôle et de pré­ven­tion de la pol­lu­tion de l’air est adop­té. En 2015, la loi (natio­nale) sur l’environnement qui date de 1979 et qui a déjà été revue en 1989 est de nou­veau révi­sée en pro­fon­deur. Par ailleurs, les trois der­niers plans quin­quen­naux (l’actuel est le 13e et couvre la période 2016–2020) contiennent des objec­tifs envi­ron­ne­men­taux de plus en plus contraignants.

Tout cela conduit natu­rel­le­ment Pékin à s’inscrire dans le pro­ces­sus qui va conduire à l’adoption de l’Accord de Paris.


1 400 centrales à charbon

Dans un ouvrage paru en 2016, Jean-Fran­çois Huchet indique qu’on recen­se­rait envi­ron 1 400 cen­trales à char­bon en Chine, dont 700 « grandes » cen­trales (c’est-à-dire avec une capa­ci­té de pro­duc­tion d’au moins 100 MW) sur les 2 300 enre­gis­trées dans le monde. Depuis, un rap­port du réseau de cher­cheurs CoalS­warm est paru en sep­tembre 2018. Il met en évi­dence, en se fon­dant sur des pho­tos satel­li­taires et l’examen de nom­breux docu­ments, qu’un total de 259 GW de capa­ci­tés de pro­duc­tion d’électricité par des cen­trales au char­bon est en cours de construc­tion en Chine. Un tel mon­tant est à rap­pro­cher de la capa­ci­té de pro­duc­tion de la tota­li­té des cen­trales au char­bon amé­ri­caines : 266 GW…


Un accord sur mesure

Durant de nom­breuses années, les res­pon­sables chi­nois se sont fer­me­ment oppo­sés à tout accord contrai­gnant. Or, durant la COP 21 qui s’est conclue en décembre 2015 par l’Accord de Paris, la Chine s’est notam­ment enga­gée à deux choses : sta­bi­li­ser ses rejets de CO2 autour de 2030 et réduire de 60 à 65 % son inten­si­té car­bone (CO2 par uni­té de PIB) d’ici 2030 par rap­port à 2005. Com­ment expli­quer un tel revirement ?

Tout d’abord, et de manière géné­rale, l’Accord de Paris n’est guère contrai­gnant puisqu’il repose sur les enga­ge­ments volon­taires des pays signa­taires. S’agissant de la Chine, compte tenu notam­ment de sa trans­for­ma­tion pro­gres­sive en éco­no­mie de ser­vices (ces der­niers étant pas­sés de 40 % à 50 % du PIB entre 2008 et 2015) et du pro­grès tech­nique qui conduit natu­rel­le­ment à une amé­lio­ra­tion de l’efficience éner­gé­tique, et donc de l’intensité car­bone de l’économie, tout porte à croire que les pro­messes faites à Paris seront tenues. Mais à cette pre­mière rai­son s’en ajoutent au moins trois autres : le dan­ger que le réchauf­fe­ment cli­ma­tique fait cou­rir à la Chine, les oppor­tu­ni­tés liées aux tech­no­lo­gies vertes et enfin, la volon­té d’améliorer l’image inter­na­tio­nale du pays.

Au-delà du mécon­ten­te­ment social qu’engendre l’airpocalypse, le gou­ver­ne­ment chi­nois a pris conscience des risques que fait peser l’élévation des tem­pé­ra­tures sur le pays : mise en dan­ger des villes côtières, aggra­va­tion des séche­resses au nord, des inon­da­tions au sud… Or, même si la lutte contre la pol­lu­tion de l’air et celle contre le chan­ge­ment cli­ma­tique ne se super­posent pas par­fai­te­ment, il est évident qu’en rédui­sant la consom­ma­tion de char­bon et de pétrole on dimi­nue, par là même, les émis­sions de CO2, de micro­par­ti­cules et de car­bone noir.

© leung­cho­pan

Des opportunités pour l’industrie « verte »

Par ailleurs, les diri­geants chi­nois sont par­fai­te­ment conscients que les tech­no­lo­gies « vertes », indis­pen­sables pour lut­ter contre le chan­ge­ment cli­ma­tique, offrent de fan­tas­tiques poten­tia­li­tés en termes d’exportations. En l’espace d’à peine vingt ans, la Chine est deve­nue le pre­mier pro­duc­teur au monde d’ampoules à basse consom­ma­tion, d’éoliennes, de pan­neaux solaires, de bat­te­ries pour voi­tures élec­triques… En 2015, les entre­prises chi­noises ont inves­ti plus de 100 mil­liards de dol­lars dans les éner­gies renou­ve­lables contre seule­ment 44 mil­liards pour les firmes amé­ri­caines. En jan­vier 2017, la China’s Natio­nal Ener­gy Admi­nis­tra­tion annon­çait des inves­tis­se­ments de 360 mil­liards de dol­lars d’ici 2020 dans de nou­velles capa­ci­tés de pro­duc­tion d’énergie : 144 mil­liards dans le solaire, 100 mil­liards dans l’éolien, 70 mil­liards dans l’hydroélectricité…

Pro­mou­voir l’image de la Chine

Enfin, la Chine compte bien uti­li­ser la ques­tion cli­ma­tique pour amé­lio­rer une image inter­na­tio­nale que l’évolution actuelle du régime tend à dégra­der. Contri­buer à la mise en œuvre de l’Accord de Paris fait à l’évidence par­tie de ce plan et s’intègre dans la pro­mo­tion de ce que l’on nomme à Pékin la « Solu­tion chi­noise », for­mule uti­li­sée pour la pre­mière fois en public lors du 95e anni­ver­saire de la fon­da­tion du Par­ti com­mu­niste chi­nois en juillet 2017. Dans le dis­cours qu’il pro­non­ça à cette occa­sion, Xi Jin­ping décla­ra que le peuple chi­nois était « plei­ne­ment confiant dans sa capa­ci­té à appor­ter une solu­tion chi­noise à la recherche de meilleures ins­ti­tu­tions sociales par l’humanité ».

La Chine tente donc de s’approprier à bon compte une répu­ta­tion qui devrait reve­nir à l’Europe sans la déter­mi­na­tion de laquelle le régime cli­ma­tique mon­dial n’existerait pas. En effet, si les enga­ge­ments chi­nois vont dans le bon sens, ils sont non seule­ment peu contrai­gnants mais encore cor­res­pondent étroi­te­ment aux inté­rêts éco­no­miques et poli­tiques du pays. On rap­pel­le­ra, pour finir, que selon le der­nier bilan du Glo­bal Car­bon Pro­ject les émis­sions chi­noises de CO2 ont dû connaître une aug­men­ta­tion de 4,7 % en 2018… À cela il faut ajou­ter les 240 cen­trales à char­bon chi­noises en pro­jet ou en construc­tion le long des « nou­velles routes de la soie ».


Réfé­rences

- Huchet (Jean-Fran­çois), La crise envi­ron­ne­men­tale en Chine, Paris, Les Presses de Sciences Po, 2016.

- Maré­chal (Jean-Paul), La Chine face au mur de l’environnement ?, Paris, CNRS Édi­tions, 2017.

- Maré­chal (Jean-Paul), Chine/USA. Le cli­mat en jeu, Paris, Choi­seul, 2011.

- Ver­man­der (Benoît), Chine brune ou Chine verte ? Les dilemmes de l’État-parti, Paris, Les Presses de Sciences Po, 2007.

- « Civi­li­sa­tion éco­lo­gique. Du slo­gan à la réa­li­té », Monde Chi­nois – nou­velle Asie, n° 56, décembre 2018, édi­tions Eska, Paris.

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