Laurence Grand-Clément (1997)

Dossier : Femmes de polytechniqueMagazine N°Laurence Grand-Clément (1997) Par Sylvie HATTEMER-LEFÈVRE

Aban­don­ner ? Jamais ! La tra­ver­sée doit conti­nuer. « Cela fait deux ans que l’on se pré­pare donc on veut conti­nuer même si on doit pas­ser plu­sieurs jours à répa­rer le bateau. Nous sommes saines et sauves donc on essaie tout », écri­vaient dans leur jour­nal de bord « Les Zell », Lau­rence Grand-Clé­ment et Lau­rence de Ran­court, les deux jeunes femmes de trente-trois et vingt-sept ans qui, le 19 avril 2012, se sont lan­cées sans escorte dans la tra­ver­sée de l’océan Indien à la rame. Une navi­ga­tion presque sans his­toire, jusqu’à la nuit du lun­di au mar­di 19 juin, lorsque plu­sieurs vagues de neuf mètres ont retour­né trois fois de suite leur embar­ca­tion, endom­ma­geant et empor­tant trois de leurs six rames. « Nous étions un peu comme dans une machine à laver », com­mentent-elles. Les pertes côté maté­riel ? « On fait ce qu’on peut. » Les vagues ont empor­té tout ce qu’il y avait sur le pont, dont une des deux balises de détresse, et la radio de secours. Dans la cabine, l’eau a endom­ma­gé les pan­neaux élec­triques et le réflec­teur de radar. Et si elles ne pou­vaient pas repar­tir ? « Nous nous lais­se­rons por­ter par les vents et les cou­rants, pour aller au moins jusqu’aux côtes de l’île Mau­rice, et nous faire récu­pé­rer avec le bateau », expliquent-elles en chœur.

À l’avant des blanches caravelles

Pour­tant, lors de cette pre­mière ren­contre avec Lau­rence Grand-Clé­ment, trois mois plus tôt dans son joli stu­dio niché au cœur de Paris, rien, à pre­mière vue, ne lais­sait sup­po­ser ce goût de l’extrême. Sur une éta­gère d’angle, un vase empli de coquillages. Plus loin, une grande étoile de mer en céra­mique bleu marine. Lorsqu’elle vous accueille elle se déplace avec la grâce d’un chat, avec un port de tête que seule donne une longue pra­tique de la danse clas­sique. L’unique détail qui rap­pelle qu’elle s’apprête à par­tir accom­plir son rêve, « relier l’Australie à l’île Mau­rice en cent jours à la rame » avec son équi­pière : un ciré jaune de marin tout neuf jeté sur le cana­pé. Elle n’en était pas à son coup d’essai : en 2010, avec ses trois autres équi­pières, elle a par­ti­ci­pé avec trente autres équi­pages à la tra­ver­sée de l’Atlantique à la rame. Son équipe est arri­vée qua­trième de la course, et pre­mier équi­page femi­nin. « Et encore, nous nous sommes ména­gées », sou­ligne-t-elle. Mais alors que les hommes qui les avaient devan­cées ont pra­ti­que­ment tous dû être trans­fé­rés à l’hôpital pour se remettre de leur épui­se­ment phy­sique, nos girls sont arri­vées pim­pantes et en grande forme.

Un ciré jaune

« Tout n’est pas facile, la vie ne tient qu’à un fil. » Pen­dant des années, elle a fre­don­né en boucle cette chan­son du groupe NTM dans cette ban­lieue chaude de l’Est de Lyon où elle a gran­di avec sa mère, alors pro­fes­seur d’anglais. Elle en a fait sa devise. Mieux, une règle de sur­vie. Pour évi­ter que le fil ne se rompe, elle gère ses défis avec une méti­cu­lo­si­té extrême. Ain­si, lorsqu’elle décide avec ses coéqui­pières de se lan­cer dans la tra­ver­sée de l’Atlantique à la rame, aucun détail n’est lais­sé au hasard. « Nous n’étions ni des rameuses pro­fes­sion­nelles, ni des aven­tu­rières. Nous avons donc com­men­cé par lis­ter toutes les ques­tions qui se posaient. » Elles trouvent huit pôles de com­pé­tences à acqué­rir : la navi­ga­tion, la sécu­ri­té, l’alimentation, l’eau et l’énergie, la com­mu­ni­ca­tion, la san­té et les soins du corps, la main­te­nance, et la dyna­mique d’équipe : « Cha­cune d’entre nous en a alors choi­si deux dont elle serait res­pon­sable par délé­ga­tion pour évi­ter les conflits. » Lau­rence, tout natu­rel­le­ment, s’adjuge l’alimentation et les uti­li­ties. Cette ges­tion au cor­deau porte ses fruits, et lui donne envie de se lan­cer dans une nou­velle aventure.

Une règle de survie

À la voir, toute menue, haute comme trois pommes, alors qu’on s’attendait à ren­con­trer une force de la nature, on reste bien sur­pris. Mais il suf­fit de croi­ser son regard clair et déter­mi­né pour per­ce­voir la force vitale qui se dégage d’elle. Même tout petite, elle était, au grand dam de sa mère, « une puce débor­dante d’énergie ». Si elle apprend à la cana­li­ser dans la danse et le sport, rien ne se fait au détri­ment de sa sco­la­ri­té : « j’ai tou­jours été une très bonne élève, en maths notam­ment. » Très vite se pose la ques­tion de son orien­ta­tion. Elle rêve d’être ambas­sa­drice, d’intégrer le Cours Florent pour deve­nir artiste, mais les études sont coû­teuses, et elle n’a pas le réseau qui lui per­met­trait de péné­trer ce milieu. Alors elle choi­sit ce qu’elle appelle « la faci­li­té ». Admise à Cen­trale, au concours des Mines et à Nor­male sup, elle choi­sit d’entrer à Poly­tech­nique. Parce que le côté mili­taire l’attire. Mais aus­si parce que la plu­ri­dis­ci­pli­na­ri­té des matières ensei­gnées lui per­met de recu­ler au maxi­mum l’heure des choix. De ne pas s’enfermer dans une tra­jec­toire sur les rails.

De cette époque, elle garde un sou­ve­nir extra­or­di­naire : « C’était un uni­vers où tout était pos­sible, avec des moyens illi­mi­tés, où j’ai ren­con­tré des gens pas­sion­nés. » Luxe suprême : « J’étais nour­rie, logée, j’étais rému­né­rée, et en plus je pou­vais faire tous les sports que je vou­lais. » À la sor­tie, elle enquille les jobs à l’étranger. De pré­fé­rence dans l’agro-alimentaire : « j’ai démis­sion­né deux fois et chan­gé cinq fois de poste en cinq ans. »

Chez Noble Group, un géant du tra­ding phy­sique de matières pre­mières, elle grimpe tous les éche­lons jusqu’à la DRH, où elle s’occupe de la recherche et la ges­tion des talents au niveau mon­dial. Mais la struc­ture d’une grande entre­prise la bride, l’énergie dépen­sée dans les jeux de pou­voir l’a­gace : elle décide donc de cla­quer la porte, et de voler de ses propres ailes. En 2011, elle crée Per­sée, sa propre entre­prise de conseil en déve­lop­pe­ment dans les éner­gies propres pour les pla­te­formes indus­trielles. Elle a enfin trou­vé son éco­sys­tème, en atten­dant de se trou­ver un nou­veau défi.

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