Binet X Broadway © Binet Photo / Aurélien Genin

Binet X Broadway : quand les polytechniciens se découvrent artistes

Dossier : Nouvelles du PlatâlMagazine N°786 Juin 2023
Par Greta GUERINI

Qui a dit que les poly­tech­ni­ciens n’étaient pas créa­tifs ? L’existence et le suc­cès du binet X Broad­way prouvent le contraire. Créée par les X12, cette asso­cia­tion, qui regroupe envi­ron cent membres, pro­duit chaque année une comé­die musi­cale qui allie les arts du spec­tacle vivant comme la comé­die, la danse et la musique à une magni­fique mise en scène avec des décors conçus sur mesure. Ce pro­jet, pré­pa­ré tout au long de l’année, est l’occasion pour les élèves de décou­vrir et de révé­ler leur sen­si­bi­li­té artis­tique au cœur de leurs études d’ingénieur. Aujourd’hui nous ren­con­trons cinq membres du binet X Broad­way qui nous parlent du fonc­tion­ne­ment interne de l’association et de la comé­die musi­cale réa­li­sée cette année par la pro­mo X21, Chan­tons sous la pluie.

Pouvez-vous vous présenter et expliquer votre rôle au sein du binet X Broadway ?

Lau­rine Meier (X21) : Je suis la pré­si­dente du binet X Broad­way. Je coor­donne les cinq pôles qui com­posent le Bureau : le pôle pré­sident (prez’), dont je fais par­tie, le pôle danse, le pôle comé­die, le pôle musique et le pôle manute (décors). Je gère la com­mu­ni­ca­tion entre les pôles et avec l’administration de l’École, notam­ment pour des ques­tions pra­tiques comme la réser­va­tion des salles pour les répé­ti­tions. Nous sommes envi­ron cent dans l’association, quatre-vingt-cinq membres de la troupe et quinze membres du Bureau. Mon rôle est de don­ner la ligne direc­trice du pro­jet, de fixer les objec­tifs à court terme, de faire de la pla­ni­fi­ca­tion et de gérer les pro­blèmes relationnels.

Meh­di Atta­né (X21) : Je suis membre du pôle prez’ et je suis res­pon­sable de la com­mu­ni­ca­tion et de la cohé­sion. Je par­ti­cipe à l’organisation des audi­tions, je pré­viens la pro­mo­tion de toutes les étapes du spec­tacle et je gère la billet­te­rie et la com­mu­ni­ca­tion. Je m’occupe éga­le­ment de l’ensemble des appro­visionnements en nour­ri­ture de la troupe lors des week-ends de répétition.

Nico­las Chou­va­lid­zé (X21) : Je suis membre du pôle manute, qui s’occupe de conce­voir et de créer les décors et les cos­tumes de la pièce, et je gère éga­le­ment la tré­so­re­rie du binet. Du point de vue de la tré­so­re­rie, nous avons envi­ron 12 000 euros de bud­get qui pro­viennent de la Kès, d’X Pro­jet, d’X Forum et du maga­zine X Pas­sion. À la fin du spec­tacle, qui est com­plè­te­ment gra­tuit, nous don­nons la pos­si­bi­li­té au public de faire un don pour nous soutenir.

En ce qui concerne la manute, nous fabri­quons nous-mêmes tous les décors de la pièce. C’est un tra­vail très créa­tif, nous pou­vons don­ner libre cours à notre ima­gi­na­tion. De manière géné­rale, nous nous amu­sons à créer quelque chose à par­tir de zéro. Nous veillons éga­le­ment à l’unité visuelle des cos­tumes et à leur accord avec le mes­sage de la scène. Cette année nous avons essayé de mettre l’accent sur l’usage de la seconde main, même si cela n’a pas été tou­jours facile.

Décors du binet X Broadway
Décors créés par la manute. © Binet Pho­to / Auré­lien Genin

Hec­tor Denis (X21) : Je suis membre du pôle comé­die. Nous nous occu­pons du scé­na­rio et de la sélec­tion des quatre acteurs prin­ci­paux, au début du mois de mai, et des six acteurs secon­daires, lors de la ren­trée. Cette année le Bureau du binet X Broad­way a choi­si la comé­die musi­cale Chan­tons sous la pluie et le pôle comé­die l’a per­son­na­li­sée en modi­fiant et en réécri­vant le texte ori­gi­nal. Nous avons aus­si réin­ter­pré­té presque toutes les chan­sons et nous avons pris des musiques qui n’étaient pas dans l’œuvre ori­gi­nelle. Nous sommes en liai­son directe avec les acteurs, en coor­don­nant les répé­ti­tions et en met­tant en scène toutes les par­ties jouées ou théâtrales.

Céleste Gal­lien (X21) : Je suis membre du pôle danse avec une cama­rade, Lucile Pino­chet (X21). Notre rôle est de créer les cho­ré­gra­phies de la pièce et de les faire apprendre à une tren­taine de dan­seurs. Nous avons réflé­chi cette année à un mélange de styles de danse dif­fé­rents. Nous vou­lions nous déta­cher de notre for­ma­tion de danse clas­sique en intro­dui­sant, entre autres, de la sal­sa et du hip-hop.

Toutes les stars sont à Hollywood
Toutes les stars sont à Hol­ly­wood. © Binet Pho­to / Julien Collard

Lau­rine : Le pôle musique choi­sit la musique de chaque scène. Ils s’occupent de toutes les par­ti­tions et des cou­pures, notam­ment ; c’est à eux de don­ner le rythme à chaque séquence. Nous avons un chœur et un orchestre, qui comptent cha­cun une quin­zaine de membres. Nous tra­vaillons étroi­te­ment avec l’ADO (Ate­lier des Ondes). Ils s’occupent du son et des lumières. Cette année nous avons pu ache­ter de nou­veaux micros et une bat­te­rie élec­trique, et cela a contri­bué à l’amélioration de la qua­li­té du son.

Comment le binet se constitue-t-il ?

Hec­tor : Pour deve­nir membre du Bureau, il faut pas­ser une sélec­tion qui a lieu l’année pré­cé­dant notre spec­tacle et qui est jugée par le Bureau de la pro­mo­tion d’avant. Le pro­ces­sus de sélec­tion consiste dans la pré­pa­ra­tion d’une petite comé­die musi­cale en quatre ou cinq jours. Cela per­met de mon­trer ce que sera la pro­duc­tion d’une véri­table comé­die musi­cale l’année suivante.

Lau­rine : Le Bureau est consti­tué en mai. Les membres consacrent deux semaines à la concep­tion de la pièce ; ils choi­sissent la trame, les acteurs prin­ci­paux et l’orchestre. Le chœur, les acteurs secon­daires et les dan­seurs sont recru­tés en début d’année, en septembre.

Orchestre du Binet X Broadway
Orchestre du Binet X Broad­way. © Binet Pho­to / Auré­lien Genin

Hec­tor : Comme chaque année, il était impor­tant pour nous que tout le monde puisse par­ti­ci­per. X Broad­way est un véri­table pro­jet de pro­mo­tion : notre troupe est poly­va­lente, par exemple cer­tains acteurs sont éga­le­ment dan­seurs ou font par­tie du chœur. L’année entière est dédiée aux répé­ti­tions ; nous consa­crons quatre grands week-ends dans l’année à ce que la troupe s’entraîne sur tout le spectacle.

Pourquoi avez-vous choisi d’intégrer ce binet ? 

Nico­las : Je me suis inté­res­sé au binet X Broad­way après avoir vu la repré­sen­ta­tion de l’année der­nière. J’ai trou­vé les décors impres­sion­nants et la ges­tion de la tré­so­re­rie inté­res­sante, ce qui m’a don­né une idée de la posi­tion que je vou­lais occuper.

Céleste : Per­son­nel­le­ment j’ai tou­jours aimé la danse, j’en fais depuis que je suis petite mais, au départ, je ne vou­lais pas faire par­tie du Bureau. C’était un véri­table inves­tis­se­ment per­son­nel et je n’étais pas sûre d’en être capable. J’en ai dis­cu­té avec des membres du Bureau de la pro­mo­tion pas­sée, qui m’ont ras­su­rée. Je me suis lan­cée dans le pro­jet car je vou­lais dépas­ser mes limites. Je savais que je n’allais pas regret­ter. Et c’est exac­te­ment ce qui s’est passé.

Céleste : « Je me suis lancée dans le projet car je voulais dépasser mes limites. Je savais que je n’allais pas regretter. »

Binet X Broadway : danse finale.
Danse finale. © Binet Pho­to / Coren­tin Guimard

Hec­tor : J’ai vrai­ment appré­cié réa­li­ser le pre­mier petit spec­tacle lors des audi­tions pour deve­nir membre du Bureau. En par­ti­cu­lier, ce qui m’a par­ti­cu­liè­re­ment plu, c’est d’écrire mes chan­sons et, avant cette expé­rience, je n’aurais jamais pu l’imaginer. Un autre aspect a été la rela­tion avec les acteurs : les ras­su­rer quand ils font du bon tra­vail, mais aus­si être hon­nête lorsqu’ils ont besoin de chan­ger ou d’améliorer leur performance.

Meh­di : Per­son­nel­le­ment ce que j’aime beau­coup, c’est l’aspect col­lec­tif et l’idée de créer quelque chose ensemble. C’est un pro­jet des élèves pour les élèves. La plu­part des membres d’X Broad­way par­tagent des goûts com­muns pour les arts de la scène, on y trouve un meilleur équi­libre filles-gar­çons que dans d’autres binets. C’est une atmo­sphère très posi­tive et bienveillante.

Mehdi : « Personnellement, ce que j’aime beaucoup, c’est l’aspect collectif et l’idée de créer quelque chose ensemble. »

L'orthophoniste installe son matériel.
L’or­tho­pho­niste ins­talle son matériel. © Binet Pho­to / Auré­lien Genin

Lau­rine : Depuis le début je savais que je vou­lais inté­grer le binet X Broad­way, parce que j’ai tou­jours fait du théâtre. J’ai hési­té entre le rôle d’actrice et celui de pré­si­dente. Ma mar­raine était l’ancienne pré­si­dente d’X Broad­way : nous avons beau­coup échan­gé et dis­cu­té et c’est elle qui m’a convain­cue de can­di­da­ter à ce poste. En tant que pré­si­dente, je suis la seule à savoir ce qui se passe dans tous les pôles ; étant très moti­vée par le pro­jet en tant que tel, j’ai ado­ré avoir une vision glo­bale de la consti­tu­tion du spec­tacle. X Broad­way m’a beau­coup appris : c’est un binet à la fois pro­fes­sion­na­li­sant et amusant.

Laurine : « X Broadway m’a beaucoup appris : c’est un binet à la fois professionnalisant et amusant. »

Quelles ont été les difficultés que chacun a rencontrées au sein de la préparation du spectacle ? 

Lau­rine : Ma dif­fi­cul­té prin­ci­pale a été la ges­tion de ma charge men­tale. J’étais stres­sée parce que je devais pen­ser à l’organisation et à la coor­di­na­tion géné­rale, je crai­gnais de ne pas réus­sir à tout anti­ci­per ou à ne pas bien pla­ni­fier. Si tout tom­bait à l’eau, c’était impli­ci­te­ment ma faute. J’ai dû apprendre à décon­nec­ter, à ne pas regar­der constam­ment le télé­phone et à avoir une orga­ni­sa­tion de fer.

Nico­las : Le pôle manute pos­sède une des plus grosses charges de tra­vail, pas en termes de quan­ti­té de tâches, mais en termes de volume horaire. Il y a eu un moment de l’année où je me suis dit que je devais aus­si faire atten­tion à cet aspect, car je n’avais plus le temps pour d’autres acti­vi­tés. C’est à ce moment que j’ai com­pris la force de tra­vailler en pôle : en étant cinq à la manute, nous avons cha­cun pu tra­vailler à son rythme en nous spé­cia­li­sant sur des aspects de la pièce qui nous ins­pi­raient le plus.

Céleste : Dans notre tra­vail, il y avait deux aspects : le côté artis­tique des cho­ré­gra­phies et le rap­port humain avec les dan­seurs et les autres membres du Bureau. Et c’est cette deuxième par­tie que j’ai trou­vée plus dif­fi­cile. Au Bureau du binet X Broad­way nous sommes quinze per­sonnes dif­fé­rentes, la cohé­sion entre nous n’est pas tou­jours simple, les pro­blèmes de com­mu­ni­ca­tion fré­quents, donc il faut apprendre à prendre du recul et à trou­ver une solu­tion com­mune aux problèmes.

Hec­tor : Le côté humain et la ges­tion des acteurs ont éga­le­ment été dif­fi­ciles pour moi à cer­tains moments. Il faut savoir ména­ger l’emploi du temps des acteurs, tout en étant exi­geant, mais aus­si gérer les indis­po­ni­bi­li­tés de der­nière minute. La com­mu­ni­ca­tion a par­fois été un obs­tacle au sein du Bureau. Tous les pôles ont leur propre vision de ce que doit être le spec­tacle à la fin, donc cha­cun essaie de gui­der les autres vers sa propre vision. Il y a aus­si une par­tie plus légère, mais non moins impor­tante, qui consiste à trans­mettre sa vision aux acteurs qui n’ont peut-être pas encore réflé­chi au texte. Nous avons dû leur apprendre à inté­rio­ri­ser les dia­logues. N’ayant moi-même jamais fait de théâtre en tant qu’acteur, cet aspect a été un véri­table défi.

Troupe du binet X Broadway
© Binet Pho­to / Oumai­ma El Jaafari

En quoi ce binet enrichit-il votre cursus d’études à Polytechnique, plutôt centré sur les sciences dures ?

Céleste : Les binets artis­tiques sont peu nom­breux à l’X, j’ai trou­vé incroyable de por­ter un pro­jet créa­tif de cette ampleur. Je ne l’ai pas vécu comme une contrainte, mais comme une acti­vi­té extra­s­co­laire qui me sor­tait de l’ambiance de cours de l’X.

Lau­rine : Per­son­nel­le­ment cette aven­ture m’a énor­mé­ment enri­chie d’un point de vue mana­gé­rial, d’autant plus qu’à l’X nous n’avons pas de cours pra­tique sur ce sujet. Le rôle de pré­si­dente m’a beau­coup appris d’un point de vue humain et rela­tion­nel. Le fonc­tion­ne­ment de la pièce per­met de com­prendre et de savoir gérer les dif­fé­rentes situa­tions aux­quelles nous pour­rons être confron­tés à l’avenir dans le monde pro­fes­sion­nel. Je trouve que c’est génial d’avoir eu une pre­mière expé­rience comme celle de ce projet.

Hector : « Pour une fois il n’est pas question entre nous de points ou de notes finales, mais d’applaudissements à la fin. »

Hec­tor : Dans ce pro­jet, avoir une vue d’ensemble est cru­cial pour la réus­site du spec­tacle, car il n’y a jamais de solu­tion évi­dente qui convienne à tout le monde de la même manière. C’est une véri­table recherche de com­pro­mis qui, avec le temps, s’impose de lui-même. En tant qu’ingénieurs, nous vou­lons tou­jours avoir la solu­tion par­faite, mais nous devons aus­si apprendre à nous adap­ter et à trou­ver le bon équi­libre. Pour une fois, il n’est pas ques­tion entre nous de points ou de notes finales, mais d’applaudissements à la fin.

Nico­las : La manute a un côté artis­tique, mais aus­si un côté très ingé­nieur en ce qui concerne la concep­tion des décors et des struc­tures. Il faut ima­gi­ner le décor, com­ment le construire et com­ment le rendre pra­tique à mani­pu­ler sur scène. Inté­grer ce binet m’a sur­tout don­né une bouf­fée d’air par rap­port aux cours de l’X. Créer et construire des décors créa­tifs et esthé­tiques a été rafraîchissant.

Nicolas : « Intégrer le binet X Broadway m’a surtout donné une bouffée d’air par rapport aux cours de l’X. »


Témoignage d’une des actrices principales Charlotte Gayral (X21) qui a interprété le personnage de Cathy :

En tant qu’élève ingénieure, comment as-tu vécu cette expérience d’actrice pour une journée ?

J’ai ado­ré cette expé­rience qui m’a fait sor­tir de ma zone de confort. La pièce per­met­tait de vivre tout un panel d’émotions dif­fé­rentes, j’ai beau­coup appris en termes de jeu d’acteur : com­ment dois-je me com­por­ter pour mon­trer de la colère, de l’amour ? Quels codes impli­cites dois-je res­pec­ter pour me rendre cré­dible ? Venir d’une for­ma­tion d’ingénieur n’entre pas en contra­dic­tion avec cet inves­tis­se­ment : on retrouve dans le théâtre cette même quête de véri­té et cette même rigueur scientifique.

Binet X Broadway : Cathy sort d'un gâteau géant.
Cathy sort d’un gâteau géant. © Binet Pho­to / Julien Collard

Qu’as-tu appris sur toi, sur le travail en équipe… ?

J’avais la chance d’avoir un pôle comé­die incroyable pour les répé­ti­tions, ce qui a vite créé une forte cohé­sion au sein du groupe d’acteurs. On apprend vite à quel point l’écoute de l’autre est impor­tante sur scène. Il ne s’agit pas d’attendre que son tour vienne pour débi­ter sa réplique ! Cette atten­tion por­tée à ses cama­rades était aus­si très pré­sente dans les danses ou les chants, où la coor­di­na­tion et l’harmonie sont cruciales. 

J’ai eu l’occasion d’en apprendre plus sur moi-même : com­ment faire en sorte que le public per­çoive ce que je res­sens ? Le pôle comé­die a joué un rôle cru­cial dans cet appren­tis­sage de soi et de l’image que l’on sou­haite ren­voyer : pour savoir com­ment jouer une réplique, les membres du pôle nous fai­saient réagir dans des situa­tions réelles pour nous rendre plus cré­dibles. C’est une chance de pou­voir répé­ter avec ceux qui écrivent le texte, car il n’y a aucune ambi­guï­té d’interprétation.

Du point de vue de la ges­tion du stress ou du trac lors des repré­sen­ta­tions, je n’ai pas eu de sou­cis de ce côté-là : le public était vrai­ment très réac­tif et nous por­tait réel­le­ment du début à la fin de la pièce.
Un bonheur !


Pour en savoir plus : page Face­book du binet X Broadway

Mer­ci au Binet Pho­to qui a réa­li­sé les pho­to­gra­phies uti­li­sées en illus­tra­tion de cet article.

Image de cou­ver­ture : © Binet Pho­to / Auré­lien Genin

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