Y a‑t-il de très grands vins en Languedoc-Roussillon ?

Dossier : Arts, Lettres et SciencesMagazine N°612 Février 2006Rédacteur : Jean-Pierre TINGAUD (61)

Je ne suis pas,loin s’en faut, un pro­fes­sion­nel de la dégus­ta­tion. J’ai infi­ni­ment de peine à trou­ver à un vin un goût de vio­lette ou de sous-bois. Quant à la cuisse ! Et quand j’apprends que cette année le beau­jo­lais a un “nez” de fruits rouges ou de banane, je me dis : “pour­vu qu’il ait encore un goût de vin !” c’est dire à quel point je suis primaire.

Mais j’aime bien boire de bons vins et les faire goû­ter à mes amis. Et c’est comme cela que l’un d’eux m’a deman­dé un article sur un amour assez récent : les “ grands ” vins du Languedoc.

Comme cha­cun le sait, il n’y a pas si long­temps les vins de l’Hérault ou des Cor­bières n’avaient pas, c’est le moins, bonne répu­ta­tion. Et puis, le temps et la mon­dia­li­sa­tion par­ke­rienne étant pas­sés par là, les tarifs des grands bor­deaux et des grands bour­gognes ont atteint des som­mets, les ren­dant de plus en plus dif­fi­ci­le­ment acces­sibles à des bourses hon­nêtes de la “vieille Europe”. Les regards de cer­tains se sont alors tour­nés vers d’autres direc­tions, pour décou­vrir, dans cer­tains coins du Lan­gue­doc (et ailleurs éga­le­ment, mais on ne peut pas tout savoir), de jeunes et moins jeunes viti­cul­teurs qui s’étaient mis dans la tête qu’au pays du gros rouge on pou­vait aus­si faire de la qua­li­té. La qua­li­té impo­sant des ren­de­ments faibles sur des sols rugueux, on a assis­té à un dépla­ce­ment de cer­taines vignes des zones de plaine vers les coteaux.

Et après quelques décen­nies d’amélioration on découvre qu’il existe en Lan­gue­doc des vins qui ne sont sans doute pas encore des “grands” vins, mais qui sont déjà de très bons vins dont les prix, à plai­sir de boire iden­tique, concur­rencent fort bien ceux des grandes régions viticoles.

Par­mi les bons pro­duc­teurs de la région on a vu se des­si­ner deux écoles :

– ceux qui “jouent le jeu”,
– ceux qui le refusent ou qui l’adaptent.

Le jeu, c’est celui de l’AOC.

L’AOC en Lan­gue­doc impose de n’utiliser en rouge que des cépages des Côtes du Rhône : la syrah, le gre­nache, le cari­gnan, le mour­vèdre et le cin­sault (ce der­nier plu­tôt dans les rosés). Or cer­tains pro­duc­teurs ont consi­dé­ré qu’il était pré­fé­rable, compte tenu des carac­té­ris­tiques de leur ter­rain, d’utiliser d’autres cépages, en par­ti­cu­lier les cépages bor­de­lais, essen­tiel­le­ment caber­net sau­vi­gnon et merlot.

Cer­tains ont démon­tré qu’il était pos­sible en Lan­gue­doc de faire des “bor­deaux” qui “valent” (lar­ge­ment, à prix com­pa­rables) les vrais. Bien enten­du, dans ce cas, ils ne peuvent pré­tendre à l’AOC, mais qu’importe si le pro­duit plaît et se vend à un prix tout à fait res­pec­table sous le label “vin de pays”.

Un autre choix impor­tant doit éga­le­ment être fait par les viti­cul­teurs qui se posi­tionnent sur un niveau de prix et de qua­li­té éle­vé : c’est le choix des cépages et de la vini­fi­ca­tion qui va conduire à un opti­mum de consom­ma­tion court (on consomme le vin après sa mise sur le mar­ché), moyen ou long (un vin de garde).

Il n’y a pas si long­temps tout bon bour­geois ama­teur de vin avait une cave. On y gar­dait les bour­gognes cinq à dix ans, les grands bor­deaux dix à vingt-cinq ans et par­fois bien au-delà si la cave avait les qua­li­tés adé­quates et le bour­geois, les moyens d’attendre. Aujourd’hui tout va plus vite et on a de moins en moins les moyens d’attendre. Et on va jusqu’à boire des vins qui n’ont “ que ” trois ans !

Il y a un dilemme pour le pro­duc­teur car, s’il se trouve encore des consom­ma­teurs en nombre suf­fi­sant pour ache­ter une caisse d’un bon Mar­gaux ou d’un bon Pome­rol et la lais­ser quinze ans dans leur cave avant de l’ouvrir, ce nombre dimi­nue for­te­ment pour lais­ser dans les mêmes condi­tions une caisse de Pic Saint-Loup ou de Miner­vois la Livinière.

Alors, faire un assem­blage à forte dose de syrah en espé­rant que le client sera patient, c’est sans doute prendre des risques. Les res­tau­rants qui aujourd’hui sont en mesure de consti­tuer une cave à vins de longue garde ne doivent pas être bien nom­breux ! Et c’est aus­si le pro­blème pour l’auteur, votre ser­vi­teur, car ne m’étant inté­res­sé aux vins du Lan­gue­doc que depuis quelques années, je ne dis­pose pas de crus anciens et mes choix sont alté­rés par cela même. J’aurais ten­dance à pré­fé­rer des vins qui ne néces­sitent pas dix ans de cave !

Main­te­nant, puisqu’il faut se lan­cer et pro­po­ser un choix, voi­ci quelques suggestions.

Chez ceux qui “ne jouent pas le jeu »

• La Grange des Pères à Aniane
Peut-être le meilleur, en tout cas l’un des tout meilleurs. On le trouve par­fois à des prix exor­bi­tants dans des res­tau­rants très cotés. Qua­si­ment introu­vable. Ses méthodes de culture, récolte et vini­fi­ca­tion rap­pellent celles des vins que l’on qua­li­fie “de garage” dans cer­taines régions du Bordelais.
• Le Mas de Dau­mas-Gas­sac à Aniane
Son “auteur” ne manque jamais de pro­pos exal­tés, peut-être un peu exces­sifs sur les qua­li­tés de son vin. Celui-ci n’en manque pas, bien au contraire, mais il reste quand même loin d’un châ­teau Mar­gaux ou d’un Haut-Brion, aux­quels il n’hésite pas à le com­pa­rer. Le prix auquel il est ven­du tient plus d’un mar­ke­ting remar­quable que d’une com­pa­rai­son objec­tive avec ses concur­rents bor­de­lais. Par contre on peut le réser­ver en pri­meur, à des tarifs cette fois tout à fait raisonnables.
• Le Domaine de Ravanes à Thézan-lès-Béziers
Il se veut un qua­si-Pome­rol (100 % mer­lot) et il y réus­sit plu­tôt bien. Ce n’est peut-être pas tout à fait, comme l’ont dit cer­tains, le Petrus du Lan­gue­doc, mais ses tarifs en sont très éloi­gnés et, pour son prix, sa qua­li­té est tout à fait remar­quable, en par­ti­cu­lier pour ce qui concerne la cuvée “les Gra­vières du Taurou”.

Chez ceux qui “jouent le jeu”

• Les “très bons”

• Le Domaine de Mont­calmes à Pué­cha­bon, AOC Coteaux du Languedoc.
C’est un très, très bon (mon pré­fé­ré des AOC ?). Ses grandes qua­li­tés : au-delà de sa ron­deur, de sa déli­ca­tesse et de sa lon­gueur de bouche, une main­te­nance éton­nante d’une année sur l’autre quelles que soient les condi­tions cli­ma­tiques, et sur­tout sa capa­ci­té à être bon vite ! Point n’est besoin d’attendre dix ans, même si une cer­taine garde ne fait que l’améliorer. Dom­mage qu’il soit si dif­fi­cile d’entrer en contact avec le pro­duc­teur, qui semble se cacher der­rière des portes closes !
• Le Domaine du Puech Haut à Saint-Dré­zé­ry, AOC Coteaux du Languedoc.
À la dif­fé­rence de plu­sieurs des meilleurs cités ici, il ne se situe pas dans le voi­si­nage d’Aniane mais à Saint-Dré­zé­ry, au nord-ouest de Mont­pel­lier. La pro­prié­té fut une oli­ve­raie. Les oli­viers ont été arra­chés et la vigne plan­tée. Cari­ca­tu­ra­le­ment, tout y est neuf mais ça a le goût et la qua­li­té du vieux – et du meilleur – à com­men­cer par le châ­teau lui-même. On y fait trois cuvées en rouge qui se dif­fé­ren­cient par leurs assemblages :
– la cuvée “Pres­tige” intègre un fort pour­cen­tage de cari­gnan. C’est un vin aux arômes moins denses mais plus sub­tils que les autres cuvées. Un vin très plai­sant et qui n’exige pas de garde pour se révé­ler. De plus son prix est sen­si­ble­ment plus rai­son­nable que ceux de ses deux “frères” ;
la “Tête de Cuvée” et le “Clos du Pic” sont des pro­duc­tions “clas­siques” pour la région, plus à base de syrah. Ce sont des vins qui ne s’épanouissent que plus tar­di­ve­ment, mais qui se révèlent alors remarquables.
• Le Domaine de Font­caude (Alain Cha­ba­non) à Laga­mas, AOC Coteaux du Lan­gue­doc (Mont­pey­roux).

Il pro­duit plu­sieurs cuvées, toutes remar­quables, et en par­ti­cu­lier “ l’Esprit de Fontcaude ”.
• Le Domaine Léon Bar­ral à Len­the­ric, AOC Faugères.
Il pro­duit éga­le­ment plu­sieurs cuvées, la meilleure à mon sens étant la cuvée “ Jadis ”.

• Les “bons”

– Mas Bru­guière à Valflaunès.
– Domaine de l’Hortus à Valflaunès.
– Domaine Cla­vel à Assas.
– Châ­teau de Lan­cyre à Valflaunès.
– Clos Marie à Lauret
– Châ­teau de Caze­neuve à Lauret.

Et… bien, bien d’autres, mais ceci est une sélec­tion et non un guide. Il existe d’excellents guides et je ne sau­rais trop en recom­man­der la lecture.

Mes choix sont, pour l’essentiel, dans une zone proche de Mont­pel­lier. Ce n’est pas un hasard, c’est là que je vis et c’est ce que je connais le mieux. Je regrette par exemple de n’avoir cité aucun Miner­vois la Livi­nière. Il en est de très bons.

Comme le lec­teur qui aura eu le cou­rage de me suivre jusqu’ici n’aura pas man­qué de le remar­quer, je n’ai par­lé que de rouges. Je ne m’en cache­rai pas, ils ont ma pré­fé­rence. Néan­moins il existe aus­si en Lan­gue­doc de fort bons vins blancs, dont j’aurai peut-être l’occasion de vous par­ler une autre fois.

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