Pierre-Yves et Marie-Laurence Madignier (75)

Pierre-Yves et Marie-Laurence Madignier (75), un foyer engagé

Dossier : AtypiXMagazine N°Pierre-Yves et Marie-Laurence Madignier (75), un foyer engagé


Ils se sont connus à l’X. Leur pro­mo 75, pion­nière sur le pla­teau de Palai­seau, y flot­tait alors avec ses 331 misé­rables élèves en tenue bat­tle dress per­dus au milieu des 168 hec­tares du cam­pus, han­té seule­ment par les popu­la­tions fan­to­ma­tiques des mili­taires et des chercheurs.

Çà et là, une oasis d’humanité : la leur fut la CCX, la com­mu­nau­té catho­lique. Mais de là à unir leurs des­tins… Ce n’est que bien plus tard, après leur départ de la pro­mo, en 1979, qu’un retour de la mai­son de famille de Marie-Lau­rence fut pour Pierre-Yves son che­min de Damas.

Pierre-Yves et Marie-Lau­rence se sont mariés en 1980, à l’orée de leur vue active. Lui, concep­tuel, sort de l’ENSAE et s’apprête à ren­trer dans les ser­vices d’étude d’EDF. Elle, ten­tée par le ter­rain, la nature, le ter­ri­toire, est deve­nue ingé­nieur du génie rural, des eaux et des forêts – IGREF. A l’École du GREF, elle a croi­sé des Agros.

Elle les sent enga­gés dif­fé­rem­ment des X. A l’Agro en effet, c’est la tête du clas­se­ment qui conti­nue à l’ENGREF, avec sou­vent pour moteur la car­rière. Le jeune couple s’apprête à se lan­cer simul­ta­né­ment dans l’aventure de la car­rière et dans celle du foyer. Pas facile de se suivre dans des car­rières de cadres supé­rieurs néces­sai­re­ment nomades.

Pour­tant, en 35 ans, ils ne se sont presque pas quit­tés. De Vesoul à Paris en pas­sant par la Gua­de­loupe, Avi­gnon et Lyon, ils ont presque tou­jours réus­si à se retrou­ver tous les soirs sous le même toit. Ils vou­laient des enfants : la nature les a ser­vis géné­reu­se­ment, avec un aîné sui­vi de deux couples de jumeaux, cas unique dans les annales. Le choix de la vie de foyer sans arrê­ter de tra­vailler les a pré­ma­tu­ré­ment éloi­gnés de la pro­vince pro­fonde. Il les a aus­si ame­nés à faire des choix incom­pris de leur envi­ron­ne­ment professionnel.

Ain­si, en 1998, alors qu’on lui pro­pose la direc­tion de la région Est d’EDF-GDF Ser­vices, Pierre-Yves fait le choix, pour hono­rer son enga­ge­ment à ATD Quart-Monde, de se mettre à 80 % pour une période de trois ans. Elu pré­sident de cette asso­cia­tion en 2010, il réci­dive. Il est immé­dia­te­ment mis à l’écart de la course aux hon­neurs dans son entre­prise mais y gagne une grande liber­té intérieure.

Les contraintes fami­liales ont évi­dem­ment obli­gé Marie-Lau­rence à lever elle aus­si tem­po­rai­re­ment le pied, mais sans jamais tota­le­ment s’arrêter. Elle a certes été ame­née à choi­sir des postes variés, mais qui lui ont don­né long­temps l’impression d’une car­rière décou­sue : génie rural, quo­tas lai­tiers, Natu­ra 2000, éner­gies renou­ve­lables, pro­tec­tion des végé­taux, Office natio­nal des forêts dont elle a assu­ré (à 90 % !) la direc­tion de la région Ile-de-France avant de rejoindre le Conseil géné­ral de l’agriculture.

Ce n’est qu’au moment du Gre­nelle de l’environnement, en 2007, alors qu’elle est sous-direc­trice au minis­tère de l’agriculture, que le kaléi­do­scope de ses expé­riences s’ordonne en un tableau qui fait sens. Elle recon­naît aujourd’hui que l’X donne une vraie faci­li­té à se mettre à niveau dans n’importe quelle situa­tion pro­fes­sion­nelle, et que l’intérêt du tra­vail est de mettre en rela­tion des choses et des équipes sans rap­port appa­rent entre elles autour d’un pro­jet, tel que la pré­ven­tion des pol­lu­tions acci­den­telles ou mal­veillantes des châ­teaux d’eau par des déten­teurs de pes­ti­cides ou l’impact de la forêt sur le régime des eaux.

Elle est depuis peu pré­si­dente de l’ADAPEI du Rhône, en sou­tien à l’un de leurs enfants, handicapé.

Pierre-Yves, quant à lui, a tou­jours été révol­té par l’injustice. Pen­dant son ser­vice mili­taire, il découvre avec effa­re­ment et incom­pré­hen­sion qu’un des appe­lés qui lui sont confiés s’est fait arra­cher les dents pour se faire réfor­mer, car il ne sup­porte plus le régi­ment. Il ne com­pren­dra que plus tard que der­rière cette his­toire indi­vi­duelle se cache celle de tout un peuple frap­pé par la misère, le Quart-Monde, invi­sible aux yeux du public. A l’X, il monte sur l’estrade pour haran­guer la pro­mo en grève à la suite de la condam­na­tion aux arrêts de rigueur du cama­rade Franck Boi­leau, sur­pris un peu débraillé au petit matin du Bal de l’X par le Général.

Deux cama­rades de la CCX, Bru­no Ver­gob­bi et Jacques Le Goff, le traînent au QG du mou­ve­ment ATD Quart-Monde à Noi­sy-le-Grand. A sa pre­mière pres­ta­tion, il doit ani­mer un ate­lier vélo. Les jeunes de la cité de pro­mo­tion fami­liale le bizutent. Piqué au vif, il décide d’y reve­nir. Il n’y man­que­ra plus. En 2010, à son grand éton­ne­ment, on lui demande de prendre la pré­si­dence du mou­ve­ment fon­dé par le Père Joseph Wre­sins­ki et pré­si­dé alors par Gene­viève De Gaulle Antho­nioz. Il est alors membre du direc­toire d’ERDF et réflé­chit avec Marie-Lau­rence à prendre la déci­sion de par­tir, comme volon­taire per­ma­nent du mou­ve­ment, rejoindre les familles les plus pauvres.

Il ne sait pas si ce pro­jet de chan­ge­ment de vie aurait abou­ti, mais il se sent plus utile dans la res­pon­sa­bi­li­té qui lui est pro­po­sée. Pour évi­ter les conflits d’intérêt avec son employeur, il tra­vaille de nou­veau à 80 % et devient secré­taire géné­ral de RTE. Pen­dant son man­dat à ATD, il reçoit des jeunes X en stage de for­ma­tion humaine. Il défend une pro­po­si­tion de loi sur la recon­nais­sance de la dis­cri­mi­na­tion pour pré­ca­ri­té sociale qui le conduit jusque dans le bureau du Pré­sident de la Répu­blique. Il anime une asso­cia­tion de béné­voles, qui n’offre aucune pres­ta­tion à ses béné­fi­ciaires si ce n’est une pré­sence res­pec­tueuse à leurs côtés et aucun gain d’amour-propre à ses mili­tants. École de mana­ge­ment sans doute plus redou­table que la direc­tion d’une grande entre­prise ! Aujourd’hui, cinq ans plus tard, il s’apprête à pas­ser la main.

Pierre-Yves a coa­ché pen­dant sa car­rière maints col­la­bo­ra­teurs per­dus dans le désert spi­ri­tuel de l’entreprise. Ses lec­tures de Saint-Simon, de la Mar­quise de Sévi­gné, de Chris­tophe de Ren­ty et des auteurs du 17e siècle, après les grands roman­ciers russes du 19e siècle, lui ont rap­pe­lé que le tra­vail et l’entreprise comme colonne ver­té­brale de la per­son­na­li­té ne sont qu’une paren­thèse his­to­rique qui est peut-être en train de se refermer.

Il a vu des X mal­heu­reux de se voir assi­gnés à une place moins noble que celle dont ils se croyaient dignes. De manière géné­rale, il est pré­oc­cu­pé de tout ce qui met en cause la cohé­sion sociale et le sens de l’action publique. Le meilleur pro­fes­seur dont il garde la mémoire, à l’X, fut un modeste offi­cier, qui avait mis en garde son groupe ain­si : « Vous allez faire votre ser­vice. Vous allez voir des choses qui ne marchent pas. Sachez gar­der de la dis­tance et votre sens de l’humour. »

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