Lionel Gentric (95), frère prêcheur

Dossier : AtypiXMagazine N°Lionel Gentric (95), frère prêcheur
Par Lionel GENTRIC (95)

Le same­di 10 octobre 2015, Lio­nel Gen­tric ne sera pas au Magnan… mais à Lourdes, au ras­sem­ble­ment annuel de l’Hospitalité du Rosaire, dont il pren­dra ce jour-là la pré­si­dence. Cette hos­pi­ta­li­té ras­semble aujourd’hui 4 000 béné­voles, qui se ras­semblent chaque année au ser­vice de 1 500 malades et han­di­ca­pés, à l’occasion du Pèle­ri­nage du Rosaire.

« Aujourd’hui, dans l’Église de France, les hos­pi­ta­liers sont por­teurs d’une mis­sion pro­phé­tique. Lorsqu’ils se dépensent au ser­vice des plus faibles et des plus han­di­ca­pés, ils offrent un témoi­gnage sur le Royaume de Dieu et découvrent eux-mêmes des aspects essen­tiels de la vie évangélique.

A Lourdes, le grand miracle est celui d’une porte entr’ouverte vers un monde nou­veau, cham­bou­lé, où les choses sont remises à l’endroit. Qu’un prê­cheur accom­pagne cette œuvre hos­pi­ta­lière peut per­mettre aux béné­voles de mieux per­ce­voir les enjeux de leur engagement. »

Lio­nel est frère prê­cheur, reli­gieux domi­ni­cain au couvent de Stras­bourg. Atta­blé à une ter­rasse devant la Fon­da­tion Louis Vuit­ton où, pro­fi­tant d’un petit cré­neau dans un agen­da pari­sien minu­té, il vient de se rafraî­chir les yeux pen­dant une heure, il se confie.

« Lorsque je suis ame­né à prê­cher l’Evangile, j’ai des mots à por­ter sur une parole qui vient d’au-delà de moi-même, des mots qui ne me sont pas don­nés d’avance ; les por­ter est de l’ordre de l’acte de créa­tion. En cela, le prê­cheur a une affi­ni­té pro­fonde avec l’artiste. Et c’est peut-être un des points sur les­quels la for­ma­tion tech­nique que j’avais reçu à l’X avait besoin de trou­ver un débou­ché autre. »

Au pied du grand bâti­ment qui semble s’envoler en volutes vers le ciel, sa médi­ta­tion accom­pagne l’élan architectural.

Com­ment la voca­tion reli­gieuse lui est-elle venue ? « Pen­dant mes études à l’X, j’ai réa­li­sé que l’aptitude à très bien cal­cu­ler n’épuiserait pas ma soif. Je voyais mes cama­rades par­tir par bataillons entiers dans le conseil et la finance. Je n’avais aucune envie de les rejoindre. L’éclectisme intel­lec­tuel des ensei­gne­ments à l’X me lais­sait l’impression somme toute ver­ti­gi­neuse que toutes les portes m’étaient ouvertes, ce qui est une chance inouïe pour un jeune de 21 ans, mais aus­si un redou­table défi. Quand toutes les portes sont ouvertes, il reste encore à en choi­sir une, et à la fran­chir. A défaut d’un vrai choix, il y a un risque de ne rien accom­plir du tout. »

C’est alors que lui est venue l’idée de la vie reli­gieuse. Ce choix radi­cal, il en confie l’analyse à Paul Valé­ry : « Le mys­tère du choix n’est pas un moindre mys­tère que celui de l’invention, en admet­tant qu’il en soit bien distinct. »

Car bien loin de l’enfermer, le choix que fit alors Lio­nel de s’engager sans retour dans la vie reli­gieuse, de repar­tir pour 10 ans d’études après l’X avant d’être ordon­né prêtre en 2009, lui a don­né le sen­ti­ment que sa créa­ti­vi­té était enfin libé­rée. « On peut faire du neuf chez les reli­gieux. Il existe de vrais espaces de créativité ».

Lio­nel com­pare avec affec­tion ses anciens des années 50 qui ont vou­lu s’enfouir comme prêtres ouvriers dans les ban­lieues gagnées par l’athéisme et ses jeunes confrères qui portent le col romain. Pour lui, ils ont en com­mun cette même volon­té de témoi­gner aux hommes de ce temps, un même élan missionnaire.

Nos contem­po­rains mani­festent une vraie soif reli­gieuse qui s’exprime par­fois de façon dan­ge­reuse. Ils ont besoin de témoins. La chance des reli­gieux, c’est de pou­voir rejoindre ceux qui ne met­traient jamais les pieds dans une église.

Lio­nel voit la ques­tion reli­gieuse dra­ma­ti­que­ment reve­nue au pre­mier plan de l’agenda des res­pon­sables de ce monde. Il récuse le dis­cours qui vou­drait ren­voyer la reli­gion à la sphère pri­vée. « On ne peut pas cou­per les gens en tranches. Je suis citoyen quand je vais voter, reli­gieux quand je prêche, mais l’inverse est vrai aus­si : le reli­gieux va voter, et c’est un citoyen qui prêche. »

Il espère que le monde trou­ve­ra la recette d’une inté­gra­tion paci­fique de la reli­gion dans l’espace public.

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