Alexis Licht (05), l’explorateur des mondes très anciens

Dossier : AtypiXMagazine N°Alexis Licht (05), l’explorateur des mondes très anciens

Tout petit, il était fas­ci­né par les entrailles de la terre. Dans son vil­lage de l’Argonne, labou­rée par les guerres, il pas­sait ses loi­sirs à déter­rer des tran­chées les objets les plus hété­ro­clites. Une fois à l’X, et en paral­lèle à ses études, il suit par cor­res­pon­dance un cur­sus d’histoire à la facul­té des lettres de Nan­terre. Son ambi­tion : ren­trer dans l’archéologie par la filière scientifique.

C’est donc tout natu­rel­le­ment qu’à la sor­tie de l’X, il intègre l’École des mines, dans une filière sciences de la Terre, et effec­tue des stages chez Total et Are­va. Dans la fou­lée, il oblique len­te­ment vers la paléoan­thro­po­lo­gie et la paléon­to­lo­gie et engage une thèse sur les paléoen­vi­ron­ne­ments des pre­miers pri­mates, qu’il sou­tient en 2013 à l’Université de Poitiers.

Il pour­suit alors ses recherches en post-doc à l’international (Etats-Unis, Alle­magne). Il vient tout juste d’être embau­ché comme maître de confé­rences à l’Université de l’Etat de Washing­ton, à Seat­tle, où il pren­dra ses fonc­tions en 2016.

Alexis fait désor­mais par­tie de la petite com­mu­nau­té de cher­cheurs paléo-envi­ron­ne­men­ta­listes que compte la pla­nète. « Les Amé­ri­cains ne connaissent pas l’X, et d’ailleurs se moquent du diplôme. Ils jugent à la pro­duc­tion scientifique. »

Le sujet qui lui est confié, s’il le trans­porte 40 mil­lions d’années en arrière, à une époque où l’homme n’était pas encore pro­gram­mé et où les pri­mates com­men­çaient timi­de­ment leur conquête de la bio­sphère, n’en est pas moins d’une actua­li­té à pro­pre­ment par­ler brûlante.

En effet, la Terre a connu en ces temps loin­tains plu­sieurs bouf­fées de cha­leur, dont les plus vio­lentes, bap­ti­sées « évé­ne­ments hyper­ther­maux », ont pu faire grim­per le mer­cure de 10°C en quelques siècles à peine, et pour de longues périodes (de quelques dizaines à quelques cen­taines de mil­liers d’années), avant que la pla­nète retrouve son cli­mat d’avant.

Qu’est-ce qui a pu déclen­cher de tels évè­ne­ments cata­clys­miques (on pense notam­ment au vol­ca­nisme, mais aus­si aux hydrates de méthane enfouis dont on redoute aujourd’hui le relar­gage) ? Com­ment les espèces ont-elles pu encais­ser de pareils chocs ? Ces ques­tions sont au cœur des recherches scien­ti­fiques du moment.

Dans sa recherche, Alexis dis­pose de la boîte à outils déve­lop­pée par ses devan­ciers et à laquelle il apporte sa propre contri­bu­tion. La mor­pho­lo­gie des sols anciens, leur géo­chi­mie, la part des dif­fé­rents iso­topes de l’oxygène dans les cal­caires, mais aus­si la diver­si­té et l’anatomie du bois fos­sile, sont autant d’étalons du cli­mat pré­va­lant à l’époque.

Avec leur aide, Alexis a ain­si décou­vert que la mous­son asia­tique était déjà très active il y a 40 mil­lions d’années, alors qu’on la croyait née des sur­rec­tions hima­layenne et tibé­taine, plus récentes. Il a pu l’imputer au green­house de l’époque et à la forte concen­tra­tion atmo­sphé­rique en dioxyde de car­bone (pCO2) de l’époque. Outre la per­ti­nence de son approche pour com­prendre, par ana­lo­gie, l’impact envi­ron­ne­men­tal de l’augmentation de la pCO2 actuelle, il a pu ain­si mon­trer que les pre­miers pri­mates étaient déjà par­ti­cu­liè­re­ment adap­tés aux milieux mosaïques à forte saisonnalité.

Ses études inva­lident la thèse lar­ge­ment admise selon laquelle l’adaptation aux milieux sai­son­niers est une carac­té­ris­tique acquise au cours des der­niers mil­lions d’années chez les pri­mates (par­ti­cu­liè­re­ment chez les grands singes), motrice de leur évo­lu­tion récente.

Alexis recon­naît les ver­tus exci­tantes de son métier. Il est heu­reux de la grande liber­té qui y pré­side, n’était l’exercice rébar­ba­tif de la pêche aux sub­ven­tions (heu­reu­se­ment un peu plus facile aux États-Unis). Avec les médias, il a appris l’art de la pru­dence. Il est libre d’écumer les coins les plus recu­lés de la pla­nète, à la recherche de pré­cieux indices : après la Mon­go­lie, la Bir­ma­nie, le Tchad, et les déserts de l’Ouest amé­ri­cain, il se rend cette année au Tibet et en Iran.

« Tou­jours hors des sen­tiers bat­tus », que ce soit ceux des tou­ristes ou ceux des idéo­logues, il se plait à « vivre des expé­riences d’isolement inac­ces­sibles en Occi­dent ». Où il conjugue contem­pla­tion et action.

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