Alain Rambach (65), pionnier du génie génétique et des milieux chromogènes

Dossier : AtypiXMagazine N°Alain Rambach (65), pionnier du génie génétique et des milieux chromogènes
Par Alain RAMBACH (65)

A ma sor­tie de l’École Poly­tech­nique en 1967, je ne connais­sais rien de la Bio­lo­gie que le livre Les Ori­gines de la Vie du vul­ga­ri­sa­teur Joël de Ros­nay. J’ai deman­dé à Fran­çois Jacob de m’accueillir dans son labo­ra­toire de Géné­tique à l’Institut Pas­teur. A cette époque, en entrant dans la « botte Recherche », on était dis­pen­sé de la troi­sième année mili­taire, à condi­tion de res­ter cher­cheur pen­dant au moins dix ans.

Je fus mis direc­te­ment « à la paillasse » au labo­ra­toire, pour tra­vailler avec la bac­té­rie Esche­ri­chia coli. Cette bac­té­rie reste aujourd’hui un de mes sujets de recherche. Mes jour­nées étaient doubles, entre labo­ra­toire et Uni­ver­si­té où je sui­vais une mai­trise puis un DEA en Biologie.

De toute ma vie, ma for­ma­tion mathé­ma­tique m’a ser­vi par sa rigueur, très simi­laire à celle de la Géné­tique, où l’on parle de com­bi­na­toire des gènes, de posi­tion­ne­ment de ceux-ci le long des génomes, de pro­ba­bi­li­té de recom­bi­nai­sons géné­tiques, etc. Mais de cal­culs, point d’un niveau supé­rieur à la règle de trois.

Ma pre­mière inven­tion : en 1973, au moment de ma sou­te­nance de thèse sur le répli­ca­teur du bac­té­rio­phage lamb­da, un sujet étroit qui n’intéressait dans le monde que trois cher­cheurs, moi com­pris, j’ai déci­dé d’essayer de dépla­cer des frag­ments d’ADN conte­nant des gènes d’une espèce vers une autre, en vio­la­tion du dogme de la bar­rière des espèces.

J’ai publié mes tra­vaux pion­niers, les pre­miers en France, de ce domaine révo­lu­tion­naire qui sera ensuite dénom­mé Gene­tic Engi­nee­ring et que j’ai insis­té à tra­duire en fran­çais par Génie Géné­tique (comme Génie Elec­trique par exemple). J’ai construit et publié en 1974 le pre­mier vec­teur d’ADN déri­vé d’un bac­té­rio­phage per­met­tant d’introduire des frag­ments d’ADN, humains par exemple, dans une bac­té­rie telle que E.coli.

Mon audace à trans­gres­ser la norme de l’époque, en igno­rant de manière volon­ta­riste la bar­rière d’espèce, est peut-être une consé­quence de ma for­ma­tion à Poly­tech­nique : en effet Jacques Monod disait que l’X, ne durant que deux ans, déforme moins les esprits que les longues for­ma­tions uni­ver­si­taires. Si j’avais été for­mé cor­rec­te­ment à la Bio­lo­gie, je n’aurais jamais osé cher­cher à fran­chir la bar­rière d’espèce ; inver­se­ment, si j’avais été for­mé cor­rec­te­ment comme ingé­nieur d’application, je n’aurais jamais fait de Biologie.

Peut-être aus­si les cours de méca­nique de l’X vou­lant expli­quer qu’il faut balan­cer le bras gauche et le bras droit en rythme quant on veut mar­cher au pas, ce qui reste pour moi un mys­tère, m’auront-ils fait réflé­chir aux pro­ces­sus de décou­verte et d’invention.

De 1974 à 1980, je fais un stage post­doc­to­ral à Stan­ford en Cali­for­nie pen­dant deux ans puis je retourne à l’Institut Pas­teur. En tout, treize années dans le monde aca­dé­mique qui m’ont fait com­prendre que j’adorais la recherche libre mais que je n’étais pas fait pour les luttes intes­tines du milieu aca­dé­mique, où d’ailleurs en France les X sont lar­ge­ment aus­si car­rié­ristes que les autres.

En 1980, en asso­cia­tion avec Rhône Pou­lenc, n°1 fran­çais de la Phar­ma­cie, je fonde Géné­ti­ca, pre­mière socié­té fran­çaise de Génie Géné­tique appli­qué. For­ma­tion d’X inutile car on m’avait recru­té comme bio­lo­giste pion­nier. Je découvre que je ne suis bon que pour la phase ini­tiale de créa­tion, mais pas pour le déve­lop­pe­ment : rat de labo­ra­toire, inca­pable de créer des réseaux de relations.

L’aventure se ter­mine en 1986 quand le pou­voir socia­liste refuse que je conserve 35 % de la start-up que j’avais fon­dée. J’ai refu­sé de bra­der mes actions à leur valeur nomi­nale de consti­tu­tion en 1980, deal éton­nant qui m’était pro­po­sé par Rhône Pou­lenc deve­nu sou­dain auxi­liaire zélé du pou­voir en place, et j’ai por­té l’affaire en Justice.

Ma deuxième inven­tion : en 1987, rebelle et donc reje­té par tous les grands indus­triels fran­çais, je me suis mis à mon compte pour conti­nuer des recherches en Micro­bio­lo­gie. J’étais seul, sans le sou­tien d’une puis­sante mul­ti­na­tio­nale. J’ai déve­lop­pé une nou­velle inven­tion, les milieux chro­mo­gènes, dans le domaine du diag­nos­tic. J’avais dès 1979 eu cette idée et dépo­sé un brevet.

J’ai pu vendre un pre­mier pro­duit en 1989. Je l’ai dénom­mé « Ram­bach™ Agar » car je vou­lais lais­ser une trace per­son­nelle sur le pre­mier pro­duit de mon inven­tion. Mon chiffre d’affaire annuel fut infé­rieur au SMIC men­suel de l’époque, mais ce fut le début d’une aven­ture de pion­nier mon­dial que je mai­tri­sais de A à Z : inven­tion, déve­lop­pe­ment, fabri­ca­tion et vente. J’ai fon­dé la socié­té CHRO­Ma­gar de milieux de culture chro­mo­gènes que je gère encore en 2015.

Les milieux chro­mo­gènes colorent les colo­nies de microor­ga­nismes sur boites de Petri, en rouge, en bleu, en vert… sui­vant l’espèce aidant à l’identification du microor­ga­nisme dès l’apparition de la colo­nie. Ces milieux inno­vants fonc­tionnent avec des sub­strats enzy­ma­tiques, déri­vés chi­miques syn­thé­ti­sés arti­fi­ciel­le­ment, que j’ai conçus, sur une idée de Jacques Monod en 1953, en par­tant de l’indoxyl-glucoside que la nature a déve­lop­pé depuis des mil­lions d’années et que les hommes emploient depuis des mil­lé­naires pour colo­rer les tissus.

A par­tir de 1994, mon inven­tion de milieux chro­mo­gènes a été imi­tée, par­fois copiée, par les grandes socié­tés de milieux de culture de diag­nos­tic qui ont pro­gres­si­ve­ment pris les mar­chés que j’avais ouverts. Aujourd’hui il me reste au moins la satis­fac­tion d’avoir été, une deuxième fois, le pion­nier d’une tech­nique révolutionnaire.

De plus, ayant fait le choix de res­ter en France pour déve­lop­per mon inven­tion, j’ai eu celle d’avoir, mal­gré ou du fait d’une fis­ca­li­té incroya­ble­ment lourde pour une socié­té béné­fi­ciaire, tra­vaillé pour la Patrie, les Sciences et la Gloire.

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