Yves Angel (37), 1918–2006

Dossier : ExpressionsMagazine N°620 Décembre 2006Par : Yves GUINET (60)

LE PROFESSEUR Yves Angel nous a quit­tés le 3 avril 2006. Il fut, durant la pre­mière par­tie de sa car­rière pro­fes­sion­nelle, l’un des prin­ci­paux acteurs du déve­lop­pe­ment tech­nique du ser­vice de la télé­vi­sion en France.

Yves ANGEL (37)C’était un homme dis­cret, d’une grande finesse et d’une grande rigueur, qua­li­tés qu’il alliait aux ver­tus de cou­rage et de modes­tie, dis­si­mu­lant le tout der­rière un sou­rire pétillant. Il se fai­sait une très haute idée du métier de l’ingénieur. Il l’exerça avec brio et digni­té, dans des contextes dif­fi­ciles, ce qui lui atti­ra l’estime et le res­pect de ceux qui eurent la chance de le connaître.

Il était né à Paris le 11 novembre 1918 et avait fait ses études aux lycées Mon­taigne et Louis-le-Grand. Il entra à l’École poly­tech­nique dans la pro­mo­tion 1937. Vingt ans plus tard, lorsqu’il choi­si­ra de se consa­crer à l’enseignement supé­rieur, il obtien­dra un doc­to­rat ès sciences phy­siques avec une thèse sur le magné­tisme diri­gée par Louis de Broglie.

Yves Angel sort de l’École poly­tech­nique dans le corps des ingé­nieurs des PTT alors que la Seconde Guerre mon­diale éclate. Il par­ti­cipe, comme offi­cier de trans­mis­sion, à l’expédition de Narvik.

En 1942, à sa sor­tie de l’École natio­nale des télé­com­mu­ni­ca­tions, il est affec­té à la « Radio­dif­fu­sion natio­nale », à Tou­louse. Il y fait la connais­sance de Fran­çois Devèze (29), le chef du réseau des résis­tants de la radio­dif­fu­sion, « La chaîne Duvernois ».

Au début 1943, il est affec­té à Paris. Des accords sont inter­ve­nus entre le gou­ver­ne­ment de Vichy et l’armée alle­mande pour exploi­ter un ser­vice régu­lier de télé­vi­sion bilingue (alle­mand et fran­çais) au béné­fice des bles­sés, le « Fern­seh­sen­der Paris ». Les émis­sions sont pro­gram­mées et pro­duites à Cognac-Jay, puis dif­fu­sées vers les hôpi­taux de la région pari­sienne par l’émetteur à 441 lignes de la tour Eif­fel. Yves Angel est res­pon­sable des études et ins­tal­la­tions tech­niques. (Cf. l’ouvrage : Cognac-Jay 1940. La télé­vi­sion fran­çaise sous l’Occupation).

Il est enga­gé dans la Résis­tance et échappe de jus­tesse à la rafle du 19 juillet 1944 au cours de laquelle son ami Devèze, qui mour­ra en dépor­ta­tion, est arrê­té par la Ges­ta­po. Durant la Libé­ra­tion de Paris, il veille au bon fonc­tion­ne­ment des émet­teurs qu’il a ins­tal­lés en divers lieux de la capi­tale, et qui sont uti­li­sés comme « radios libé­rées » durant les combats.

C’est dans ce contexte qu’il par­ti­cipe aux pre­miers déve­lop­pe­ments opé­ra­tion­nels en France de la « seconde géné­ra­tion » du sys­tème télé­vi­suel, celle des « tech­niques élec­tro­niques ana­lo­giques ». Une géné­ra­tion qui n’arrive qu’actuellement à son terme avec la géné­ra­li­sa­tion de la télé­vi­sion numé­rique ter­restre. C’est alors l’époque des « tubes à vide » : l’iconoscope dans la camé­ra, l’ampoule catho­dique dans le télé­vi­seur, la triode pour ampli­fier le signal. Des pro­grès pro­di­gieux et mul­ti­formes sur­vien­dront au cours de cette géné­ra­tion plus que cin­quan­te­naire. La télé­vi­sion devien­dra le plus puis­sant média, le moyen d’une pro­fonde trans­for­ma­tion de l’humanité. Tout est alors à inven­ter. C’est grâce à Yves Angel et à son équipe de la RTF que quelques mil­liers de télé­spec­ta­teurs fran­çais assistent « en direct », le 2 juin 1953, au cou­ron­ne­ment de la reine d’Angleterre.

Les années de l’après-guerre sont celles du choix des normes tech­niques des sys­tèmes de télé­vi­sion qui seront uti­li­sés pour éta­blir les pre­miers réseaux natio­naux. Les fac­teurs tech­no­lo­giques, indus­triels et poli­tiques s’entremêlent. Les consé­quences éco­no­miques et sociales de ces choix sont lourdes. Ils doivent être coor­don­nés au plan inter­na­tio­nal pour limi­ter l’effet du brouillage réci­proque des émis­sions, faci­li­ter les échanges inter­na­tio­naux de pro­grammes et per­mettre l’existence d’un mar­ché des maté­riels. Yves Angel est alors, à la RTF, le res­pon­sable des études et des maté­riels pour la télé­vi­sion. Il oeuvre au CCIR (Comi­té consul­ta­tif inter­na­tio­nal des radio­com­mu­ni­ca­tions) pour l’adoption d’un sys­tème unique en Europe.

Tou­te­fois la France adopte le sys­tème 819 lignes pour le pre­mier réseau natio­nal d’émetteurs en ondes métriques, par un arrê­té du 5 avril 1949 signé de F. Mit­ter­rand. Les Anglais conservent leur sys­tème 405 lignes tan­dis que les autres pays euro­péens, adoptent le 625 lignes. Les télé­vi­seurs des Fran­çais devront rapi­de­ment deve­nir « bi-standards ».

Une décen­nie plus tard, ce sont les choix tech­niques rela­tifs à la télé­vi­sion en cou­leur qui se pré­parent. Y. Angel pressent, avec pers­pi­ca­ci­té, que les forces poli­ti­co-indus­trielles vont à nou­veau s’opposer à l’adoption d’un sys­tème euro­péen unique : par un arrê­té du 20 jan­vier 1967, signé de G. Pom­pi­dou, la France choi­si­ra le sys­tème SECAM tan­dis que le reste de l’Europe de l’Ouest choi­sit le sys­tème PAL.

C’est à ces motifs qu’Yves Angel décide de quit­ter la RTF et de consa­crer la seconde par­tie de sa car­rière à l’enseignement supé­rieur et aux orga­nismes inter­na­tio­naux de normalisation.

La chaire de trans­mis­sions radio­élec­triques du Conser­va­toire natio­nal des arts et métiers lui est confiée. Il enseigne à l’École natio­nale supé­rieure des télé­com­mu­ni­ca­tions, ain­si qu’à l’École natio­nale de l’aviation civile et à l’IDHEC.

Durant trente ans (1956−1986), il pré­side la Com­mis­sion mixte CCIRCCITT pour les trans­mis­sions télé­vi­suelles et sonores (CMTT). L’Union inter­na­tio­nale des télé­com­mu­ni­ca­tions (UIT) lui décer­ne­ra son diplôme d’honneur en recon­nais­sance de sa contri­bu­tion excep­tion­nelle à ses travaux.

Avec le départ de notre ami Yves Angel, c’est la mémoire vécue d’une époque his­to­rique de la tech­nique télé­vi­suelle qui s’éteint.

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