WAGNER : LA TÉTRALOGIE SANS PAROLES

Dossier : Arts, Lettres et SciencesMagazine N°667 Septembre 2011Par : Lorin Maazel, Orchestre philharmonique de BerlinRédacteur : Marc Darmon (83)

Beau­coup se demandent com­ment abor­der les quinze heures de la Tétra­lo­gie de Wag­ner, sa cin­quan­taine de per­son­nages impor­tants, sa cen­taine de thèmes musi­caux, et par où com­men­cer. Lorin Maa­zel pro­pose une solu­tion. Bien sûr les puristes crie­ront au blas­phème, et n’auront pas tout à fait tort. Mais avant de crier avec les loups, exa­mi­nons ce que pro­pose Maa­zel, et ayons l’honnêteté de recon­naître que l’exceptionnelle qua­li­té de réa­li­sa­tion de cet enre­gis­tre­ment doit per­mettre d’en faire un disque de réfé­rence autant pour le novice que pour le spécialiste.

Ring Ohne Worte, la Tétra­lo­gie sans paroles, de quoi s’agit-il ? Ce n’est pas une suc­ces­sion de mor­ceaux pure­ment orches­traux tirés des quatre opé­ras de Wag­ner ; il s’agit d’une com­po­si­tion, qua­si­ment un col­lage, repre­nant la chro­no­lo­gie des évé­ne­ments des quatre opé­ras qui se déroulent sur trois géné­ra­tions. Maa­zel n’a pas seule­ment jux­ta­po­sé ni retrans­crit les mor­ceaux, il a réécrit par­fois, notam­ment les tran­si­tions, mais tou­jours en gar­dant la cou­leur orches­trale, voire l’orchestration, ori­gi­nale. Évi­dem­ment, pour cet ensemble d’opéras qui est emblé­ma­tique du théâtre en musique qu’avait vou­lu, rêvé, Wag­ner, repré­sen­ter son his­toire sans chants est para­doxale. Mais si nous consi­dé­rons ce que nous voyons et enten­dons comme un immense (plus d’une heure) poème sym­pho­nique, quelle richesse, et quelle performance !

On le sait, dès ses pre­miers opé­ras de matu­ri­té, Wag­ner a ponc­tué ses oeuvres de thèmes récur­rents, les leit­mo­tivs, qui rap­pellent les per­son­nages, les objets impor­tants, les sen­ti­ments (« un bot­tin musi­cal » disait Debus­sy, moqueur, et à tort). Les quatre opé­ras de la Tétra­lo­gie, L’Or du Rhin, La Wal­ky­rie, Sieg­fried et Le Cré­pus­cule des dieux, par­tagent leurs thèmes qui sou­vent découlent les uns des autres dans un véri­table enche­vê­tre­ment qui est un vrai et for­mi­dable jeu de piste, dont même les spé­cia­listes découvrent des liens à chaque écoute. Dans la ver­sion sans paroles, telle que réa­li­sée par Maa­zel, l’enchevêtrement de ces leit­mo­tivs, d’habitude « sub­li­mi­nal », est ici à la lumière, leur sui­vi est plus facile, plus direct aus­si. Bien enten­du le mor­ceau fon­da­teur des leit­mo­tivs de la Tétra­lo­gie, le pré­lude de L’Or du Rhin, est ici repris inté­gra­le­ment, au début.

On y entend se suc­cé­der, car décou­lant les uns des autres par chan­ge­ment de rythme ou trans­po­si­tion, les thèmes de la Nature et du Rhin sous leurs dif­fé­rentes formes, qui seront les bases d’une bonne par­tie des autres thèmes. Mais ce que l’on entend d’habitude sourdre depuis la fosse d’orchestre est ici sur l’estrade, et tout le jeu har­mo­nique de Wag­ner, la suc­ces­sion des ins­tru­ments jouant ces thèmes tour à tour est infi­ni­ment plus lisible.

Bien enten­du, Le Cré­pus­cule des dieux se taille la part du lion de la nou­velle œuvre : c’est l’opéra où les mor­ceaux pure­ment orches­traux sont les plus nom­breux, avec notam­ment une Marche funèbre pour le héros, ici qua­si inté­grale, ruti­lante et très impres­sion­nante. Les puristes pour­ront regret­ter l’absence de quelques moments clés de la Tétra­lo­gie, tels le com­bat de Sig­mund et Hun­ding, les airs de la forge et du prin­temps, la malé­dic­tion de l’anneau par Albe­rich. Mais au total tout ce que l’on entend est de Wag­ner, en un flot conti­nu de plus d’une heure que le com­po­si­teur n’aurait pas renié.

Plu­sieurs fois sol­li­ci­té pour cette réa­li­sa­tion, Lorin Maa­zel a fina­le­ment cédé, et l’ouvrage qu’il dirige à quatre-vingts ans pas­sés est une grande réus­site qui pour­ra à la fois créer un nou­veau public pour la Tétra­lo­gie et ravir les ama­teurs de per­for­mance orchestrale.

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