Voltaire’s Folies

Dossier : Arts, Lettres et SciencesMagazine N°633 Mars 2008Par : d'après Voltaire, dans une mise en scène de J.-F. PrévandRédacteur : Philippe OBLIN (46)

On risque de ne rien com­prendre à Vol­taire si on ne se le repré­sente comme un jour­na­liste extrê­me­ment curieux, à l’affût du moindre fris­son de l’actualité (Klé­ber Hae­dens). Tout est dit là sur le côté brillant mais super­fi­ciel de cet auteur, et aus­si sur son goût immo­dé­ré du suc­cès. Auteur dont on peut se deman­der s’il était vrai­ment aus­si intel­li­gent qu’on l’a cru long­temps, ou tout au moins si son juge­ment était bien assuré.

Affiche de theatre : Voltaire's FoliesParce qu’il s’est beau­coup trom­pé, presque tout le temps. Sur Fré­dé­ric II qui le mépri­sait mais s’en ser­vait, sur J.-J. Rous­seau qu’il tenait pour un piètre écri­vain, sur Pas­cal à qui il n’a rien com­pris, sur Leib­niz dont les idées scien­ti­fiques et méta­phy­siques lui pas­saient d’évidence au-des­sus de la tête, sur Mau­per­tuis en ten­tant de ridi­cu­li­ser ses intui­tions évo­lu­tion­nistes pré­mo­ni­toires, sur Mari­vaux dont il bar­ra l’accès à la Comé­die-Fran­çaise autant qu’il put. Sur lui-même enfin en lais­sant avec com­plai­sance l’intelligentsia du temps le regar­der comme un grand poète et un génial dra­ma­turge, alors que son Hen­riade est mer­veilleu­se­ment illi­sible, ses tra­gé­dies injouables avec leurs intrigues de mélo­drames et la pla­ti­tude de leur ver­si­fi­ca­tion. Mort en 1778, onze ans seule­ment avant la prise de la Bas­tille, le châ­te­lain de Fer­ney n’aura rien vu venir des évé­ne­ments en ges­ta­tion, qui eussent sans doute heur­té son sens du confort maté­riel, et à coup sûr réduit ses res­sources finan­cières, repo­sant en par­tie sur la traite négrière, dit-on.
À part deux ouvrages his­to­riques d’une fac­ture plu­tôt inno­vante pour l’époque, il n’est en défi­ni­tive vrai­ment bon, mais alors excellent, que dans le très court : le conte, le billet d’humeur, ce qui est bien le propre du journalisme.

Or voi­là que l’on a fabri­qué du théâtre vol­tai­rien, jus­te­ment à par­tir de ces billets et d’une sélec­tion qu’il en publia en 1760, sous le nom de Recueil des Facé­ties pari­siennes. Au hasard d’une flâ­ne­rie chez les bou­qui­nistes des Quais, un vieil exem­plaire de cet ouvrage tom­ba dans les mains d’un homme de théâtre, J.-F. Pré­vand, qui déci­da de les por­ter à la scène, qua­si­ment mot pour mot. Cela don­na les Voltaire’s Folies. Elles connurent dès 1970 un vif suc­cès de café-théâtre et au Lucer­naire, puis en Avi­gnon-off et tour­nées inter­na­tio­nales. Elles sont pré­sen­te­ment reprises au Théâtre de l’Œuvre, dans une mise en scène du même Pré­vand, inter­pré­tées par quatre comé­diens de haut vol : C. Ardillon, O. Cla­ve­rie, G. Maro et J.-J. Moreau.

Le résul­tat est un délire ver­bal et scé­nique où éclate la grin­çante drô­le­rie du pam­phlé­taire. Un spec­tacle qui eût en tout cas réjoui M. Homais ! Si tou­te­fois vous ris­quez d’être cho­qués d’entendre pré­sen­ter le mys­tère de l’Incarnation comme le cas d’une pucelle engros­sée par une colombe pour don­ner nais­sance, dans une écu­rie, à un dieu char­pen­tier – tels sont les termes employés – mieux vaut vous abs­te­nir. Le jeune Arouet fut for­mé au col­lège de Cler­mont par les jésuites. Ce sont tou­jours des bos­seurs, sou­vent des savants, par­fois des saints, mais rare­ment des hommes de goût. Ils ne sur­ent d’évidence pas en tout cas for­mer celui de leur élève, dont les plai­san­te­ries manquent par­fois du sens de la mesure.

Mais si, mal­gré ces consi­dé­ra­tions, vous res­tez ama­teurs du pri­me­saut vol­tai­rien, de son ardeur à pour­fendre avec cocas­se­rie la bêtise et l’intolérance, des maho­mé­tans et des juifs comme des chré­tiens d’ailleurs, allez au Théâtre de l’Œuvre. Vous y retrou­ve­rez la sûre­té de plume de l’auteur de Zadig, magni­fiée par le bien-dit des comé­diens et le brio d’une mise en scène endia­blée à sou­hait, où des tableaux sans liens entre eux se suc­cèdent dans une rapi­di­té de rythme à cou­per le souffle.
 

Théâtre de l’Œuvre,
55, rue de Cli­chy, 75009 Paris.
Tél. 01.44.53.88.88.

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