Vivre aligné avec son temps

Dossier : Dossier FFEMagazine N°698 Octobre 2014
Par Carlos GHOSN (74)

La promotion 74, dont vous êtes issu, se place sous le signe de la modernité et de la contribution des X aux évolutions de leur temps, était-ce pour vous un objectif ?

En tout cas c’est une réa­li­té. D’abord par la stra­té­gie de par­te­na­riat unique qui existe aujourd’hui entre Renault et Nis­san et que, comme patron, j’ai porté.

Ces deux entre­prises ont créé une Alliance unique et tra­vaillent éga­le­ment avec d’autres par­te­naires tels qu’Avtovaz, Daim­ler, Dong­feng et Mit­su­bi­shi. Ce fais­ceau de par­te­na­riats per­met au groupe de béné­fi­cier d’un effet d’échelle bien plus grand que celui que sa propre taille lui autoriserait.

“Lorsque j’ai commencé à travailler, je voulais une carrière globale et un métier qui mêle relations humaines, technologie et industrie. Je pressentais que l’automobile serait la bonne voie de ce point de vue, et je suis très heureux de mon choix.”

C’est par ailleurs un dis­po­si­tif qui, sur le plan du mana­ge­ment, est très moderne et sur lequel nous sommes pion­niers car bien peu d’entreprises dans le monde, et encore moins dans le sec­teur auto­mo­bile, s’y sont engagées.

L’Alliance est la bonne réponse pour conser­ver son iden­ti­té tout en culti­vant un esprit de col­la­bo­ra­tion. L’autre option pos­sible, celle des acqui­si­tions et des fusions, se tra­duit trop sou­vent par un déni d’identité qui génère conflits et ruptures.

Deuxième point impor­tant, et que nous avons aus­si for­te­ment déve­lop­pé : le mana­ge­ment de la diver­si­té. Et j’entends par là aus­si bien la mixi­té, que la dimen­sion mul­ti­cul­tu­relle. C’est un atout majeur pour l’entreprise.

Troi­sième point, le déve­lop­pe­ment du pro­duit. Car nous sommes avant tout des construc­teurs auto­mo­biles. Nous fabri­quons des objets sur les­quels Renault et Nis­san sont pré­cur­seurs, je pense notam­ment aux véhi­cules zéro émis­sion. Nous avons su pro­duire un véhi­cule propre et com­pa­tible avec une com­mer­cia­li­sa­tion de masse.

Ce n’est donc plus un seg­ment de niche, ce qui est fon­da­men­tal et cor­res­pond bien aux pro­blé­ma­tiques envi­ron­ne­men­tales du XXIe siècle.

Enfin, le qua­trième point, tout aus­si moderne, concerne la qua­li­té de notre dia­logue social. En France, nous avons signé en 2013 des Accords de com­pé­ti­ti­vi­té par­ti­cu­liè­re­ment inno­vants, qui per­mettent à notre base indus­trielle fran­çaise de rede­ve­nir attractive.

Être un grand patron est-ce précisément cela : savoir faire face aux défis du monde à venir et être une force de proposition dynamique face aux enjeux de société ?

Oui, je pense qu’il existe deux sortes de défis : cer­tains sont immé­diats, impo­sés par les cir­cons­tances (trem­ble­ment de terre au Japon, crise finan­cière avec la dis­pa­ri­tion de Leh­man Bro­thers, …), et requièrent une réac­tion très rapide. Il appar­tient au patron, d’en sai­sir très vite les enjeux pour être à même de prendre au plus tôt les bonnes déci­sions, de ras­su­rer ses équipes et per­mettre ain­si à son entre­prise de tra­ver­ser la crise du mieux possible.

Mais il existe aus­si des défis choi­sis, anti­ci­pés, aux­quels on pré­pare l’entreprise pour qu’elle pros­père sur le long terme. La voi­ture élec­trique est l’un d’eux.

Un patron est avant tout un déci­deur ; il est là pour trans­for­mer le réel. C’est pour­quoi les grands pen­seurs ne font pas for­cé­ment des grands patrons. Nous sommes d’abord jugés sur notre capa­ci­té à réa­li­ser, sur la crois­sance de l’entreprise, les résul­tats finan­ciers et la créa­tion de valeur.

Il est tou­te­fois impé­ra­tif de bien com­prendre le monde tel qu’il est pour ana­ly­ser le plus fine­ment pos­sible les dif­fé­rentes voies qui s’offrent à vous et opter en pleine conscience pour la meilleure.

Il faut donc être à la fois réac­tif, pros­pec­tif, et bien entouré !

L’actuelle signature du Groupe Renault « Drive the change », qui incarne l’idée d’une dynamique et d’une mobilisation, résume-t-elle l’esprit de votre leadership ?

Il y a eu beau­coup d’évolutions impor­tantes sous ma pré­si­dence, et cela est appe­lé à conti­nuer, notam­ment en ce qui concerne notre Alliance avec Nis­san. Le déve­lop­pe­ment des deux entre­prises se fait en grande har­mo­nie, ce qui consti­tue une excep­tion notable dans notre indus­trie où les rap­pro­che­ments sont le plus sou­vent périlleux.

“L’alliance travaille par exemple sur les prochaines voitures autonomes, que vous verrez apparaître sur les routes d’ici 2020.”

Dans notre cas, la poli­tique de par­te­na­riat, et la culture de col­la­bo­ra­tion qui l’accompagne, sont désor­mais clai­re­ment acquises. Renault est aujourd’hui une entre­prise qui a su pré­ser­ver ses racines fran­çaises tout en se déve­lop­pant for­te­ment à l’international.

Nous avons réus­si cette muta­tion qui consiste à être fier de notre iden­ti­té, et à ne pas s’embarrasser de com­plexes pour signer des par­te­na­riats et se lan­cer au Bré­sil, en Rus­sie, en Inde, et main­te­nant en Chine. C’est le fruit d’un équi­libre sub­til entre pré­ser­va­tion de notre iden­ti­té et ouver­ture internationale.

Enfin, l’exigence de notre évo­lu­tion tech­no­lo­gique a per­mis à Renault de deve­nir un cham­pion sur le plan envi­ron­ne­men­tal, avec notre lea­der­ship sur les véhi­cules élec­triques et les niveaux d’émission très bas de nos véhicules.

Toutes ces trans­for­ma­tions trouvent à s’exprimer dans la diver­si­té de notre mana­ge­ment dont le comi­té exé­cu­tif compte entre autre un alle­mand, deux espa­gnols, deux femmes… L’entreprise s’avère désor­mais bien plus mul­ti­cul­tu­relle, diverse et glo­bale qu’elle ne l’a jamais été.

Aviez-vous, au terme de votre parcours académique, une vision claire de vos attentes professionnelles ?

Non, je n’avais pas vrai­ment de vision claire. Le seul objec­tif qui m’animait était de tra­vailler à la fois au Bré­sil et dans l’industrie. J’aimais déjà la voi­ture. J’ai d’ailleurs com­men­cé ma car­rière en tra­vaillant pour Michelin.

Avez-vous le sentiment d’une fraternité polytechnicienne ?

Oui, mais plu­tôt avec un petit « f », et c’est très bien ain­si. Je n’ai pas, de façon géné­rale l’esprit de clan et je suis peu féru de socié­tés fermées.

Cela étant, j’ai natu­rel­le­ment encore des contacts avec d’anciens cama­rades de pro­mo­tion avec les­quels les liens sont tou­jours très amicaux.

Quelles seraient vos ambitions si vous sortiez de l’X aujourd’hui ?

Lorsque j’ai com­men­cé à tra­vailler, je vou­lais une car­rière glo­bale et un métier qui mêle rela­tions humaines, tech­no­lo­gie et indus­trie. Je pres­sen­tais que l’automobile serait la bonne voie de ce point de vue, et je suis très heu­reux de mon choix.

Aujourd’hui, j’aurais cer­tai­ne­ment une car­rière dif­fé­rente si je sor­tais de l’X. Tout d’abord, je par­tage com­plè­te­ment l’envie actuelle des jeunes de deve­nir entre­pre­neur, et je me met­trais sans doute à mon compte. L’autre dif­fé­rence, c’est ce que je cher­che­rais à tra­vailler dans une start-up ou dans les tech­no­lo­gies nou­velles. Les besoins dans ce domaine sont consi­dé­rables, et de ce point de vue, le monde qui s’annonce est fascinant.

L’Alliance tra­vaille par exemple sur les pro­chaines voi­tures auto­nomes, que vous ver­rez appa­raître sur les routes d’ici 2020. Nous allons inté­grer les tech­no­lo­gies connec­tées les plus inno­vantes dans nos véhi­cules, avec à la clé des gains spec­ta­cu­laires en termes de sécu­ri­té et de temps de loi­sir retrou­vé pour les conducteurs.

C’est enthou­sias­mant !

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