Une direction générale d’entreprise sous LBO

Dossier : Le conseilMagazine N°611 Janvier 2006
Par Géraud FONTANIÉ (75)

EN TANT QUE cabi­net de conseil en mana­ge­ment des res­sources humaines, Euro­search Consul­tants inter­vient régu­liè­re­ment pour les fonds d’in­ves­tis­se­ments auprès de leurs par­ti­ci­pa­tions, notam­ment pour recru­ter leurs diri­geants. Nous avons vou­lu décrire, de manière humo­ris­tique, à tra­vers un cas d’en­tre­prise de taille moyenne, quelques situa­tions dif­fi­ciles spé­ci­fiques à ce type de mon­tage, et illus­trer les rôles de cha­cun, les jeux de pou­voir et les solu­tions appliquées.

Un obscur fleuron de notre industrie nationale

Le concours Lépine de 1934 est gagné dans la caté­go­rie méca­nique par Mon­sieur Ber­trand Brinque-Baland, grâce à un pro­duit par­ti­cu­liè­re­ment ori­gi­nal : une sou­pière rem­plie en vrac de jar­re­tières métal­liques est agi­tée méca­ni­que­ment ; dans un bruit de volière, les pièces remontent sur des glis­sières le long des parois et sortent à vive allure mira­cu­leu­se­ment dis­po­sées tou­jours dans le bon sens.

Fort de ce beau suc­cès, la socié­té ano­nyme « Bol Brinque Baland » naît la même année. L’en­tre­prise mul­ti­plie les dépôts de bre­vets, qui la conduisent à deve­nir, après la guerre, un des prin­ci­paux four­nis­seurs fran­çais de bols vibrants. Ses équi­pe­ments ali­mentent en petites pièces les chaînes d’as­sem­blage et les machines spé­ciales et sont un des maillons de l’au­to­ma­ti­sa­tion. Ses prin­ci­paux clients sont l’in­dus­trie auto­mo­bile et l’élec­tro­mé­na­ger. Jouis­sant d’une forte noto­rié­té, l’en­tre­prise moder­nise son nom en B3 pour faci­li­ter l’exportation.

B3 reste une socié­té fami­liale. Son prin­ci­pal action­naire et pré­sident-direc­teur géné­ral est le petit-fils du fon­da­teur. Basée depuis tou­jours à Puteaux, quai de Dion-Bou­ton, elle emploie 300 sala­riés et réa­lise, bon an mal an, 45 M€ de chiffres d’af­faires. Elle exporte 10 % de ce chiffre vers la Bel­gique plu­tôt wal­lonne, la Suisse plu­tôt romande… et la Rou­ma­nie. À 62 ans, sans enfant, le Pré­sident s’est récem­ment rema­rié avec une splen­dide Rou­maine, de trente ans sa cadette, avec laquelle il aspire désor­mais à écou­ler des jours calmes et enso­leillés, loin de ses clients et de ses col­la­bo­ra­teurs, sur les bords de la mer Noire. Il veut vendre.

Une bonne affaire

Cette ces­sion d’en­tre­prises de taille moyenne sus­cite l’in­té­rêt géné­ral des fonds d’in­ves­tis­se­ments pari­siens dans le non coté. L’ac­tion­naire les met habi­le­ment en concur­rence et c’est Son­chelles Pri­vate Equi­ty, vieille mai­son issue des sucre­ries du même nom, qui se montre la plus inté­res­sée. Car l’af­faire, gérée en bon père de famille, contient quelques pépites. Elle est pro­prié­taire de son immeuble à Puteaux, et dis­pose d’une tré­so­re­rie abon­dante. Elle a mani­fes­te­ment une forte marge de pro­gres­sion : elle peut deve­nir le lea­der du mar­ché fran­çais et accom­pa­gner ses grands don­neurs d’ordres dans leurs implan­ta­tions indus­trielles à l’export.

Après s’être assu­ré du poten­tiel, et avoir éva­lué les risques par une série d’au­dits finan­ciers et juri­diques fouillés de due dili­gence, Son­chelles PE veut convaincre le mana­ge­ment en place de s’en­ga­ger à ses côtés dans une opé­ra­tion de rachat par LBO. Fran­çois Bol­duc, direc­teur com­mer­cial, Vincent Gou­pille, direc­teur indus­triel, et Gas­ton Piastre, comp­table, découvrent le méca­nisme du LBO et se font conseiller par un inter­mé­diaire sor­ti de leurs manches. Le package qui leur est offert est attrayant. Leur rému­né­ra­tion de base est aug­men­tée d’une part variable allant de 20 à 50%. À eux trois, ils accèdent à 25 % du capi­tal moyen­nant un inves­tis­se­ment per­son­nel de 100 à 300 K€ cha­cun. Au bout de cinq ans à la sor­tie de l’o­pé­ra­tion, leur mise ini­tiale pour­rait être mul­ti­pliée par dix. Son­chelles PE emporte l’affaire.

Un conseil de sur­veillance et un direc­toire sont immé­dia­te­ment mis en place. Fran­çois Bol­duc, 38 ans, dyna­mique, com­pé­tent, intègre, en un mot recom­man­dé par l’an­cien action­naire, est nom­mé pré­sident du Direc­toire. Il doit mener, avec les deux autres mana­gers action­naires et membres du direc­toire, un busi­ness plan ambi­tieux de 10 % de crois­sance par an et autant de réduc­tion de coûts qui, com­bi­nés, doivent déga­ger un cash-flow régu­lier per­met­tant de rem­bour­ser la dette ban­caire sur cinq ans.

La pre­mière année est rude pour Bol­duc. Il doit s’af­fir­mer comme le suc­ces­seur légi­time de Brinque-Baland, qui lui a lais­sé quelques dos­siers dif­fi­ciles agré­men­tés de cadavres dans les pla­cards. Il sécu­rise en prio­ri­té les rela­tions com­mer­ciales que l’an­cien pré­sident avait conser­vées. Il se sépare de quelques incom­pé­tents notoires pro­té­gés trop long­temps. Il construit le dos­sier pour faire jouer la garan­tie de passif.

Son­chelles PE de son côté ne reste pas inac­tive. À tra­vers la hol­ding finan­cière, elle rachète un, puis deux bureaux d’é­tudes, en pro­vince, spé­cia­li­sées dans les bols vibrants, et accroît signi­fi­ca­ti­ve­ment la part de mar­ché natio­nal de B3. Il faut fusion­ner les équipes, puis fer­mer les sites et rapa­trier les hommes clefs. Cette stra­té­gie de build up trans­forme B3 en lea­der natio­nal et aug­mente indis­cu­ta­ble­ment la valeur de l’ensemble.

Cette marche for­cée tend les rela­tions entre les membres du Direc­toire. Vincent Gou­pille s’op­pose de plus en plus fré­quem­ment sur la manière de faire. Il appa­raît comme un obs­tacle au chan­ge­ment à Fran­çois Bol­duc, qui convainc les action­naires de se sépa­rer de lui mal­gré les 10 % d’ac­tions qu’il détient. Gas­ton Piastre, plus effa­cé et connais­sant bien ses limites en tant que mana­ger, s’in­cline. Fran­çois Bol­duc devient le seul maître à bord.

Les trois années qui suivent lui per­mettent de réor­ga­ni­ser la socié­té autour d’une démarche qua­li­té cou­ron­née par une cer­ti­fi­ca­tion ISO 9001. Il réa­lise une belle per­cée com­mer­ciale dans l’élec­tro­nique grand public, et dans la micro-infor­ma­tique. En paral­lèle, il oriente sa poli­tique d’a­chat vers les pays à bas coût de main-d’œuvre.

Mal­gré ces efforts, le chiffre d’af­faires de B3 ne croit que de 3 % par an dans une conjonc­ture d’in­ves­tis­se­ments indus­triels tota­le­ment dépri­mée. Sous le feu des ache­teurs de ses don­neurs d’ordres, ses marges com­mer­ciales baissent d’au­tant. In bonis, B3 peine à déga­ger des résul­tats suf­fi­sants pour rem­bour­ser la dette ban­caire. Les inves­tis­se­ments en R & D et en équi­pe­ments de pro­duc­tion en souffrent. Fran­çois Bol­duc a la convic­tion que l’en­tre­prise a été ache­tée trop chère et que le rem­bour­se­ment de la dette obère le déve­lop­pe­ment de l’en­tre­prise. Son­chelles PE est per­plexe ; le pré­sident du Direc­toire est-il vrai­ment l’homme de la situation ?

L’homme providentiel

Son­chelles PE est régu­liè­re­ment en contact avec des diri­geants de grandes entre­prises qui lui mani­festent leur inté­rêt pour reprendre des PME. Ain­si s’est der­niè­re­ment pré­sen­té Igna­cio Mata­ca­sa, vice-pré­sident d’Hu­ri­cane Cor­po­ra­tion pour l’Eu­rope, le Moyen-Orient et l’A­frique. De double natio­na­li­té fran­co-espa­gnole, ce poly­tech­ni­cien de 48 ans est aus­si diplô­mé de la Lon­don Busi­ness School. Il a accom­pli l’es­sen­tiel de sa car­rière dans ce groupe amé­ri­cain de gros élec­tro­mé­na­ger pour lequel il a déve­lop­pé un chiffre d’af­faires de 500 M°Ë en Alle­magne, en Angle­terre, en France, en Tur­quie et en Égypte. Diri­geant inter­na­tio­nal, mul­ti­cul­tu­rel, cha­ris­ma­tique, il a mana­gé des équipes impor­tantes de plu­sieurs mil­liers de per­sonnes répar­ties sur trois continents.

Brillant, Mata­ca­sa apporte de la hau­teur de vue, ce qui contraste cruel­le­ment avec le côté terre à terre de Bol­duc. Son­chelles PE lui confie une mis­sion de conseil pour effec­tuer un diag­nos­tic et pro­po­ser une nou­velle vision stra­té­gique. En quelques semaines, il est capable de tra­cer des pers­pec­tives pro­met­teuses, de défi­nir une nou­velle ambi­tion qui renoue avec une crois­sance à deux chiffres, et il pro­pose une nou­velle orga­ni­sa­tion en busi­ness units. Il paraît être l’homme providentiel.

Avant de lui confier les rênes de B3, Son­chelles PE fait appel à Euro­search pour confor­ter son impres­sion favo­rable par une éva­lua­tion du can­di­dat et une prise de réfé­rences pro­fes­sion­nelles. Mata­ca­sa est incon­tes­ta­ble­ment vif comme l’é­clair et fas­ci­nant, mais on n’est pas sûr de com­prendre sa contri­bu­tion per­son­nelle aux suc­cès qu’il reven­dique. Les réfé­rences vont confir­mer qu’il est un homme de grande entre­prise, qui sait s’ap­puyer et tirer par­ti de col­la­bo­ra­teurs com­pé­tents. Ses postes suc­ces­sifs n’ont jamais dépas­sé trois ans et il est dif­fi­cile de mesu­rer sa propre contri­bu­tion aux dires de ses pairs. Ses col­la­bo­ra­teurs ont par­fois du mal à suivre ses visions ful­gu­rantes. Lea­der cha­ris­ma­tique, il est loin des contingences.

Dans une PME dont la taille est dix fois plus petite, il y a peu de relais et il faut non seule­ment don­ner l’im­pul­sion mais aus­si pilo­ter et ache­ver les actions enga­gées, aller jus­qu’au bout de tâches ingrates. Igna­cio Mata­ca­sa n’est pas adap­té à la taille de l’en­tre­prise qui requiert autant un stra­tège qu’un opé­ra­tion­nel che­vron­né, en somme un homme-orchestre.

Une recherche schizophrénique

Pour Son­chelles PE, le pro­blème reste entier et il confie alors à Euro­search une mis­sion de recherche d’un nou­veau direc­teur géné­ral. Il s’a­git de trou­ver un diri­geant entre­pre­neur capable de reprendre rapi­de­ment les rênes de l’en­tre­prise et de ren­for­cer sa valeur à la sor­tie de l’o­pé­ra­tion finan­cière, dans un hori­zon de dix­huit à vingt-quatre mois. Il doit s’af­fir­mer comme le véri­table patron opé­ra­tion­nel et mettre de l’ordre dans les défaillances révé­lées par la mis­sion de conseil.

Le recru­te­ment de ce diri­geant ne doit pas cepen­dant créer de rup­ture d’ex­ploi­ta­tion. La mis­sion sera payée par B3, et, en consé­quence, doit être ven­due à Fran­çois Bol­duc. Celui-ci a déjà assez mal per­çu la mis­sion de conseil et accepte avec réti­cence de se doter d’un nou­veau membre du Direc­toire. Il sou­haite à la rigueur un direc­teur indus­triel com­pé­tent, loyal, sans trop d’en­ver­gure qu’il puisse contrô­ler sans dif­fi­cul­té. Le com­mer­cial ne lui serait bien sûr pas confié.

Beau­coup de nuances et de per­sua­sion per­mettent de débou­cher sur un pro­fil accep­table pour les deux par­ties : un véri­table numé­ro 2 doté de pou­voirs réels. La dif­fé­rence de points de vue n’est pas vrai­ment réso­lue. En cette matière, c’est l’ac­tion­naire qui est le déci­deur final. Il sou­haite que le cabi­net de chasse lui pré­sente des can­di­dats sur­di­men­sion­nés par rap­port au pro­fil affi­ché, tout en évi­tant de créer une crise de mana­ge­ment qui repous­se­rait de plu­sieurs semestres la sortie.

Quel diri­geant accep­te­ra de quit­ter son poste pour une mis­sion de tran­si­tion dans une PME à l’a­ve­nir bor­né à vingt-quatre mois par le chan­ge­ment d’ac­tion­naire prin­ci­pal ? Ce poste va cepen­dant atti­rer des mana­gers de pre­mier plan, qui sou­haitent deve­nir diri­geant inves­tis­seur. Il ne s’a­git pas pour eux d’ob­te­nir un inté­res­se­ment en com­plé­ment de leur rému­né­ra­tion, mais bien de béné­fi­cier de toute leur valeur ajou­tée en tant qu’en­tre­pre­neur action­naire phy­sique de leur entreprise.

Ces pro­fils se trouvent dans les clubs de repre­neurs d’en­tre­prise, comme XMP-Entre­pre­neur, où sont actifs des diri­geants entre deux postes.

La négo­cia­tion de leur package reflète leur moti­va­tion réelle. Leur rému­né­ra­tion sala­riale se doit d’être au niveau du mar­ché avec une part variable de 20 à 50 %. Elle est secon­daire vis-à-vis de leur par­ti­ci­pa­tion à la plus-value réa­li­sée au moment de la vente de la socié­té. Ain­si est-il néces­saire de les faire accé­der au capi­tal dans des condi­tions pri­vi­lé­giées, par exemple à l’aide de bons de sous­crip­tion en actions. Ils sont sou­vent encore plus moti­vés par la pos­si­bi­li­té de réa­li­ser une nou­velle opé­ra­tion de LBO avec un autre fonds sur un hori­zon com­plet de cinq ans afin de béné­fi­cier de la tota­li­té de l’ef­fet de levier.

L’ap­proche directe iden­ti­fie alors d’ex­cel­lents pro­fils dont la com­pé­tence poin­tue dans le domaine ciblé est avé­rée par des résul­tants pro­bants dans des entre­prises, des filiales ou des busi­ness units de taille supé­rieure mais com­pa­rable. Les can­di­dats sont moti­vés par l’en­tre­prise et le défi qu’elle leur pro­pose. Leur per­son­na­li­té et leur expé­rience convainquent les actionnaires.

Un coup de tabac

Fin octobre, le Conseil de sur­veillance exa­mine avec le Direc­toire les résul­tats du troi­sième tri­mestre. Fran­çois Bol­duc, la mine sombre et l’air embar­ras­sé, annonce bru­ta­le­ment des résul­tats déce­vants, et passe aus­si­tôt la parole à Gas­ton Piastre. D’une voix sinistre, ce der­nier pré­sente en détail des chiffres for­te­ment dégra­dés. L’en­tre­prise a fait des pertes au troi­sième tri­mestre ; l’exer­cice annuel devrait se clô­tu­rer juste à l’é­qui­libre, si la conjonc­ture se redresse comme cha­cun l’es­père et peu y croient.

Les admi­nis­tra­teurs de Son­chelles PE sont conster­nés ; rien de tout cela n’é­tait pré­vu. Et leur colère monte vis-à-vis du pré­sident de Direc­toire qui n’a pas su évi­ter ce trou d’air qui repousse l’ho­ri­zon de sor­tie. Ce lamen­table Piastre n’a rien vu venir. Mal­gré un repor­ting men­suel, le contrôle de ges­tion paraît mani­fes­te­ment inefficace.

Face à cette situa­tion de crise, l’ur­gence d’un nou­veau direc­teur géné­ral s’af­firme un peu plus, mais son pro­fil vu par Son­chelles a chan­gé. L’ex­pé­rience du diri­geant en matière de redres­se­ment d’en­tre­prise leur paraît pri­mor­diale. Les qua­li­tés de déve­lop­peur com­mer­cial, d’en­traî­ne­ment des hommes et de struc­tu­ra­tion de l’or­ga­ni­sa­tion s’ef­facent au pro­fit d’une forte per­son­na­li­té, direc­tive et sans état d’âme, capable de réduire les coûts, d’a­bais­ser le point mort, de cou­per les acti­vi­tés insuf­fi­sam­ment ren­tables pour retrou­ver au plus vite des résul­tats positifs.

En paral­lèle, Bol­duc tra­vaille d’ar­rache-pied sur un plan de redres­se­ment et de tré­so­re­rie pour le der­nier tri­mestre. L’é­quipe en place a déjà démon­tré sa réac­ti­vi­té dans le pas­sé et la per­ti­nence de ses mesures de redres­se­ment. Dans une telle situa­tion, un chan­ge­ment de direc­tion pro­vo­que­rait un trau­ma­tisme qui risque d’an­crer dura­ble­ment l’en­tre­prise dans la crise.

Euro­search convainc Son­chelles PE de conser­ver le cap sur le pro­fil du diri­geant à recru­ter et de renou­ve­ler sa confiance à l’é­quipe en place, tout en l’ai­dant dès main­te­nant. Mal­gré son dévoue­ment et son cou­rage, Gas­ton Piastre ne dis­pose pas de toutes les com­pé­tences. Le cabi­net orga­nise une mis­sion d’in­té­rim de direc­tion pour ren­for­cer le contrôle de ges­tion. Un ancien direc­teur admi­nis­tra­tif et finan­cier d’une grande entre­prise d’in­gé­nie­rie, fort de ses trente ans d’ex­pé­rience, les aide pen­dant trois mois à mettre en oeuvre une éva­lua­tion et un sui­vi des risques, un contrôle des coûts et un cal­cul de la marge opé­ra­tion­nelle pour la conduite de chaque projet.

L’attelage

Il faut main­te­nant choi­sir par­mi les trois can­di­dats diri­geants inves­tis­seurs qui ont été pré­sen­tés. Cha­cun a fait ses preuves en tant que direc­teur géné­ral d’un centre de pro­fit dans un sec­teur connexe ; leur dif­fé­rence réside prin­ci­pa­le­ment dans leur per­son­na­li­té. L’un d’entre eux, issu du sec­teur de la machine-outil, connaît déjà par­fai­te­ment les clients, les risques de cette acti­vi­té, et les ficelles du métier. Il a un pro­fil com­mer­cial comme Bol­duc qui a un contact facile avec lui.

À l’autre extré­mi­té du panel, se situe un out­si­der, issu de l’élec­tro­mé­na­ger. Mana­ger tout ter­rain, il a tra­ver­sé des situa­tions très dif­fi­ciles ; un peu lent dans son approche, il frappe par ses ques­tions simples qui portent sur le fond des choses ; plu­tôt indus­triel, il est struc­tu­ré autour de valeurs humaines fortes. Le troi­sième can­di­dat consti­tue une solu­tion de com­pro­mis sus­cep­tible de réunir Direc­toire et Conseil de sur­veillance en cas de dif­fé­rend sur les deux pre­miers candidats.

Fran­çois Bol­duc écarte son clone et choi­sit cou­ra­geu­se­ment l’out­si­der. Mal­gré les dif­fi­cul­tés pré­vi­sibles dues à leur dif­fé­rence de per­son­na­li­tés, il pri­vi­lé­gie spon­ta­né­ment les com­pé­tences mana­gé­riales qui manquent aujourd’­hui à B3. Son­chelles PE par­tage le même choix de son côté. Un consen­sus se crée faci­le­ment autour d’un homme en chair et en os plu­tôt que sur des idées.

La négo­cia­tion ache­vée sur son package, l’heu­reux élu rejoint l’en­tre­prise une fois libé­ré de ses divers enga­ge­ments, soit six mois après le démar­rage de la recherche. Le par­tage du pou­voir entre le pré­sident du direc­toire et ce nou­veau direc­teur géné­ral sera dif­fi­cile. Le péri­mètre des res­pon­sa­bi­li­tés de cha­cun et leurs objec­tifs sont défi­nis pré­ci­sé­ment avec le conseil de sur­veillance. Euro­search suit pen­dant six mois l’in­té­gra­tion du nou­veau venu.

Le nou­veau direc­teur fait le tour des mana­gers qu’il séduit par sa fer­me­té. Il col­mate les brèches les plus simples avec prag­ma­tisme et com­pé­tence. Il incarne rapi­de­ment un nou­vel élan pour l’en­semble du per­son­nel qu’il fédère autour d’ob­jec­tifs à court terme. Il apprend à tra­vailler avec Fran­çois Bol­duc, de pair à pair. L’é­quipe de direc­tion appa­raît ren­for­cée aux yeux de Gas­ton Piastre et de tous les salariés.

L’ef­fi­ca­ci­té de leur tan­dem condi­tionne en effet le suc­cès de l’en­tre­prise et sa valeur à la vente. Fran­çois Bol­duc en est bien conscient. Il apprend à res­pec­ter et à esti­mer celui qui va lui per­mettre de réa­li­ser plei­ne­ment la plus-value de son inves­tis­se­ment finan­cier en tant qu’ac­tion­naire. Il sait qu’il devra s’ef­fa­cer puis se reti­rer dans vingt-quatre mois pour lui lais­ser réa­li­ser un LBO secon­daire. Après tout, cela était déjà ins­crit dans le contrat ini­tial avec Son­chelles PE.

Son­chelles PE se réjouit de cette nou­velle équipe. Un recul sur cette crise lui montre qu’il a été aveugle sur le fonc­tion­ne­ment de l’en­tre­prise mal­gré un repor­ting régu­lier. Son impli­ca­tion pour­rait lui être repro­chée comme une ges­tion de fait en cas de dépôt de bilan. Euro­search lui pro­pose de nom­mer au conseil de sur­veillance un admi­nis­tra­teur indé­pen­dant qui apporte un réel savoir-faire dans ce métier et sau­ra à la fois détec­ter les signes pré­cur­seurs et conseiller opé­ra­tion­nel­le­ment le directoire.

Épilogue mondain

La chro­nique nécro­lo­gique du Figa­ro nous apprend le départ sou­dain du regret­té Ben­ja­min Brinque-Baland, ancien pré­sident-direc­teur géné­ral de la socié­té B3 fon­dée par son grand-père en 1934, qui a été empor­té par un acci­dent car­dio-vas­cu­laire, après six mois d’une cui­sine mani­fes­te­ment trop grasse.

Neuf mois plus tard, le car­net du Figa­ro nous apprend l’heu­reux mariage de Madame Cal­li­pies­cu, ravis­sante veuve de Ben­ja­min Brinque-Bra­land, avec Mon­sieur Fran­çois Bol­duc, ancien pré­sident du direc­toire de B3, venu cher­cher refuge après son départ de la socié­té auprès de la veuve éplorée.

Le décès sou­dain de Fran­çois Bol­duc ne fit vrai­ment l’ob­jet d’au­cune publi­ci­té dans Le Figa­ro. Alexan­dra Cal­li­pies­cu, en fai­sant le compte de ses droits de suc­ces­sion sur l’hé­ri­tage de ses deux fra­giles maris, se dit qu’elle avait ain­si pu tou­cher deux fois le prix de la vente de B3. Mais peut-être pas­sait- elle à côté d’une troi­sième oppor­tu­ni­té. Elle écri­vit le soir même un petit mot tra­gique implo­rant une ren­contre au pré­sident de Son­chelles PE, qui venait enfin de vendre B3 et dont le nom de famille com­mence très curieu­se­ment par un B…

Conclusion

Mal­gré son ton sati­rique, ce cas pré­sente des situa­tions vécues, dont quelques ensei­gne­ments peuvent être tirés au titre de retour d’expérience.

1) On constate une usure rapide du diri­geant, si ce der­nier ne dis­pose pas de l’es­sen­tiel des com­pé­tences requises pour faire face à une grande varié­té de situa­tions. Les cadres diri­geants de grandes entre­prises ne sont pas néces­sai­re­ment pré­pa­rés ni aptes à conduire une struc­ture très maigre sans beau­coup de relais mana­gé­riaux, sur le che­min d’une crois­sance à marche forcée.

2) Les chances de réus­sir le busi­ness plan de l’en­tre­prise peuvent être signi­fi­ca­ti­ve­ment accrues par quelques bonnes pratiques :

éva­luer au moment du rachat de l’en­tre­prise la com­pé­tence col­lec­tive de l’é­quipe diri­geante et son mode de fonc­tion­ne­ment afin de doter l’en­tre­prise dès le départ des moyens humains néces­saires pour dou­bler la valeur en cinq ans ;
• s’ap­puyer sur un admi­nis­tra­teur indé­pen­dant qui pos­sède une connais­sance opé­ra­tion­nelle du métier ou du mar­ché de l’en­tre­prise afin de pou­voir débattre avec per­ti­nence de la stra­té­gie, déce­ler les signaux faibles et sou­te­nir le diri­geant dans les moments cri­tiques que l’en­tre­prise ne man­que­ra pas de traverser ;
• pré­fé­rer l’in­té­rim de direc­tion au conseil en cas de besoin ponc­tuel, car, faute de relais mana­gé­riaux, les meilleures idées res­tent sou­vent lettre morte. La dif­fi­cul­té prin­ci­pale réside dans l’exécution.

3) La recherche d’un suc­ces­seur au direc­teur géné­ral peut paraître déli­cate, mais, cor­rec­te­ment intro­duite, elle per­met de redon­ner du souffle à l’en­tre­prise et rend pos­sible un LBO secon­daire. Outre une bonne ges­tion des risques, la mise en oeuvre d’un plan de suc­ces­sion est donc une approche prag­ma­tique qui amé­liore la liqui­di­té de la par­ti­ci­pa­tion. 50% des sor­ties se font aujourd’­hui sous forme de LBO secondaire.

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