Une activité stimulante en fin de carrière

Dossier : ExpressionsMagazine N°669 Novembre 2011Par : Bertrand Louvet (57), Alexandre-Robert Bonay (59) et André Caillol (59)

Les motivations

Les motivations

André Caillol – Je connais­sais des cama­rades qui étaient juges, j’avais vu que cette acti­vi­té per­met­tait d’avoir un contact avec le monde éco­no­mique en exer­çant un rôle utile et enri­chis­sant sur les plans humain et intel­lec­tuel. Quelques mois avant mon départ à la retraite, j’ai déci­dé de faire acte de can­di­da­ture. Je n’étais pas spé­cia­le­ment pré­pa­ré, sinon pour avoir tra­vaillé avec des juristes sur des contrats indus­triels tou­chant notam­ment à des opé­ra­tions de créa­tion-fusion-acqui­si­tion de sociétés.

Ber­trand Lou­vet – J’ai tou­jours été inté­res­sé par l’économie, et cette acti­vi­té consu­laire m’a paru propre à mettre en oeuvre les expé­riences pro­fes­sion­nelles accu­mu­lées au long de ma car­rière. Il convient sur­tout d’avoir une expé­rience des affaires et d’être fami­lier avec les rela­tions contrac­tuelles, les contrats com­mer­ciaux et les pro­blèmes tou­chant au droit des sociétés.

Alexandre-Robert Bonay – J’étais dans l’industrie où j’occupais des fonc­tions de direc­tion opérationnelle

Le goût du juridique et une formation complémentaire

Le tri­bu­nal de Nan­terre est consti­tué de 20 % de chefs d’entreprise et 80 % de cadres supérieurs

André Caillol – La fonc­tion n’est ouverte qu’aux per­sonnes issues du monde de l’entreprise indus­trielle et com­mer­ciale. Elle impose en consé­quence une déon­to­lo­gie stricte. Le pro­fil poly­tech­ni­cien, habi­tué à l’analyse et à la syn­thèse, est très bien adap­té au trai­te­ment de dos­siers par­fois com­plexes et dont la solu­tion néces­site un rai­son­ne­ment juri­dique ser­ré, proche du rai­son­ne­ment mathématique.

Alexandre-Robert Bonay – Le tri­bu­nal de Nan­terre est consti­tué de 20 % de chefs d’entreprise et 80% de cadres supé­rieurs (en acti­vi­té ou à la retraite) ; la moi­tié d’entre eux ont une for­ma­tion de juriste et 30% une for­ma­tion d’ingénieur ; 40% sont en acti­vi­té, avec les pro­blèmes d’emploi du temps que cela peut poser.

Ber­trand Lou­vet – Il n’y a pas de com­pé­tence préa­lable néces­saire ou de pro­fil par­ti­cu­lier : la for­ma­tion dis­pen­sée et l’expérience suf­fisent. Il convient cepen­dant d’avoir le goût et la curio­si­té de la chose juri­dique ain­si que celui du contact. Les déci­sions de jus­tice se prennent col­lec­ti­ve­ment : une apti­tude au tra­vail en équipe est indispensable.

Nan­terre accueille­rait volon­tiers quelques-uns de nos cama­rades pour assu­rer la relève des juges actuels

Alexandre-Robert Bonay – La for­ma­tion est assu­rée en liai­son avec l’École natio­nale de la magis­tra­ture, et elle est par­fai­te­ment adap­tée : ses­sions men­suelles de un ou deux jours pen­dant le tri­mestre pré­cé­dant et le tri­mestre sui­vant la prise de fonc­tion ; ensuite, tout au long de l’activité, des jour­nées, orga­ni­sées par cette école, per­mettent de rece­voir une for­ma­tion continue.

Litiges commerciaux et sauvegarde d’entreprises

Ber­trand Lou­vet – L’activité du tri­bu­nal compte deux grands domaines : le règle­ment des litiges oppo­sant des socié­tés indus­trielles et com­mer­ciales (le « conten­tieux ») et le trai­te­ment des entre­prises en dif­fi­cul­té (les « pro­cé­dures col­lec­tives », sau­ve­garde, redres­se­ment et liqui­da­tion judiciaires).

À Nan­terre, sur soixante-quatre juges, les trois quarts sont dans le conten­tieux et un quart dans les pro­cé­dures col­lec­tives. Au cours du temps, on peut pas­ser de l’un des domaines à l’autre en fonc­tion des goûts et des dis­po­ni­bi­li­tés. Tout le fonc­tion­ne­ment du tri­bu­nal et les affec­ta­tions des juges sont régis par le tableau d’ancienneté, ce qui évite toute ten­ta­tion de « carriérisme ».

Un travail astreignant et bénévole

De gauche à droite : Alexandre-Robert Bonay, Ber­trand Lou­vet et André Caillol.

Ber­trand Lou­vet – Si l’on veut aller jusqu’au bout, une « judi­ca­ture » com­plète est de qua­torze ans.

Alexandre-Robert Bonay – La fonc­tion est pre­nante, mais une grande sou­plesse d’organisation est pos­sible. La contrainte porte sur deux à trois jours par semaine, dont une jour­née au tri­bu­nal. Le tra­vail de pré­pa­ra­tion des audiences et de rédac­tion des juge­ments se fait chez soi. Le cumul d’une acti­vi­té pro­fes­sion­nelle et de celle de juge peut être lourd à assu­mer. Les vacances judi­ciaires sont cal­quées sur les prin­ci­pales vacances scolaires.
André Caillol – La fonc­tion est entiè­re­ment béné­vole. C’est simple et clair. Les rap­ports entre juges sont très simples et directs. La convi­via­li­té se mani­feste par les repas après audiences, des dîners avec les conjoints, ain­si que la par­ti­ci­pa­tion à des mani­fes­ta­tions diverses.

Valoriser son expérience

Alexandre-Robert Bonay – La fonc­tion de juge est pas­sion­nante. Elle apporte de grandes satis­fac­tions. Pour un retrai­té comme moi, elle per­met de gar­der le contact avec la vie éco­no­mique, d’exercer une acti­vi­té régu­lière et intel­lec­tuel­le­ment très sti­mu­lante, de rem­plir une fonc­tion sociale utile, de côtoyer des gens intéressants.
Ber­trand Lou­vet – Il faut ajou­ter que cette acti­vi­té est une réelle valo­ri­sa­tion de l’expérience acquise au cours d’une vie pro­fes­sion­nelle appli­quée à un domaine nou­veau, que la fonc­tion est enri­chis­sante – ce qui n’est pas tou­jours cou­rant dans l’univers de l’entreprise –, et enfin que l’impact des déci­sions que nous sommes ame­nés à pro­non­cer est immé­diat, même si ces déci­sions peuvent être frap­pées d’appel.

Choisir Nanterre

André Caillol – En région pari­sienne, le choix est pos­sible entre Paris, Nan­terre, Cré­teil et Bobi­gny. Nan­terre pré­sente des attraits consi­dé­rables : c’est le second tri­bu­nal de com­merce de France, la juri­dic­tion éco­no­mique des Hauts-de-Seine, pre­mier dépar­te­ment éco­no­mique. La proxi­mi­té de La Défense fait que de nom­breuses entre­prises inter­na­tio­nales, indus­trielles ou de ser­vices, dépendent de son res­sort. Et Nan­terre accueille­rait volon­tiers quelques- uns de nos cama­rades pour assu­rer la relève des juges actuels.

En savoir plus
L’annuaire de l’AX donne, à la rubrique 00.048, la liste des X en fonc­tion dans les tri­bu­naux. Ils sont prêts, bien sûr, à répondre à toute demande de ren­sei­gne­ments, y com­pris rela­tive aux démarches préa­lables pour se por­ter can­di­dat et concer­nant le pro­ces­sus de sélection.

Depuis 1563
Un édit de Charles IX de l’an 1563 ins­ti­tue des tri­bu­naux de com­merce for­més de juges-consuls issus des cor­po­ra­tions de mar­chands, et une pro­cé­dure com­mer­ciale sim­pli­fiée dans un sou­ci de rapi­di­té. Les com­mer­çants sont jugés par leurs pairs, élus par eux, et les fonc­tions sont gra­tuites. Un décret sur l’organisation judi­ciaire pris en 1790 par la Révo­lu­tion fran­çaise main­tient l’institution. Le Code de com­merce voit le jour en 1807.
Aujourd’hui, les tri­bu­naux de com­merce sont, au sein de l’institution judi­ciaire, une juri­dic­tion spé­cia­li­sée du pre­mier degré, com­po­sée de juges consu­laires élus issus du monde des affaires, au même titre que les conseillers prud­hom­maux éga­le­ment élus. Après leur élec­tion, les juges consu­laires prêtent le même ser­ment que les magis­trats de car­rière. Le Code de l’organisation judi­ciaire leur donne com­pé­tence sur les litiges entre socié­tés com­mer­ciales, ain­si qu’en matière de pro­cé­dures de sau­ve­garde et de redres­se­ment judi­ciaire appli­cables aux socié­tés en dif­fi­cul­té. Les recours contre les déci­sions des tri­bu­naux de com­merce sont tran­chés par les cours d’appel à com­pé­tence uni­ver­selle com­po­sées de magis­trats de carrière.

2 Commentaires

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Jacques THIBONrépondre
1 novembre 2011 à 16 h 57 min

Juge au tri­bu­nal de com­merce – les « jeunes » aus­si
Mer­ci à nos 3 cama­rades d’at­ti­rer l’at­ten­tion sur le grand inté­rêt que peut pré­sen­ter une cati­vi­té de Juge.
Je sou­haite éga­le­ment pré­ci­ser qu’il n’est pas néces­saire d’être proche de la retraite pour y voir un grand inté­rêt. Les grands Tri­bu­naux de Com­merce sont aus­si friands de can­di­dats de valeur dans la quarantaine…à condi­tion que leur acti­vi­té pro­fes­sion­nelle puisse leur per­mettre d’y consa­crer entre une trés grosse demi-jour­née et une jour­née par semaine.
Cela per­met d’ac­qué­rir une com­pré­hen­sion détaillée de l’é­co­no­mie réelle sans égale qui vous donne une expé­rience et un savoir trés valo­ri­sant dans le cadre de beau­coup de nos acti­vi­tés pro­fes­sion­nelles, que vous soyez chef d’en­tre­prise (c’est mon cas) ou cadre sup dans une trés grande société.
En 4 années au Tri­bu­nal de Com­merce de Bobi­gny (gros­so modo la même taille que celui de Nan­terre), à titre d’exemple j’ai aus­si bien traité :
– de litiges/responsabilités com­plexes de trans­ports rou­tiers, mari­times ou aériens
– de pro­blèmes de cau­tions ban­caires ou d’affacturage
– de dénon­cia­tions hâtives de rela­tions com­mer­ciales établies
– de redres­se­ments judi­ciaires ou liqui­da­tions de socié­tés de toutes tailles… y com­pris jus­qu’à être Juge Com­mis­saire sur un RJ d’une entre­prise côtée

Je ne connais pas beau­coup d’autres endroits où l’on peut acqué­rir une telle varié­té d’ex­pé­riences « in-concre­to » qui peuvent être direc­te­ment utiles dans notre quo­ti­dien de patron ou de manager.

Jerome GIACOMONIrépondre
3 novembre 2011 à 14 h 47 min

Chers cama­rades,
En tant que

Chers cama­rades,

En tant que jus­ti­ciable, (chef d’en­tre­prise de PME depuis près de 20 ans)et ayant eu l’in­fi­ni pri­vi­lège d’a­voir à faire aux man­da­teurs liqui­da­teurs, je n’ai pas hélas la même vision que vous du sys­tème des tri­bu­naux de com­merce et notam­ment de la façon dont sont réglés les pro­blèmes de liqui­da­tion judi­ciaire dans notre pays.

Je vous invite à lire le der­nier rap­port Doing Busi­ness de la banque mon­diale sur le sujet où la France est 46ème der­rière le Sri Lanka !

http://www.doingbusiness.org/data/exploreeconomies/france#resolving-insolvency

Je pense au contraire qu’une grande réforme est indis­pen­sable pour pas­ser de 1563 à 2011 !

Je serais ravi de vous ren­con­trer et d’en débattre avec vous !

Très ami­ca­le­ment et justiciablement

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