Trois réformes pour rendre compréhensible hors de France le cursus polytechnicien et y attirer d’excellents étudiants de tous pays

Dossier : ExpressionsMagazine N°626 Juin/Juillet 2007
Par François Xavier MARTIN (63)

La for­ma­tion poly­tech­ni­cienne, ain­si d’ailleurs que celle assu­rée par les autres grandes écoles d’in­gé­nieurs fran­çaises, se trouve en ce début du XXIe siècle dans une situa­tion paradoxale : 


 la filière des classes pré­pa­ra­toires et des écoles d’in­gé­nieurs n’est pas tou­chée par la désaf­fec­tion crois­sante pour les études scien­ti­fiques que connaissent actuel­le­ment les pays occi­den­taux (dont la France) ; cet état de fait a per­mis à l’X, et plus géné­ra­le­ment aux meilleures écoles d’in­gé­nieurs fran­çaises, de main­te­nir un niveau de recru­te­ment excep­tion­nel­le­ment élevé, 
 l’X et la plu­part de ces écoles ont déjà mis en œuvre des pro­grammes de réno­va­tion de leur ensei­gne­ment qui cor­res­pondent assez bien aux recom­man­da­tions des études inter­na­tio­nales les plus récentes sur la for­ma­tion idéale d’in­gé­nieurs répon­dant aux besoins des futures décen­nies, mais simul­ta­né­ment le main­tien de cer­taines spé­ci­fi­ci­tés (qu’elles soient réelles ou résultent sim­ple­ment d’une pré­sen­ta­tion tra­di­tion­nelle dépas­sée) nuit gra­ve­ment à l’in­tel­li­gi­bi­li­té et à l’at­trac­ti­vi­té hors de France de ces for­ma­tions, et donc au recru­te­ment d’é­tu­diants étran­gers d’ex­cellent niveau (en par­ti­cu­lier dans les pays déve­lop­pés). Force est de consta­ter que Paris­Tech, qui éta­blit une coopé­ra­tion entre écoles d’in­gé­nieurs fran­çaises sans impo­ser à cha­cune d’entre elles de se réfor­mer, rend plus visibles les éta­blis­se­ments par­ti­ci­pants dans cer­tains pays-cibles, mais n’a­mé­liore pas la lisi­bi­li­té des par­cours correspondants.

Le pré­sent article pro­pose trois mesures qui devraient per­mettre de por­ter remède à cette défi­cience d’i­mage hors de France. Il décrit ce que pour­rait être une « Uni­ver­si­té poly­tech­nique Poin­ca­ré » issue de l’É­cole poly­tech­nique et capable de riva­li­ser avec les meilleures ins­ti­tu­tions étran­gères, que ce soit seule ou dans le cadre de ParisTech.

La formation des ingénieurs français vue par des étrangers : « Ils sont fous ces Gaulois ! »

Lequel d’entre nous, prié par des col­lègues étran­gers d’ex­pli­quer le cur­sus uni­ver­si­taire l’ayant conduit à son diplôme d’in­gé­nieur, ne s’est pas au moins une fois lan­cé dans des expli­ca­tions qui se sont vite révé­lées labo­rieuses pour essayer de faire com­prendre à ses inter­lo­cu­teurs qu’il n’a­vait jamais mis les pieds dans une uni­ver­si­té, mais que sa for­ma­tion après la fin de ses études secon­daires avait com­men­cé par deux ou trois années de lycée sup­plé­men­taires, qu’il avait ensuite pu ren­trer après un concours très dif­fi­cile dans la meilleure école d’in­gé­nieurs de France, qu’a­près avoir obte­nu le diplôme de cette der­nière, il avait sui­vi pen­dant deux ans une for­ma­tion spé­cia­li­sée cor­res­pon­dant à son futur métier et dis­pen­sée par une autre école d’in­gé­nieurs, géné­ra­le­ment consi­dé­rée comme étant d’un niveau infé­rieur, et où il aurait pu entrer direc­te­ment sans grande dif­fi­cul­té quelques années plus tôt ?

Si la conver­sa­tion se pro­longe, il sera bien dif­fi­cile de jus­ti­fier le fait qu’a­près la fer­me­ture des der­nières mines de fer et de char­bon fran­çaises, après l’ab­sorp­tion de l’in­dus­trie de l’a­lu­mi­nium et de la sidé­rur­gie natio­nales par des groupes étran­gers, alors qu’in­ver­se­ment un grand équi­pe­men­tier fran­çais de télé­com­mu­ni­ca­tions vient de rache­ter son prin­ci­pal concur­rent amé­ri­cain, que des tech­niques ori­gi­naires de France telles que la com­mu­ta­tion numé­rique et le GSM se sont impo­sées dans le monde entier, il soit tou­jours for­te­ment recom­man­dé à un élève de l’X doué et sou­cieux d’ac­cé­der aux plus hautes res­pon­sa­bi­li­tés pro­fes­sion­nelles de ter­mi­ner ses études d’in­gé­nieur par deux ans à l’É­cole des mines plu­tôt qu’à l’É­cole des télécommunications !

Évolution mondiale des normes universitaires : le système LMD

Actuel­le­ment, le monde entier (y com­pris les uni­ver­si­tés fran­çaises) achève la mise en place d’une nor­ma­li­sa­tion uni­ver­selle dite LMD (licence, mas­ter, doc­to­rat) en struc­tu­rant l’en­semble des cur­sus uni­ver­si­taires (dont les for­ma­tions d’in­gé­nieurs) en trois cycles menant en trois ans à la licence (bache­lor), en cinq ans au mas­ter et en huit ans au doc­to­rat (PhD).

Les Fran­çais doivent bien com­prendre que, vis-à-vis de cette norme mon­diale, dire hors de France que l’on est ingé­nieur diplô­mé de telle ou telle école fran­çaise ne four­nit plus qu’une infor­ma­tion très insuf­fi­sante sur la nature et le niveau du cur­sus cor­res­pon­dant, d’au­tant plus que bien sou­vent le conte­nu réel de l’en­sei­gne­ment dis­pen­sé par cer­taines écoles ne cor­res­pond pas à leur nom historique.

Pour faire recon­naître à l’é­tran­ger la valeur d’une for­ma­tion fran­çaise, il est main­te­nant indis­pen­sable de four­nir trois éléments :

 le grade uni­ver­si­taire (licence, mas­ter ou doctorat),
 la spé­cia­li­té (génie civil, ingé­nie­rie élec­trique, ingé­nie­rie aéro­nau­tique, etc.),
• le nom de l’é­ta­blis­se­ment d’en­sei­gne­ment supé­rieur ayant déli­vré le diplôme.

Conséquences du caractère inintelligible du cursus polytechnicien pour des étrangers

Cette absence d’i­mage com­pré­hen­sible à l’é­tran­ger a mis l’X, ain­si que les autres grandes écoles d’in­gé­nieurs fran­çaises dans une pos­ture défen­sive, où elles se contentent de reven­di­quer pour leur diplôme de fin d’é­tudes un banal sta­tut inter­na­tio­nal de mas­ter1. En l’ab­sence de réforme, il sera bien dif­fi­cile de déci­der des étu­diants de pays déve­lop­pés à se lan­cer dans un cur­sus long et répu­té (à juste titre) dif­fi­cile, et dont le diplôme final paraît aus­si quelconque.

En sup­po­sant qu’un étu­diant étran­ger sou­haite mal­gré tout entre­prendre un tel cur­sus, mais soit rebu­té par la répu­ta­tion de spé­ci­fi­ci­té et de cli­mat extrê­me­ment com­pé­ti­tif des classes pré­pa­ra­toires fran­çaises (par ailleurs toutes fran­co­phones !), la seule pro­po­si­tion qui peut lui être faite est de com­men­cer un 1er cycle scien­ti­fique dans une uni­ver­si­té de bon niveau, puis de ten­ter quelques années plus tard d’en­trer dans une grande école d’in­gé­nieurs fran­çaise. Il y a de fortes chances qu’à cette époque il ne com­prenne plus trop l’in­té­rêt de cette démarche, et qu’il conti­nue ses études dans l’u­ni­ver­si­té où il les a com­men­cées, sur­tout si elle décerne des diplômes connus et appréciés.

Valeur intrinsèque de la formation d’ingénieurs « à la française »

Cet état de fait est d’au­tant plus regret­table que, si on ana­lyse les tra­vaux effec­tués au niveau inter­na­tio­nal pour défi­nir la for­ma­tion idéale de l’in­gé­nieur répon­dant aux besoins atten­dus au XXIe siècle2, on constate que l’X et nos grandes écoles d’in­gé­nieurs ont déjà inté­gré dans leurs pro­grammes la plu­part des recom­man­da­tions pro­po­sées par ces études : 

 acqui­si­tion d’une solide base scien­ti­fique plu­ri­dis­ci­pli­naire, afin que l’en­sei­gne­ment du métier d’in­gé­nieur ne se limite pas à l’ap­pren­tis­sage de « règles de cuisine »,
 acqui­si­tion de com­pé­tences hors du domaine tech­nique (gestion,communication, direc­tion d’é­quipes, etc.),
 for­ma­tion effec­tuée par­tiel­le­ment sous forme de stages et de par­ti­ci­pa­tion à des pro­jets industriels,
 sen­si­bi­li­sa­tion à la mon­dia­li­sa­tion impli­quant la pra­tique d’au moins une langue étran­gère (ce der­nier objec­tif ayant été jus­qu’à main­te­nant igno­ré par les for­ma­tions d’in­gé­nieurs anglosaxonnes).

D’autre part, la filière fran­çaise classes pré­pa­ra­toires + écoles d’in­gé­nieurs a jus­qu’à main­te­nant échap­pé à la désaf­fec­tion géné­rale pour les études scien­ti­fiques que connaissent actuel­le­ment les pays occi­den­taux, ce qui a assu­ré le main­tien d’un niveau excep­tion­nel­le­ment éle­vé des élèves admis dans les écoles les plus recherchées.

Il est donc déso­lant de consta­ter la dif­fi­cul­té que ren­contrent, face à la concur­rence des grandes uni­ver­si­tés anglo-saxonnes, l’X et les autres écoles d’in­gé­nieurs fran­çaises pour recru­ter d’ex­cel­lents élèves étran­gers (cette dif­fi­cul­té étant mise en évi­dence par la très faible pro­por­tion d’é­tu­diants venant de pays développés).

Un pro­duit de qua­li­té (la for­ma­tion d’in­gé­nieurs « à la fran­çaise ») n’ayant pas géné­ré une grande attrac­ti­vi­té inter­na­tio­nale : à l’é­vi­dence la pro­mo­tion du pro­duit n’a pas su être convaincante.

Réformes proposées

Il nous semble que quelques réformes pour­raient contri­buer à cor­ri­ger cette situation.

Elles découlent d’i­dées très simples : 

 de la même manière que le recru­te­ment d’é­lèves pro­ve­nant de quar­tiers défa­vo­ri­sés passe par la créa­tion de classes pré­pa­ra­toires dans les lycées de ces quar­tiers, le recru­te­ment d’é­tran­gers passe par la créa­tion de sec­tions équi­va­lentes aux classes pré­pa­ra­toires dans les pays-cibles,
 toute offre de for­ma­tion pro­po­sée à des étran­gers doit s’ins­crire dans le sché­ma LMD,
pour atti­rer d’ex­cel­lents étu­diants, qui sont sou­vent cour­ti­sés par des uni­ver­si­tés étran­gères répu­tées, il est néces­saire de mon­trer que la for­ma­tion fran­çaise pro­po­sée offre des avan­tages dis­tinc­tifs, qui doivent être expri­més en uti­li­sant le lan­gage LMD. 

Les trois mesures proposées sont les suivantes :  


1 - Don­ner à des classes pré­pa­ra­toires réno­vées éta­blies essen­tiel­le­ment à l’é­tran­ger un sta­tut de 1er cycle uni­ver­si­taire d’ex­cel­lence déli­vrant en 3 ans une double licence de mathé­ma­tiques et de physique. 
2 - Don­ner au cycle poly­tech­ni­cien un sta­tut de 2e cycle uni­ver­si­taire déli­vrant un double master :
– mas­ter de sciences et de direc­tion technologique,
– mas­ter d’in­gé­nie­rie spé­cia­li­sée (la mise en place rapide par l’X d’un large éven­tail de mas­ters spé­cia­li­sés impli­quant vrai­sem­bla­ble­ment l’in­té­gra­tion de cer­taines écoles d’ap­pli­ca­tion existantes).
 3 - À l’international :
– insis­ter sur la confor­mi­té de ce cur­sus avec le sché­ma LMD,
– pro­mou­voir le fait qu’il per­met l’ob­ten­tion de 2 licences et 2 masters,
– mettre en avant l’o­ri­gi­na­li­té, l’in­té­rêt et le niveau excep­tion­nel du mas­ter de sciences et de direc­tion tech­no­lo­gique de l’X.

Ces trois mesures per­met­traient de pro­mou­voir sans com­plexe un éta­blis­se­ment d’en­sei­gne­ment supé­rieur d’é­lite, dont les carac­té­ris­tiques s’ins­cri­raient par­fai­te­ment dans les normes LMD.

Pro­je­tons-nous quelques années après la mise en place de ces trois mesures, et ima­gi­nons la pré­sen­ta­tion d’une École poly­tech­nique deve­nue l’U­ni­ver­si­té poly­tech­nique Poin­ca­ré, qui pour­rait exer­cer un effet d’en­traî­ne­ment sur l’en­semble des for­ma­tions scien­ti­fiques françaises.

L’Université polytechnique Poincaré (Poincaré Paris University)

Cette Uni­ver­si­té inclut 3 éta­blis­se­ments, cha­cun d’entre eux cor­res­pon­dant à un cycle universitaire : 
• 1er cycle : l’É­cole pré­pa­ra­toire Cau­chy (Cau­chy Under­gra­duate Col­lege),
• 2e cycle : l’É­cole poly­tech­nique Schlum­ber­ger (Schlum­ber­ger Gra­duate Col­lege),
• 3e cycle : l’É­cole doc­to­rale Bec­que­rel (Bec­que­rel Doc­to­ral Col­lege)3.

L’École préparatoire Cauchy (Cauchy Undergraduate College)

L’É­cole pré­pa­ra­toire Cau­chy recrute sur dos­sier dans le monde entier des élèves venant d’ob­te­nir leur diplôme de fin d’é­tudes secon­daires. Sur le plan géo­gra­phique, elle est répar­tie entre quelques grandes villes étran­gères et éven­tuel­le­ment françaises.

Elle pré­pare ses étu­diants à l’ob­ten­tion en trois ans d’une double licence de mathé­ma­tiques et de phy­sique (Bache­lor of Science ‑BS- in Mathe­ma­tics, et BS in Phy­sics). À la fin de ce 1er cycle, les étu­diants peuvent cher­cher à entrer dans dif­fé­rents éta­blis­se­ments, sui­vant les règles d’ad­mis­sion propres à cha­cun d’entre eux (concours, sélec­tion sur dossiers,…) :

 l’É­cole poly­tech­nique Schlumberger,
 l’É­cole cen­trale Bouygues, 2e cycle de l’U­ni­ver­si­té cen­trale Eif­fel, qui aura vrai­sem­bla­ble­ment été consti­tuée sur le modèle de l’U­ni­ver­si­té Poin­ca­ré par un ensemble d’é­coles d’in­gé­nieurs ras­sem­blées autour des Écoles cen­trales et de Supélec,
• une grande école d’in­gé­nieurs fran­çaise qui n’au­rait été inté­grée dans aucune des deux uni­ver­si­tés Poin­ca­ré et Eiffel,
 le 2e cycle (mas­ter) d’une uni­ver­si­té fran­çaise ou étrangère.

L’en­sei­gne­ment est dis­pen­sé en fran­çais dans les villes fran­çaises ou étran­gères de tra­di­tion fran­co­phone, en anglais dans les autres villes étran­gères. L’é­tude de l’autre langue est obli­ga­toire, celle d’une troi­sième langue facultative.

Les étu­diants béné­fi­cient éga­le­ment d’un ensei­gne­ment cultu­rel, artis­tique et de séances d’é­du­ca­tion phy­sique obligatoire.

Dans chaque pays étran­ger où l’É­cole pré­pa­ra­toire Cau­chy est implan­tée, son res­pon­sable doit loca­li­ser les meilleures sec­tions scien­ti­fiques de l’en­sei­gne­ment secon­daire local, et y assu­rer la pro­mo­tion de son éta­blis­se­ment auprès des élèves devant choi­sir l’u­ni­ver­si­té dans laquelle ils vont com­men­cer leurs études supérieures.

Les élèves qui pro­viennent de Ter­mi­nale S de lycées fran­çais entrent direc­te­ment en 2e année de l’É­cole pré­pa­ra­toire Cau­chy, leur ter­mi­nale ayant un niveau com­pa­rable à celui de la 1re année de la plu­part des uni­ver­si­tés scien­ti­fiques étrangères.

Dans cer­tains pays (en par­ti­cu­lier anglo-saxons), on pour­ra cher­cher à recru­ter les titu­laires du bac­ca­lau­réat inter­na­tio­nal (Inter­na­tio­nal bac­ca­lau­reate) de plus en plus sou­vent pré­fé­ré par les très bons élèves à des diplômes natio­naux de fin d’é­tudes secon­daires de niveau médiocre.

L’École polytechnique Schlumberger (Schlumberger Graduate College)

L’É­cole poly­tech­nique Schlum­ber­ger recrute sur concours des élèves qui proviennent :
 de l’É­cole pré­pa­ra­toire Cau­chy (qui assure une pré­pa­ra­tion opti­male au concours),
 de classes pré­pa­ra­toires scien­ti­fiques fran­çaises (Math Spé),
 d’u­ni­ver­si­tés fran­çaises et étran­gères (dont l’U­ni­ver­si­té cen­trale Eif­fel – si elle existe).

Elle pré­pare ses étu­diants à l’ob­ten­tion en quatre ans d’un double master :
 un mas­ter de sciences et de direc­tion tech­no­lo­gique (Mas­ter of Science and Tech­no­lo­gy Admi­nis­tra­tion, dit MSTA),
 un mas­ter spécialisé.

Le mas­ter de sciences et de direc­tion tech­no­lo­gique (Mas­ter of Science and Tech­no­lo­gy Admi­nis­tra­tion, dit MSTA) est un pro­gramme des­ti­né à appor­ter une for­ma­tion d’un niveau excep­tion­nel aux futurs res­pon­sables d’ac­ti­vi­tés tech­no­lo­giques, qu’ils se des­tinent à l’en­tre­prise, l’ad­mi­nis­tra­tion, ou à la recherche et à l’en­sei­gne­ment. Il est basé sur les deux consi­dé­ra­tions suivantes : 

 les déve­lop­pe­ments tech­no­lo­giques les plus inno­vants sont sou­vent ceux qui mettent en œuvre plu­sieurs dis­ci­plines ; il est donc impor­tant que des ingé­nieurs ou res­pon­sables de haut niveau soient capables de com­prendre rapi­de­ment des domaines qui ne cor­res­pondent pas exac­te­ment à leur for­ma­tion ini­tiale, afin d’é­vi­ter d’être sur­pris lors de modi­fi­ca­tions de fron­tières entre tech­no­lo­gies (comme ont pu l’être il y a quelques années les ingé­nieurs de l’au­to­mo­bile lors de l’in­tru­sion de l’élec­tro­nique dans leurs pro­duits) ; bien au contraire, ces ingé­nieurs ou res­pon­sables doivent être capables de tirer par­ti des oppor­tu­ni­tés offertes par ces bouleversements,
 qu’ils tra­vaillent en entre­prise, dans l’ad­mi­nis­tra­tion, dans la recherche et l’en­sei­gne­ment, des ingé­nieurs de haut niveau se voient rapi­de­ment confier des res­pon­sa­bi­li­tés de direc­tion de pro­jets, de ser­vices, de dépar­te­ments, d’en­tre­prises aux­quelles les for­ma­tions pure­ment scien­ti­fiques clas­siques telles que les mas­ters scien­ti­fiques ou tech­no­lo­giques, qu’ils soient fran­çais ou anglo-saxons, ne pré­parent pas.

Le mas­ter de sciences et de direc­tion tech­no­lo­gique de l’É­cole poly­tech­nique Schlum­ber­ger est un pro­gramme de très grande ambi­tion, qui inclut un tronc com­mun et trois options :

TRONC COMMUN
• mathé­ma­tiques, méca­nique théo­rique, phy­sique, chi­mie et infor­ma­tique uti­li­sées dans les prin­ci­pales dis­ci­plines appli­quées enseignées,
• prin­cipes géné­raux de comp­ta­bi­li­té et de ges­tion financière,
• com­por­te­ments humains, dyna­mique de groupe, éthique,
• for­ma­tion lit­té­raire (fran­çais + anglais + 3e langue) et artis­tique, incluant de nom­breux exer­cices d’ex­pres­sion écrite et orale,
• acti­vi­tés spor­tives met­tant l’ac­cent sur les sports col­lec­tifs et ceux deman­dant une cer­taine prise de risques phy­siques (ski, para­chu­tisme, équitation,…). 
option 1 – men­tion entreprise
• prin­cipes et méthodes d’a­na­lyse stratégique,
• tech­niques de mar­ke­ting et de vente en France et hors de France de pro­duits et ser­vices de haute technologie,
• notions de droit des socié­tés et de droit du travail. 
option 2 – men­tion administration
• rôle et orga­ni­sa­tion des admi­nis­tra­tions fran­çaise et euro­péenne dans le domaine technologique,
• aper­çu de la situa­tion dans quelques grands pays non-européens,
• tech­niques bud­gé­taires administratives,
• notions de droit admi­nis­tra­tif fran­çais et européen. 
option 3 – men­tion ensei­gne­ment et recherche
• sciences et tech­niques de l’éducation,
• étude com­pa­rée des sys­tèmes d’é­du­ca­tion et de recherche fran­çais, euro­péens et des prin­ci­paux pays non-européens.

Le master spécialisé

Les étu­diants de l’É­cole poly­tech­nique Schlum­ber­ger doivent éga­le­ment obte­nir un mas­ter spé­cia­li­sé dans l’une des dis­ci­plines sui­vantes (liste non exhaustive) :
• archi­tec­ture, génie civil, urba­nisme et environnement,
• éner­gie et matières premières,
• construc­tion méca­nique, navale et aéronautique
• élec­tri­ci­té, élec­tro­nique et automatismes,
• infor­ma­tique et sys­tèmes de communication,
• biologie,
• économie.

Grâce à des pro­grammes d’é­changes, il leur est éga­le­ment pos­sible d’ob­te­nir leur mas­ter spé­cia­li­sé dans d’autres éta­blis­se­ments d’en­sei­gne­ment supé­rieur fran­çais ou étran­gers agréés par l’École.

À l’is­sue de leur 4e année d’é­tudes, les étu­diants obtiennent un diplôme d’in­gé­nieur de l’É­cole poly­tech­nique Schlum­ber­ger (le terme ingé­nieur n’é­tant pas tra­duit en anglais, pour évi­ter l’emploi du mot » engi­neer ») ; le libel­lé bilingue du diplôme pré­cise qu’ils ont obte­nu 2 masters :
• un mas­ter de sciences et de direc­tion tech­no­lo­gique (qui men­tionne l’op­tion : entre­prise, admi­nis­tra­tion ou ensei­gne­ment et recherche),
• un mas­ter spé­cia­li­sé (qui peut être décer­né par un autre éta­blis­se­ment d’en­sei­gne­ment supé­rieur agréé par l’X). 

L’École doctorale Becquerel (Becquerel Doctoral College)

L’É­cole doc­to­rale Bec­que­rel recrute des étu­diants ayant ter­mi­né leur 2e cycle uni­ver­si­taire à l’É­cole poly­tech­nique Schlum­ber­ger ou dans d’autres éta­blis­se­ments d’en­sei­gne­ment supé­rieur (fran­çais ou étrangers).

En prin­cipe, elle leur pro­pose des sujets de thèses cor­res­pon­dant aux matières ensei­gnées en 1er et 2e cycle par l’U­ni­ver­si­té poly­tech­nique Poincaré.

Tous les ensei­gnants-cher­cheurs tra­vaillant à l’É­cole doc­to­rale Bec­que­rel doivent publier leurs tra­vaux en men­tion­nant leur appar­te­nance à l’U­ni­ver­si­té Poly­tech­nique Poincaré.

Les pro­fes­seurs ensei­gnant à temps com­plet à l’É­cole poly­tech­nique Schlum­ber­ger doivent effec­tuer leurs tra­vaux de recherche à l’É­cole doc­to­rale Becquerel.

Proposition de réforme du recrutement des corps de l’État

Il serait dom­mage de ne pas pro­fi­ter de la mise en place des réformes pro­po­sées pour cor­ri­ger cer­tains défauts du sys­tème actuel de recru­te­ment des corps de l’É­tat, qui est effec­tué sur des cri­tères de clas­se­ment à l’is­sue des années d’en­sei­gne­ment géné­ra­liste (non appli­qué) de l’X.

Ce sys­tème de sélec­tion pré­sente plu­sieurs inconvénients :

• il ne tient pas compte des capa­ci­tés des élèves dans le domaine des études appli­quées cor­res­pon­dant à leur futur métier,
• il ne les incite pas à four­nir d’ef­forts très impor­tants en école d’ap­pli­ca­tion, puis­qu’ils auront de toute façon assu­ré leur posi­tion de membre du corps avant l’en­trée dans cette école,
• l’as­pect « voca­tion » est sou­vent absent du choix du corps, très lar­ge­ment déter­mi­né par la volon­té de rejoindre le corps le plus pres­ti­gieux pos­sible (d’où par exemple des élèves ayant rêvé de deve­nir ingé­nieur des Ponts et Chaus­sées… et exer­çant fina­le­ment le métier assez dif­fé­rent d’in­gé­nieur des Télécommunications),
• chaque corps « reçoit » chaque année de nou­veaux membres dont l’i­na­dap­ta­tion à leur future acti­vi­té aurait pu être très faci­le­ment détec­tée par quelques entre­tiens d’embauche…

Il est donc pro­po­sé que les corps recrutent leurs nou­veaux membres à l’is­sue de leurs quatre années d’é­tudes à l’É­cole poly­tech­nique Schlum­ber­ger, en tenant compte des résul­tats obte­nus par les étu­diants dans deux masters : 

• le mas­ter de sciences et de direc­tion tech­no­lo­gique – men­tion administration,
• le (ou les) master(s) spécialisé(s) cor­res­pon­dant aux besoins du corps.
Chaque corps choi­sit son mode de recrutement :
• recru­te­ment basé sur les seuls résul­tats scolaires,
• résul­tats sco­laires pon­dé­rés par le résul­tat d’entretien(s),
• concours ou pro­ces­sus spécifique.

On sup­po­se­ra que le corps des Mines conti­nue à jouer, au-delà de ses attri­bu­tions sta­tu­taires au minis­tère de l’In­dus­trie, un rôle de vivier de futurs diri­geants de l’ad­mi­nis­tra­tion et des entre­prises (et par­fois de poli­ti­ciens !). Dans ce cas, sa déno­mi­na­tion actuelle est inadap­tée à une bonne visi­bi­li­té inter­na­tio­nale de ses res­pon­sa­bi­li­tés réelles. Il pour­rait par exemple affir­mer urbi et orbi ses ambi­tions en deve­nant le corps de la gou­ver­nance tech­no­lo­gique. Il pour­rait par ailleurs conti­nuer à pra­ti­quer un recru­te­ment aus­si sélec­tif qu’au­jourd’­hui, mais plus diver­si­fié en admet­tant des élèves qui cumulent d’ex­cel­lents résul­tats dans le mas­ter de sciences et de direc­tion tech­no­lo­gique et dans un mas­ter spé­cia­li­sé cor­res­pon­dant à une dis­ci­pline dont le corps estime avoir besoin.

Mise en œuvre

Le prin­ci­pal obs­tacle à la mise en œuvre des réformes pro­po­sées vien­dra du fait que les enti­tés concer­nées dépendent de dif­fé­rents ministères :

• Édu­ca­tion natio­nale pour les classes préparatoires,
• Défense pour l’X,
• divers minis­tères de tutelle pour les écoles d’application.

Ce n’est donc qu’à la condi­tion d’être recon­nues par un futur gou­ver­ne­ment comme un grand pro­jet natio­nal prio­ri­taire, capable d’exer­cer un effet d’en­traî­ne­ment sur l’en­semble de l’en­sei­gne­ment supé­rieur scien­ti­fique fran­çais, que de telles réformes pour­ront être menées à bien.
 

1. Voir la page du site Paris­Tech des­ti­née aux étu­diants étrangers.
http://www.paristech.org/etudier.php
2. Voir en par­ti­cu­lier l’é­tude « In search of glo­bal engi­nee­ring excel­lence : edu­ca­ting the next gene­ra­tion of engi­neers for the glo­bal work­place » spon­so­ri­sé par Conti­nen­tal AG et effec­tuée par l’ETH Zurich, Geor­gia Tech, le MIT et les uni­ver­si­tés de Darm­stadt, Jiao Tong (Shan­ghai), Tsing­hua, Tokyo et São Paulo.
http://www.global-engineering-excellence.org/en/global_engineering_study/
3. Les quatre noms choi­sis par­mi des anciens de l’X, sont hau­te­ment symboliques :
 
• Poin­ca­ré évoque l’ex­cel­lence uni­ver­selle, en par­ti­cu­lier en mathé­ma­tiques et en physique ;
• Cau­chy la néces­si­té de pos­sé­der de solides connais­sances théo­riques avant d’a­bor­der des domaines appliqués ;
• Schlum­ber­ger la créa­tion et le déve­lop­pe­ment pérenne d’en­tre­prises indus­trielles et de ser­vices à voca­tion mon­diale, dans des domaines de haute technologie ;
• Bec­que­rel la recherche de haut niveau (celui du prix Nobel, qu’il a par­ta­gé avec Pierre et Marie Curie).

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