Trois jours de pluie,

Dossier : Arts, Lettres et SciencesMagazine N°601 Janvier 2005Par : Richard GREENBERGRédacteur : Philippe OBLIN (46)

Il est stu­pide de faire de l’antiaméricanisme pri­maire et vis­cé­ral, mais lorsque l’on sort de l’Atelier après avoir vu Trois jours de pluie, on a un peu envie de s’y aban­don­ner. L’auteur, Richard Green­berg, fort célé­bré dans le menu cercle du théâtre intel­lec­tuel new-yor­kais, ou du West End lon­do­nien, s’est atta­qué à un sujet si com­plexe – ne voyez là aucun rap­pro­che­ment per­fide de ma part avec d’autres tri­bu­la­tions amé­ri­caines dans des contrées dif­fi­ciles – qu’il en a d’évidence per­du la maî­trise, de sorte que le spec­ta­teur peine à bien com­prendre ce qui se passe sous ses yeux.

Les trois comé­diens (Lea Dru­cker, Mathieu Bis­son et Pierre Cas­si­gnard) sont excel­lents. Ils le montrent tout par­ti­cu­liè­re­ment en jouant cha­cun deux rôles : au pre­mier acte, qui se passe en 1995, celui de jeunes adultes nés de “ parents ter­ribles ”, qu’ils incarnent au second acte, situé en 1960. Rien à dire que du bien aus­si du décor d’Alain Lagarde, habi­le­ment conçu pour évo­quer tan­tôt la rue, tan­tôt le loft new-yor­kais où vécurent et tra­vaillèrent les parents et que les enfants retrouvent, plus ou moins à l’abandon, lorsqu’ils s’y réunissent pour régler des ques­tions d’héritage. Quant à la mise en scène de J.-M. Bes­set, l’adaptateur du texte anglais, et G. Des­veaux, elle colle étroi­te­ment aux dia­logues, sans la moindre fausse note ni incon­grui­té, ce qui n’est point si fré­quent par les temps qui courent.

Voi­là donc réunis tous les com­po­sants propres à faire une bonne pièce, sauf un mal­heu­reu­se­ment, mais qui n’est pas sans impor­tance : le sujet. D’autant que, par­lant du sujet, je crois qu’il vau­drait mieux employer le plu­riel, et évo­quer les sujets.

M. Bes­set décrit quelque part Trois jours de pluie comme une comé­die à la Woo­dy Allen, “ en plus mélan­co­lique, peut-être ”. M’est avis qu’on est loin du compte, et à mille cou­dées de l’humour caus­tique et léger de Woo­dy Allen, qui sait si bien nous faire rire de l’humaine bêtise en géné­ral, et du confor­misme amé­ri­cain en particulier.

On se croi­rait plu­tôt en effet chez une sorte de Tche­khov (qui héri­te­ra de la mai­son des grands-parents ?) mal digé­ré et revu à la lumière de Freud, mêlé de Piran­del­lo (la folie de la mère), alour­di de secrètes malé­dic­tions à la Strind­berg (le poids du pas­sé paren­tal écrase encore les enfants) et d’un peu d’Ibsen, celui de Sol­ness le Construc­teur, puisque le second acte, celui des parents, se passe dans un milieu d’architectes d’avant-garde. On y trouve aus­si les effets de courtes soû­le­ries, et juste ce qu’il faut d’homosexualités latentes pour son­ner moderne, c’est-à-dire lucide sur la réa­li­té humaine.

Or c’est jus­te­ment par ce labo­rieux sou­ci de réa­lisme impla­cable et com­plet que le bât blesse, et que le spec­ta­teur moyen s’embrouille et décroche. La véri­té humaine est tou­jours bien trop com­plexe pour que, res­ti­tuée telle quelle, elle fasse du bon théâtre, qui requiert de la sim­pli­fi­ca­tion. La sage vieille règle “ qu’en un seul lieu, un seul jour, un seul fait accom­pli…”, même s’il ne s’agit pas de s’y cram­pon­ner étroi­te­ment, ne doit jamais être per­due de vue. La névrose sadique de Néron se révèle bru­ta­le­ment, Sga­na­relle tombe amou­reux d’une jeu­nesse, la pro­prié­té de famille est ven­due, rien de plus, mais cela donne Bri­tan­ni­cus, Le Mariage for­cé, La Cerisaie.

Même un intel­lec­tuel amé­ri­cain bran­ché devrait savoir cela, au lieu de nous ser­vir un tel amon­cel­le­ment de “ faits accom­plis ” que l’on en perd jusqu’au fil de ses inten­tions. La fugue d’un fils à la mort de son père, des cou­che­ries mul­tiples, la dra­ma­tique mala­die men­tale d’une mère, le décès pré­ma­tu­ré d’un asso­cié, des ami­tiés pas tou­jours lim­pides, un car­net-jour­nal pou­vant révé­ler d’inquiétants secrets mais qu’on brûle, une riva­li­té pro­fes­sion­nelle entre deux archi­tectes pour­tant étroi­te­ment com­plé­men­taires, tout cela se super­pose et se mêle dans un obs­cur chas­sé-croi­sé de dit et de non-dit, criants de véri­té sans doute, mais dont on com­prend mal qu’un homme de théâtre comme Bes­set ait pu pen­ser que cela convien­drait à une scène parisienne.

C’est bien joli de nous mon­trer des gens intel­li­gents et sen­sibles, non sans culture, se livrer tout entiers aux pul­sions de leurs cer­veaux droits, comme pour nous mettre à l’unisson de leurs états d’âme, mais nous autres avons tout de même besoin de faire fonc­tion­ner aus­si un peu notre cer­veau gauche, celui qui met de l’ordre dans les idées. Il n’est guère gâté en l’occurrence.

Au fait, je m’aperçois que je ne vous ai pas seule­ment expo­sé le sujet de la pièce, tout bon­ne­ment parce que j’en serais bien inca­pable en peu de mots. Je me sens tout juste à même de vous expli­quer le sens, quelque peu sibyl­lin, du titre : trois jours de pluie auront ame­né un homme et une femme à se conso­ler ensemble de cette triste météo­ro­lo­gie, d’où naquirent un gar­çon, et bien des com­pli­ca­tions ultérieures

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