Transport : prolonger les tendances ou revoir les règles du jeu ?

Dossier : Transport et développement durableMagazine N°523 Mars 1997
Par Michel COHEN De LARA (81)

Avoir le souci de l’environnement envers et contre tout ?

On estime sou­vent qu’a­voir le sou­ci de l’en­vi­ron­ne­ment c’est adop­ter un com­por­te­ment « ver­tueux ». Dans le domaine du trans­port, ceci se tra­duit par des recom­man­da­tions du genre « les gens devraient », sui­vies (au choix) de « prendre les trans­ports en com­mun plu­tôt que leur voi­ture », « prendre le train pour aller en vacances », etc. Fort bien, mais cette vision des choses sup­pose que les choix des acteurs s’exercent dans un cadre neutre.

Or, si les « règles du jeu » (régle­men­ta­tion, struc­ture de la fis­ca­li­té, sub­ven­tions, inci­ta­tions, etc.), qui forment le cadre dans lequel s’exercent les déci­sions de tous les acteurs, ne vont pas dans le sens d’un déve­lop­pe­ment durable, il ne faut pas trop en attendre de ces der­niers pour qu’ils inflé­chissent ver­tueu­se­ment leurs com­por­te­ments en allant contre ces règles. En bref, les dif­fé­rents acteurs éco­no­miques sont ration­nels dans un ensemble de règles du jeu qui ne le sont pas for­cé­ment et il y a peu à espé­rer si les signaux éco­no­miques vont en sens inverse de la pré­ser­va­tion de l’environnement.

Par­mi ces règles du jeu, le sys­tème de prix occupe un rôle cen­tral en éco­no­mie de mar­ché, par les signaux qu’il envoie aux acteurs éco­no­miques. Or, notre sys­tème de pré­lè­ve­ments obli­ga­toires est loin d’être cohé­rent : dans le domaine des trans­ports, il favo­rise notam­ment le déve­lop­pe­ment de la cir­cu­la­tion rou­tière au-delà de toute uti­li­té sociale (compte tenu de ce que le mode rou­tier est celui qui exerce et de loin les pres­sions les plus fortes sur l’en­vi­ron­ne­ment), sans oublier le déve­lop­pe­ment du tra­fic aérien.

C’est ain­si que les éva­lua­tions des coûts directs et des coûts externes du trans­port rou­tier (où les coûts des nui­sances sont géné­ra­le­ment éva­lués a mini­ma) indiquent que la cir­cu­la­tion rou­tière coûte à la col­lec­ti­vi­té plus qu’elle ne pro­duit comme recettes, avec une sous-tari­fi­ca­tion mani­feste du trans­port rou­tier inter­ur­bain et du véhi­cule en ville1.

Ceci choque l’u­ti­li­sa­teur du mode rou­tier qui a le sen­ti­ment d’être « sur­taxé » mais en fait, tout est ques­tion de pré­lè­ve­ments rela­tifs selon qu’on est impo­sé comme usa­ger rou­tier ou comme « citoyen ». Glo­ba­le­ment, l’u­sa­ger de la route ne paye pas assez : il « emprunte » à la col­lec­ti­vi­té, notam­ment en dégra­dant son envi­ron­ne­ment (par exemple, les effets sur la san­té des par­ti­cules fines issues de la com­bus­tion du gazole sont de mieux en mieux appré­ciés : troubles res­pi­ra­toires, épi­sodes asth­ma­tiques, mor­ta­li­té car­dio-vas­cu­laire ou res­pi­ra­toire2).

Mais le citoyen paye sans doute trop : par exemple, la contri­bu­tion sociale géné­ra­li­sée est sup­por­tée uni­for­mé­ment par tous, alors qu’elle devrait l’être plu­tôt par les acti­vi­tés dégra­dant les condi­tions sani­taires (ce qui est loin d’être le cas pour le gazole dont la sous-tari­fi­ca­tion est bien éta­blie, ce qui contri­bue à un usage exces­sif et donc à des coûts de san­té supplémentaires…).

Un Tramway
© RATP-MARGUERITE

Pour pal­lier ces dys­fonc­tion­ne­ments, l’É­tat pour­rait cor­ri­ger les prix par le biais d’une fis­ca­li­té appro­priée qui per­mette à la fois d’o­rien­ter les com­por­te­ments et de pro­cu­rer des res­sources à l’É­tat. Ceci irait à l’en­contre du prin­cipe de neu­tra­li­té fis­cale (selon lequel une taxe doit ali­men­ter le bud­get de manière neutre), mais comme le dit J.-P. Barde « en pré­sence d’ex­ter­na­li­tés, la neu­tra­li­té fis­cale est un mythe » et « c’est pré­ci­sé­ment la cor­rec­tion des insuf­fi­sances du mar­ché au moyen de taxes inter­na­li­santes qui per­met de réa­li­ser une meilleure neu­tra­li­té« 3.

Pre­nant acte de ce qu’une taxe affecte les com­por­te­ments, un sys­tème fis­cal « éco­lo­gique » a pour objec­tif d’in­flé­chir les com­por­te­ments des acteurs dans le sens d’un déve­lop­pe­ment durable. Le niveau de tari­fi­ca­tion sur une res­source natu­relle non renou­ve­lable doit croître à mesure que la res­source se raré­fie, et ce afin de pré­pa­rer les tran­si­tions en évi­tant des rup­tures et des crises coû­teuses. L’an­nonce d’un échéan­cier de hausses et de baisses per­met aux acteurs d’an­ti­ci­per et c’est une façon d’in­flé­chir pro­gres­si­ve­ment des comportements.

Une fis­ca­li­té éco­lo­gique n’est pas une fis­ca­li­té addi­tion­nelle mais est un redé­ploie­ment » sen­sé ? des pré­lè­ve­ments actuels : taxes éle­vées sur cer­taines res­sources ou nui­sances et, à l’in­verse, allé­ge­ment de pré­lè­ve­ments éle­vés comme les charges sur le tra­vail qui décou­ragent l’embauche. La réforme fis­cale de 1990 en Suède s’est ins­pi­rée de ce prin­cipe, avec notam­ment une taxe sur le gaz car­bo­nique et une baisse de l’im­pôt sur le reve­nu et sur les béné­fices des socié­tés3.

Une taxe sur l’éner­gie est en phase avec l’ac­ti­vi­té éco­no­mique : elle frappe rela­ti­ve­ment moins les entre­prises en période de faible acti­vi­té que ne le font les charges sur le tra­vail. De même, dans un monde ouvert, il pour­rait y avoir un inté­rêt col­lec­tif à des prix éle­vés dans le trans­port et à de moindres charges sur le tra­vail, pour rééqui­li­brer cer­tains flux économiques.

Il est clair que cer­tains acteurs per­draient à ces nou­velles règles puis­qu’ils ont pris l’ha­bi­tude de jouer dans les anciennes. Il est com­pré­hen­sible que ceux-ci tiennent à pré­ser­ver les règles actuelles (tout en pro­po­sant géné­ra­le­ment des solu­tions tech­niques aux pro­blèmes sou­le­vés). Mais il est tout à fait dis­cu­table que cette atti­tude soit jus­ti­fiée au nom de l’in­té­rêt général.

Les sug­ges­tions que nous avan­çons ici sont plus ou moins toutes des réponses pos­sibles aux deux ques­tions sui­vantes. Pour­quoi ne pas com­men­cer par faire res­pec­ter les règles ? Pour­quoi ne pas réta­blir la véri­té des coûts ?

Limiter la pollution des eaux en mettant en place une taxe sur les surfaces imperméabilisées (et en baissant la redevance assainissement de l’eau des particuliers)

Lors d’é­pi­sodes plu­vieux, les sur­faces imper­méa­bi­li­sées (toi­tures, voi­ries, etc.) drainent des quan­ti­tés impor­tantes de pol­luants (hydro­car­bures, par­ti­cules, pous­sières, huiles, etc.) dans des temps limi­tés. Cet apport mas­sif de pol­lu­tion (plu­tôt diluée) peut per­tur­ber le fonc­tion­ne­ment des dis­po­si­tifs de trai­te­ment (sta­tions d’é­pu­ra­tion). On envi­sage sou­vent la créa­tion de bas­sins de décan­ta­tion où sto­cker ces eaux.

Au nom du prin­cipe de pré­ven­tion et du prin­cipe pol­lueur-payeur, ne fau­drait-il pas s’at­ta­quer au pro­blème à la source et frap­per les sur­faces imper­méa­bi­li­sées d’une taxe ? Les taxes sur l’eau cor­res­pon­dant à l’as­sai­nis­se­ment pour­raient alors être dimi­nuées d’un mon­tant équi­va­lant au pro­duit de cette taxe.

Reconquérir l’espace urbain en mettant en place un péage urbain (et en baissant les taxes locales, modulées en fonction de la possession d’un véhicule)

Avec un péage urbain, le coût de l’u­sage de la voi­rie et des nui­sances induites par la cir­cu­la­tion (entre­tien, réfec­tion, occu­pa­tion d’es­pace, pol­lu­tions, bruit, etc.) serait por­té par ses uti­li­sa­teurs. Par exemple, le coût des dégra­da­tions de façades par salis­sures n’est pas aujourd’­hui à la charge du pol­lueur mais à celle du pollué.

En sus de l’in­té­rêt esthé­tique, un pro­gramme régu­lier de rava­le­ments sou­te­nus par des trans­ferts finan­ciers pré­le­vés sur la cir­cu­la­tion rou­tière serait béné­fique en termes d’emplois dans le bâti­ment (sec­teur bien plus riche en emplois, au mil­lion de francs inves­tis, que celui des tra­vaux publics).

Les recettes du péage urbain pour­raient venir en déduc­tion des taxes locales. Le pro­duit glo­bal de ces der­nières pour­rait ain­si bais­ser, mais leur assiette pour­rait éga­le­ment être revue.

En effet, taxe d’ha­bi­ta­tion et taxe fon­cière ne sont à l’heure actuelle fonc­tion ni de la pos­ses­sion d’un véhi­cule, ni de l’u­sage de la voi­rie. Or, ce sont pour beau­coup les col­lec­ti­vi­tés locales et ter­ri­to­riales qui financent les dépla­ce­ments urbains, notam­ment les dépenses rou­tières occa­sion­nées par la par­tie moto­ri­sée de la popu­la­tion (rap­pe­lons que 20 % des per­sonnes appar­tiennent à un ménage non moto­ri­sé et que ces der­niers repré­sentent 23 % des ménages4 ; en outre, comme indi­qué dans l’ar­ticle de J.-P. Orfeuil, pour les dépla­ce­ments vers le tra­vail, une mino­ri­té d’u­sa­gers de la route contri­bue à une forte part des nuisances).

Les effets de ces taxes peuvent peser sur la demande de dépla­ce­ments, et peuvent induire des dis­tor­sions, comme par exemple entre le pro­prié­taire de par­king, qui paye taxe d’ha­bi­ta­tion et taxe fon­cière, et celui dont la voi­ture sta­tionne dehors la nuit, qui ne rap­porte rien à la com­mune (dans ce cas, on pour­rait ima­gi­ner d’ins­tau­rer un for­fait pour le sta­tion­ne­ment des rési­dents et de bais­ser dans le même temps la taxe d’habitation).

De telles taxes pour­raient être par­tiel­le­ment assises sur la moto­ri­sa­tion si on veut taxer la pol­lu­tion, assises sur l’es­pace de voi­rie occu­pé si on veut évi­ter l’oc­cu­pa­tion d’es­pace (quoi­qu’une assise sur l’u­sage de la voi­rie puisse péna­li­ser le centre-ville au pro­fit de la péri­phé­rie et favo­ri­ser l’é­ta­le­ment urbain).

Améliorer les conditions de déplacement de tous en sanctionnant le stationnement illicite

Il suf­fit de regar­der la cir­cu­la­tion et le sta­tion­ne­ment des véhi­cules en ville pour voir à quel point les règles du code de la route sont peu res­pec­tées. Le sta­tion­ne­ment illi­cite (chaus­sée, trot­toir…) limite la liber­té de dépla­ce­ment des pié­tons (per­sonnes âgées, enfants en pous­sette, etc.) et dégrade les condi­tions de cir­cu­la­tion, notam­ment des trans­ports col­lec­tifs de sur­face. Ces coûts sont sup­por­tés par la col­lec­ti­vi­té sans que leurs auteurs n’en reçoivent de signal.

Les amendes de police pour­raient être alour­dies en cas de sta­tion­ne­ment illi­cite ou d’en­trave à la cir­cu­la­tion des bus, des bicy­clettes, des pié­tons… Le ren­de­ment pour­rait être amé­lio­ré (contrôle accru, sim­pli­fi­ca­tion de la per­cep­tion, etc.) et une poli­tique de com­mu­ni­ca­tion pour­rait être menée sur les avan­tages en termes de cir­cu­la­tion et sur l’u­ti­li­sa­tion des sommes ain­si col­lec­tées. Les recettes pour­raient ser­vir au ren­for­ce­ment de la sanc­tion du sta­tion­ne­ment illé­gal par du per­son­nel spé­cia­li­sé ou à des amé­na­ge­ments pour les modes doux.

Ne pas décourager le rapprochement domicile-travail en baissant les droits de mutation (et en compensant par une extension du stationnement payant)

L’en­semble des droits de muta­tion peut atteindre 10 à 12 % du coût d’a­chat du loge­ment et ceci péna­lise ceux qui sou­hai­te­raient se rap­pro­cher de leur tra­vail ou moins dépendre de leur voi­ture. Plu­tôt que revoir ces taxes à la baisse (sauf de manière tem­po­raire), la mobi­li­té est sub­ven­tion­née (voir l’ar­ticle d’Yves Martin).

En 1990 les droits de muta­tion (publi­ci­té fon­cière, enre­gis­tre­ment, muta­tion) ont rap­por­té 29 mil­liards de francs. Leur atté­nua­tion (pour favo­ri­ser le rap­pro­che­ment domi­cile-tra­vail) pour­rait être com­pen­sée par les recettes poten­tielles du sta­tion­ne­ment, esti­mées à envi­ron 40 mil­liards de francs5.

Jean-Pierre Orfeuil fait le bilan d’un « ensemble de cal­culs assez com­plexes ten­tant d’é­va­luer ce que serait l’im­pact moné­taire d’une géné­ra­li­sa­tion du sta­tion­ne­ment payant, sur la base des prix du mar­ché actuels, dans les agglo­mé­ra­tions de pro­vince de plus de 100 000 habi­tants« 5. Le cal­cul repose sur des esti­ma­tions du sta­tion­ne­ment hors domi­cile obte­nues à par­tir de carac­té­ris­tiques de la mobi­li­té (nombre de dépla­ce­ments). Même si l’au­teur est conscient des limites d’une telle démarche, l’é­cart est tel entre les recettes poten­tielles de l’ordre de 40 mil­liards de francs (30 pour les seules villes-centres, 25 pour les dépla­ce­ments liés au tra­vail) et les recettes actuelles de l’ordre de 1 mil­liard de francs, qu’il y a cer­tai­ne­ment une impor­tante marge de manoeuvre pour les recettes du sta­tion­ne­ment payant.

Le sta­tion­ne­ment payant (hors résident) pré­sente l’a­van­tage d’être une mesure effi­cace pour assu­rer le trans­fert vers d’autres modes que le véhi­cule par­ti­cu­lier. On note en effet une grande résis­tance à l’u­ti­li­sa­tion du sta­tion­ne­ment payant et, sur l’en­semble des lieux assi­mi­lés au centre-ville, l’offre de sta­tion­ne­ment pri­vé reste sous-utilisée.

Maîtriser les déplacements domicile-travail en réduisant le stationnement au travail et en le permettant au domicile

La dis­po­ni­bi­li­té d’une place de sta­tion­ne­ment au lieu de tra­vail affecte consi­dé­ra­ble­ment la répar­ti­tion modale des actifs, comme l’illustre le cas de Genève : l’u­sage du véhi­cule par­ti­cu­lier est de 86 % avec par­king dis­po­nible et de 36 % sans par­king4.

Respectons les couloirs vélos
© DREIF-GOBRY

Le sta­tion­ne­ment au tra­vail est géné­ra­le­ment gra­tuit en France, alors que le sta­tion­ne­ment au lieu de rési­dence est sou­vent payant (en par­king ou sur voi­rie dans la jour­née). Dès lors, nom­breux sont ceux qui prennent leur voi­ture le matin pour la garer sur leur lieu de tra­vail, ce qui est moins coû­teux. Doit-on par­ler ici de « pré­fé­rence pour l’au­to­mo­bile » ou d’in­té­rêt indi­vi­duel finan­cier bien com­pris ? Ne peut-on pas ima­gi­ner plu­tôt que le sta­tion­ne­ment au tra­vail soit payant et qu’il le soit beau­coup moins au domi­cile, de manière à limi­ter cer­tains flux arti­fi­ciel­le­ment créés ? N’y aurait-il pas là un gain pour la collectivité ?

La gra­tui­té du sta­tion­ne­ment offert par l’employeur pour­rait être remise en ques­tion, en rai­son de nom­breux argu­ments déve­lop­pés par J.-P. Orfeuil5. Il n’y a pas éga­li­té de trai­te­ment entre employés, alors qu’un peu plus de la moi­tié des actifs dans les zones urbaines ne se rend pas en voi­ture à son tra­vail. L’a­van­tage est impor­tant et n’est pas fis­ca­le­ment impo­sable au titre des avan­tages en nature. Cet avan­tage accor­dé aux seuls employés venant en voi­ture pour­rait être exi­gé sous une autre forme par les autres employés (aug­men­ta­tion de salaire équi­va­lant au coût de loca­tion), comme ceci se met en place en Cali­for­nie6.

Une entre­prise en dif­fi­cul­té pour­rait faire payer le sta­tion­ne­ment au prix du mar­ché, obte­nant ain­si une baisse du coût du tra­vail. Cette forme de sub­ven­tion au sta­tion­ne­ment au lieu de tra­vail n’est pas com­pa­rable au ver­se­ment trans­port, car elle ne béné­fi­cie pas aux usa­gers des trans­ports col­lec­tifs alors que ce der­nier béné­fi­cie aus­si aux actifs venant en voi­ture (par les meilleures condi­tions de cir­cu­la­tion ren­dues pos­sibles par les trans­ports col­lec­tifs, la meilleure acces­si­bi­li­té aux éta­blis­se­ments sco­laires des enfants…).

C’est pour­quoi, il convien­drait de réper­cu­ter sur leur uti­li­sa­tion la valeur moné­taire de la mise à dis­po­si­tion de places de sta­tion­ne­ment au lieu de tra­vail. Pour­quoi ne pas uti­li­ser les recettes ain­si déga­gées à l’or­ga­ni­sa­tion de trans­ports col­lec­tifs (covoi­tu­rage, navettes pour col­lec­ter les employés, etc.) ou les redis­tri­buer éga­li­tai­re­ment à tous les employés ?

Réduire les risques d’accident en modulant les primes d’assurance automobile en fonction de l’usage et des distances parcourues

Pour tenir compte davan­tage de l’u­sage, les primes d’as­su­rance pour­raient géné­ra­li­ser la prise en compte du kilo­mé­trage effec­tif par­cou­ru et le bonus pour non-uti­li­sa­tion de son véhi­cule dans les tra­jets domi­cile-tra­vail en zone urbaine. Le kilo­mé­trage par­cou­ru est en effet un fac­teur de risque d’ac­ci­dent : la fré­quence annuelle des sinistres croît avec le kilo­mé­trage annuel moyen. Une tari­fi­ca­tion repo­sant sur le kilo­mé­trage effec­tué contri­bue­rait à réduire le risque en fai­sant res­sen­tir au socié­taire le coût de ses dépla­ce­ments auto­mo­biles, et aurait ain­si un effet inci­ta­tif en l’en­cou­ra­geant à prendre d’autres modes moins ris­qués, pour la frac­tion de ses dépla­ce­ments qui ne néces­sitent pas le véhi­cule particulier.

Il est clair que le contrôle du kilo­mé­trage effec­tué est une contrainte pour l’as­su­reur. Il fau­drait ici une inci­ta­tion par obli­ga­tion publique. Le contrôle tech­nique des véhi­cules pour­rait être l’oc­ca­sion d’un rele­vé régu­lier du kilométrage.

Rétablir des conditions de concurrence équitables entre modes de transport en faisant respecter les règles de travail des transporteurs routiers

Suite à la toute récente grève fin 1996, on a enten­du les rou­tiers deman­der à l’É­tat qu’il fasse res­pec­ter les règles de tra­vail dans la pro­fes­sion. Leur non-res­pect contri­bue au faible prix du trans­port rou­tier, ce qui biaise les condi­tions de concur­rence avec les autres modes de trans­port, comme le rail. Le ser­vice des études éco­no­miques de la Fédé­ra­tion natio­nale des trans­por­teurs rou­tiers indi­quait, dans un article inti­tu­lé « Ne pas tri­cher aujourd’­hui, c’est mou­rir demain », que le res­pect des règles condui­rait à un prix de vente par kilo­mètre en charge qui serait sen­si­ble­ment le double de celui d’au­jourd’­hui7.

Consommer avec modération des ressources non renouvelables et polluantes comme le pétrole en augmentant la TIPP (et en baissant les charges sur le travail)

On entend sou­vent dire que nous avons les car­bu­rants les plus taxés en France. C’est vrai pour le super­car­bu­rant, moins pour le gazole (quant au kéro­sène, il ne sup­porte aucune taxe…). Ceci a inci­té nos construc­teurs auto­mo­biles à pro­po­ser des modèles bien plus éco­nomes qu’aux États-Unis où une telle fis­ca­li­té est inexistante.

Mais le niveau de la fis­ca­li­té n’est pas le seul signal per­çu, son évo­lu­tion importe aus­si. Or, le coût du car­bu­rant (40 % du coût d’u­sage d’un véhi­cule par­ti­cu­lier) et celui de l’u­sage des trans­ports col­lec­tifs ont diver­gé5. En termes réels entre 1959 (res­pec­ti­ve­ment 1985) et 1992, le coût du car­bu­rant a bais­sé de 33 % (res­pec­ti­ve­ment 22 %) alors que celui des trans­ports col­lec­tifs s’ac­crois­sait de 65 % (res­pec­ti­ve­ment 5 %). Pour­quoi diable irais-je prendre les trans­ports publics dans ces condi­tions ? Et ce d’au­tant plus que, depuis des années, la majo­ri­té des finan­ce­ments publics dans le trans­port va au mode routier !

Notes Biblio­gra­phiques (réfé­rences)

1. Jean-Pierre ORFEUIL, Les coûts externes de la cir­cu­la­tion rou­tière, INRETS, jan­vier 1996.
2. Socié­té fran­çaise de san­té publique, La pol­lu­tion atmo­sphé­rique d’o­ri­gine auto­mo­bile et la san­té publique, Bilan de quinze ans de recherche inter­na­tio­nale, Col­lec­tion san­té et socié­té n° 4, mai 1996.
3. J.-P. BARDE, Éco­no­mie et poli­tique de l’en­vi­ron­ne­ment, PUF, 1992.
4. D. DRON et M. COHEN DE LARA, Pour une poli­tique sou­te­nable des trans­ports, Cel­lule de Pros­pec­tive et Stra­té­gie, minis­tère de l’En­vi­ron­ne­ment, Paris, La Docu­men­ta­tion Fran­çaise, sep­tembre 1995.
5. Jean-Pierre ORFEUIL, Éner­gie, envi­ron­ne­ment, fis­ca­li­té, dépla­ce­ments quo­ti­diens, Inrets, décembre 1993.
6. Royal Com­mis­sion on Envi­ron­men­tal Pol­lu­tion, Londres, « Eigh­teenth report : trans­port and the envi­ron­ment?, octobre 1994.
7. « Ne pas tri­cher aujourd’­hui, c’est mou­rir demain?, Trans­port Maga­zine, n° 111, mai 1993. (8) OCDE, Trans­ports urbains et déve­lop­pe­ment durable, 1995.

Il est mani­feste que la fis­ca­li­té des car­bu­rants est très effi­cace pour orien­ter le consom­ma­teur et les acteurs éco­no­miques. Ain­si, le dif­fé­ren­tiel supercarburant/gazole fran­çais s’ac­com­pagne d’une forte dié­sé­li­sa­tion du parc (plus de 47 % des VP neufs en 1994) : ceci met le parc fran­çais en posi­tion sin­gu­lière en Europe, pose pro­blème aux raf­fi­neurs qui doivent impor­ter du gazole et conduit à une sur­con­som­ma­tion volu­mique de gazole et à des sur­émis­sions de gaz car­bo­nique (les usa­gers de l’au­to­mo­bile rai­son­nant à bud­get de dépla­ce­ment constant). Faut-il, pour toutes ces rai­sons et parce que les par­ti­cules fines posent un pro­blème de san­té publique, renon­cer à ache­ter un modèle die­sel alors que le gazole est sous-tarifé ?

Ain­si, le kéro­sène ne sup­porte pas de taxe inté­rieure sur les pro­duits pétro­liers (TIPP). Faut-il s’é­ton­ner de l’ex­plo­sion du tra­fic aérien ? Doit-on ver­tueu­se­ment prendre moins l’a­vion parce que les émis­sions de ce der­nier contri­buent à l’ac­crois­se­ment de l’ef­fet de serre, alors que son prix ne reflète pas les nui­sances qu’il engendre ?

D’a­près une étude de l’OCDE, une aug­men­ta­tion du prix du car­bu­rant de l’ordre de 7 % par an en termes réels sur deux ou trois décen­nies serait néces­saire pour rame­ner les émis­sions de gaz car­bo­nique aux niveaux consi­dé­rés comme indis­pen­sables par le groupe inter­gou­ver­ne­men­tal d’ex­perts sur l’é­vo­lu­tion du cli­mat8. Uto­pie ? Comme prin­ci­pale mesure pour limi­ter les hausses des émis­sions de gaz car­bo­nique du trans­port rou­tier, le gou­ver­ne­ment bri­tan­nique a accru (en termes réels) ses taux d’ac­cises sur les car­bu­rants : 10 % en mars 1993, près de 10 % en novembre 1993, puis 5 % par an indé­fi­ni­ment…7.

L’ac­tua­li­té nous montre com­bien le seul rat­tra­page de l’in­fla­tion sur les car­bu­rants fait réagir cer­tains acteurs. Alors, que faire quand cha­cun sait ce que coûte à la col­lec­ti­vi­té la sous-tari­fi­ca­tion du gazole ? Peut-être pour­rait-on au moins expé­ri­men­ter, par exemple en négo­ciant avec les entre­prises de trans­port rou­tier une baisse des charges sur le tra­vail en échange d’une hausse de la TIPP sur le gazole ?

Et les préoccupations sociales dans tout cela ? Mieux vaut une allocation universelle qu’une sous-tarification des ressources

Pro­po­sez de revoir les règles et tout de suite c’est le tol­lé au nom de pro­blèmes (réels) de redis­tri­bu­tion sociale. Mais, si le sys­tème des prix (cor­ri­gé par la fis­ca­li­té) reflète la rare­té des biens, alors une inter­ven­tion de l’É­tat pour des motifs sociaux (afin de per­mettre à tous de dis­po­ser de cer­tains biens et ser­vices) ne devrait pas per­tur­ber les prix rela­tifs et ris­quer d’aug­men­ter le gaspillage.

Il est pré­fé­rable de redis­tri­buer éga­li­tai­re­ment le pro­duit de la fis­ca­li­té éco­lo­gique (« éco­bo­nus » ou « allo­ca­tion uni­ver­selle ») et de per­mettre aux acteurs de se pro­cu­rer des biens et des ser­vices sur un mar­ché où les prix auraient un sens, plu­tôt que de sous-tari­fer cer­tains biens et ser­vices. Un éco­bo­nus éga­li­tai­re­ment dis­tri­bué pro­fite rela­ti­ve­ment plus aux moins dému­nis ; une sous-tari­fi­ca­tion des res­sources conduit au gas­pillage de ces dernières. 

Pro­lon­ger les ten­dances : mieux vaut en rire…

– Grand-père, grand-mère, racon­tez-moi com­ment c’é­tait quand vous étiez jeunes !

– Com­ment ? Ferme d’a­bord la fenêtre, on n’en­tend rien avec ce vent qui souffle dehors.

– Maman me dit qu’à l’é­poque on ne par­lait presque jamais des ques­tions de chan­ge­ment de cli­mat. C’est drôle, parce que la maî­tresse nous a dit que déjà, en 1995, le dis­po­si­tif inter­na­tio­nal d’é­va­lua­tion scien­ti­fique affir­mait la réa­li­té du phé­no­mène et les incer­ti­tudes sur son ampleur, mais que les contro­verses conti­nuaient dans des milieux moins infor­més qui sou­vent uti­li­saient des rai­son­ne­ments tenus des années auparavant.

– Quels don­neurs de leçons, ces enfants ! Mais tu sais, par­ler d’en­vi­ron­ne­ment c’é­tait presque dire des gros mots en ce temps-là. On n’é­tait pas sérieux quand on évo­quait d’é­ven­tuelles atteintes à l’en­vi­ron­ne­ment, des risques pour la san­té, des pré­oc­cu­pa­tions pour les géné­ra­tions futures, etc. On était sus­pect de faire appel aux peurs mil­lé­na­ristes, de jouer sur l’ir­ra­tion­nel et le sen­sa­tion­nel… et on vous inter­rom­pait bien vite. On avait l’ha­bi­tude de ne par­ler de sujets que lors­qu’ils étaient d’ac­tua­li­té mais, et c’est bien là le pro­blème, le jour où les ques­tions d’en­vi­ron­ne­ment sont d’ac­tua­li­té, il est géné­ra­le­ment trop tard…

– Papa me dit qu’il en assez de payer les dettes de la géné­ra­tion pré­cé­dente, la CRDA (contri­bu­tion au rem­bour­se­ment de la dette auto­rou­tière) par exemple. Il dit que des dizaines de mil­liards de francs ont été dépen­sés pour accé­lé­rer le pro­gramme auto­rou­tier (on se demande pour­quoi ces sommes n’ont pas été consa­crées à la réa­li­sa­tion d’un grand pro­gramme de crèches, par exemple). Il m’a mon­tré un vieux docu­ment (Auto­routes 2020, n° 37, jan­vier 1996) qui s’in­quié­tait de ce que la dette de 110 mil­liards de francs d’a­lors allait dépas­ser 230 mil­liards de francs en 2005, et qu’a­lors elle ne pour­rait pas être cou­verte par le pro­duit des péages et serait à la charge de la col­lec­ti­vi­té. Et avant, il y avait eu la dette de la SNCF et celle du canal Rhin-Rhône. Les gens ne savaient pas lire à l’époque ?

– Si, bien sûr ! Mais, tu sais avec nos 800 000 km de routes natio­nales et dépar­te­men­tales, nous avions peur de ne pas en avoir assez. Et en plus, il nous fal­lait des aéro­ports, des TGV, des canaux à grand gabarit…

– Je com­prends, vous aviez peur de man­quer. Mais alors, pour­quoi toutes ces routes sont-elles peu fré­quen­tées maintenant ?

– Ah, ça… Eh bien, en par­ti­cu­lier parce que les pays dits en déve­lop­pe­ment à l’é­poque se sont ins­pi­rés de nous. Ils vou­laient des voi­tures et des camions, et nous étions ravis de leur en vendre. C’est bien dom­mage qu’ils les aient uti­li­sés car ils ont com­men­cé eux aus­si à ache­ter du pétrole… Au fur et à mesure que la demande crois­sait, les prix ont grim­pé et les ten­sions ont été fortes d’au­tant que les res­sources étaient alors essen­tiel­le­ment situées au Moyen-Orient après épui­se­ment des res­sources de moindre impor­tance. Quand on y pense, presque tout notre sys­tème de trans­port dépen­dait d’une res­source située mas­si­ve­ment dans une zone géo­po­li­ti­que­ment instable (en 1995 les impor­ta­tions natio­nales de pétrole pro­ve­naient à près de 40 % du Moyen-Orient). Avant cela, per­sonne ne vou­lait entendre par­ler de hausse des car­bu­rants, mais après, nous n’a­vons pas eu le choix et le tra­fic s’en est ressenti…

– Tu veux dire qu’on pre­nait des déci­sions en ces temps-là sans tenir compte du contexte ?

– On pro­lon­geait les ten­dances à l’é­poque (la satu­ra­tion de la demande et le pro­grès tech­nique ne com­pen­sant pas la hausse du tra­fic)… Dans le domaine du trans­port, cer­tains modèles éco­no­mé­triques étaient comme des machines sacrées, entre­te­nues par des ini­tiés qui avaient la pos­si­bi­li­té d’en connaître l’in­té­rieur et de l’a­li­men­ter avec des don­nées du pas­sé, des poudres miracles, des « hypo­thèses », etc. et dont sor­taient des pro­jec­tions pour des années et des années… Le tra­fic rou­tier allait tou­jours croître, tout comme la consom­ma­tion de pétrole, les émis­sions de CO2 et de pous­sières. On rêvait beau­coup en ce temps : on sup­po­sait que le parc auto­mo­bile se renou­vel­le­rait en dix ans (une façon très « sociale » de lut­ter contre la pol­lu­tion atmo­sphé­rique…), que le taux de crois­sance du PIB serait sou­te­nu sur vingt ans, que le prix des car­bu­rants croî­trait modé­ré­ment (dans le pas­sé, on avait tou­jours été assu­ré de dis­po­ser de pétrole pour les vingt années devant soi, alors en pro­je­tant le pas­sé on se des­si­nait un ave­nir sans sur­prise…). Bien sûr, ce n’é­tait que les résul­tats de modèles, mais on était bien obli­gé de pour­suivre la construc­tion d’in­fra­struc­tures pour absor­ber tout ce tra­fic. La géné­ra­tion sui­vante paye­rait les dettes… Et pour en reve­nir au contexte, celui des négo­cia­tions inter­na­tio­nales sur la pré­ven­tion des chan­ge­ments cli­ma­tiques a bien chan­gé car l’ac­crois­se­ment de l’ef­fet de serre a com­men­cé à sus­ci­ter quelques réac­tions. Des États côtiers crai­gnant la mon­tée des mers ont fait pres­sion pour que les négo­cia­tions abou­tissent ; les réas­su­reurs ont com­men­cé à refu­ser de cou­vrir les dom­mages dus aux chan­ge­ments de cli­mat, suite aux coûts qu’ils obser­vaient déjà pour cer­taines catas­trophes cli­ma­tiques (inon­da­tions…) ; des scien­ti­fiques ont rele­vé des per­tur­ba­tions océa­niques trou­blantes, etc. – Mais, tout ce pétrole consom­mé à ce rythme for­mi­dable, ça vous a ser­vi à quoi ? – Mais à aller tou­jours plus vite, tou­jours plus loin, voyons ! – Et vous n’a­vez pas cher­ché à affec­ter une par­tie des avan­tages que vous en reti­riez à trou­ver des sub­sti­tuts pour que nous puis­sions nous aus­si nous déplacer ?

– Tu parles comme un savant, là ! Mais au nom de quoi aurions-nous dû nous pré­oc­cu­per de cela ? Nous nous sommes épa­nouis à pou­voir accé­der à tou­jours plus de des­ti­na­tions, tou­jours plus d’es­pace… Nous vous avons lais­sé de superbes réseaux de trans­port, des véhi­cules rou­tiers tou­jours plus mer­veilleux… Que deman­der de plus ? – Rien, rien… Peut-être auriez-vous pu sim­ple­ment chan­ger pro­gres­si­ve­ment les règles du jeu pour ne pas com­pro­mettre notre capa­ci­té à répondre à nos besoins, comme vous vous y étiez enga­gés. Maman m’a dit que vous appe­liez cela le déve­lop­pe­ment durable. – Déve­lop­pe­ment durable ? Quel drôle de lan­gage ! C’est vrai, on en par­lait à l’é­poque. Ces jeunes, ils nous rafraî­chissent la mémoire…

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