Toxicité des NOx

Dossier : Environnement et santé publiqueMagazine N°546 Juin/Juillet 1999Par : Professeur Étienne Fournier, professeur honoraire de clinique toxicologique, membre de l'Académie nationale de médecine.

Monsieur le Professeur, lors de la réunion-débat du 3 juin dernier, vous avez évoqué les dangers attribués à de faibles doses de toxiques, nocivité trop souvent évaluée par simple extrapolation ? Pouvez-vous nous donner, sans termes trop savants, un exemple d’évaluation toxicologique ?

Monsieur le Professeur, lors de la réunion-débat du 3 juin dernier, vous avez évoqué les dangers attribués à de faibles doses de toxiques, nocivité trop souvent évaluée par simple extrapolation ? Pouvez-vous nous donner, sans termes trop savants, un exemple d’évaluation toxicologique ?

Pro­fes­seur Four­nier : Essayons en quelques minutes de par­cou­rir la toxi­co­lo­gie appli­quée à notre envi­ron­ne­ment avec l’exemple des oxydes d’a­zote. Le sujet est à la mode. On en parle à pro­pos de la pol­lu­tion de l’air, des mala­dies res­pi­ra­toires. C’est un des para­mètres de notre sécu­ri­té et de notre confort. En outre, c’est un thème qui vient de faire obte­nir un prix Nobel de méde­cine aux décou­vreurs de leur rôle dans l’organisme.

Il y a de nombreux oxydes d’azote !

Mon pro­pos concerne les mélanges de NO et de NO2, les vapeurs rousses du petit chi­miste, que l’on désigne par le sigle sim­pli­fi­ca­teur de NOx.

Pro­fes­seur Four­nier : Si toutes ces molé­cules N2O, NO, NO2, N2O3, N2O5 par­ti­cipent à des cycles natu­rels d’une impor­tance bio­lo­gique consi­dé­rable pour les végé­taux, elles ne sont pas toutes toxiques pour l’homme. Le pro­toxyde d’a­zote, N2O, le gaz hila­rant, n’est pas émis à un taux notable dans les gaz d’é­chap­pe­ment ; le taux nor­mal tro­po­sphé­rique est 0,25 ppm. S’il contri­bue théo­ri­que­ment, et peut-être puis­sam­ment, à « l’ef­fet de serre », il ne sau­rait être toxique pour l’homme : il a été uti­li­sé comme anes­thé­sique à des concen­tra­tions consi­dé­rables (50 %, 70 %, 700 000 ppm).

Vous parlez de ppm, alors que les valeurs limites normalisées sont exprimées en µg/m3.

Pro­fes­seur Four­nier : Un ppm repré­sente une par­tie par mil­lion en volume, soit 1 cm3 par m3, un ppb une par­tie par bil­lion, soit mille fois moins. Le poids par m3 d’air d’un conta­mi­nant gazeux dépend évi­dem­ment de son poids molé­cu­laire, ce qui est un peu gênant pour les mélanges en pro­por­tions variables. Par exemple 1 cm3 de NO2 pèse envi­ron 2 mg, soit 2 mg/m3 pour un ppm.

Quelle concentration dans l’air que nous respirons ?

Pro­fes­seur Four­nier : Les dis­cus­sions actuelles portent sur des concen­tra­tions cou­rantes allant de 10 à 200 ppb, soit, s’il s’a­git essen­tiel­le­ment de NO2 entre 20 et 400 µg/m3 de « pol­luant », terme évi­dem­ment très laid mon­trant bien le danger.

Sachant qu’à chaque res­pi­ra­tion un humain inhale envi­ron 0,5 litre d’air et qu’il res­pire seize fois par minute, nous inha­lons envi­ron 10 à 200 µg de conta­mi­nant par heure.

Est-ce dangereux ou non ?

Pro­fes­seur Four­nier : Nous allons cher­cher à le savoir. Res­pi­rons des vapeurs rousses. Nous tous­sons du fait d’une irri­ta­tion très intense et nous asphyxions très rapi­de­ment, intoxi­ca­tion mor­telle, les NOx réagis­sant très rapi­de­ment sur tous les com­po­sants biologiques.

Donc substances épouvantables.

Pro­fes­seur Four­nier : Sans aucun doute, et cela en des­cen­dant jus­qu’à des concen­tra­tions assez basses que les toxi­co­logues indus­triels fixent vers 20 ppm. C’est un seuil très gros­sier d’in­toxi­ca­tion aiguë recon­nu cou­ram­ment avec des gaz de com­bat comme le chlore.

Qu’en est-il pour les industries chimiques qui ont longtemps dégagé des oxydes d’azote sans décimer leur personnel ?

Pro­fes­seur Four­nier : Les toxi­co­logues disent qu’il existe une rela­tion dose-effet et constatent qu’en des­sous d’une cer­taine concen­tra­tion les méde­cins ne voient plus rien ; méde­cins et hygié­nistes indus­triels ont ain­si confron­té leurs expé­riences sur un siècle et ont fixé, avec des coef­fi­cients de sécu­ri­té pour tenir compte des sujets les plus sen­sibles, des limites impé­ra­tives : 3 ppm pour les taux tolé­rables 8 heures par jour pour les acti­vi­tés pro­fes­sion­nelles, 25 ppm pour les taux tolé­rables très peu de temps, le temps néces­saire pour don­ner des masques de pro­tec­tion aux sau­ve­teurs, éva­cuer les usines.

Revenons au cas de la population non exposée professionnellement.

Pro­fes­seur Four­nier : La masse des NOx for­més et reje­tés dans la tro­po­sphère pla­né­taire est esti­mée à 600 mil­lions de tonnes par an, la par­tie reje­tée du fait des acti­vi­tés humaines étant de l’ordre de 60 MT/an, un dixième, ce qui est peu pour une civi­li­sa­tion tech­nique grande consom­ma­trice d’énergie.

L’é­vo­lu­tion des modes de chauf­fage a beau­coup réduit les émis­sions en période froide et l’au­to­mo­bile devient de ce seul fait un fac­teur pré­pon­dé­rant dans les rues, en toute sai­son, si bien que les jour­na­listes peuvent concen­trer l’an­goisse du pié­ton sur la pol­lu­tion auto­mo­bile, quels que soient les pro­grès des moto­ri­sa­tions et des carburants.

Or NOx appa­raît au cours de toute com­bus­tion, explo­sive ou non ; moteur ou cui­si­nière à gaz, peu importe.

Quels sont les effets respectifs du monoxyde et du dioxyde d’azote aux taux atmosphériques courants ?

Pro­fes­seur Four­nier : Nuls. Le taux natu­rel, nor­mal, de NO dans la tro­po­sphère varie de 0,5−1 ppb (air océa­nique) à 4 ppb (air conti­nen­tal). L’é­mis­sion totale en France est de l’ordre de 1 MT/an. En pra­tique, dans les zones urbaines pol­luées, les taux de NO, gaz for­mé pré­fé­ren­tiel­le­ment à l’é­mis­sion des gaz d’é­chap­pe­ment, varient actuel­le­ment de 10 à 100 ppb en rai­son d’une oxy­da­tion rapide par l’oxy­gène, accom­pa­gnée d’une dilu­tion très rapide dans l’air. NO à 10 ppm (100 fois le taux maxi­mum consta­té) n’est pas irri­tant et le méta­bo­lisme ultime de NO conduit à la for­ma­tion de nitrites et de nitrates éli­mi­nés dans l’u­rine. NO aux concen­tra­tions maxi­males trou­vées dans l’air urbain n’a aucune nocivité.

Et le dioxyde ?

Pro­fes­seur Four­nier : NO se trans­forme rapi­de­ment en NO2 par réac­tion avec l’oxy­gène de l’air.

Voyons com­ment ce gaz, asphyxiant pour de fortes concen­tra­tions, peut être tolé­ré sans risque en des­sous d’une concen­tra­tion plus faible, sim­ple­ment parce que les défenses phy­sio­lo­giques des voies res­pi­ra­toires seront efficaces.

Nous por­tons tous un filtre res­pi­ra­toire qui part du nez et abou­tit à des canaux très fins (quelques micro­mètres de dia­mètre), les bron­chioles, aux­quelles les alvéoles, poches ultra­fines, s’a­bouchent. Le filtre pul­mo­naire bron­chique est humi­di­fié en per­ma­nence par une sécré­tion muqueuse, le mucus, qui forme une couche conti­nue mise en mou­ve­ment par un tapis de cils vibra­tiles et consti­tue l’ex­pec­to­ra­tion exis­tant chez tous les indi­vi­dus, même et sur­tout s’ils sont infec­tés, asth­ma­tiques… En cas d’ir­ri­ta­tion mar­quée, d’in­fec­tion, les bronches « bavent » de même qu’un escar­got bave pour se pro­té­ger si on le place sur un sup­port irri­tant ou agres­sif. Vous tous­sez et vous cra­chez. C’est prévu.

Pour nous, toxi­co­logues, un toxique réagis­sant sur un film inerte qui sera éli­mi­né implique l’ab­sence d’ab­sorp­tion cel­lu­laire, l’ab­sence d’ir­ri­ta­tion. Aucune réac­tion par­ti­cu­lière n’est néces­saire ; donc pas de toxi­ci­té. Plus la concen­tra­tion en NO2 est faible, plus la réac­tion chi­mique reste limi­tée aux pre­mières couches molé­cu­laires de mucus, sans atteindre les cel­lules. C’est une chi­mie de sur­face, à deux dimen­sions. Il suf­fit d’un gramme de mucus bien éta­lé sur les muqueuses pour pié­ger plu­sieurs mil­li­grammes de NO2 et puri­fier tota­le­ment les mètres cubes res­pi­rés dans une journée.

Mais une très faible partie restante se répartira nécessairement dans les alvéoles où elle atteint les cellules de défense. Si faible sera la concentration résiduelle alvéolaire en NO2, elle n’en reste pas moins un peu nocive.

Pro­fes­seur Four­nier : Il n’y aurait jamais de risque nul ? La nature est astu­cieuse et complexe.

Reve­nons à NO et NO2. NO vient d’être recon­nu comme un régu­la­teur phy­sio­lo­gique essen­tiel de la cir­cu­la­tion san­guine, d’où le prix Nobel de méde­cine. C’est l’in­ter­mé­diaire actif de la tri­ni­trine qui n’est que de la très vul­gaire nitro­gly­cé­rine (Nobel retour­nant à Nobel). Or le radi­cal NO° est for­mé en per­ma­nence dans l’or­ga­nisme par un groupe d’en­zymes : les NO-syn­thases, enzymes oxy­dants puis­sants puis­qu’ils réa­lisent pré­ci­sé­ment la for­ma­tion de NO à par­tir d’a­mi­noa­cides. La NO-syn­thase endo­thé­liale nous inté­resse beau­coup en toxi­co­lo­gie pul­mo­naire, le pou­mon étant un réseau consi­dé­rable de capil­laires. Capil­laires et cel­lules alvéo­laires forment ensemble de très fins sachets de deux couches très minces pro­ve­nant de cel­lules apla­ties, à tra­vers les­quelles les gaz dif­fusent très rapi­de­ment vers le sang et du sang vers l’air exté­rieur puisque nous reje­tons du gaz car­bo­nique, par­ti­ci­pant ain­si acti­ve­ment au très célèbre effet de serre.

Les macro­phages, pre­mières cel­lules de défense situées dans les alvéoles, de leur côté, fabriquent en per­ma­nence NO, en équi­libre avec NO2 pour tuer cer­tains étran­gers indé­si­rables. Com­ment alors faire jouer un rôle néfaste à cette molé­cule phy­sio­lo­gique ? Nous sommes en pré­sence d’une toxi­ci­té impossible.

D’ailleurs, n’a-t-on pas réa­li­sé des trai­te­ments par NO de nou­veau-nés asphyxiques avec des concen­tra­tions effi­caces de 5 à 20 ppm et avec des résul­tats consi­dé­rés comme favorables.

Un peu tour de passe-passe, NO sorti du chapeau. Mais le NO2, infiltré et fabriqué ?

Pro­fes­seur Four­nier : Dans l’or­ga­nisme NO s’oxyde très rapi­de­ment en NO2 en pré­sence d’oxy­gène. Com­ment régler ce pro­blème d’un orga­nisme qui « toxi­fie » NO ? C’é­tait encore prévu.

Il existe dans l’or­ga­nisme un équi­libre très affi­né entre l’oxy­da­tion de NO par l’oxy­gène et la réduc­tion du NO2 circulant.

Celle-ci dépend d’une enzyme hépa­tique, le NO2-réduc­tase, qui uti­lise le glu­ta­thion réduit, tri­pep­tide sou­fré (R‑SH), ubi­qui­taire dans les cel­lules humaines. Il existe aus­si quan­ti­té de pro­duits bio­lo­giques (acide ascor­bique, vita­mine E…) qui réduisent NO2. On les appelle les anti­oxy­dants – gros suc­cès de dié­té­tique. Nous arri­vons à la conclu­sion qu’il suf­fi­ra de nous en tenir aux effets de sur­face cel­lu­laire du NO2 pour juger de la dan­ge­ro­si­té des NOx pour les concen­tra­tions mesu­rées dans l’air extérieur.

Pas de risques de cancers ?

Pro­fes­seur Four­nier : Pas davan­tage. Pour ini­tier un can­cer, il faut au moins inter­ve­nir dans la cel­lule, dans le noyau, à l’in­té­rieur et non en sur­face. Il s’a­git bien d’un seuil abso­lu. Aucun risque, sauf à ima­gi­ner des cel­lules qui se can­cé­ri­se­raient par le NO, qu’elles sécrètent !

Vous nous avez pourtant dit qu’on tuait assez facilement un humain avec des concentrations somme toute modestes de NO2, quelques dizaines de ppm… Alors où placer votre optimisme ?

Pro­fes­seur Four­nier : En accep­tant hum­ble­ment les don­nées de la phy­sio­lo­gie et de la méde­cine, comme tou­jours. Voyons les effets expé­ri­men­taux de concen­tra­tions crois­santes de NO2 entre 100 et 20 000 ppb (20 ppm). L’at­teinte cel­lu­laire ini­tiale débute vers 200 à 300 ppb et se mani­feste pro­gres­si­ve­ment sur trois zones :

a) la cou­ver­ture, le velours ciliaire englué dans le gly­co­ca­lyx, une gelée de pro­tec­tion ; il s’a­git d’une zone régé­né­rée en permanence ;
b) les mem­branes cel­lu­laires péri­phé­riques en général ;
c) les ter­mi­nai­sons des fibres ner­veuses non pro­té­gées par la myé­line (répon­dant au signal chi­mique irri­ta­tif avec toux, réac­tions vas­cu­laires et bronchiolaires).

S’il faut une concentration élevée pour déterminer la toux et les signes cliniques, ceux-ci ne sont pas des paramètres sensibles.

Pro­fes­seur Four­nier : Assez sen­sibles pour nous pro­té­ger, pas assez pour défi­nir une régle­men­ta­tion de pro­tec­tion qui ne doit accep­ter qu’un effet nul. Pour cer­tains théo­ri­ciens, il ne peut y avoir de risque nul. C’est une théo­rie gra­tuite. Pour un méde­cin, comme nous le consta­tons, pour NO2, un effet nul comme réponse de courte durée en des­sous de 100–150 ppb, nous tra­dui­sons un risque nul ; nous res­tons à un niveau de lan­gage aisé­ment compréhensible.

Même pour les enfants asthmatiques ?

Pro­fes­seur Four­nier : Je vous atten­dais là, à pro­pos des sujets plus sen­sibles que les autres. Pour les concen­tra­tions à effet nul, les consi­dé­ra­tions sont les mêmes pour tous. À la concen­tra­tion 300 à 500 ppb, le NO2 pénètre plus pro­fon­dé­ment. Il atteint des ter­mi­nai­sons sen­si­tives, sources de réflexes vaso­mo­teurs, en par­ti­cu­lier dans le nez (sen­sa­tion de nez bou­ché par dis­ten­sion du tis­su érec­tile) et dans le pou­mon (en pro­vo­quant une bron­cho­stric­tion par réac­tion de la mus­cu­la­ture lisse des bronches).

Toutes ces réac­tions sont phy­sio­lo­giques, contrô­lées et réver­sibles, conformes aux sys­tèmes de régu­la­tion et de défense de l’or­ga­nisme entier. Que vous soyez asth­ma­tique ou non, il est désa­gréable d’a­voir le nez bou­ché et les bronches ser­rées. Cer­tains asth­ma­tiques réagissent for­te­ment aux sti­mu­la­tions les plus variées, en par­ti­cu­lier aux irri­tants. On parle d’hy­per­réac­ti­vi­té bronchique.

La mala­die com­mence quand le sys­tème phy­sio­lo­gique, trop sol­li­ci­té « aban­donne ou se bloque ».

C’est le cas des enfants atteints de bron­chites chro­niques et d’asthmes sévères. Et je suis d’ac­cord pour sup­pri­mer abso­lu­ment les pics de pol­lu­tion attei­gnant 300 à 500 ppb de NO2. Ces pics, poten­tiel­le­ment nocifs, sur­viennent quelques jours par an en France, les mau­vaises années. Je ne parle que des pics poten­tiel­le­ment nocifs et non des varia­tions plus ou moins poin­tues res­tant infé­rieures aux taux actifs.

Mais, il y a davantage d’asthme chez les enfants.

Pro­fes­seur Four­nier : Et moins de pol­lu­tion de l’air exté­rieur, ce qui est au moins para­doxal si celle-ci était la cause domi­nante de l’asthme. Un esprit ordi­naire cher­che­rait ailleurs (ali­men­ta­tion néo­na­tale, conta­mi­nants aller­gènes des habi­ta­tions, para­sites per­ma­nents, tech­niques culi­naires) les causes du phé­no­mène obser­vé. Ceci dit, les expé­ri­men­ta­teurs aller­go­logues savent depuis cin­quante ans que pour créer une aller­gie, il est utile et par­fois néces­saire, si l’al­ler­gène est peu puis­sant, d’employer ce que nous appe­lons des adju­vants : irri­tants intenses, éro­sion de la peau.

En outre l’in­ten­si­té des réponses et le nombre de répon­deurs dépendent du pro­duit tes­té et de diverses com­po­santes géné­tiques. La réac­tion d’ir­ri­ta­tion mobi­lise des cel­lules dites sen­ti­nelles pour appe­ler à l’en­droit du test les cel­lules de l’im­mu­ni­té. À par­tir de 300–500 ppb, NO2 devrait favo­ri­ser la for­ma­tion de réponses aller­giques et les méde­cins du tra­vail auraient dû consta­ter le fait très aisé­ment chez les ouvriers expo­sés à des taux de NO2 égaux ou supérieurs.

Dans les régle­men­ta­tions des années 70, les taux jugés tolé­rables et recom­man­dés comme maxi­ma accep­tables au poste de tra­vail, 8h/jour, étaient égaux ou peu infé­rieurs à 3 ppm, taux mani­fes­te­ment éle­vé, trop éle­vé de nos jours où la tolé­rance sociale s’est for­te­ment et jus­te­ment réduite, mais dif­fi­ci­le­ment contrô­lé dans les sec­teurs à émis­sions puis­santes (sou­dure à l’arc, com­bus­tions et hautes tem­pé­ra­tures). Or les publi­ca­tions médi­cales res­tent ras­su­rantes sur ce point…

Le taux de NO2 dans l’air des villes se situe habi­tuel­le­ment entre 50 à 100 ppb. Les plus sérieuses études fran­çaises montrent un léger effet aggra­vant sur les asthmes de l’en­fant des taux de pol­lu­tion les plus éle­vés consta­tés à Paris quelques jours par an. Encore fau­drait-il ne pas ren­voyer l’en­fant chez lui si sa mère cui­sine au gaz. Il risque d’y trou­ver 1 000 ppb de NO2 ! Et ne pas faire cir­cu­ler le très rare cycliste pari­sien der­rière les bus dont les pots d’é­chap­pe­ment lui crachent au nez NO et NO2, à moins qu’il s’a­gisse de volon­taires pour des expé­riences extrêmes. Il eût été si simple de rame­ner les gaz en haut du véhicule.

Les NOx sont surtout accusés de participer à la formation d’ozone, qui serait un adjuvant des allergies pulmonaires.

Pro­fes­seur Four­nier : Les réac­tions sont trop com­plexes pour être expo­sées en deux phrases. O3 est un irri­tant pour des taux voi­sins de ceux actifs avec NO2. Sim­pli­fiant à l’ex­trême, je vous indique seule­ment une réac­tion domi­nante NO3 + O3- —> NO3- + O2, en notant le fait que ces deux pol­luants ne sont pas indé­pen­dants, se forment l’un l’autre et réagissent l’un sur l’autre.

Glo­ba­le­ment, l’air des villes peu pol­luées, comme Paris, s’au­to-épure avec for­ma­tion d’un « puits » d’o­zone. La demi-vie « glo­bale » des oxydes d’a­zote est de quelques jours, l’é­vo­lu­tion finale se fai­sant par oxy­da­tion en un acide nitrique faci­le­ment neu­tra­li­sé en nitrates. Le pas­sage aux nitrates, bien qu’il s’a­gisse d’une « sur­oxy­da­tion », sup­prime tout dan­ger pour l’homme.

L’o­zone c’est d’a­bord la réac­tion de l’at­mo­sphère au rayon­ne­ment solaire. Le cou­pable est le Soleil : pho­toac­ti­va­tion, pho­to­lyse. Et le Soleil n’est pas encore un objet d’ex­pé­ri­men­ta­tion à notre por­tée. De jour se forment des radi­caux – NO°, O° par exemple -, et l’hu­main dis­pose d’un bon équi­pe­ment anti­oxy­dant. De nuit se forment les nitrates, un peu par­tout, dans les villes, dans les champs, les forêts, partout.

Reve­nons-en à NO2.

La Com­mis­sion euro­péenne l’a clas­sé « toxique et irri­tant pour les yeux et les voies res­pi­ra­toires », ce qui est par­fai­te­ment jus­ti­fié pour les taux égaux et supé­rieurs à 5–20 ppm.

L’exer­cice phy­sique entraîne une aug­men­ta­tion de la ven­ti­la­tion, faci­lite une plus grande péné­tra­tion alvéo­laire des NOx. Ce sont des évi­dences qui n’ont pas inter­dit la construc­tion de grands stades sur sites urbains.

Cependant, on nous met en garde contre des concentrations faibles.

Pro­fes­seur Four­nier : Il fau­drait évi­ter les pro­cla­ma­tions affo­lantes men­tion­nant des mil­liers de morts pré­ma­tu­rées même si elles donnent quelque piment à l’ac­tua­li­té. Une secousse de toux est rare­ment mortelle.

En « digi­ta­li­sant » la méde­cine, toute mala­die devient chiffre codé, méde­cine à nom­breuses incon­nues qui n’a plus besoin que d’une secré­taire et d’un micro-ordi­na­teur pour pré­sen­ter au monde ébloui la loi, le décret ou le règle­ment dit de san­té publique…

Les déci­deurs fran­çais et, regret­tons-le, euro­péens dans leur majo­ri­té, ont fait mieux. Ils ont éten­du en sys­tème ce qu’ils appellent l’ex­tra­po­la­tion linéaire et la règle de trois est deve­nue toute la méde­cine. Le pro­cé­dé, assez simple, est le suivant :

Pour NO2, nous par­tons d’une concen­tra­tion qui pro­voque cer­tai­ne­ment des ano­ma­lies res­pi­ra­toires dans toute la popu­la­tion, par exemple 6 ppm. À 6 ppm (6 000 ppb) toute la popu­la­tion ou presque sera très pro­ba­ble­ment for­te­ment irri­tée et tous­se­ra. Les toxi­co­logues consul­tés répondent scien­ti­fi­que­ment et affir­ma­ti­ve­ment : 6 ppm font tous­ser. Donc 6 ppm en France = 60 mil­lions de malades. Fai­sons une extra­po­la­tion linéaire : si 6 ppm donnent 60 mil­lions de malades, 0,6 ppm (600 ppb) don­ne­ront 6 mil­lions de malades. Exact ! Et 60 ppb = 600 000. Les cal­cu­la­teurs diront qu’un ppb fait tous­ser au moins une fois 10 000 enfants. 10 000 enfants qui toussent, c’est à insé­rer dans les journaux.

Alors, ne rien faire ?

Pro­fes­seur Four­nier : Certes non ! D’a­bord nous aspi­rons tous à un envi­ron­ne­ment aus­si pur que pos­sible, même si l’ob­jec­tif n’a qu’un sens esthé­tique. Les toxi­co­logues méde­cins sou­haitent aus­si une col­la­bo­ra­tion orga­nique avec les ingé­nieurs pro­fes­sion­nel­le­ment inté­res­sés par l’en­vi­ron­ne­ment, en par­ti­cu­lier avec ceux qui s’ef­forcent de sup­pri­mer les pro­duits d’é­chap­pe­ment auto­mo­bile, et avec les déci­deurs des mesures à prendre pour réduire les nui­sances, en sépa­rant net­te­ment les mesures à prendre des pro­po­si­tions de confort.

Ose­rais-je men­tion­ner en paral­lèle de véri­tables causes d’in­toxi­ca­tion res­pi­ra­toire ? Le taba­gisme apporte dans le monde entier une expé­rience irrem­pla­çable de volon­taires payant pour pra­ti­quer pen­dant des années l’in­ha­la­tion d’un air extrê­me­ment pol­lué. Ines­pé­ré pour un toxicologue.

En admet­tant qu’un fumeur inhale la fumée d’une ciga­rette en cinq à dix minutes, on peut admettre qu’il inhale en même temps envi­ron 100 litres d’air, soit très approxi­ma­ti­ve­ment, en pre­nant en consi­dé­ra­tion les pol­luants nor­maux de la fumée de ciga­rette et leur dilu­tion « très gros­siè­re­ment cal­cu­lée » dans l’air inhalé :

NOx : (0,1 – 0,6 mg) –> 1–6 ppm ; voi­là nos NO-NO2,
Acide acé­tique : (0,1 – 1 mg) –> 1 – 4 ppm,
Acide cyan­hy­drique : (0,5 mg) –> 4 ppm,
Ben­zo (a) pyrène : (20−40 ng) –> 200–400 ng/m3,
Par­ti­cules fines (15−40 mg) –> 150 400 mg/m3.

Ceci donne une idée des atmo­sphères très pol­luées, appa­rem­ment bien tolé­rées après une « période d’ap­pren­tis­sage » et cepen­dant toxiques à terme.

Cette intoxi­ca­tion est bien plus pré­oc­cu­pante que la pol­lu­tion de l’air des villes par NO2. C’est un vrai pro­blème de san­té publique. Peut-être fau­drait-il conseiller aux parents de jeunes asth­ma­tiques de s’abs­te­nir de fumer ?

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