THULÉ

Dossier : Arts, Lettres et SciencesMagazine N°653 Mars 2010Par : Gilles COSSON (57)Rédacteur : Erik EGNELL (57)

Thu­lé ! Voi­là un nom qui parle à l’imagination : Ulti­ma Thule… – Il était un roi de Thu­lé… – Avant même d’ouvrir le livre, le lec­teur, par la seule magie du mot, est pris du désir de terres loin­taines et du fris­son de l’aventure.

Il n’est pas déçu. Le voi­là pro­je­té, dès les pre­mières pages, dans le désert gla­cé de la loin­taine Islande, où règnent le lichen et la neige, où une mer hos­tile bat le flanc des falaises grises, où se dressent les vol­cans sombres et mena­çants, où rôde le vent por­teur de cata­clysmes…, une terre ingrate, et pour­tant immen­sé­ment aimée par ses habi­tants, qui furent ses décou­vreurs, les Vikings – et aus­si une terre riche de mines convoi­tées par les puis­sances du Sud : par­mi celles-ci, Venise, la Séré­nissime, l’opulente cite com­mer­çante dont l’empire est alors à son zénith, mais qui déjà se heurte à la pous­sée irré­sis­tible des Turcs et se cherche ailleurs des res­sources de remplacement.

Couverture du livre : ThuléLe Nord et le Sud vont se retrou­ver dans le héros de cette saga, Hjal­mar – un nom qui est allé droit au cœur de l’auteur de ces lignes, car c’était celui de son père, lui-même fier de ses ascen­dances vikings – Hjal­mar, qui pour­rait dire, s’il était Vic­tor Hugo : « Mon père vieux Viking, ma mère Véni­tienne. » Cette mère, qui a sui­vi son mari dans ce monde boréal, en est bien vite repar­tie, après avoir don­né le jour à un fils. C’est ce fils main­te­nant qui s’élance, sur un drak­kar fou­gueux, à sa recherche…

Dans Venise la Rouge, comme dirait Mus­set, l’attend la même sur­prise amou­reuse, que jadis, dans Munich la Blonde, connut le jeune Fran­çois-Joseph : je laisse au lec­teur le plai­sir de décou­vrir qui est la Sis­si du jeune Hjalmar.

La fourberie des hommes

Mais place à la poli­tique : voi­là notre héros bien­tôt plon­gé dans un jeu tri­po­laire entre Thu­lé, Venise et Constan­ti­nople. C’est le monde de Fer­nand Brau­del qui s’ouvre à lui. Les mul­tiples ren­contres, les com­plots qui s’ourdissent, les péri­pé­ties qui se suc­cèdent tiennent le héros et le lec­teur en haleine…

Avant de quit­ter la ville de la Lagune pour la Sublime Porte, Hjal­mar est confron­té aux intrigues de ses patri­ciens et à leurs pièges, ce qui lui ins­pire ces peu amènes réflexions : « Tra­ver­ser des rivières en crue ou sur­vivre à des érup­tions n’était rien face à la four­be­rie des hommes. Ô Dieu, pro­té­gez-moi de leur féro­ci­té ! ne me ren­dez pas sem­blable à eux ! »

Une férocité primitive

Mais ce n’est rien à côté de ce qui attend le héros sur les rives du Bos­phore. Gilles, en dis­tin­gué agnos­tique qu’il est, a tou­jours vu dans l’islam la plus inquié­tante des reli­gions. Aus­si se sent-il de plain-pied avec les habi­tants de Constan­ti­nople, désor­mais sou­mis à cet impi­toyable joug. Voi­ci ce qu’il met dans la bouche de son héros : « La révé­la­tion dont ils [les musul­mans] se récla­maient ne lais­sait aucune place à la dis­cus­sion, ils étaient ivres d’une féro­ci­té pri­mi­tive, celle qui se contente d’écraser l’ennemi sans le moindre res­pect pour ses tra­di­tions et, à vrai dire, ils ne s’y inté­res­saient même pas… »

Et pour­tant, dans ce monde tota­li­taire, qui n’est pas sans ins­pi­rer à notre héros de l’admiration pour son effi­ca­ci­té tan­dis que le sul­tan Süley­man – Soli­man le Magni­fique – réflé­chit à l’alliance pro­po­sée par Fran­çois Ier (l’auteur situe le périple du jeune ambas­sa­deur de Thu­lé dans un cadre d’une rigueur his­to­rique exem­plaire), Hjal­mar, contre toute attente, va retrou­ver sa mère et orga­ni­ser leur fuite à tous deux.

Ne renonce jamais

Quand le Grand Vizir pro­pose à Hjal­mar de se conver­tir à l’islam, condi­tion d’accès aux fonc­tions offi­cielles de l’Empire, la mère donne au fils une leçon de rela­ti­visme reli­gieux. Mais notre héros res­te­ra fidèle à la foi de ses pères, tout en se sen­tant mûr pour l’arrivée de la Réforme à Thulé.

C’est un autre ensei­gne­ment qu’il retien­dra de cette mère si chè­re­ment recher­chée, si vite reperdue :
« Sou­viens-toi qu’un homme ne doit jamais capi­tu­ler devant l’adversité, que les expé­riences les plus cruelles sont là pour le ren­for­cer jusqu’au jour où, son heure venue, il aura le droit de s’abandonner. Mais aupa­ra­vant, ne renonce jamais… »

Hélas, il fau­dra à nou­veau que le jour recom­mence et que le jour finisse sans que jamais Hjal­mar puisse revoir Béré­nice ! Et l’absence sera cette fois définitive.

Il retrou­ve­ra Lae­ti­tia (Sis­si), une ren­contre brève et bru­ta­le­ment close, une de plus, comme si la malé­dic­tion s’attachait à ses rap­ports avec les femmes.

Le temps de conseiller les ministres de Fran­çois Ier qui négo­cient l’alliance turque, et il rega­gne­ra Thulé.

J’ai beau­coup aimé la fin, une fin mar­quée par le drame, mais aus­si la vision et la séré­ni­té. Hjal­mar aura accom­pli son « Grand Tour », comme diront les Anglais au Siècle des lumières, et revien­dra, selon les mots de son contem­po­rain Du Bel­lay, « … plein d’usage et rai­son, Vivre entre ses parents le reste de son âge ! »

L’éducation d’un jeune homme par la vie, voi­là ce que nous raconte Gilles Cos­son dans Thu­lé. Cha­cun de nous, en sui­vant ce des­tin extra­or­di­naire, sent remon­ter du fond de sa jeu­nesse un désir d’aventures inas­sou­vi. Mais aurions-nous eu le cou­rage et la constance d’Hjalmar ?

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