Cancers de la thyroïde chez des enfants de moins de 17 ans après Tchernobyl

Tchernobyl : quelles conséquenses sanitaires ?

Dossier : Le dossier nucléaireMagazine N°569 Novembre 2001
Par André AURENGO (67)

Que savons-nous des conséquences des irradiations ?

Quelques ordres de grandeur

Que savons-nous des conséquences des irradiations ?

Quelques ordres de grandeur

Nous sommes en per­ma­nence sou­mis à une irra­dia­tion pro­ve­nant des radio­élé­ments pré­sents dans notre orga­nisme (8 000 Bq envi­ron), des rayons cos­miques ou des élé­ments radio­ac­tifs pro­ve­nant du sol, en par­ti­cu­lier le radon. En France, il en résulte une » irra­dia­tion natu­relle » variant de 2,5 mSv par an à Paris, à 5 mSv/an en Bre­tagne ou dans le Mas­sif cen­tral. Cette irra­dia­tion dépasse 20 mSv/an dans cer­taines régions du monde. À cette irra­dia­tion natu­relle s’a­joutent l’ir­ra­dia­tion médi­cale très inéga­le­ment répar­tie (en moyenne 1 mSv/an) et celle liée aux acti­vi­tés indus­trielles (envi­ron 10 µSv/an). Une radio­gra­phie tho­ra­cique entraîne une irra­dia­tion d’en­vi­ron 0,5 mSv, une semaine à 1 500 m d’al­ti­tude 0,01 mSv et un voyage Paris-New York 0,03 mSv. La régle­men­ta­tion euro­péenne limite à 1 mSv/an l’ir­ra­dia­tion du public résul­tant d’ac­ti­vi­tés humaines non médi­cales, et à 100 mSv/5 ans l’ir­ra­dia­tion des per­sonnes pro­fes­sion­nel­le­ment exposées.

Des effets connus mais difficilement quantifiables

Les rayon­ne­ments ioni­sants entraînent des effets déter­mi­nistes et stochastiques.

Les effets déter­mi­nistes, obser­vables au-delà de 700 mSv, se pro­duisent tou­jours pour une dose don­née et leur gra­vi­té croît avec la dose, jus­qu’à des doses mortelles.

Les effets sto­chas­tiques, can­cers radio-induits et mal­for­ma­tions congé­ni­tales, se pro­duisent au hasard, avec une pro­ba­bi­li­té crois­sante avec la dose. Les can­cers radio-induits n’ont été mis en évi­dence que pour des doses supé­rieures à 100 mSv chez l’a­dulte et 50 à 100 mSv chez l’en­fant. L’exis­tence d’un seuil au-des­sous duquel aucun effet ne serait à craindre et la forme de la rela­tion entre la dose et la pro­ba­bi­li­té de can­cer radio-induit (linéaire ? linéaire qua­dra­tique ?) sont l’ob­jet de contro­verses cen­trées sur les risques éven­tuels des » faibles doses « , par défi­ni­tion infé­rieures à 200 mSv.

Le risque cancérigène

Nos connais­sances sur la nature et l’es­ti­ma­tion des risques can­cé­ri­gènes des rayon­ne­ments ioni­sants sont lar­ge­ment fon­dées sur la sur­veillance de 120 321 sur­vi­vants d’Hi­ro­shi­ma et Naga­sa­ki qui ont été sou­mis à une irra­dia­tion impor­tante (5 mSv à 3 Sv ; moyenne 200 mSv) à fort débit de dose (1 Sv.s-1).

Leur sui­vi a mon­tré une pro­ba­bi­li­té de déve­lop­per un can­cer qui aug­mente avec la dose, de manière approxi­ma­ti­ve­ment linéaire pour les tumeurs solides (entre 200 mSv et 3 Sv) et linéaire-qua­dra­tique pour les leu­cé­mies. L’ex­cès de décès par can­cer est éva­lué à 334 par tumeur solide et 87 par leu­cé­mie. La CIPR a uti­li­sé ces don­nées pour éta­blir les règles de la radio­pro­tec­tion fon­dées, par pru­dence et par sim­pli­ci­té, sur une rela­tion linéaire sans seuil.

Ce modèle sim­pliste a une jus­ti­fi­ca­tion régle­men­taire, mais il ne peut pas être uti­li­sé pour cal­cu­ler la pro­ba­bi­li­té de sur­ve­nue d’un can­cer pour de faibles doses ou débits de dose. L’u­ti­li­sa­tion abu­sive de cette rela­tion comme si elle avait une vali­di­té scien­ti­fique uni­ver­selle est à la source de sur­es­ti­ma­tions gros­sières des risques des rayon­ne­ments ioni­sants à faibles et très faibles doses et débits de dose.

Les cancers thyroïdiens

Les can­cers thy­roï­diens radio-induits résultent d’une irra­dia­tion externe ou d’une conta­mi­na­tion par des iso­topes radio­ac­tifs de l’iode acti­ve­ment cap­té par la thy­roïde qui reçoit une dose 200 fois plus éle­vée que les autres organes. À conta­mi­na­tion égale, la dose à la thy­roïde d’en­fants est plus éle­vée que pour l’a­dulte et in ute­ro le fœtus est sen­sible à une conta­mi­na­tion à par­tir du troi­sième mois de la grossesse.

Chez le jeune enfant et le fœtus, des can­cers thy­roï­diens radio-induits ont été obser­vés à par­tir de 100 mSv admi­nis­trés à débit de dose éle­vé. L’es­ti­ma­tion du risque repose sur les irra­diés d’Hi­ro­shi­ma et Naga­sa­ki et sur le sui­vi d’en­fants ayant eu une radiothérapie.

Il s’a­git là de doses et débits de dose éle­vés et ces don­nées ne sont pro­ba­ble­ment pas géné­ra­li­sables. À dose égale, le risque rela­tif serait 2 à 10 fois plus faible pour une irra­dia­tion par l’iode 131 dont le débit de dose est beau­coup plus faible. Les iodes radio­ac­tifs à vie courte comme 132I, qui pour une même dose ont un débit de dose très supé­rieur à 131I, ont pu jouer un rôle impor­tant dans la sur­ve­nue des can­cers thy­roï­diens en ex-URSS. Le risque rela­tif dimi­nue avec l’âge et n’est plus signi­fi­ca­tif après 20 ans.

La thy­roïde de l’a­dulte est très peu sen­sible aux rayon­ne­ments et ne déve­loppe pra­ti­que­ment pas de can­cer radio-induit.

L’in­no­cui­té des scin­ti­gra­phies thy­roï­diennes à l’iode 131 avec une dose moyenne de 1,1 Gy à la thy­roïde a été éta­blie sur 34 000 adultes.

Pour les enfants, des études ont mon­tré l’ab­sence de can­cer radio-induit après une scin­ti­gra­phie, mais elles ne por­taient que sur envi­ron 500 enfants.

Il faut sou­li­gner que la dose reçue par les dif­fé­rents organes (qui dans le cas de l’ac­ci­dent de Tcher­no­byl est déjà très mal connue) n’est qu’un des para­mètres per­met­tant d’es­ti­mer les risques de can­cer radio-induit.

D’autres fac­teurs impor­tants sont le débit de dose, la nature du rayon­ne­ment, l’ho­mo­gé­néi­té de l’ir­ra­dia­tion ain­si que l’âge, le sexe, et d’é­ven­tuels fac­teurs de pré­dis­po­si­tion génétique.

L’analyse du cas de Tchernobyl cumule les difficultés

Les consé­quences sani­taires peuvent être cal­cu­lées à par­tir des éva­lua­tions de la conta­mi­na­tion, de la dose reçue et du risque, toutes trois très approxi­ma­tives ; ou bien elles peuvent être éva­luées » sur le ter­rain » soit au moyen d’en­quêtes épi­dé­mio­lo­giques soit à par­tir de registres.

Dans le cas d’un simple cal­cul, des esti­ma­tions très éle­vées sont obte­nues si les risques sont abu­si­ve­ment modé­li­sés par une rela­tion linéaire sans seuil car les faibles doses sont affec­tées de risques faibles mais mul­ti­pliés par des effec­tifs consi­dé­rables. Ce genre de cal­cul équi­vaut à consi­dé­rer qu’il est aus­si dan­ge­reux de faire tom­ber un grain de plomb sur un mil­lion de per­sonnes qu’une enclume sur quelques-unes.

Une contamination mal connue

L’ex­plo­sion et l’in­cen­die de la qua­trième tranche de la cen­trale de Tcher­no­byl ont libé­ré dans l’at­mo­sphère envi­ron 4 x 1018 Bq de gaz rares, 8 x 1016 Bq de césium 137 et 2 x 1018 Bq d’i­so­topes radio­ac­tifs de l’iode, de période courte (131I, T = 8 j) très courte (132I, T = 2,4 h et 133I, T = 20,8 h).

Tableau I
Doses et décès pré­coces des liqui­da­teurs les plus exposés
Dose mSv Effectif​total Nombre de morts
800 – 2 100
2 200 – 4 100
4 200 – 6 400
6 500 – 16 000
41
50
22
21
0
1
7
20
Total 134 28

Les rejets ont entraî­né une conta­mi­na­tion pré­do­mi­nant au nord-ouest de l’U­kraine, au sud de la Bié­lo­rus­sie et dans les régions fron­ta­lières de la Rus­sie. Les popu­la­tions ont été expo­sées par irra­dia­tion externe due à la proxi­mi­té de sources radio­ac­tives, ou par conta­mi­na­tion interne (consom­ma­tion d’a­li­ments conta­mi­nés ou inha­la­tion de par­ti­cules radioactives).

En rai­son de l’ins­ta­bi­li­té des vents et des pré­ci­pi­ta­tions, la géo­gra­phie de la conta­mi­na­tion est com­plexe et n’a pu être éta­blie avec une rela­tive pré­ci­sion que pour le césium 137 dont la période de trente ans a per­mis des mesures bien après l’accident.

Les cartes de la conta­mi­na­tion par l’iode 131 qui en ont été déduites sont très approximatives.

Les enquêtes épidémiologiques peuvent être trompeuses

Pour détec­ter une aug­men­ta­tion du risque de can­cer, les enquêtes épi­dé­mio­lo­giques doivent avoir une puis­sance suf­fi­sante qui dépend de l’ef­fec­tif étu­dié et de la durée de l’é­tude (per­sonnes x années) ain­si que de la fré­quence spon­ta­née de la patho­lo­gie consi­dé­rée. Une enquête épi­dé­mio­lo­gique néga­tive per­met seule­ment de conclure que le risque est infé­rieur à un seuil don­né, mais jamais qu’il est nul.

Inver­se­ment, les tests sta­tis­tiques étant faits au seuil 5 %, une étude sur 20 en moyenne est posi­tive par simple hasard. Les résul­tats des enquêtes épi­dé­mio­lo­giques doivent donc être inter­pré­tés avec pru­dence, à la lumière des connais­sances géné­rales en radio­pa­tho­lo­gie et en confron­tant les résul­tats de plu­sieurs enquêtes. Ces dif­fi­cul­tés, com­munes à toutes les études de risque, conduisent à reje­ter une impos­sible dis­tinc­tion entre risque non nul et nul, et à par­ler de risque signi­fi­ca­tif ou non en termes de san­té publique.

Les registres pour bien faire

Les registres des can­cers sont théo­ri­que­ment la manière la plus solide d’es­ti­mer les consé­quences de l’ac­ci­dent. Dans les pays de l’ex-URSS existent de nom­breux registres de fia­bi­li­té incer­taine, dont un registre de sur­veillance géné­rale (659 292 per­sonnes sui­vies depuis 1986), des registres spé­cia­li­sés (hémo­pa­thies malignes, can­cers thy­roï­diens) et des registres des liqui­da­teurs militaires.

En France, on dis­pose de 13 registres des can­cers » géné­raux « , et du registre spé­cia­li­sé de Cham­pagne-Ardenne des can­cers thy­roï­diens. Ces registres couvrent envi­ron 15 % de la popu­la­tion fran­çaise. Pour l’en­fant, un registre natio­nal des leu­cé­mies existe depuis 1995 et un registre natio­nal des tumeurs solides a été créé récemment.

En Ukraine, Biélorussie et Russie : une catastrophe peut en cacher une autre

Pour les habi­tants de l’ex-URSS, on doit distinguer :

  • les 600 000 » liqui­da­teurs » de Tcher­no­byl qui ont tra­vaillé sur les lieux de l’ac­ci­dent, et ont subi essen­tiel­le­ment une irra­dia­tion externe (moyenne 100 mSv ; maxi­mum 10 Sv) ;
  • les per­sonnes éva­cuées (116 000 puis 220 000), qui ont subi une irra­dia­tion externe (moyenne 20 mSv ; maxi­mum 380 mSv) et une conta­mi­na­tion interne (moyenne 10 mSv ; thy­roïde 500 mGy), la conta­mi­na­tion des enfants par l’iode radio­ac­tif étant par­ti­cu­liè­re­ment grave ;
  • les 7 mil­lions de per­sonnes rési­dant encore dans des ter­ri­toires conta­mi­nés par le 137Cs. Elles sont actuel­le­ment sou­mises à une irra­dia­tion externe très variable selon la conta­mi­na­tion des sols (1 à 40 mSv par an). Leur conta­mi­na­tion interne peut être impor­tante si elles consomment des ali­ments contaminés.

Les conséquences immédiates

L’ac­ci­dent a fait trois morts par trau­ma­tismes. Les inter­ven­tions en urgence ont entraî­né l’ir­ra­dia­tion d’en­vi­ron 600 per­sonnes ; 134 ont pré­sen­té un syn­drome d’ir­ra­dia­tion aiguë ; 28 morts sont sur­ve­nues dans les groupes les plus expo­sés (tableau I).

Les cancers thyroïdiens de l’enfant

Compte tenu de l’ab­sence de don­nées fiables concer­nant la conta­mi­na­tion, l’ir­ra­dia­tion thy­roï­dienne est contro­ver­sée : 17 000 enfants auraient reçu une dose à la thy­roïde de plus de 1 Sv, 6 000 enfants plus de 2 Sv et 500 enfants plus de 10 Sv.

On sait que la pré­ven­tion des consé­quences d’une conta­mi­na­tion acci­den­telle par l’iode radio­ac­tif repose sur le confi­ne­ment des popu­la­tions, la prise pré­coce (dans les trois heures) d’iode stable qui empêche l’en­trée de l’iode radio­ac­tif dans la thy­roïde, la non-consom­ma­tion d’eau, de lait et d’a­li­ments conta­mi­nés et l’é­va­cua­tion des zones conta­mi­nées. Or, l’é­va­cua­tion a été tar­dive et aucune mesure de confi­ne­ment des popu­la­tions dans les habi­ta­tions ne semble avoir été prise. La dis­tri­bu­tion d’iode stable n’a été effec­tuée en moyenne qu’a­vec un délai de qua­torze heures en Ukraine et trois à six jours en Bié­lo­rus­sie, elle a été par­tielle et cer­taines villes comme Gomel n’ont jamais été approvisionnées.

L’aug­men­ta­tion consi­dé­rable du nombre de can­cers thy­roï­diens chez les enfants de moins de 15 ans ou in ute­ro lors de l’ac­ci­dent a été évi­dente dès 1990 (figure I).

Actuel­le­ment, près de 2 000 cas de can­cer ont été dénom­brés par­mi ces enfants. Ce sont des can­cers papil­laires, forme la moins grave du can­cer thy­roï­dien, mais plus sévères que les can­cers spon­ta­nés. Ils s’ac­com­pagnent de méta­stases gan­glion­naires cer­vi­cales sans gra­vi­té dans 90 % des cas, et de méta­stases pul­mo­naires beau­coup plus graves dans 30 % des cas. Des muta­tions par­ti­cu­lières du gène RET, impli­qué dans la can­cé­ro­ge­nèse thy­roï­dienne, sont retrou­vées beau­coup plus sou­vent dans ces can­cers radio-induits que dans les can­cers spontanés.

Un trai­te­ment pré­coce et adap­té per­met dans tous les cas une sur­vie nor­male pen­dant plu­sieurs dizaines d’an­nées et, en l’ab­sence de méta­stases pul­mo­naires, un taux de gué­ri­son d’en­vi­ron 95 %. Après des débuts dif­fi­ciles, où l’aide inter­na­tio­nale a été essen­tielle, ces can­cers sont assez bien pris en charge, les prin­ci­pales carences étant l’in­suf­fi­sance du dépis­tage et, dans cer­tains cas, la médio­cri­té du trai­te­ment chi­rur­gi­cal. Dix enfants seraient morts avant 1995 d’un can­cer thy­roï­dien (chiffres offi­cieux dif­fi­ci­le­ment véri­fiables), ce qui ne peut résul­ter que d’une prise en charge insuf­fi­sante. À titre de com­pa­rai­son, sur 39 enfants fran­çais sui­vis à la Pitié pen­dant une moyenne de treize ans (6 mois à 33 ans) pour can­cer papil­laire spon­ta­né, aucun décès lié au can­cer n’est à déplorer.

Chez des enfants ayant subi une radio­thé­ra­pie, on observe des can­cers thy­roï­diens radio-induits avec un pic d’in­ci­dence vingt-cinq à trente ans après l’ir­ra­dia­tion. L’é­vo­lu­tion des can­cers thy­roï­diens post-Tcher­no­byl semble dif­fé­rente, avec un pla­teau d’in­ci­dence déjà per­cep­tible. Il est impos­sible de pré­dire le nombre de cas à venir, mais ils risquent d’être très nom­breux. Pour soi­gner à temps les nou­veaux cas, il fau­drait un dépis­tage sys­té­ma­tique écho­gra­phique annuel chez les enfants expo­sés (envi­ron 200 000 en Bié­lo­rus­sie et 70 000 en Ukraine), ce qui est loin d’être fait. La situa­tion éco­no­mique de l’U­kraine et de la Bié­lo­rus­sie fait de la prise en charge de ces can­cers un pro­blème inso­luble sans aide occidentale.

L’in­ci­dence du can­cer thy­roï­dien chez les enfants nés après 1987 est reve­nue aux valeurs qu’elle avait avant l’accident.

Les leucémies

D’a­près les don­nées d’Hi­ro­shi­ma et Naga­sa­ki, on aurait dû obser­ver chez les liqui­da­teurs un excès de leu­cé­mies dans les six à huit ans sui­vant l’ac­ci­dent. On observe bien en Ukraine, Rus­sie et Bié­lo­rus­sie une aug­men­ta­tion du nombre de leu­cé­mies, mais aus­si pour des formes de leu­cé­mies qui ne sont jamais radio-induites ain­si que dans les zones non conta­mi­nées. Le sui­vi des liqui­da­teurs russes montre entre 1986 et 1997 six fois plus de leu­cé­mies myé­loïdes chro­niques (pos­si­ble­ment radio-induites) qu’a­vant 1986, mais éga­le­ment trois fois plus de leu­cé­mies lym­phoïdes chro­niques (jamais radio-induites). Sur 65 leu­cé­mies détec­tées en onze ans pour 1 011 833 liqui­da­teurs x années, une dizaine sont pos­si­ble­ment dues à l’irradiation.

Il a été rap­por­té un excès pos­sible d’une dizaine de leu­cé­mies chez les enfants (0−14 ans lors de l’ac­ci­dent) des zones d’U­kraine les plus conta­mi­nées, pen­dant la période 1986–1991. Les taux ulté­rieurs reviennent à la nor­male. Cet excès n’a pas été retrou­vé en Biélorussie.

En dehors de ces obser­va­tions, il n’a pas été mis en évi­dence d’ex­cès de leu­cé­mies, en par­ti­cu­lier chez les adultes éva­cués ou rési­dant en zone contaminée.

Les autres cancers

Tableau II
Can­cers thy­roï­diens dif­fé­ren­ciés de l’adulte en ex-URSS
Période Per­sonnes x années Can­cers attendus Can­cers observés
Liquidateurs 1990–1993
1994–1997
263 084
314 452
3
5
13
24
Évacués 1990–1993
1994–1997
208 805
200 077
6
7
23
43
Zones contaminées 1990–1993
1994–1997
654 501
556 631
22
19
24
48

Glo­ba­le­ment, il n’y a pas d’aug­men­ta­tion signi­fi­ca­tive du nombre des autres can­cers, mais quelques cas par­ti­cu­liers ont été rap­por­tés : excès glo­bal de can­cers chez les liqui­da­teurs russes non tra­vailleurs du nucléaire (898 can­cers obser­vés contre 847 atten­dus en huit ans pour 704 375 per­sonnes x années), excès de can­cer du sein chez les liqui­da­trices (38 cas obser­vés en 1991–1999 contre 31 atten­dus pour 5 332 femmes), et peut-être un excès de can­cer du sein chez les éva­cuées et les femmes rési­dant en ter­ri­toire conta­mi­né. Ce der­nier point est à consi­dé­rer avec pru­dence car l’ex­cès est à peine dis­cer­nable des fluc­tua­tions spon­ta­nées et, du fait de l’a­mé­lio­ra­tion du dépis­tage, l’in­ci­dence du can­cer du sein est en nette aug­men­ta­tion dans tous les pays.

L’aug­men­ta­tion éven­tuelle de l’in­ci­dence des can­cers thy­roï­diens de l’a­dulte est dif­fi­cile à étu­dier en rai­son d’un biais pos­sible de dépis­tage. Pour les liqui­da­teurs, les éva­cués et les rési­dants en ter­ri­toire conta­mi­né, l’aug­men­ta­tion du nombre des can­cers thy­roï­diens est claire (tableau II), mais la res­pon­sa­bi­li­té de la conta­mi­na­tion n’est pas évi­dente. Tout d’a­bord, le nombre de can­cers nor­ma­le­ment atten­dus est très faible vu la pré­va­lence réelle du can­cer thy­roï­dien de l’a­dulte. D’autre part, une étude de la rela­tion dose-effet chez les liqui­da­teurs montre para­doxa­le­ment que le risque rela­tif de can­cer thy­roï­dien dimi­nue quand la dose à la thy­roïde aug­mente. Enfin, pour les rési­dants, l’aug­men­ta­tion est iden­tique dans la région la plus conta­mi­née (Gomel) et la moins conta­mi­née (Vitebsk). Ces élé­ments sont en faveur d’un effet pré­pon­dé­rant du dépis­tage dans cette aug­men­ta­tion appa­rente de l’in­ci­dence du can­cer thy­roï­dien.

Les pathologies non cancéreuses

Un très grand nombre de patho­lo­gies non spé­ci­fiques (asthé­nie, ané­mie, sen­si­bi­li­té aux infec­tions, troubles car­dio­vas­cu­laires) ont été décrites et par­fois attri­buées aux rayon­ne­ments ioni­sants. Ce type de patho­lo­gie ne peut pas être secon­daire à une irra­dia­tion compte tenu des doses reçues. Comme l’aug­men­ta­tion des troubles psy­chiques et des sui­cides, elles sont les consé­quences du trau­ma­tisme psy­cho­lo­gique majeur que l’ac­ci­dent a été pour les liqui­da­teurs et les éva­cués et de l’in­quié­tude et du niveau socioé­co­no­mique très dégra­dé dans les zones contaminées.

Des troubles car­diaques attri­bués à la toxi­ci­té chi­mique du césium 137 ont été rap­por­tés dans des publi­ca­tions confi­den­tielles sans comi­té de lec­ture. Ces tra­vaux n’ont pas été faits avec les pré­cau­tions métho­do­lo­giques mini­males et n’ont aucune cré­di­bi­li­té. Nous ne les citons que pour affir­mer notre soli­da­ri­té avec leur auteur (Pr Ban­daz­hevs­ky) qui a le droit de se trom­per sans encou­rir les graves ennuis judi­ciaires dont il est l’ob­jet en Biélorussie.

L’aug­men­ta­tion d’in­ci­dence des nodules thy­roï­diens et des thy­roï­dites (patho­lo­gie thy­roï­dienne pou­vant don­ner une hypo­thy­roï­die) a été rap­por­tée et semble véri­fiée dans les zones où la conta­mi­na­tion thy­roï­dienne a été la plus forte.

On a éga­le­ment rap­por­té, chez les tra­vailleurs de la cen­trale et les liqui­da­teurs, des patho­lo­gies diges­tives (diar­rhées aiguës, fibroses) et une dimi­nu­tion de la mobi­li­té des sper­ma­to­zoïdes et de l’in­dex de fertilité.

Les malformations congénitales

Le nombre des nais­sances a for­te­ment dimi­nué en Ukraine et en Bié­lo­rus­sie, pra­ti­que­ment divi­sé par deux en quinze ans. L’es­ti­ma­tion de l’aug­men­ta­tion éven­tuelle de l’in­ci­dence des mal­for­ma­tions congé­ni­tales ne peut être faite ni par simple dénom­bre­ment car elles sont spon­ta­né­ment fré­quentes (2 à 5 % des nais­sances) ni en com­pa­rant leur inci­dence avant et après 1986 car la qua­li­té du recueil des don­nées peut avoir chan­gé. Le Registre des mal­for­ma­tions de la Bié­lo­rus­sie montre une aug­men­ta­tion de l’in­ci­dence glo­bale com­men­cée avant 1986, mais pas de dif­fé­rence entre les zones conta­mi­nées et non conta­mi­nées. Une étude de 1997 montre à l’in­verse une aug­men­ta­tion de l’in­ci­dence des mal­for­ma­tions congé­ni­tales sur les fœtus après IVG. Trois études conduites sur plus de 20 000 gros­sesses dans trois régions de Rus­sie ont cher­ché une varia­tion du taux d’a­no­ma­lies (mal­for­ma­tions, pré­ma­tu­ri­té, mor­ta­li­té néo­na­tale) selon la conta­mi­na­tion locale. Elles donnent des résul­tats contra­dic­toires et seule la dimi­nu­tion du nombre des nais­sances est sys­té­ma­ti­que­ment retrouvée.

Les mal­for­ma­tions congé­ni­tales radio-induites sont bien connues et la conduite à tenir en cas d’ir­ra­dia­tion acci­den­telle d’une femme enceinte est bien codi­fiée : les irra­dia­tions pen­dant la pre­mière semaine conduisent à un avor­te­ment spon­ta­né ; ensuite, la plu­part des auteurs s’ac­cordent pour dire qu’au­cune mesure par­ti­cu­lière n’est néces­saire pour des doses à l’embryon ou au fœtus infé­rieures à 50 mSv et qu’une inter­rup­tion thé­ra­peu­tique de gros­sesse est recom­man­dée si la dose dépasse 200 mSv. Entre ces deux seuils, les atti­tudes pra­tiques dépendent du contexte. Dans les zones les plus conta­mi­nées du nord de l’U­kraine 99,9 % des femmes ont reçu moins de 100 mSv cumu­lés pen­dant la période 1986–1997, ce qui repré­sente moins de 7 mSv pen­dant la durée d’une gros­sesse. Ces chiffres montrent l’im­pos­si­bi­li­té de l’é­pi­dé­mie mas­sive de mal­for­ma­tions que cer­tains médias alar­mistes ont vou­lu accréditer.

Les conséquences indirectes

Elles sont pro­ba­ble­ment l’im­pact le plus grave de l’ac­ci­dent en termes de san­té publique. Par l’é­ten­due des ter­ri­toires conta­mi­nés (150 000 km2 à plus de 37 kBq.m-2), par les sommes consi­dé­rables qu’il a conduit à dépen­ser, par son impact poli­tique majeur, l’ac­ci­dent a consi­dé­ra­ble­ment per­tur­bé le sys­tème de san­té déjà pré­caire de pays en pleine désor­ga­ni­sa­tion poli­tique, éco­no­mique et qua­si­ment en faillite financière.

Tableau III – Nombre total de can­cers spon­ta­né­ment atten­dus et obser­vés chez les liquidateurs
Per­sonnes x années Can­cers attendus Can­cers observés
Biélorussie 314 204 1 352 1 195
Ukraine 1 155 072 2 708 2 992

Compte tenu de nos connais­sances, il est impos­sible de répondre à la ques­tion du nombre total de morts liés à l’ac­ci­dent. Cepen­dant, si on com­pare le nombre total de can­cers obser­vés au nombre de can­cers spon­ta­né­ment atten­dus chez les liqui­da­teurs bié­lo­russes et ukrai­niens, on constate que l’ex­cès de can­cers est faible (on observe même moins de can­cers en Bié­lo­rus­sie que l’on en attend spon­ta­né­ment !) et qu’on est loin de l’hé­ca­tombe par­fois annon­cée (tableau III).

Même si le nombre de can­cers en excès était pré­vi­sible, leurs consé­quences en termes de sur­vie seraient dépen­dantes de la pré­co­ci­té du diag­nos­tic et des méthodes thé­ra­peu­tiques, elles-mêmes dépen­dantes du niveau éco­no­mique du pays concer­né. Seule une aide inter­na­tio­nale mas­sive et contrô­lée est sus­cep­tible d’at­té­nuer les consé­quences de cette catastrophe.

En France : l’effet Tchernobyl en question

Dose efficace maximale secondaire à l'accident de Tchernobyl en France, cumulée pour la période 1986-2046Le » nuage » radio­ac­tif a tra­ver­sé la France d’Est en Ouest, du 30 avril au 5 mai 1986, avec une conta­mi­na­tion essen­tiel­le­ment repré­sen­tée par l’iode 131 qui a dis­pa­ru en quelques semaines et par le césium 137 encore pré­sent en quan­ti­té impor­tante dans cer­taines zones. On peut esti­mer deux doses :

  • la dose effi­cace glo­bale qui concerne tout l’or­ga­nisme. Les doses les plus éle­vées reçues en France sont de l’ordre de 0,4 mSv en 1986 et, cumu­lées, de 1,5 mSv pour la période 1986–2046. Ces doses sont faibles par rap­port à l’ir­ra­dia­tion natu­relle (2,5 mSv/an à Paris ; 5,5 à Clermont-Ferrand) ;
  • la dose à la thy­roïde résulte essen­tiel­le­ment de la consom­ma­tion d’a­li­ments conta­mi­nés par l’iode 131 en mai et juin 1986. Elle est de l’ordre de 0,5 à 2 mGy pour un adulte et 6,5 à 16 mGy pour un enfant de 5 ans selon une esti­ma­tion de l’IPSN. Cette esti­ma­tion est très sen­sible à la consom­ma­tion de lait frais (de vache et de chèvre) et donne des valeurs moyennes 100 à 1 000 fois plus faibles que pour les enfants de la région de Tcher­no­byl. Mais ce cal­cul doit pro­ba­ble­ment sous-esti­mer la dose d’un petit nombre d’en­fants ayant un régime ali­men­taire très par­ti­cu­lier et sur­es­ti­mer la moyenne nationale.


Pour l’une et l’autre de ces doses, on observe une répar­ti­tion géo­gra­phique dimi­nuant for­te­ment d’Est en Ouest (figure II).

Les cancers thyroïdiens

L’in­ci­dence des can­cers thy­roï­diens en France a consi­dé­ra­ble­ment aug­men­té depuis 1975 (figure III). Elle était de 2 600 nou­veaux cas en 1995, soit 1 % des cancers.

Evolution de l'incidence du cancer thyroïdien différencié en FranceCette aug­men­ta­tion qui s’ob­serve chez les adultes et les sujets jeunes est à l’o­ri­gine d’un ques­tion­ne­ment (et de plaintes contre l’É­tat) concer­nant la res­pon­sa­bi­li­té éven­tuelle de l’ac­ci­dent de Tcher­no­byl, et de l’ab­sence de mesures de pré­cau­tion prises par les auto­ri­tés sani­taires en 1986.

Il faut rap­pe­ler que les nodules thy­roï­diens sont extrê­me­ment fré­quents (40 % des femmes de 40 ans ; 50 % des sujets de 60 ans), ain­si que les micro­can­cers (moins de 1 cm de dia­mètre) dont la plu­part res­tent incon­nus et non évo­lu­tifs. L’a­na­lyse sys­té­ma­tique de la thy­roïde chez des adultes décé­dés sans patho­lo­gie thy­roï­dienne par­ti­cu­lière trouve des petits foyers de can­cer thy­roï­dien dans 6 à 28 % des cas selon les études. Il en résulte que l’in­ci­dence du can­cer thy­roï­dien n’est qu’ap­pa­rente, essen­tiel­le­ment liée à son dépis­tage et en par­ti­cu­lier à la dif­fu­sion, dans les années quatre-vingt, de l’é­cho­gra­phie dont la réso­lu­tion spa­tiale (2 mm) per­met de dépis­ter des nodules dont 9 sur 10 échap­pe­raient à la pal­pa­tion et à la scin­ti­gra­phie. De nom­breux micro­can­cers sont éga­le­ment décou­verts sur la pièce opé­ra­toire de goitres mul­ti-nodu­laires que l’on opère plus fré­quem­ment qu’il y a vingt ans. Dans le registre de Cham­pagne-Ardenne, le taux de micro­can­cers passe de 4,3 % en 1966–1976 à 37 % en 1996–1999, la pro­por­tion des tumeurs supé­rieures à 4 cm pas­sant de 42 % à 22 %.

De nom­breux faits s’op­posent à la croyance (lar­ge­ment répan­due, même dans les milieux médi­caux non spé­cia­li­sés) que cette aug­men­ta­tion d’in­ci­dence aurait pour ori­gine l’ac­ci­dent de Tchernobyl :

  • l’aug­men­ta­tion a com­men­cé vers 1975, au rythme d’en­vi­ron 7 % par an pour les can­cers papil­laires, et n’a pas connu de rup­ture après 1989 (les can­cers thy­roï­diens décou­verts avant ne peuvent pas être liés à Tchernobyl) ;
  • une aug­men­ta­tion com­pa­rable est obser­vée dans les pays déve­lop­pés, même non atteints par les retom­bées de l’ac­ci­dent (USA) ;
  • l’aug­men­ta­tion concerne les adultes de tous âges mais pas les enfants, comme le montre le registre de Cham­pagne-Ardenne (tableau IV).
    Ceci est cohé­rent avec le fait qu’il n’y a pas de micro­can­cer occulte chez les enfants ;
  • il n’a jamais été mis en évi­dence d’aug­men­ta­tion du can­cer thy­roï­dien de l’a­dulte avec l’iode 131, même pour des doses beau­coup plus élevées ;
  • l’aug­men­ta­tion entre les périodes 1982–1986 et 1992–1996 est plus nette dans cer­taines zones peu conta­mi­nées (Cal­va­dos x 4,3) que dans d’autres bien plus conta­mi­nées (Haut-Rhin x 2) ;
  • chez les sujets ana­ly­sés, les muta­tions du gène RET fré­quem­ment consta­tées chez les enfants irra­diés en ex-URSS ne se retrouvent pas plus sou­vent que pour les can­cers spontanés ;
  • les chan­ge­ments des pra­tiques diag­nos­tiques et thé­ra­peu­tiques, qui font l’ob­jet d’une étude en cours, suf­fisent pro­ba­ble­ment à expli­quer l’aug­men­ta­tion constatée.


L’IPSN a fait une esti­ma­tion du nombre de can­cers thy­roï­diens en excès en France du fait de l’ac­ci­dent. L’é­va­lua­tion est de 0,5 à 22 can­cers en excès (contre 97 spon­ta­nés ± 20) pour la période 1991–2000 et de 6,8 à 54,9 can­cers en excès (contre 899 spon­ta­nés ± 60) pour la période 1991–2015. Cette esti­ma­tion est très sujette à cau­tion. Elle uti­lise notam­ment une rela­tion linéaire sans seuil dont nous avons vu qu’elle est inadaptée.

En outre, les excès de can­cer les plus éle­vés sont cal­cu­lés à par­tir du sui­vi d’en­fants ayant subi une irra­dia­tion externe très dif­fé­rente de celle due à 131I par la dose (10 à 60 fois plus éle­vée), le débit de dose (103 à 105 fois plus éle­vé) et l’hé­té­ro­gé­néi­té (beau­coup plus grande pour 131I).

Conscients des limites de cette étude, ses auteurs concluent eux-mêmes : » Compte tenu des limites métho­do­lo­giques indi­quées ci-des­sus et des incer­ti­tudes sur l’exis­tence d’un risque aux faibles doses, il est aus­si pos­sible que l’ex­cès réel de risque de can­cer thy­roï­dien, aux niveaux de doses consi­dé­rés ici, soit nul. »

Tableau IV
Can­cers thy­roï­diens dif­fé­ren­ciés chez des enfants de moins de 15 ans
Année 1986 1987 1988 1989 1990 1991 1992 1993 1994 1995 1996 1997 1998 1999
Biélorussie 3 4 6 5 31 62 62 87 77 82 67 73 48
Ukraine 8 7 8 11 26 22 49 44 44 47 56 36 44
Russie 0 1 0 0 1 1 3 1 6 7 2 5 - -
Champagne-Ardenne ; 0 1 1 0 0 0 1 1 0 0 1 0 0 0

Les autres pathologies thyroïdiennes

Compte tenu des doses reçues par la thy­roïde, il semble tota­le­ment impos­sible que des hyper­thy­roï­dies (jamais radio-induites), des hypo­thy­roï­dies (qui ne sur­viennent qu’au-delà de 1 000 mSv), des nodules ou des thy­roï­dites chro­niques (déjà très dif­fi­ciles à mettre en évi­dence en ex-URSS si tant est qu’elles y soient avé­rées) puissent être, en France, secon­daires à l’ac­ci­dent de Tchernobyl.

Les autres cancers

De même, la conta­mi­na­tion par le césium 137 qui ne peut entraî­ner qu’une irra­dia­tion négli­geable par rap­port à l’ir­ra­dia­tion natu­relle ne peut pas être la cause de patho­lo­gies radio-induites, en par­ti­cu­lier de can­cers ou de leucémies.

On a cal­cu­lé que sur la zone la plus conta­mi­née, 15 jours de cam­ping entraînent une dose de 0,015 mSv et le pique-nique d’un enfant man­geant des ali­ments souillés de terre une dose de 0,001 mSv. Un fores­tier gas­tro­nome et chas­seur, consom­mant chaque jour du san­glier et des cham­pi­gnons conta­mi­nés, aurait un excès de dose annuel de 1 mSv… comme un Pari­sien pas­sant six mois à Clermont-Ferrand.

Rétablir la confiance

Il a été repro­ché aux auto­ri­tés sani­taires de 1986, et en par­ti­cu­lier au SCPRI, de n’a­voir pas pris de mesures pré­ven­tives contrai­re­ment à d’autres pays d’Eu­rope, et même d’a­voir déli­bé­ré­ment caché la véri­té aux Fran­çais pour pré­ser­ver les inté­rêts du » lob­by nucléaire « .

Lexique

Bec­que­rel – Bq : uni­té d’ac­ti­vi­té cor­res­pon­dant à une dés­in­té­gra­tion par seconde.
Gray – Gy : uni­té de dose absor­bée cor­res­pon­dant à un trans­fert d’éner­gie de 1 joule par kilogramme.
Sie­vert – Sv : uni­té de dose effi­cace. Créé pour les besoins de la radio­pro­tec­tion, le sie­vert est un index de risque des rayon­ne­ments ioni­sants, cal­cu­lé en pon­dé­rant la dose moyenne absor­bée au niveau des dif­fé­rents organes ou tis­sus, par un coef­fi­cient carac­té­ris­tique du rayon­ne­ment et par des coef­fi­cients dépen­dant de chaque organe ou tissu.
CIPR : Com­mis­sion inter­na­tio­nale de pro­tec­tion contre les rayonnements.
IPSN : Ins­ti­tut de pro­tec­tion et de sûre­té nucléaire.
SCPRI : Ser­vice cen­tral de pro­tec­tion contre les rayon­ne­ments ioni­sants (deve­nu l’O­PRI ou Office de pro­tec­tion contre les rayon­ne­ments ionisants).
UNSCEAR : Uni­ted Nations Scien­ti­fic Com­mi­tee on the Effects of Ato­mic Radiations.

Sans entrer dans un débat qui n’est pas stric­te­ment médi­cal, remar­quons que, dès le 2 mai, la presse rap­por­tait : » Le direc­teur du SCPRI a annon­cé hier que l’aug­men­ta­tion de radio­ac­ti­vi­té était enre­gis­trée sur l’en­semble du ter­ri­toire « , ce qui ne l’empêchait pas, le 12 mai, de titrer : » Le men­songe radio­ac­tif : les auto­ri­tés scien­ti­fiques fran­çaises ont caché à l’o­pi­nion le pas­sage au-des­sus de notre ter­ri­toire du nuage radio­ac­tif de Tcher­no­byl entre le 30 avril et le 4 mai. » Le prin­ci­pal sou­ci des auto­ri­tés semble avoir été d’é­vi­ter une panique de la popu­la­tion qui dans cer­tains pays a entraî­né par exemple un nombre consi­dé­rable d’IVG injustifiées.

Se pose aujourd’­hui la ques­tion de la per­ti­nence d’une enquête épi­dé­mio­lo­gique sur les can­cers de la thy­roïde en France. Seule une telle enquête per­met­tra de ras­su­rer la popu­la­tion en mon­trant, selon toute vrai­sem­blance, que l’ac­ci­dent de Tcher­no­byl n’a eu aucune consé­quence per­cep­tible sur notre ter­ri­toire. Cette enquête n’au­ra cepen­dant de sens que si elle s’af­fran­chit du biais de dépis­tage qui peut être beau­coup plus impor­tant que les effets qu’elle cherche à mettre en évidence.

En conclu­sion, nous dirons que les consé­quences de l’ac­ci­dent de Tcher­no­byl en France sont pro­ba­ble­ment négli­geables. Il serait évi­dem­ment pré­fé­rable d’en avoir la preuve, mais les études épi­dé­mio­lo­giques déci­dées par le gou­ver­ne­ment risquent de ne pou­voir l’ap­por­ter de manière abso­lue du fait des incer­ti­tudes sta­tis­tiques. En Ukraine, Bié­lo­rus­sie et Rus­sie en revanche, les consé­quences, prin­ci­pa­le­ment indi­rectes, sont très lourdes et appellent une soli­da­ri­té qui reste très par­ci­mo­nieuse par rap­port aux besoins. Ce devoir de soli­da­ri­té de la com­mu­nau­té inter­na­tio­nale doit aller de pair avec son droit de savoir.

L’au­teur
Né le 4 avril 1949, X 67, interne des Hôpi­taux de Paris 76, doc­teur en méde­cine et doc­teur ès sciences, pro­fes­seur des uni­ver­si­tés, André Auren­go dirige le Ser­vice de méde­cine nucléaire de la Pitié-Sal­pê­trière. Dans ce ser­vice, spé­cia­li­sé en patho­lo­gie thy­roï­dienne, sont sui­vis plus de 4 000 patients atteints de can­cer thy­roï­dien, ce qui consti­tue l’une des plus grandes cohortes mondiales.
André Auren­go et son équipe ont effec­tué plu­sieurs mis­sions en Ukraine, et trai­té à la Pitié 33 enfants ukrai­niens atteints de can­cer thy­roï­dien à la suite de l’ac­ci­dent de Tcher­no­byl. Membre du Conseil d’ad­mi­nis­tra­tion d’EDF, André Auren­go est vice-pré­sident de la sec­tion de radio­pro­tec­tion du Conseil supé­rieur d’hy­giène publique de France, membre de la délé­ga­tion fran­çaise à l’UNS­CEAR et cor­res­pon­dant de l’A­ca­dé­mie natio­nale de médecine.

Réfé­rences

► AURENGO A., DELBOT T., LEENHARDT L. et al. Prise en charge de 29 enfants atteints de can­cer de la thy­roïde à la suite de l’ac­ci­dent de Tcher­no­byl. Bul­le­tin de l’A­ca­dé­mie natio­nale de méde­cine, 1998, 182 : 955–979.
► IPSN/InVS. Éva­lua­tion des consé­quences sani­taires de l’ac­ci­dent de Tcher­no­byl en France : dis­po­si­tif de sur­veillance épi­dé­mio­lo­gique, état des connais­sances, éva­lua­tion des risques et pers­pec­tives. Rap­port IPSN/InVS. Décembre 2000.
► IPSN. Tcher­no­byl quinze ans après. Dos­sier de presse IPSN. Avril 2001.
► LEENHARDT L., AURENGO A. Post-Cher­no­byl thy­roid car­ci­no­ma in chil­dren. Bailliè­re’s Cli­ni­cal Endo­cri­no­lo­gy and Meta­bo­lism 2000, vol. 14, 4 : 667–677.
► MENEGOZ F., CHERIE-CHALINE L. Le can­cer en France : inci­dence et mor­ta­li­té. Situa­tion en 1995, évo­lu­tion entre 1975 et 1995. Minis­tère de l’Em­ploi et de la Soli­da­ri­té, Secré­ta­riat à la San­té et réseau FRANCIM, Paris, La Docu­men­ta­tion Fran­çaise, 1999.
► RON E., LUBIN J. H., SHORE R. E. et al. Thy­roid can­cer after expo­sure to exter­nal radia­tion : a poo­led ana­ly­sis of seven stu­dies. Radiat Res 1995, 141 : 259–277.
► UNSCEAR 49e ses­sion, Vienne. Annexe G : Expo­sures and effects of the Cher­no­byl acci­dent. Mai 2000.
► UNSCEAR 50e ses­sion, Vienne. Radia­tion-rela­ted can­cer resul­ting from the Cher­no­byl acci­dent. Avril 2001.

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