Stratégie de développement international d’un équipement automobile

Dossier : L'automobileMagazine N°557 Septembre 2000
Par Armand BATTEUX (59)

Le mar­ché mon­dial de l’é­qui­pe­ment auto­mo­bile est esti­mé à 530 mil­liards d”€, dont 80 % réa­li­sés en 1re monte, c’est-à-dire pour la fabri­ca­tion des véhi­cules neufs. Les équi­pe­ments ache­tés repré­sentent en effet de l’ordre de 60 % du prix de revient d’un véhicule.

La conso­li­da­tion accé­lé­rée du mar­ché de l’au­to­mo­bile a réduit le nombre des construc­teurs à quinze groupes seule­ment au niveau mon­dial. Ratio­na­li­sant leurs pro­ces­sus, ils ont radi­ca­le­ment limi­té le nombre des équi­pe­men­tiers qui les livrent direc­te­ment et exigent de leurs par­te­naires d’être pré­sents à leurs côtés à tra­vers le monde. Ces équi­pe­men­tiers de pre­mier niveau ou » Tier 1 » ne sont plus que 1 500. À leur tour, ils font appel à 5 000 four­nis­seurs de 2e niveau ou » Tier 2 » et indi­rec­te­ment à 250 000 four­nis­seurs de 3e voire 4e niveau.

Dans le sillage de la construc­tion auto­mo­bile, l’é­qui­pe­ment a ain­si connu une forte concen­tra­tion. Paral­lè­le­ment, le métier des Tier 1, qui accom­pagnent de près les évo­lu­tions des construc­teurs, a connu des chan­ge­ments pro­fonds. De fabri­cants de com­po­sants sur plan des­si­né par le construc­teur, ils sont deve­nus four­nis­seurs de solu­tions, assu­rant la concep­tion, le déve­lop­pe­ment, la pro­duc­tion et la livrai­son, le cas échéant en flux syn­chrone, de modules et/ou de systèmes.

Par module, il faut entendre un ensemble phy­sique livré, prêt à mon­ter, le long de la chaîne d’as­sem­blage du véhi­cule : un siège par exemple. Un sys­tème est un ensemble fonc­tion­nel, déve­lop­pé en tant que tel, mais assem­blé par mor­ceaux dans le véhi­cule : l’au­to­ra­dio par exemple avec le tuner dans le cock­pit, les haut-par­leurs dans les portes et la tablette arrière.

En consé­quence, la recherche et déve­lop­pe­ment a pris une impor­tance capi­tale et peut atteindre jus­qu’à 6–8 % du chiffre d’af­faires. Elle exige pour son amor­tis­se­ment une taille cri­tique dans chaque métier.

Les Tier 1 sont donc des socié­tés inter­na­tio­nales dont les vingt pre­mières réa­lisent un chiffre d’af­faires supé­rieur à 4 mil­liards d”€ et ambi­tionnent une posi­tion de lea­der­ship mon­dial sur cha­cun de leurs métiers.

Faurecia

Siège automobile (Faurecia)Fau­re­cia, n° 15 de l’é­qui­pe­ment auto­mo­bile mon­dial, affiche ain­si un chiffre d’af­faires de 4,8 mil­liards d”€ et déve­loppe des solu­tions pour tous les construc­teurs mon­diaux. À par­tir de 110 usines, le Groupe équipe 15 mil­lions de véhi­cules avec cinq modules majeurs. Il s’agit :

  • du siège, du cock­pit et de la porte pour l’in­té­rieur véhi­cule où la sécu­ri­té et le confort des pas­sa­gers sont domi­nants et où l’élec­tro­nique devient un moteur de l’innovation,
  • de l’é­chap­pe­ment, fonc­tion régie par les exi­gences de la pro­tec­tion de l’en­vi­ron­ne­ment et notam­ment la réduc­tion conti­nue des émis­sions tant chi­miques qu’acoustiques,
  • du bloc avant qui par­ti­cipe au style exté­rieur avec le pare-chocs, la calandre et les phares et conso­lide la caisse avec la face avant, pièce de struc­ture qui sup­porte le groupe moto-ventilateur.

Leader en Europe

Porte automobile (Faurecia)
Fau­re­cia est l’un des lea­ders mon­diaux dans cinq des modules majeurs du véhi­cule : sièges, cock­pits, pan­neaux de portes, sys­tèmes d’échappement et blocs avant.
© FAURECIA

L’in­ter­na­tio­na­li­sa­tion du Groupe fran­çais, aujourd’­hui pré­sent dans 26 pays, a com­men­cé par son implan­ta­tion dans les prin­ci­paux pays euro­péens ou, plus exac­te­ment, par l’ex­pan­sion euro­péenne des deux socié­tés Ber­trand Faure et Ecia dont la fusion a don­né nais­sance à Fau­re­cia en 1998.

Ce mou­ve­ment, qui a pro­pul­sé le Groupe à la posi­tion de lea­der euro­péen des sièges d’au­to­mo­biles et des sys­tèmes d’é­chap­pe­ment, a démar­ré dès le début des années 1970, notam­ment en direc­tion de l’Al­le­magne et de la pénin­sule ibé­rique, soit à tra­vers des créa­tions ex nihi­lo pour accom­pa­gner les construc­teurs fran­çais, soit par l’ac­qui­si­tion de socié­tés fami­liales fra­gi­li­sées par l’é­vo­lu­tion du métier, mais connais­sant bien les construc­teurs locaux.

La pré­sence de centres de déve­lop­pe­ment à proxi­mi­té des bureaux d’é­tudes des construc­teurs alle­mands a ain­si per­mis d’é­lar­gir sen­si­ble­ment le por­te­feuille clients et deve­nir une réfé­rence à la fois chez Volks­wa­gen, Audi, BMW, Mer­cedes Benz, Opel.

Au début des années 90, la mon­tée en puis­sance des trans­plants japo­nais en Europe a été l’oc­ca­sion de mettre en place centres tech­niques et usines nou­velles en Grande-Bretagne.

Accompagner les constructeurs européens

Leur stra­té­gie de crois­sance conduit les construc­teurs vers les pays ayant les mar­chés auto­mo­biles au plus fort poten­tiel de déve­lop­pe­ment, en par­ti­cu­lier le Mer­co­sur, Argen­tine et Bré­sil en tête, la Chine et l’Inde. Fau­re­cia a lan­cé des pro­jets dans tous ces pays. Au Bré­sil, la simul­ta­néi­té des déci­sions d’in­ves­tis­se­ments de plu­sieurs construc­teurs a per­mis de conce­voir des pro­jets robustes d’im­plan­ta­tions  » green­field « . En Chine, des joint ven­tures avec des par­te­naires » régio­naux « , fabri­cants his­to­riques, ont dû être mises en œuvre, avec toutes les dif­fi­cul­tés inhé­rentes à la fois aux dif­fé­rences de culture et au par­tage des res­pon­sa­bi­li­tés entre action­naires au sein de struc­tures isolées.

Cha­cune de ces expé­riences a for­te­ment mar­qué des équipes ayant reçu à la fois une très large délé­ga­tion de res­pon­sa­bi­li­té pour faire face aux contraintes locales et une marge de manœuvre qua­si­ment nulle sur les spé­ci­fi­ca­tions – qua­li­té livrée oblige.

Dans de nom­breux pays (Iran, Malai­sie, Tai­wan, Afrique du Sud, Nige­ria, Chi­li, Uru­guay), l’ac­com­pa­gne­ment des construc­teurs s’est effec­tué à tra­vers un trans­fert de tech­no­lo­gies d’as­sem­blage à des indus­triels locaux sans implan­ta­tion indus­trielle. Cette approche prag­ma­tique qui s’im­pose lorsque la taille des débou­chés locaux ne per­met pas de jus­ti­fier une implan­ta­tion indus­trielle pré­sente l’in­con­vé­nient pour le construc­teur de ne pas rece­voir une assu­rance de qua­li­té à toute épreuve.

Challenger en Amérique du Nord

Divers modules de Faurecia pour l'automobileDans les années 1990, les équi­pe­men­tiers amé­ri­cains, forts de marges acquises sur les grandes séries de véhi­cules Ford, Gene­ral Motors et Chrys­ler, ont débar­qué en Europe, ache­tant des parts de mar­ché, sou­vent au prix fort. D’eu­ro­péen le mar­ché des équi­pe­ments deve­nait ain­si » glo­bal « . Du coup, pour ser­vir Opel et Ford Europe, il fal­lait dis­po­ser de capa­ci­tés de déve­lop­pe­ment à Détroit (Michi­gan).

Fau­re­cia, qui avait com­men­cé dès 1982 à déve­lop­per un réseau indus­triel dans l’On­ta­rio (Cana­da) et au Ken­tu­cky pour fabri­quer des méca­nismes de siège, a réus­si, en appor­tant des inno­va­tions tech­no­lo­giques, à trans­for­mer une rela­tion de second rang en rela­tion de pre­mier rang avec Gene­ral Motors.

Mais ce suc­cès reste excep­tion­nel dans la mesure où les panels des construc­teurs sont qua­si­ment fer­més. Par trois fois le Groupe avait cher­ché à prendre le contrôle de four­nis­seurs amé­ri­cains mais ces ten­ta­tives n’ont pu abou­tir face à la sur­en­chère des lea­ders locaux, sou­cieux de bar­rer la route à un nou­veau venu.

Fina­le­ment, la démons­tra­tion de son avance tech­no­lo­gique chez Gene­ral Motors en Europe a été un fac­teur déter­mi­nant pour l’ob­ten­tion d’une com­mande majeure, clé d’en­trée pour la conquête de 10 % du mar­ché nord-amé­ri­cain à l’ho­ri­zon 2005.

Dans le domaine des échap­pe­ments, en revanche, Fau­re­cia a pu réa­li­ser une acqui­si­tion impor­tante outre-Atlan­tique en ache­tant le troi­sième fabri­cant nord-amé­ri­cain. Les syner­gies tant en termes de por­te­feuille clients que de por­te­feuille tech­no­lo­gique ren­daient l’o­pé­ra­tion attrac­tive. Trois mois à peine après le rap­pro­che­ment des acti­vi­tés, une com­mande impor­tante (2 mil­lions de voi­tures par an) pour un véhi­cule qui sera assem­blé et com­mer­cia­li­sé sur tous les conti­nents venait confir­mer le suc­cès de l’ap­proche, aucune des deux socié­tés ne pou­vant pré­tendre obte­nir indé­pen­dam­ment une telle affaire » globale « .

En troi­sième posi­tion en Amé­rique du Nord sur ces deux acti­vi­tés, Fau­re­cia dis­pose d’un poten­tiel de pro­gres­sion très signi­fi­ca­tif et la part de ses ventes réa­li­sées outre-Atlan­tique devrait pas­ser à 20 % dans les cinq ans à venir.

Au pays du Soleil levant

Les équi­pe­men­tiers japo­nais, et plus encore coréens, sont, sauf rares excep­tions, res­tés dans la mou­vance d’un seul construc­teur et n’ont pas déve­lop­pé de stra­té­gie de déve­lop­pe­ment inter­na­tio­nal. Les alliances tis­sées entre construc­teurs viennent redis­tri­buer les cartes : Ford – Maz­da – peut-être Dae­woo, Renault – Nis­san – Sam­sung, Daim­ler­Chrys­ler – Mit­su­bi­shi – Hyun­daï, Gene­ral Motors – Isu­zu – Suzu­ki sont autant d’op­por­tu­ni­tés à sai­sir dans le cadre d’une stra­té­gie de déve­lop­pe­ment en Asie.

Four­nis­seur des trans­plants japo­nais en Europe et aux États-Unis depuis bien­tôt dix ans, Fau­re­cia a acquis l’ex­pé­rience des par­te­na­riats avec des équi­pe­men­tiers japo­nais et béné­fi­cie par ailleurs de l’im­plan­ta­tion de centres de déve­lop­pe­ment à Tokyo et Nagoya. Le chal­lenge est clair : déve­lop­per au Japon et en Corée des rela­tions de pre­mier niveau avec les constructeurs.

L’a­vance tech­no­lo­gique est un fac­teur clé dans la conclu­sion d’ac­cords avec des indus­triels japo­nais et coréens. L’in­té­gra­tion de telles capa­ci­tés dans un réseau glo­bal qui couvre l’Eu­rope, l’A­mé­rique du Nord et l’A­sie sera elle aus­si déter­mi­nante. Fau­re­cia dis­pose de ces deux atouts et compte bien rele­ver le chal­lenge à court terme.

Quels impacts sur le fonctionnement interne ?

L’organisation

Stra­té­gie : 5 modules – 15 clients constructeurs
Inno­va­tion : 5 centres R&D
Pro­gramme : 25 centres techniques
45 pro­grammes majeurs
Vie série : 110 usines
Des pro­ces­sus robustes pour sup­por­ter une orga­ni­sa­tion par client.

Les grands équi­pe­men­tiers tendent à struc­tu­rer leur orga­ni­sa­tion en fonc­tion de leurs mar­chés. L’axe majeur est celui de l’activité/ligne de pro­duits (siège, inté­rieur véhi­cule, échap­pe­ment, bloc avant dans le cas de Fau­re­cia) décli­né par client au niveau mon­dial (avec des équipes dédiées com­mer­ciales, tech­niques pour le déve­lop­pe­ment des pro­duits, et indus­trielles pour la livrai­son de modules). Cette logique orga­ni­sa­tion­nelle conduit chez Fau­re­cia une même  » busi­ness unit » à dis­po­ser de bureaux d’é­tudes et d’u­sines dans plu­sieurs pays différents.

Cette orga­ni­sa­tion décen­tra­li­sée for­te­ment orien­tée sur le client néces­site bien enten­du des fonc­tions trans­verses (indus­tria­li­sa­tion et fabri­ca­tion de com­po­sants stan­dards, recherche et mar­ke­ting), mais sur­tout une struc­tu­ra­tion des pro­ces­sus (stra­té­gie, inno­va­tion, déve­lop­pe­ment, vie série) qui sous-tendent les méthodes de déve­lop­pe­ment et le savoir-faire du Groupe.

La langue

50 % des effec­tifs de Fau­re­cia n’é­tant pas de langue mater­nelle fran­çaise, la langue offi­cielle du Groupe est natu­rel­le­ment deve­nue l’an­glais. Un effort impor­tant tant au niveau du recru­te­ment qu’à celui de la for­ma­tion a per­mis au cours des cinq der­nières années, de géné­ra­li­ser l’u­sage de l’an­glais comme langue de tra­vail aus­si bien dans les comi­tés de direc­tion que dans les réunions de tra­vail. Cepen­dant, si l’an­glais per­met aux experts de com­mu­ni­quer avec l’en­semble des clients, il est clair que dans chaque pays Fau­re­cia est » local » et capable de défendre ses offres et recom­man­da­tions dans la langue du pays.

Les systèmes d’information

La construc­tion d’un réseau de com­mu­ni­ca­tion inter­na­tio­nal est un des fac­teurs clés de l’in­ter­na­tio­na­li­sa­tion des pro­ces­sus. Chez Fau­re­cia, 8 000 per­sonnes en réseau par la mes­sa­ge­rie et l’in­tra­net échangent 100 000 mes­sages par jour ; 40 stu­dios de visio­con­fé­rence créent les condi­tions d’une com­mu­ni­ca­tion en temps réel au sein des équipes.

Les outils com­muns de déve­lop­pe­ment CAO (prin­ci­pa­le­ment Catia) et de ges­tion des bases de don­nées tech­niques sont uti­li­sés par 2 000 per­sonnes dans le monde et consti­tuent une base indis­pen­sable pour assu­rer per­for­mance et effi­ca­ci­té des ingé­nieurs dans un contexte international.

Les fonctions

Toutes les fonc­tions de l’en­tre­prise sont affecc­tées par l’in­ter­na­tio­na­li­sa­tion d’un groupe. À titre d’exemple, la fonc­tion achats a vécu chez Fau­re­cia une évo­lu­tion remar­quable. D’a­bord pour déve­lop­per un panel de four­nis­seurs capables d’ac­com­pa­gner Fau­re­cia à l’in­ter­na­tio­nal et de par­ti­ci­per aux efforts de codé­ve­lop­pe­ment des solu­tions Fau­re­cia. Ensuite pour garan­tir une com­pé­ti­ti­vi­té glo­bale grâce à une véri­table inter­na­tio­na­li­sa­tion des appro­vi­sion­ne­ments, incluant les pays à main-d’œuvre bon mar­ché, et per­met­tant l’op­ti­mi­sa­tion des coûts de trans­port, des droits de douane, et des inci­ta­tions fis­cales. Aujourd’­hui les pots cata­ly­tiques livrés en Chine ou en Argen­tine sont fabri­qués en Afrique du Sud pour béné­fi­cier de  » rebates » accor­dés par le gou­ver­ne­ment aux expor­ta­teurs,  » rebates » qui in fine béné­fi­cient aux construc­teurs qui importent des véhi­cules dans ce pays.

Les hommes

Le trans­fert des com­pé­tences d’un pays à l’autre et le déve­lop­pe­ment d’une culture inter­na­tio­nale font l’ob­jet d’une atten­tion toute par­ti­cu­lière. Avec 240 per­sonnes tra­vaillant en dehors de leur pays d’o­ri­gine, Fau­re­cia a déve­lop­pé l’ex­pé­rience de la ges­tion des expa­tria­tions (de col­la­bo­ra­teurs fran­çais à l’é­tran­ger, d’Al­le­mands en Pologne, d’Es­pa­gnols en Alle­magne) et relève le chal­lenge de déve­lop­per des car­rières inter­na­tio­nales dans le Groupe où les res­pon­sa­bi­li­tés de mana­ge­ment au plus haut niveau s’in­ter­na­tio­na­lisent progressivement.

Une histoire à suivre

Si la voi­ture mon­diale ne semble pas être pour demain, les pré­fé­rences régio­nales res­tant fortes, la glo­ba­li­sa­tion de l’in­dus­trie auto­mo­bile, elle, est une évi­dence aujourd’­hui bien que toutes les consé­quences n’en aient pas encore été tirées. Elles vont faire évo­luer de manière très signi­fi­ca­tive les équi­pe­men­tiers dans les cinq années en termes de taille, d’é­qui­libre géo­gra­phique, de struc­tures internes et de culture d’entreprise.

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