Quelques portraits d’officiers français dans l’entre-deux-guerres

Dossier : ExpressionsMagazine N°682 Février 2013
Par Pierre-René SÉGUIN (X73)

Dans la géné­ra­tion de l’entre-deux- guerres, les poly­tech­ni­ciens occupent une place majeure. Ils par­tagent les plus ou moins grandes dif­fi­cul­tés ren­con­trées par leurs cama­rades de Saint-Cyr ou de l’École navale, voire de l’encore toute jeune École de l’air, selon les vicis­si­tudes his­to­riques propres à cha­cune des armées. La déco­lo­ni­sa­tion et la guerre d’Algérie pèse­ront net­te­ment plus dou­lou­reu­se­ment sur l’armée de terre que sur les deux autres. Ces car­rières « terre » montrent au pas­sage un réel suc­cès des X, dont les chances « d’accéder aux étoiles » ont été de une sur six, contre une sur qua­torze pour les cyrards.

Une transformation profonde

Cette géné­ra­tion d’officiers, qui n’a pas été épar­gnée par l’histoire, la quitte dans les années 1960 en ayant amor­cé une trans­for­ma­tion pro­fonde des forces grâce à l’arrivée de l’arme nucléaire cor­ré­lée avec une forte réduc­tion des effec­tifs. L’ingénieur prend une place majeure dans les armées. Les poly­tech­ni­ciens se concentrent dans le nou­veau corps de l’Armement. Ils trouvent dans ce contexte l’occasion de pour­suivre l’engagement de l’École dans la défense de la Nation.

Deux anciens chefs du Contrôle géné­ral des armées, Fran­çois Caille­teau et Alain Pel­lan, viennent de publier Les Offi­ciers fran­çais dans l’entre-deux-guerres.

Ce livre, qu’on pour­rait craindre réser­vé aux « fana mili », se lit avec grand inté­rêt pour l’honnête homme que l’histoire en géné­ral pas­sionne, et avec faci­li­té car il est intel­li­gem­ment construit et pré­sen­té. Il alterne une ana­lyse du cas de chaque armée, s’appuyant sur un tra­vail quan­ti­ta­tif fouillé, avec le rap­pel de cer­tains des­tins indi­vi­duels illustratifs.

En résulte une pré­sen­ta­tion à la fois vivante et rigou­reuse, qui ne sau­rait que séduire la col­lec­ti­vi­té poly­tech­ni­cienne dont il parle largement.

Quelques por­traits rapides illus­trent ces propos.

Quelques Africains

Charles Bri­cogne (32) et René Guf­flet (31), ser­vant au 1er Régi­ment d’artillerie colo­niale, ont été tués à Bir Hakeim.

Le capi­taine d’artillerie colo­niale Jacques de Guille­bon (30) est au Tchad en 1940, au régi­ment de tirailleurs séné­ga­lais qui se ral­lie à la France libre. Il par­ti­cipe à toutes les cam­pagnes de Leclerc. Après avoir com­man­dé l’École poly­tech­nique, il ter­mine sa car­rière comme géné­ral de corps d’armée.

André Gra­vier (31) rejoint les FFL en 1941 après les com­bats de Syrie. Il ral­lie Tobrouk et par­ti­cipe aux com­bats jusqu’en Tuni­sie. Il rejoint alors la 2e DB en for­ma­tion et en com­man­de­ra le génie jusqu’à la victoire.

Quelques résistants

André Dewa­vrin (32), plus connu sous son pseu­do­nyme de Pas­sy, était le com­man­dant du génie du corps expé­di­tion­naire en Nor­vège. Il a ral­lié immé­dia­te­ment la France libre. Non content de diri­ger son ser­vice depuis Londres, il est para­chu­té en France début 1943, mal­gré le risque d’une arres­ta­tion d’un res­pon­sable de ce niveau. Il est à nou­veau para­chu­té à l’été 1944 en Bre­tagne pour coor­don­ner l’action de la Résis­tance bre­tonne et de l’armée amé­ri­caine. Il quit­te­ra le ser­vice au moment du départ de De Gaulle, en 1946, pour deve­nir industriel.

Un plan de sabo­tage des­ti­né à ralen­tir les dépla­ce­ments de la Wehrmacht

André Ron­de­nay (33), pri­son­nier en 1940, s’évade rapi­de­ment et rejoint la France libre. Para­chu­té en France en sep­tembre 1943, il orga­nise le plan Tor­tue, un plan de sabo­tage des­ti­né à ralen­tir les dépla­ce­ments de la Wehr­macht au moment du débarquement.

Alain du Ver­dier de Genouillac (32) a com­bat­tu dans les chars en 1940. Pri­son­nier, éva­dé, il rejoint la Résis­tance à la tête d’un maquis en Aveyron.

Des Indochinois

René Cogny (25) devient après la guerre un proche de De Lattre qui l’emmène en Indo­chine comme chef de son cabi­net mili­taire. À la mort de De Lattre, il reste en Indo­chine, com­man­dant la 2e Divi­sion de marche du Tonkin.

Jean Cré­pin (28), artilleur colo­nial, com­pa­gnon de la Libé­ra­tion, sert en Indo­chine en 1946–1947, à la tête de l’artillerie du corps expé­di­tion­naire puis comme haut-com­mis­saire au Ton­kin. De retour en France, on le retrouve auprès du ministre de la Défense natio­nale puis comme ins­pec­teur géné­ral des fabri­ca­tions et pro­grammes d’armement où il don­ne­ra une pre­mière impul­sion à l’industrie de mis­siles tac­tiques. Il conti­nue plus tard une car­rière d’industriel comme pré­sident de Nord Avia­tion, où il va pour­suivre l’oeuvre entre­prise dans le domaine des mis­siles tactiques.

Un gouverneur militaire de Paris

Pierre Renauld (24) fait cam­pagne dans l’artillerie et par­ti­cipe à la Résis­tance. Direc­teur des études à l’École de guerre, direc­teur de l’enseignement mili­taire supé­rieur scien­ti­fique et tech­nique, il est affec­té au Shape. Il ter­mine sa car­rière géné­ral de corps d’armée, ins­pec­teur des pro­grammes et fabri­ca­tions d’armement.

À par­tir des années 1960, l’ingénieur prend une place majeure dans les armées

Les cam­pagnes de Tuni­sie, de France et d’Allemagne valent à André Meltz (28) d’être pro­mu lieu­te­nant- colo­nel à 37 ans. À l’École de guerre de 1949 à 1951, il sert ensuite à la délé­ga­tion mili­taire fran­çaise à Washing­ton jusqu’en 1956. Il ter­mi­ne­ra sa car­rière comme gou­ver­neur mili­taire de Paris.

Dissuasion tous azimuts

Charles Aille­ret (26), dépor­té à Buchen­wald, se spé­cia­lise après-guerre dans les ques­tions tou­chant à l’utilisation mili­taire de l’atome, jusqu’à deve­nir le res­pon­sable des pre­miers essais nucléaires au Saha­ra début 1960. À son retour en métro­pole, il est nom­mé chef d’état-major des armées. Il met au point la doc­trine de dis­sua­sion fran­çaise. Il est l’auteur de la for­mule « dis­sua­sion tous azimuts ».

Entre discipline et rébellion

Antoine Argoud (34) est spé­cia­liste de l’emploi des blin­dés dans le contexte nou­veau du com­bat en ambiance nucléaire. En Algé­rie, il découvre la guerre révo­lu­tion­naire et les théo­ries éla­bo­rées pour la com­battre. Il joue un rôle notable dans l’affaire des bar­ri­cades et sera l’un des prin­ci­paux arti­sans du putsch.

Marie Michel Gou­raud (24) est à la tête du corps d’armée de Constan­tine en 1960. Au moment du putsch, il va oscil­ler plu­sieurs fois entre la dis­ci­pline et la rébel­lion. Son ral­lie­ment au coup d’État, quelque peu contraint, sera sans grande effi­ca­ci­té, ses troupes ne le sui­vant pas.

De nombreux aviateurs

Couverture du livre : Les Généraux français au XXe siècle

Un autre ouvrage de Fran­çois Caille­teau, Les Géné­raux fran­çais au XXe siècle, traite aus­si des X mili­taires, sous un angle différent.

On y retrouve les mêmes qua­li­tés de clar­té et de pertinence.

On y apprend que les X repré­sen­taient 27% des géné­raux de l’armée (de terre) en 1900.

On nous y rap­pelle que les études à Poly­tech­nique étaient payantes au XIXe siècle.

Le lieu­te­nant Ray­mond Roques (34) fut l’un des pre­miers Fran­çais libres à reprendre le com­bat. Il décol­la de la base de Tou­louse-Fran­ca­zals le 22 juin 1940 pour l’Angleterre. Affec­té en Lybie puis en Tuni­sie en avril 1943, il dis­pa­rut en Médi­ter­ra­née au cours d’un vol d’entraînement de nuit.

Michel Four­quet (33), affec­té au groupe Lor­raine dont il prend ensuite le com­man­de­ment, accom­plit 71 mis­sions de bom­bar­de­ment. Géné­ral d’armée puis délé­gué minis­té­riel à l’armement, il devient enfin chef d’état-major des armées.

Paul Badré (26) avait déjà tra­vaillé dans le ren­sei­gne­ment en étu­diant le déve­lop­pe­ment des avia­tions alle­mande et ita­lienne. En novembre 1942, il part à Alger, puis gagne Londres où, sous l’autorité des ser­vices anglais, il orga­nise les liai­sons avec les réseaux et l’exploitation des renseignements.

Les maquis de Provence et Côte d’Azur

René Ger­vais (28), offi­cier au centre d’essais en vol de Vil­la­cou­blay, reste en France après l’occupation de la zone libre. Il assure la récep­tion des maté­riels radio à répar­tir sur tout le ter­ri­toire et com­mu­nique avec Alger et Londres par radio et liai­sons aériennes. Il recrute Paul Héliot (26) et Marc Jous­sen (30). Fait com­pa­gnon de la Libé­ra­tion, il quitte l’armée de l’air pour tra­vailler dans l’industrie.

Robert Ros­si (33), dit Leval­lois dans la Résis­tance, met sur pied les uni­tés de l’Armée secrète du Sud- Ouest et orga­nise un réseau de dépôts d’armes, per­met­tant ain­si l’armement d’importants maquis. Arrê­té, éva­dé, il forme alors l’étatmajor régio­nal des FFI et orga­nise les maquis de Pro­vence et Côte d’Azur. Fusillé en 1944, il est fait en 1945 com­pa­gnon de la Libération.

Officier de Marine

Le plus connu des offi­ciers de Marine résis­tants est Hono­ré d’Estienne d’Orves (21). Il quitte Alexan­drie pour rejoindre le géné­ral de Gaulle à Londres le 27 sep­tembre 1940. Il est affec­té au ser­vice de ren­sei­gne­ment de la France libre et demande à pas­ser en France pour y orga­ni­ser un réseau. Tra­hi et arrê­té, il est fusillé au mont Valérien.

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