Quelle “ géographie ” structure l’économie numérique ?

Dossier : Libres proposMagazine N°591 Janvier 2004
Par René MANDEL (61)

Structures de l’économie matérielle

La géographie structure l’économie matérielle

Dans une éco­no­mie tra­di­tion­nelle, les trans­for­ma­tions maté­rielles ont un coût direc­te­ment lié à la proxi­mi­té des gise­ments de matières pre­mières, à la com­bi­nai­son opti­male de plu­sieurs res­sources à prix com­pé­ti­tif, aux faci­li­tés de trans­port, à la dis­po­ni­bi­li­té, sur site, de main-d’œuvre qualifiée.

Jus­qu’à épui­se­ment du gise­ment, ou rup­ture tech­no­lo­gique, cette géo­gra­phie natu­relle est le nid du déve­lop­pe­ment : et de nom­breux faits his­to­riques illus­trent cette règle pri­mi­tive, depuis l’an­ti­qui­té, jus­qu’à notre époque :

  • sta­bi­li­té de la civi­li­sa­tion égyp­tienne, fon­dée sur le régime sai­son­nier du Nil,
  • décou­verte du Nou­veau Monde par la recherche d’une alter­na­tive à la route de la soie,
  • implan­ta­tion des indus­tries dans les bas­sins miniers,
  • déve­lop­pe­ment de la pétro­chi­mie dans les ports.


Alors que la fabri­ca­tion de » l’offre » de mar­chan­dises, de pro­duits finis, est ain­si natu­rel­le­ment loca­li­sée, il en va de même pour la » demande « .

Les pre­mières civi­li­sa­tions fonc­tion­naient en autar­cie, offre et deman­des’é­qui­li­brant, mais, avec la conti­nuelle exten­sion des échanges, la loca­li­sa­tion de la » demande » appa­raît tout aus­si déter­mi­nante, car le pou­voir d’a­chat appelle les affaires.

Le tissu économique reflète les particularités technologiques

La géo­gra­phie, fon­de­ment de l’é­co­no­mie, est exploi­tée en uti­li­sant la tech­no­lo­gie de l’é­poque. La tech­no­lo­gie a tou­jours été le moteur du déve­lop­pe­ment. Elle a per­mis de pas­ser du stade de la cueillette à celui de la culture. Et elle a été le ferment de la civi­li­sa­tion indus­trielle : extraire des matières pre­mières de plus en plus dif­fi­ciles d’ac­cès, pro­duire de l’a­cier en quan­ti­té et qua­li­té, dif­fu­ser de l’éner­gie à bas prix, mul­ti­plier les indus­tries de transformation…

Cepen­dant, si la tech­no­lo­gie a pro­vo­qué des révo­lu­tions en bou­le­ver­sant les modes de vie et de pro­duc­tion (par exemple : la » fée élec­tri­ci­té » immor­ta­li­sée par Raoul Dufy), elle a impo­sé ses par­ti­cu­la­ri­tés. Ain­si, la taille de cer­tains inves­tis­se­ments est-elle incon­tour­nable : des hauts four­neaux qui incitent au gigan­tisme, de la recherche pétro­lière, de la recherche phar­ma­ceu­tique, acces­sibles seule­ment à un petit nombre de multinationales.

Le poids éco­no­mique des réseaux est aus­si une carac­té­ris­tique majeure, pour le trans­port de l’éner­gie (élec­tri­ci­té, gaz), de l’eau, les télé­com­mu­ni­ca­tions, les trans­ports rou­tier et ferroviaire.

Chaque nou­velle filière tech­no­lo­gique a pro­vo­qué l’ap­pa­ri­tion de nou­veaux métiers, eux-mêmes gar­diens de règles du jeu, moti­vées par des impé­ra­tifs de sécu­ri­té, de contrôle de la qua­li­té et de » chasse gar­dée » économique.

S’est ain­si créé un tis­su éco­no­mique, d’a­bord local, rural, puis à l’é­chelle d’une nation, et de plus en plus international.

Une » comp­ta­bi­li­té natio­nale » décrit ce tis­su et retrace les échanges inter­in­dus­triels, ana­lyse la pro­duc­tion inté­rieure, au tra­vers de nomen­cla­tures d’ac­ti­vi­tés éco­no­miques repré­sen­ta­tives de notre époque et de l’u­sage que nous fai­sons des technologies.

Jus­qu’à pré­sent, bien qu’elle ait for­te­ment évo­lué en quelques géné­ra­tions, avec en par­ti­cu­lier la mar­gi­na­li­sa­tion du monde agri­cole, l’or­ga­ni­sa­tion du tis­su éco­no­mique a été stable, et a pro­gres­sé dans un cadre adap­té aux tech­no­lo­gies domi­nantes (éner­gie, chi­mie, sidé­rur­gie, indus­trie auto­mo­bile, aéro­nau­tique, transport).

Un modèle bousculé par plusieurs évolutions

Ce sont là évi­dences. Pour­tant, concer­nant les tech­no­lo­gies émer­gentes, les acteurs poli­tiques, sociaux, voire éco­no­miques, n’ont pas tou­jours pous­sé l’a­na­lyse suf­fi­sam­ment pour faire les bons paris. En effet, la géo­gra­phie est d’une ras­su­rante sta­bi­li­té. Et la recette éco­no­mique qui a fonc­tion­né ne semble pas, en pre­mière ana­lyse, devoir être remise en cause. La » poli­tique indus­trielle » a sou­vent été l’ex­pres­sion de cette continuité.

En réa­li­té, si la géo­gra­phie demeure, les évo­lu­tions tech­no­lo­giques déplacent les enjeux : la loca­li­sa­tion, les dis­tances inter­viennent à une autre échelle, et autre­ment. Résis­ter, lut­ter à contre-cou­rant ne fait qu’ac­cé­lé­rer l’inéluctable.

Les » transferts de charge » sur les ressources du numérique

Cha­cun est conscient d’être dans un monde en muta­tion rapide. Mais ces évo­lu­tions sont com­plexes, et impliquent des tech­no­lo­gies de plus en plus sophis­ti­quées, mul­ti­formes, émergentes.

L’ex­pli­ca­tion prin­ci­pale des évo­lu­tions actuelles pro­vient de l’in­tru­sion géné­ra­li­sée des tech­no­lo­gies numé­riques dans la vie quo­ti­dienne, et au sein de la plu­part des pro­ces­sus pro­duc­tifs, et comme com­po­sante de pres­ta­tions immatérielles.

On peut carac­té­ri­ser ces évo­lu­tions par un » trans­fert de charge » sur les res­sources numé­riques. His­to­ri­que­ment, le pre­mier trans­fert a été d’u­ti­li­ser des ordi­na­teurs pour amé­lio­rer la pro­duc­ti­vi­té de tra­vaux admi­nis­tra­tifs répé­ti­tifs : la tech­no­lo­gie se sub­sti­tuait à de la res­source humaine pro­duc­tive. D’autres formes de trans­fert se sont déve­lop­pées, par exemple pour faci­li­ter la vie du client, en lui four­nis­sant des pres­ta­tions adap­tées, des capa­ci­tés de recherche, la rapi­di­té, la tra­ça­bi­li­té… le client a vu ain­si sa propre charge dimi­nuer, au prix d’une plus forte mobi­li­sa­tion de res­sources informatiques.

Il n’existe guère de domaine qui ne soit concer­né par de tels trans­ferts : même les pro­ces­sus pro­duc­tifs les plus » lourds » sont l’ob­jet d’au­to­ma­ti­sa­tions, qui amé­liorent qua­li­té et délai, et éli­minent les postes de tra­vail peu qualifiés.

Ain­si, la struc­ture de coût des pro­duits et ser­vices se trans­forme-t-elle, les tech­no­lo­gies numé­riques se sub­sti­tuant aux fac­teurs de pro­duc­tion tra­di­tion­nels, ou appor­tant une valeur ajou­tée sup­plé­men­taire. Cette muta­tion est sou­vent cachée, car elle peut se faire sans sur­coût : l’é­vo­lu­tion tech­no­lo­gique très rapide per­met d’a­mé­lio­rer les ser­vices ren­dus grâce aux per­for­mances accrues des processus.

Une mutation profonde

Non seule­ment la struc­ture de coût est modi­fiée, mais, plus fon­da­men­ta­le­ment, de nou­veaux apports de valeur sont pos­sibles : les opé­ra­teurs éco­no­miques cherchent à se dif­fé­ren­tier par le ser­vice, par une meilleure connais­sance, des pres­ta­tions mieux adap­tées, uti­li­sant au mieux les infor­ma­tions disponibles. 

Les sys­tèmes d’in­for­ma­tion sont à la base des ser­vices pro­po­sés, des échanges com­mer­ciaux, finan­ciers et administratifs.

Ces trans­for­ma­tions sont pro­fondes et concernent le conte­nu même des pro­duits et ser­vices échangés.

Elles modi­fient aus­si les modes de fonc­tion­ne­ment internes des opé­ra­teurs économiques :

  • dans le sec­teur des ser­vices (ins­ti­tu­tions finan­cières, assu­rances, caisses de retraite, admi­nis­tra­tions publiques…) les orga­ni­sa­tions tra­di­tion­nelles n’ont plus de rai­son d’être, car leur logique était d’op­ti­mi­ser des trai­te­ments de masse main­te­nant automatisés ;
  • dans les autres sec­teurs, l’in­for­ma­tique et les télé­com­mu­ni­ca­tions sous toutes leurs formes apportent réduc­tion des stocks, des délais, opti­mi­sa­tion des trans­ports, tra­ça­bi­li­té, maî­trise de la qua­li­té, diver­si­fi­ca­tion des pro­ces­sus pro­duc­tifs… avec les consé­quences iné­luc­tables sur les postes de travail.


Enfin, ces tech­no­lo­gies modi­fient pro­gres­si­ve­ment, et irré­mé­dia­ble­ment, le par­tage des rôles entre les agents économiques.

Par exemple, il est éco­no­mique pour une entre­prise de deman­der à son four­nis­seur de gérer des infor­ma­tions qui la concernent1, plu­tôt que de devoir recréer cette ges­tion en interne.

Le prin­cipe est d’al­ler cher­cher le ser­vice là où il peut être réa­li­sé à moindre coût, dans un jeu » gagnant-gagnant « .

Ce pre­mier exemple cor­res­pond à une mise en com­mun du » patri­moine » sys­tème d’in­for­ma­tion le long d’une chaîne pro­duc­tive : client et four­nis­seur, contri­buant à un apport de valeur, opti­mi­sant leur contri­bu­tion en uti­li­sant au mieux les infor­ma­tions créées, et en dépas­sant les com­por­te­ments autar­ciques contre-productifs.

Une autre forme de redis­tri­bu­tion des rôles, plus clas­sique, est ren­due sys­té­ma­tique par les faci­li­tés tech­no­lo­giques. Elle est d’al­ler cher­cher à l’ex­té­rieur les pro­duits et pres­ta­tions qui peuvent être réa­li­sés dans de meilleures condi­tions : éco­no­mies d’é­chelle, délo­ca­li­sa­tion, masse cri­tique de concen­tra­tion de la com­pé­tence… Ce sont les logiques d’ex­ter­na­li­sa­tion, qui cor­res­pondent à une meilleure orga­ni­sa­tion glo­bale du tis­su économique.

Cette » réin­gé­nie­rie » de l’é­co­no­mie elle-même dépasse lar­ge­ment les fron­tières. Là encore la tech­no­lo­gie, et en par­ti­cu­lier l’offre des réseaux Inter­net, dont le coût est indé­pen­dant de la dis­tance2, a un rôle majeur, his­to­rique, dans la redis­tri­bu­tion des acti­vi­tés éco­no­miques, et, en fait, des compétences.

De ce point de vue, les bar­rières doua­nières, les par­ti­cu­la­rismes fis­caux, les dis­pa­ri­tés de coût du tra­vail sont déri­soires. Car, glo­ba­li­sa­tion, mon­dia­li­sa­tion, déré­gle­men­ta­tion sont des consé­quences de la nou­velle donne tech­no­lo­gique, qui voit l’im­por­tance de la » matière » décroître dans tous les sec­teurs, et les dis­tances tem­po­relles et géo­gra­phiques se réduire, au point de modi­fier com­plè­te­ment les espaces économiques.

Un monde technologique en mouvement rapide

Une telle révo­lu­tion tech­no­lo­gique n’est pas une pre­mière dans l’his­toire de l’hu­ma­ni­té. La nou­veau­té porte plu­tôt sur la vitesse, et cette accé­lé­ra­tion explique les phases d’emballement et de dés­illu­sion qui nous caractérisent.

La définition des standards technologiques : accélération des accords autour de » dialectes » XML

Dans un monde tech­no­lo­gique com­plexe, les normes et stan­dards ont un rôle majeur. De fait, aux pre­mières époques de l’in­for­ma­tique, les grands construc­teurs avaient impo­sé leurs propres stan­dards, ren­dant leurs clients cap­tifs et contraints à ache­ter éter­nel­le­ment toutes les évo­lu­tions tech­niques dans une coû­teuse fuite en avant.

Se sont ain­si déve­lop­pés des » mondes » cloi­son­nés, cohé­rents mais exclu­sifs : le » monde IBM » par exemple.

Cepen­dant quelques normes, comme le lan­gage COBOL, se sont impo­sées auprès des construc­teurs. Puis, avec l’ex­ten­sion des maté­riels et logi­ciels, l’ou­ver­ture de réseaux de trans­mis­sion de don­nées, il est deve­nu impé­ra­tif d’or­ga­ni­ser l’in­ter­fonc­tion­ne­ment des diverses archi­tec­tures tech­niques (ser­veurs, ter­mi­naux, concen­tra­teurs, équi­pe­ments réseau). Des normes de » midd­le­ware » ont alors vu le jour.

De même la déma­té­ria­li­sa­tion des échanges admi­nis­tra­tifs et com­mer­ciaux a néces­si­té la défi­ni­tion de normes pour les échanges élec­tro­niques (EDI).

Ces pro­ces­sus de nor­ma­li­sa­tion ont été extrê­me­ment lents et lourds, se dérou­lant sur plu­sieurs années, et objets de luttes au sein des dif­fé­rents organes de nor­ma­li­sa­tion ou entre organes normalisateurs.

Avec la matu­ra­tion des tech­no­lo­gies » Web « , c’est-à-dire des tech­no­lo­gies qui ont per­mis l’ex­ten­sion ful­gu­rante du Net, ces pro­ces­sus tra­di­tion­nels sont tota­le­ment remis en cause.

Et, depuis le début du mil­lé­naire, un consen­sus s’est déga­gé autour du lan­gage XML, comme brique de base des diverses normes en cours de défi­ni­tion par les prin­ci­paux acteurs de ces technologies.

De quoi s’agit-il ?

XML est une syn­taxe, assez simple, et proche de celle d’un lan­gage de pro­gram­ma­tion. À par­tir de cette syn­taxe, il est pos­sible de défi­nir des » dia­lectes « , qui auront un rôle spé­ci­fique, et uti­lisent, au-delà de la syn­taxe com­mune, une séman­tique par­ti­cu­lière. Ain­si les mul­tiples normes néces­saires (échan­ger des don­nées numé­riques, les affi­cher sur divers médias, accé­der à tel ou tel com­po­sant logi­ciel, réper­to­rier les uti­li­sa­teurs, sécu­ri­ser, exé­cu­ter des pro­ces­sus) sont-elles l’ob­jet de défi­ni­tion d’un dia­lecte XML.

La puis­sance d’XML est de fédé­rer toutes les normes, et de ratio­na­li­ser l’in­dus­tria­li­sa­tion des com­po­sants néces­saires aux » ser­vices Web « . Par exemple, tout sys­tème de base, que ce soit dans un PC, un télé­phone por­table, un orga­ni­sa­teur (PDA), com­pren­dra l’in­ter­pré­teur d’une syn­taxe XML.

Ini­tia­le­ment XML est issu des sys­tèmes de » balise » qui per­met­taient d’af­fi­cher un texte avec la pré­sen­ta­tion adé­quate (cha­pitres, para­graphes, puis pré­sen­ta­tion gra­phique sédui­sante sur un écran dans le cadre d’In­ter­net). Mais les balises, qui truf­faient le texte brut de consignes d’é­di­tion, sont deve­nues de vrais mots-clés dans le cas d’é­changes de don­nées en XML : les sys­tèmes ne com­mu­niquent plus sim­ple­ment par des fichiers au for­mat figé, ou par des mes­sages de struc­ture conve­nue et pré­dé­fi­nie, mais par un texte, qui, tel un pro­gramme infor­ma­tique, contient toutes les consignes nécessaires.

La décli­nai­son en plu­sieurs dia­lectes per­met de dis­so­cier la des­crip­tion des don­nées elles-mêmes (le dic­tion­naire en quelque sorte), de leur pré­sen­ta­tion, variant par exemple selon les carac­té­ris­tiques du sup­port uti­li­sé (la feuille de style en quelque sorte). On entre­voit les infi­nies pos­si­bi­li­tés ain­si ouvertes, et la flexi­bi­li­té intro­duite, d’au­tant que, c’est une évi­dence, les dia­lectes XML concernent les dif­fé­rentes formes de médias : texte, images, son.

Pour en reve­nir au sujet de la nor­ma­li­sa­tion, le foi­son­ne­ment actuel est spec­ta­cu­laire, il asso­cie tous les majors du » club « , et les délais de pro­duc­tion des normes sont réduits (en par­ti­cu­lier du fait de l’u­sage sys­té­ma­tique du Net comme outil de pro­duc­tion et de dif­fu­sion de la R & D).

La créa­tion de ce sub­strat de stan­dards de fait a un effet dyna­mi­sant pour l’en­semble de l’in­dus­trie des nou­velles tech­no­lo­gies, cha­cun pou­vant fon­der ses pro­duits sur un consen­sus des acteurs majeurs de cette indus­trie. XML marque une rup­ture » his­to­rique « , et l’im­pact pour l’é­co­no­mie numé­rique sera considérable.

Le fait que la tech­no­lo­gie de base, celle des divers com­po­sants élec­tro­niques, évo­lue rapi­de­ment en per­for­mance comme en coûts, est en géné­ral bien connu3.

Par contre, sur cette base tech­no­lo­gique ont été déve­lop­pés de nom­breux pro­duits et ser­vices, sans les­quels l’in­tru­sion tech­no­lo­gique, sa dis­sé­mi­na­tion, ses infi­nies varia­tions n’au­raient pas eu lieu. Là aus­si s’est créé un tis­su éco­no­mique, une » indus­trie » de high-tech, deve­nu » nati­ve­ment » mon­dial. Il fut un temps où quelques PME pou­vaient jouer un jeu local, comme » édi­teur » par exemple. Cette étape, par concen­tra­tions suc­ces­sives, est lar­ge­ment dépas­sée4.

Il est inté­res­sant de s’in­ter­ro­ger sur l’é­vo­lu­tion de cette indus­trie5, qui génère l’offre tech­no­lo­gique d’in­for­ma­tion et de com­mu­ni­ca­tion actuelle. En effet, la struc­tu­ra­tion de cette offre n’est pas neutre pour les opé­ra­teurs éco­no­miques qui la mettent en œuvre ; et les condi­tions d’exer­cice de la com­pé­ti­tion éco­no­mique en sont transformées.

Il n’y a rien d’é­ton­nant à ce que ces pro­fes­sions qui contri­buent à enri­chir l’offre fon­dée sur les tech­no­lo­gies numé­riques, à la diver­si­fier sans d’autres limites que l’i­ma­gi­na­tion des concep­teurs et la via­bi­li­té éco­no­mique, soient aus­si elles-mêmes for­te­ment atteintes par les muta­tions tech­no­lo­giques. L’in­no­va­tion y est omni­pré­sente. Cha­cun des acteurs éco­no­miques doit en per­ma­nence faire évo­luer son offre pour l’a­dap­ter aux nou­veaux stan­dards, pour per­mettre son assem­blage avec d’autres pro­duits, de plus en plus nom­breux et divers.

On constate d’ailleurs, dans ce monde tech­no­lo­gique, une rup­ture appa­rue avec le pré­sent mil­lé­naire. Cette rup­ture, liée à la géné­ra­li­sa­tion des accords autour du lan­gage XML (voir enca­dré page sui­vante), n’a pas pro­duit ses effets, mais on peut pré­voir qu’ils seront fondamentaux.

Les particularismes nationaux et régionaux ont un poids historique fort

La prise de conscience de ces mou­ve­ments fon­da­men­taux est natu­rel­le­ment retar­dée, car l’in­ci­dence de toutes les révo­lu­tions tech­no­lo­giques n’est pas encore plei­ne­ment visible, et un temps de dif­fu­sion et d’a­dap­ta­tion est néces­saire. En outre, les par­ti­cu­la­rismes natio­naux ou régio­naux, qui ont pris nais­sance à une époque recu­lée, ont encore un poids fort, et l’i­ner­tie légis­la­tive, régle­men­taire, sociale, cultu­relle résiste aux logiques plus glo­bales. Ces par­ti­cu­la­rismes masquent le mou­ve­ment engagé.

Ils donnent lieu à un vrai débat. Va-t-on iné­luc­ta­ble­ment à une glo­ba­li­sa­tion por­teuse de sté­réo­types dans tous les domaines, ou l’a­ve­nir durable ne serait-il pas au contraire dans la richesse de la diversité ?

Deux concep­tions s’opposent :

  • pour cer­tains pro­duits et ser­vices, les dif­fé­rences n’ont bien sou­vent plus de rai­son d’être : que dire du » patch­work » des sys­tèmes de pro­tec­tion sociale, de retraite. Par exemple, le sec­teur des ser­vices finan­ciers et d’as­su­rance struc­tu­ré tra­di­tion­nel­le­ment par les ini­tia­teurs » his­to­riques « , il y a par­fois plu­sieurs siècles : mont-de-pié­té à Sienne, registre de marins créé par Col­bert, ou quelques décen­nies, mutuelles agri­coles, de com­mer­çants, d’ar­ti­sans. Ces par­ti­cu­la­rismes ne résistent pas à l’a­na­lyse ration­nelle, et la tech­no­lo­gie pous­se­ra à les effa­cer. Elle joue dès à pré­sent le rôle de révé­la­teur, par exemple au tra­vers des por­tails Inter­net qui donnent accès, pour des fonc­tions iden­tiques, à divers sys­tèmes admi­nis­tra­tifs (décla­ra­tions sociales par Net-entreprises) ;
  • dans d’autres cas, le modèle socio­cul­tu­rel domi­nant engendre natu­rel­le­ment des résis­tances vives, des oppo­si­tions extré­mistes. À terme, celles-ci sont pro­ba­ble­ment salu­taires, car elles pré­servent de vraies alter­na­tives, une créa­ti­vi­té, autour de pro­duits » cultu­rels » originaux.


Sans doute, les par­ti­cu­la­rismes s’es­tom­pe­ront-ils là où ils n’ont plus de sens, et demeu­re­ront-ils quand ils sont à la base même de l’ap­port de valeur (tou­risme, culture…)6.

Le besoin d’une stabilité

Dif­fi­cile époque, atteinte de fébri­li­té, de ver­sa­ti­li­té, où les acteurs éco­no­miques ont une visi­bi­li­té réduite : y aura-t-il crois­sance durable ? Quels sont les moteurs de la crois­sance ? Quelle attrac­ti­vi­té pour une nation ? Quelle glo­ba­li­sa­tion est justifiée ?

Certes l’offre tech­no­lo­gique per­met le mon­tage de solu­tions rapides, de maquettes, d’ex­ter­na­li­ser, bref, de gagner en réac­ti­vi­té.

Par contre, quelle sera la place de telle entre­prise, de telle struc­ture, au bout du che­min où nous conduit la logique d’ex­ploi­ta­tion opti­male de la technologie ?

Plus pro­saï­que­ment, dans le champ infor­ma­tique, il existe encore des pro­jets lourds et com­plexes, des pro­jets incon­tour­nables, des risques. La taille de ces inves­tis­se­ments ne semble pas devoir se réduire, et le nombre de per­sonnes concer­nées, clients, pros­pects, employés, ne cesse de croître, ren­dant les migra­tions de plus en plus lourdes.

L’ur­ba­nisme des sys­tèmes d’in­for­ma­tion (voir enca­dré page sui­vante) est une réponse pro­mue au sein des grandes entre­prises et orga­ni­sa­tions. Cepen­dant, au-delà de ces efforts de mise en ordre, peut-on construire sur des bases mou­vantes, et répondre à des objec­tifs eux-mêmes per­pé­tuel­le­ment remis en cause ?

Pour les mana­gers, comme pour les infor­ma­ti­ciens, il y a là défi. Le besoin d’une nou­velle sta­bi­li­té, qui trans­cende le cadre des péri­mètres fluc­tuants, dépla­cés par les fusions, acqui­si­tions, exter­na­li­sa­tions, est impérieux.

Une » géographie virtuelle » fondatrice de l’économie numérique

Nous avons vu que la géo­gra­phie jouait un grand rôle dans l’or­ga­ni­sa­tion de l’é­co­no­mie tra­di­tion­nelle, à la fois de par la loca­li­sa­tion des res­sources, les par­ti­cu­la­rismes socio­cul­tu­rels et le pou­voir d’a­chat des consommateurs.

Les mêmes rai­sons qui expliquent que le déve­lop­pe­ment éco­no­mique exploite des par­ti­cu­la­rismes » géo­gra­phiques » jouent pour le déve­lop­pe­ment d’une éco­no­mie numérique.

Un tis­su éco­no­mique ne se crée pas au hasard.

Il se forme des lignes de par­tage entre les acteurs éco­no­miques, qui, pour n’être pas maté­ria­li­sées phy­si­que­ment, n’en sont pas moins réelles.

Ces lignes de par­tage sont stables et repré­sentent une » géo­gra­phie vir­tuelle « , base inva­riante sur laquelle se fonde l’or­ga­ni­sa­tion de l’économie.

De mul­tiples pro­ces­sus de trans­for­ma­tion tra­versent le tis­su éco­no­mique et concré­tisent les offres en réponse aux demandes du mar­ché. On peut ain­si exa­mi­ner les deux extré­mi­tés de ces pro­ces­sus : du côté de la demande, et de celui de l’offre.

Une demande fondée sur une » géographie événementielle »

Du côté de la demande, fait his­to­rique majeur, les réseaux irriguent pro­gres­si­ve­ment la majo­ri­té de la popu­la­tion solvable.

L’urbanisme des systèmes d’information : le besoin d’une stabilité

Le déve­lop­pe­ment des sys­tèmes d’in­for­ma­tion au sein des entre­prises est à com­pa­rer à l’ur­ba­ni­sa­tion d’une cité : les construc­tions suc­ces­sives, faites d’i­ni­tia­tives non coor­don­nées, créent, en l’ab­sence de sché­ma glo­bal, un tis­su urbain imbri­qué, désor­ga­ni­sé, com­plexe et pro­gres­si­ve­ment nécro­sé. De même l’empilement des sys­tèmes infor­ma­tiques conduit à des ensembles sur­com­plexes et bloque les évo­lu­tions. Les entre­prises n’ont plus les moyens de se payer des réno­va­tions lourdes, et l’ac­cé­lé­ra­tion des cycles éco­no­miques exige une grande réac­ti­vi­té des sys­tèmes d’information.

L’ur­ba­nisme des sys­tèmes d’in­for­ma­tion est une dis­ci­pline nou­velle qui répond à ces défis, et com­plète les approches pure­ment tech­no­lo­giques prô­nées par les grands four­nis­seurs. Dans le but de cré­di­bi­li­ser cette pro­fes­sion émer­gente, de capi­ta­li­ser sur ses expé­riences, de la faire connaître, a été créé le Club des urba­nistes et archi­tectes des sys­tèmes d’in­for­ma­tion (asso­cia­tion de 1901).

Un des besoins des urba­nistes des SI est d’a­li­gner la construc­tion des SI sur des » inva­riants « . En effet, cer­tains cycles de construc­tion des SI sont de plus en plus courts, mais d’autres sont fon­da­men­ta­le­ment longs, et il serait illu­soire d’es­pé­rer les rac­cour­cir. De ce fait, il y a sou­vent un hia­tus entre la stra­té­gie de l’en­tre­prise et l’é­tat exis­tant de son SI : cycles stra­té­giques et cycles SI ne peuvent être tota­le­ment en phase.

L’ur­ba­nisme doit dépas­ser ce débat sur » l’a­li­gne­ment stra­té­gique « , et évi­ter de » construire sur du sable « . Il recherche une sta­bi­li­té pour que les inves­tis­se­ments lourds dans les sys­tèmes ne soient pas remis en cause par la pre­mière inflexion stratégique.

Cette recherche amène à se poser la ques­tion certes en termes de sys­tème d’in­for­ma­tion, d’or­ga­ni­sa­tion, ou de pro­ces­sus, qui sont des moyens pour réa­li­ser le busi­ness, mais sur­tout en termes d’ap­port de valeur.

Du fait de l’im­por­tance prise par l’ou­til infor­ma­tique comme fac­teur de pro­duc­ti­vi­té et comme atout stra­té­gique, la recherche d’une sta­bi­li­té pour l’ur­ba­nisme des SI répond à des enjeux forts au sein des entre­prises. Mais elle révèle aus­si la néces­si­té d’une vision de l’ur­ba­nisme du busi­ness, qui trans­cende les visions tech­niques, orga­ni­sa­tion­nelles, ou stra­té­giques habituelles

Certes, il y a une » frac­ture numé­rique » qui laisse à l’é­cart des agents éco­no­miques dis­per­sés, dura­ble­ment éloi­gnés du » haut débit « . Pour les autres, c’est-à-dire les entre­prises et orga­ni­sa­tions, et les popu­la­tions urbaines, il n’y a plus dis­cri­mi­na­tion pour l’ac­cès aux réseaux.

Se déve­loppe ain­si une » média­tion numé­rique » qui donne accès aux pro­duits et ser­vices tra­di­tion­nels, ain­si qu’à des pro­duits et ser­vices numé­riques. Ces pro­duits peuvent être atteints dans des condi­tions iden­tiques de n’im­porte quel empla­ce­ment : leur mar­ché devient glo­bal, sous réserve de la dimen­sion cultu­relle men­tion­née ci-dessus.

La média­tion numé­rique faci­lite une plus forte satis­fac­tion de la demande, dans ses dimen­sions » non géo­gra­phiques « , et une orga­ni­sa­tion sur des fon­de­ments » évé­ne­men­tiels « . Car les prin­ci­paux obs­tacles à la satis­fac­tion de la demande sont les limites natu­relles de la connais­sance. Une hyper­spé­cia­li­sa­tion des offres les ren­drait inac­ces­sibles au plus grand nombre.

En effet, il s’a­git, au-delà de la satis­fac­tion du client, qui est variable selon son besoin, de pré­cé­der en quelque sorte ces besoins en orien­tant l’offre par rap­port aux évé­ne­ments qui les pro­voquent7.

Si fond de com­merce il y a, dans cette éco­no­mie média­ti­sée, il n’est point local, dû à une proxi­mi­té géo­gra­phique, mais » situa­tion­niste « , dû à une proxi­mi­té de situa­tion. Et ces situa­tions géné­ra­trices de besoin sont par­ti­cu­liè­re­ment éter­nelles dans leur répé­ti­tion : il y aura tou­jours des évé­ne­ments de la vie fami­liale, de la vie pro­fes­sion­nelle, sco­laire, des loi­sirs, des trans­ports, qui sus­citent des besoins spé­ci­fiques, dans une offre opti­mi­sée et adap­tée à chaque époque de l’humanité.

L’in­ti­mi­té évé­ne­ment est l’a­bou­tis­se­ment de » l’o­rien­ta­tion client » prô­née par les grands cabi­nets de consul­ting et les grands éditeurs.

L’offre fondée sur une » géographie des compétences »

Du côté de l’offre, la glo­ba­li­sa­tion pro­vo­quée par l’u­bi­qui­té du réseau pousse à la créa­tion de » mono­poles natu­rels « . En par­ti­cu­lier, la pro­duc­tion des pro­duits numé­riques est à coût mar­gi­nal qua­si nul : la loi est à ren­de­ment croissant.

Un opé­ra­teur spé­cia­li­sé qui a atteint le seuil cri­tique ne pour­ra plus être concur­ren­cé, car un nou­vel entrant sera péna­li­sé par un coût de pro­duc­tion supé­rieur8.

En outre, les pro­duits numé­riques peuvent aisé­ment être mixés pour créer une offre com­po­site, sans aucune contrainte maté­rielle (sécu­ri­té, dis­po­ni­bi­li­té, tra­ça­bi­li­té, fraî­cheur, condi­tion­ne­ment, trans­port, livrai­son), et à la condi­tion de défi­nir des inter­faces stables entre les dif­fé­rents ser­vices numé­riques proposés.

Cela dit, dans un monde tech­no­lo­gique en évo­lu­tion rapide, les posi­tions ne sont jamais défi­ni­ti­ve­ment acquises. La recherche déve­lop­pe­ment est plus que jamais fon­da­men­tale : sans elle, aucun ave­nir n’est durable. Les mono­poles natu­rels ne sont plus des mono­poles dus à des gise­ments géo­gra­phiques, mais à des acquis de com­pé­tence. Une com­pé­tence entre­te­nue et qui per­met la maî­trise d’une tech­no­lo­gie au niveau glo­bal. En quelque sorte, un savoir-faire unique que l’on ne peut aller cher­cher ailleurs, car, dès qu’une alter­na­tive est pos­sible, pour un coût simi­laire voire infé­rieur, un dif­fé­ren­tiel de coût sala­rial pou­vant être déter­mi­nant, elle sera acti­vée et dif­fu­sée grâce au réseau global.

Car il s’a­git de réa­li­ser les bons paris éco­no­miques, et au bon niveau. Là encore les États-nations sont natu­rel­le­ment dépas­sés, et agissent sou­vent à contre-cou­rant, pous­sés, par le rai­son­ne­ment autar­cique, à sacri­fier com­pé­tence stra­té­gique à » défense de l’emploi « .

L’é­co­no­mie numé­rique a son indus­trie : depuis les micro­pro­ces­seurs, les com­po­sants logi­ciels de base, jus­qu’aux ser­vices les plus divers ; les inves­tis­se­ments sont à la taille des enjeux. Les paris indus­triels, dans l’é­co­no­mie numé­rique, sont supra­na­tio­naux, et cer­tai­ne­ment plus dif­fi­ciles que dans l’in­dus­trie clas­sique. En effet, ces deux types d’in­dus­tries sont glo­ba­li­sés, comme, par exemple, l’in­dus­trie auto­mo­bile, celle de l’a­cier, mais l’é­co­no­mie numé­rique évo­lue très rapi­de­ment, et un grand nombre de para­mètres peuvent être déter­mi­nants. La flexi­bi­li­té de l’im­ma­té­riel rend les paris par­ti­cu­liè­re­ment aléatoires.

Cela ren­force l’im­por­tance de dis­po­ser d’une véri­table com­pé­tence stra­té­gique sur une filière tech­no­lo­gique, pour la pré­cieuse réac­ti­vi­té qui peut être mobilisée.

Du côté de l’offre, le tis­su de l’é­co­no­mie numé­rique se fonde ain­si sur une » géo­gra­phie des compétences « .

Des échanges » interindustriels » de plus en plus complexes

Comme dans l’in­dus­trie tra­di­tion­nelle, les indus­triels de l’é­co­no­mie du numé­rique sont dans des rela­tions d’af­faires qui leur per­mettent, glo­ba­le­ment, d’a­mé­lio­rer l’offre et de l’a­dap­ter de mieux en mieux aux cycles de vie qui motivent les besoins et l’u­ti­li­té finale.

Cepen­dant, les échanges ne portent plus sur des pro­duits maté­riels, qui sup­posent réap­pro­vi­sion­ne­ment, sto­ckage, condi­tion­ne­ment, trans­ports, comme dans les échanges inter­in­dus­triels clas­siques. Il s’a­git plu­tôt de pres­ta­tions réci­proques, cha­cun ajou­tant sa contri­bu­tion pour une par­tie de la valeur appor­tée. Le sché­ma habi­tuel des échanges inter­in­dus­triels, avec les indus­tries trai­tant les matières pre­mières, les indus­tries de trans­for­ma­tion, les ser­vices, se trans­pose. On peut ain­si défi­nir une typo­lo­gie des contri­bu­tions » indus­trielles » à l’é­co­no­mie numérique :

  • éla­bo­rer les com­po­sants maté­riels de base (micro­pro­ces­seurs, ordi­na­teurs, maté­riels réseau, portables),
  • équi­per ces maté­riels avec sys­tème d’ex­ploi­ta­tion, navi­ga­teur, ges­tion de base de don­nées, pour les trans­for­mer en » machines à tout faire « ,
  • four­nir des logi­ciels sec­to­riels ou spé­cia­li­sés pour répondre à des besoins d’une pro­fes­sion, d’une acti­vi­té éco­no­mique, de particuliers…


Avec la glo­ba­li­sa­tion qui est en cours, ce tis­su indus­triel s’or­ga­nise autour de quelques mul­ti­na­tio­nales, cha­cune cher­chant à conser­ver une posi­tion domi­nante sur son » cré­neau » (cf. Intel pour les micro­pro­ces­seurs, Micro­soft pour les sys­tèmes de base, Oracle pour les bases de don­nées) et éven­tuel­le­ment à étendre son hégé­mo­nie, ou à résis­ter à l’hé­gé­mo­nie en nouant des par­te­na­riats avec d’autres opérateurs.

Mais on est loin d’a­voir décou­vert tous les usages de ces tech­no­lo­gies. Il y aus­si la place pour des ini­tia­tives appor­tant une inno­va­tion tech­no­lo­gique, ou un mix-pro­duit per­for­mant. Le tis­su éco­no­mique suit ain­si une double évolution :

  • une conso­li­da­tion autour de quelques acteurs mon­diaux, qui sont à pré­sent en situa­tion de mono­pole natu­rel et dis­posent, par la maî­trise d’un uni­vers tech­no­lo­gique, de bar­rière à l’en­trée de concur­rents. Dans la course à la taille, ils font par­tie d’un » club » de plus en plus restreint ;
  • une exten­sion vers de nou­veaux hori­zons, par une diver­si­fi­ca­tion mas­sive des usages, qui, au-delà des briques de base reven­di­quées par le club, laisse place à la diver­si­fi­ca­tion, l’i­ni­tia­tive, la recherche de la différence.


La flexi­bi­li­té du pro­duit ou du ser­vice numé­rique repousse ain­si les limites habi­tuelles, et le tis­su éco­no­mique est plus com­plexe, évo­lu­tif, exten­sif, que celui obser­vé dans les échanges inter­in­dus­triels habi­tuels. Les ter­ri­toires d’une » comp­ta­bi­li­té natio­nale « , bien adap­tés pour repré­sen­ter le fonc­tion­ne­ment et le déve­lop­pe­ment du patri­moine indus­triel, par exemple au niveau d’une nation, sont dépas­sés, et on ne dis­pose guère d’ap­proche macroé­co­no­mique per­met­tant de repré­sen­ter et de quan­ti­fier ces échanges.

Hybridation des économies traditionnelles et de l’économie numérique

Ancienne et nouvelle économie

Les suc­cès et mal­heurs de la » nou­velle éco­no­mie » sont connus, et l’ob­jet de débats pas­sion­nés. Le fait est que la nou­velle éco­no­mie n’a pas répon­du aux espoirs que cer­tains lui fai­saient porter.

Mais faut-il en réa­li­té oppo­ser l’é­co­no­mie tra­di­tion­nelle, qui explique encore une large part du pro­duit inté­rieur brut, et nou­velle éco­no­mie, dont le poids demeure faible, mal­gré une crois­sance rapide ?

Des frontières virtuelles stables et une organisation typique dans chaque univers économique : la » trame business »

Si l’on observe un uni­vers éco­no­mique, qui regroupe les entre­prises étroi­te­ment liées dans un même cou­rant d’af­faires, on constate d’a­bord que cet uni­vers s’é­tend entre des » fron­tières » inva­riables. En géné­ral une fron­tière concerne les clients, et les évé­ne­ments qui pro­voquent leur inté­rêt pour les pro­duits et ser­vices pro­po­sés. Une ou plu­sieurs fron­tières appa­raissent pour les res­sources, mar­quées par leurs propres cycles de vie (cycle d’ex­ploi­ta­tion, cycle pro­duit). Cette éten­due » ter­ri­to­riale » est tout à fait carac­té­ris­tique de l’u­ni­vers éco­no­mique, elle le défi­nit clai­re­ment, quelle que soit l’or­ga­ni­sa­tion du tis­su éco­no­mique. Dans les dif­fé­rents cas ren­con­trés (plate-forme aéro­por­tuaire, banque de détail, assu­rance IARD, régime de pré­voyance, trans­port de gaz, admi­nis­tra­tion publique) un ter­ri­toire ori­gi­nal a pu être for­ma­li­sé, dont les fron­tières vir­tuelles sont stables et objec­tives (par­cours du pas­sa­ger, cycle de vie d’un équi­pe­ment, cycle d’ac­ti­vi­té d’un point de livraison).

En s’in­té­res­sant ensuite à l’or­ga­ni­sa­tion interne du ter­ri­toire, on retrouve, au-delà des spé­ci­fi­ci­tés de chaque cou­rant d’af­faires, des confi­gu­ra­tions typiques entre les acteurs éco­no­miques, et, de façon plus fine, entre les dif­fé­rents » opé­ra­teurs » d’une entre­prise. Ces confi­gu­ra­tions s’or­ga­nisent le long de lignes de cli­vage qui tracent les » join­tures busi­ness » créées au sein du tis­su éco­no­mique : la seg­men­ta­tion d’une chaîne de valeur ne se fait pas au hasard, et res­pecte une trame inva­riante et ori­gi­nale pour l’u­ni­vers concerné.

On éta­blit ain­si une repré­sen­ta­tion neutre de cet uni­vers, quels que soient les posi­tion­ne­ments des acteurs éco­no­miques, les choix d’or­ga­ni­sa­tion, les pro­ces­sus et l’im­plan­ta­tion des sys­tèmes d’in­for­ma­tion. Cette repré­sen­ta­tion se maté­ria­lise par quelques sché­mas illus­trant les prin­cipes d’or­ga­ni­sa­tion du tis­su éco­no­mique et des chaînes de valeur.

Cette approche est mise en œuvre rapi­de­ment, car, bien que chaque uni­vers éco­no­mique pré­sente un cas par­ti­cu­lier, ori­gi­nal et carac­té­ris­tique, les règles de construc­tion des sché­mas de la » trame busi­ness » sont iden­tiques et les bases de cette repré­sen­ta­tion et de la seg­men­ta­tion du » busi­ness » sont objec­tives et stables.

La néces­si­té de dis­po­ser d’un repé­rage glo­bal, dépas­sant les fron­tières de l’en­tre­prise, est appa­rue à l’oc­ca­sion des inves­tis­se­ments dans les sys­tèmes d’in­for­ma­tion, pour situer ces inves­tis­se­ments dans une vision glo­bale d’ur­ba­nisme des SI. Cepen­dant, cette vision s’in­té­resse aux apports de valeur, et consti­tue un cadre objec­tif pour l’a­na­lyse des confi­gu­ra­tions éco­no­miques, comme pour celle des pro­ces­sus, et des SI.

En fait les apports des tech­no­lo­gies sont bien plus dans la réno­va­tion de » l’an­cienne éco­no­mie » que dans la créa­tion d’une éco­no­mie entiè­re­ment numé­rique, comme la » bulle Inter­net » l’a fait croire.

Oppo­ser ancienne et nou­velle éco­no­mie, si on can­tonne cette der­nière à une éco­no­mie entiè­re­ment numé­rique, n’a pas de sens.

Le fait majeur est l’in­va­sion de l’en­semble de l’é­co­no­mie tra­di­tion­nelle par des pro­duits et ser­vices nés de son » hybri­da­tion » avec des apports de valeur fon­dés sur des pro­duits et ser­vices numé­riques. Le codage numé­rique est en effet deve­nu la norme pour tous les médias, que ce soient textes, images, sons, vidéos…

Une économie hybride

Pour les éco­no­mies qui mettent en œuvre à la fois les fac­teurs pro­duc­tifs tra­di­tion­nels, et ces nou­veaux fac­teurs, tous se mixent. La géo­gra­phie tra­di­tion­nelle garde une impor­tance, certes amoin­drie par les phé­no­mènes que nous avons décrits, mais aus­si ren­for­cée par les par­ti­cu­la­rismes culturels.

Pour l’é­co­no­mie hybride, for­te­ment numé­ri­sée, l’en­semble des géo­gra­phies, natu­relles et vir­tuelles, contri­bue à fixer l’é­chi­quier éco­no­mique. Dans cette éco­no­mie, les sys­tèmes d’in­for­ma­tion jouent un rôle gran­dis­sant, et il devient impé­ra­tif de » situer » les inves­tis­se­ments ain­si réa­li­sés. Cette approche, en quelque sorte car­to­gra­phique, fait appa­raître les struc­tures fon­da­men­tales qui pré­sident au jeu des acteurs éco­no­miques au sein d’un » uni­vers économique « .

On peut en effet sché­ma­ti­ser les rela­tions au sein d’un uni­vers où les acteurs éco­no­miques sont en forte sym­biose, cha­cun se spé­cia­li­sant dans l’ap­port de valeur.

Dans le cas par­ti­cu­lier de telle ou telle entre­prise ou orga­nisme, il est en géné­ral assez rapide de détec­ter l’u­ni­vers auquel ils par­ti­cipent, leur struc­tures inva­riantes (voir enca­dré sur la » trame busi­ness »), et les » fron­tières » de ce territoire.

On constate que les fron­tières sont stables, et que l’or­ga­ni­sa­tion d’un tel uni­vers obéit à des constantes (voir à ce sujet le sché­ma ci-dessus).

Exemple de l’univers “ pas­sa­ger ” d’un aéro­port selon les dimen­sions évé­ne­ment et chaîne de valeur
Exemple de l’univers “ passager ” d’un aéroport selon les dimensions événement et chaîne de valeur

Remettre en cause nos repères

L’é­co­no­mie, dans sa glo­ba­li­té, est en muta­tion : la tech­no­lo­gie en est le » fau­teur de trouble « , qui bous­cule les struc­tures traditionnelles.

Les sys­tèmes poli­tiques peuvent accé­lé­rer, ou ralen­tir ces muta­tions. Cepen­dant, la tech­no­lo­gie galope plus vite que les réformes poli­tiques, les accords entre nations, les aban­dons de sou­ve­rai­ne­té : de fait, une part de plus en plus grande de l’é­co­no­mie échappe à toute » adhé­rence » territoriale.

Nous ne pou­vons donc ni rai­son­ner dans l’illu­sion de l’ex­clu­si­vi­té de la bonne vieille éco­no­mie, celle des vrais pro­duits bien maté­riels, et por­tant en quelque sorte de » vraies valeurs « , ni ne jurer que par l’é­co­no­mie numé­ri­sée à tout crin, qui repré­sen­te­rait le seul salut au développement.

Il nous faut recons­truire nos repères, sans délais­ser la géo­gra­phie tra­di­tion­nelle, mais en la com­plé­tant par une » géo­gra­phie du vir­tuel » dont on prend seule­ment main­te­nant conscience9.

La mise en évi­dence de ces nou­veaux repères peut nous aider à sor­tir des que­relles d’é­cole, des dis­cours incan­ta­toires, et des mal­heu­reuses impasses aux­quelles une vision autar­cique, court-ter­miste, ras­su­rante nous amè­ne­rait infailliblement.

Car il est pos­sible, et sou­hai­table, sur l’é­chi­quier éco­no­mique, de repé­rer le ter­ri­toire des affron­te­ments, les inva­riants qui jalonnent » lon­gi­tudes » et » lati­tudes » de la géo­gra­phie d’une éco­no­mie mixant sys­té­ma­ti­que­ment pro­duc­tions maté­rielles et numé­riques, dans toutes leurs déclinaisons. 

Bibliographie

. ACSEL-FING : Hauts débits. Librai­rie géné­rale de droit et de jurisprudence.
. Chau­vet Jean-Marie : Ser­vices Web avec SOAP, WSDL, UDDI, ebXML. Eyrolles.
. Club urba-si : Pra­tiques de l’ur­ba­nisme des sys­tèmes d’in­for­ma­tion en entre­prises. Publi­book, . Volle Michel : e‑conomie. Economica.

Sites


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1. Ain­si toute socié­té a inté­rêt à pas­ser un accord avec son agence de voyage, qui a en charge la billet­te­rie, pour que les dépenses de dépla­ce­ment du per­son­nel soient impu­tées sur les codes ana­ly­tiques » mai­son « . Ceci évite une coû­teuse resaisie.
2. Se rend-on compte par exemple qu’une très large part des com­mu­ni­ca­tions Inter­net intra-euro­péennes passent en réa­li­té par l’A­mé­rique de Nord ?
3. Cf. loi de Moore.
4. Par exemple, il y a eu, il y deux décen­nies, des édi­teurs » régio­naux » de pro­gi­ciel de comp­ta­bi­li­té, puis des édi­teurs » fran­co-fran­çais « . Ce mar­ché est deve­nu, au moins pour la gamme » grand compte « , le champ d’af­fron­te­ment de mas­to­dontes mondiaux.
5. Il s’a­git plu­tôt d’en­tre­prises de ser­vice, mais qui ont une approche » industrielle « .
6. Par exemple, la musique » clas­sique » ne touche plus qu’un faible pour­cen­tage de la popu­la­tion, et a per­du son carac­tère » popu­laire « . Ses qua­li­tés issues de siècles d’en­ri­chis­se­ment (poly­pho­nie, har­mo­nie, orches­tra­tion, struc­ture tonale, ato­nale), son infi­nie diver­si­té garan­tissent cepen­dant sa pérennité.
7. Le pre­mier exemple qui nous a per­mis d’illus­trer cette logique est celui d’une plate-forme aéro­por­tuaire, où l’offre des divers inter­ve­nants est direc­te­ment liée soit aux évé­ne­ments du » par­cours pas­sa­ger « , soit aux évé­ne­ments du » par­cours avion » (voir sché­ma). De grandes com­pa­gnies d’as­su­rances ont uti­li­sé, dans le même ordre d’i­dées, le concept d’é­vé­ne­ment du xixe siècle, pour sym­bo­li­ser l’in­va­riance de la notion de sinistre.
8. Par exemple, un ins­ti­tut alle­mand a mis au point un moteur de recherche capable d’i­den­ti­fier une mélo­die chan­tée ou sif­flo­tée. Un tel com­po­sant, s’ap­pli­quant sur un lan­gage aus­si uni­ver­sel que la musique, aura un mar­ché mon­dial (en direct, mais aus­si inté­gré à d’autres ser­vices) et, si les algo­rithmes sont effi­caces, une avance concurrentielle.
9. Le repé­rage » trame busi­ness » mis en évi­dence pour les études d’ur­ba­nisme des sys­tèmes d’in­for­ma­tion a une por­tée géné­rale, et consti­tue une base de réflexion et d’ac­tion, une réfé­rence utile.

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