Qualité des données et échanges d’affaires

Dossier : Économie numérique : Les succèsMagazine N°675 Mai 2012
Par Pierre GEORGET

REPÈRES

REPÈRES
La numé­ri­sa­tion de la rela­tion d’affaires n’a pas eu comme consé­quence, comme cer­tains ont pu le craindre, une déshu­ma­ni­sa­tion de la rela­tion. Le busi­ness reste le busi­ness, mais il est sou­te­nu par une rela­tion forte « machine à machine » des sys­tèmes d’information entre eux. Cette rela­tion numé­rique a pour but de réduire le coût de chaque tran­sac­tion. Le ratio géné­ra­le­ment admis est celui d’un rap­port de coût uni­taire de un à dix entre la conduite élec­tro­nique d’une rela­tion (com­mande-paie­ment, par exemple) et sa réa­li­sa­tion sous forme papier.

Le com­merce élec­tro­nique s’est ins­tal­lé peu à peu dans les entre­prises. Les pro­ces­sus d’affaires opé­rés par les indus­triels de l’automobile, de l’agroalimentaire, de la phar­ma­cie et de l’aéronautique, les trans­por­teurs et les pres­ta­taires logis­tiques, les banques, les assu­rances, les gros­sistes et les détaillants aujourd’hui n’ont rien à voir avec ceux des années 1990. Les échanges d’affaires sont mas­si­ve­ment numé­riques : 95% des tran­sac­tions sont conduites de façon élec­tro­nique dans les diverses chaînes d’approvisionnement fran­çaises. Cette numé­ri­sa­tion a deux consé­quences pour les entre­prises : le coût du ticket d’entrée dans une rela­tion d’affaires s’est consi­dé­ra­ble­ment éle­vé, et la qua­li­té des don­nées est deve­nue un enjeu majeur.

Une hausse du ticket d’entrée

Le coût uni­taire d’une rela­tion d’affaires a bais­sé dans un rap­port de dix. Cette réduc­tion a des consé­quences très diverses comme la mul­ti­pli­ca­tion du nombre de réfé­rences dans les super­mar­chés, à sur­face constante, ou l’approvisionnement en flux ten­du. Les tran­sac­tions finan­cières à haute fré­quence en sont l’extrême illustration.

La rela­tion de machine à machine exige une rigou­reuse cho­ré­gra­phie des flux

Mais cette rela­tion de machine à machine néces­site une struc­tu­ra­tion des échanges, une défi­ni­tion et une mise en place rigou­reuse de la cho­ré­gra­phie des flux. Pour l’entreprise can­di­date à l’établissement d’une telle rela­tion, il faut un appren­tis­sage, un pilo­tage et une indus­tria­li­sa­tion qui ne s’improvisent pas. C’est pour­quoi l’analyse de la popu­la­tion des four­nis­seurs connec­tés en échanges élec­tro­niques de l’automobile ou de la grande dis­tri­bu­tion montre qu’un mini­mum de tran­sac­tions ou de chiffre d’affaires est néces­saire pour éta­blir la liai­son élec­tro­nique. Et cela est vrai même si les outils d’échanges sont mis à dis­po­si­tion par le don­neur d’ordre. La main­te­nance des com­pé­tences internes pré­sente une dif­fi­cul­té plus grande pour la PME que l’acquisition des outils.

Une relation plus stable

Le corol­laire de l’augmentation du ticket d’entrée est la plus grande sta­bi­li­té de la rela­tion. Ceux qui ont déjà leur « ticket élec­tro­nique » sont pri­vi­lé­giés par rap­port aux autres.

Au royaume du zettaoctet
L’information pro­duite par les entre­prises a aug­men­té de 67% chaque année de 2007 à 2011, pour atteindre 580 exa­oc­tets (1 mil­liard de giga­oc­tets). À l’horizon 2020, la quan­ti­té d’informations numé­riques créée ou répli­quée annuel­le­ment va être mul­ti­pliée par 44 par rap­port à son niveau de 2009, pour atteindre 35 zet­ta­oc­tets (1 000 mil­liards de gigaoctets).

Les quelques jours pas­sés à « l’embarquement » d’un nou­veau par­te­naire comptent dans l’économie du choix d’un nou­veau four­nis­seur, tout autant que le délai de six à neuf mois pour rendre la liai­son élec­tro­nique réel­le­ment opé­ra­tion­nelle. Cette soli­di­té de la rela­tion va crois­sant avec la sophis­ti­ca­tion de la col­la­bo­ra­tion, par exemple si la tran­sac­tion simple com­mande- livrai­son-fac­ture-paie­ment se com­plète par la mise à dis­po­si­tion d’états de consom­ma­tion ou de ventes et d’états de stocks per­met­tant une ges­tion par­ta­gée des flux. La part numé­rique de la tran­sac­tion devient une condi­tion de la qua­li­té de ser­vice. Le déve­lop­pe­ment du numé­rique en entre­prise a faci­li­té la mise en place d’une infra­struc­ture d’échanges. Celle-ci est loin d’être uni­fiée, elle est sou­vent faite de bric et de broc, mais elle per­met de faire cir­cu­ler tou­jours plus de don­nées, d’en sto­cker et d’en trai­ter tou­jours plus. Ce phé­no­mène s’est ampli­fié avec la pro­li­fé­ra­tion des cartes de fidé­li­té, le com­merce en ligne, les réseaux sociaux qui sont des sources infi­nies de don­nées sur les consom­ma­teurs et leurs com­por­te­ments d’achat.

De la productivité à la visibilité

Cette masse de don­nées fait naître d’énormes espoirs. Un nou­veau champ d’investigation pour la pro­duc­ti­vi­té a émer­gé, la visi­bi­li­té. Tout dans la vie d’un pro­duit, d’une entre­prise ou d’un client peut s’analyser comme une suite de microé­vé­ne­ments. La visi­bi­li­té, c’est, par exemple, l’e‑pedigree des pro­duits de san­té. C’est la tra­ça­bi­li­té des pro­duits de grande consom­ma­tion, ou l’analyse du par­cours d’un client sur un site de com­merce en ligne.

La qualité des données

Pour être exploi­table, cette accu­mu­la­tion de don­nées évé­ne­men­tielles doit s’appuyer sur des « don­nées de bases struc­tu­rées » (mas­ter data). La qua­li­té de ces don­nées est le défi le plus impor­tant lan­cé aux entre­prises pour les cinq pro­chaines années. L’enjeu n’est pas seule­ment dans l’entreprise mais aus­si et sur­tout « interentreprises »

L’enjeu de la qua­li­té des don­nées compte sur­tout dans les rela­tions « interentreprises »

Si la qua­li­té des don­nées de base n’est pas assu­rée, alors les don­nées tran­sac­tion­nelles sont fausses et les dys­fonc­tion­ne­ments appa­raissent à tous les stades de la vie de l’entreprise, de la pré­vi­sion hasar­deuse au litige de fac­tu­ra­tion, de l’affrètement de trans­port inco­hé­rent au cal­cul de lon­gueur de facing (nombre de pro­duits fai­sant face au consom­ma­teur) aber­rant. Les coûts de la mau­vaise qua­li­té des don­nées se répar­tissent entre des opé­ra­tions manuelles inutiles (5 %), des dys­fonc­tion­ne­ments admi­nis­tra­tifs (30 %) et sur­tout des pertes de chiffre d’affaires (65 %).

Un risque d’atteinte à l’image

Des don­nées dissemblables
IBM a conduit avec Glo­bal Stan­dard One, orga­ni­sa­tion mon­diale de stan­dar­di­sa­tion des tech­no­lo­gies dans la chaîne d’approvisionnement, des études sur la qua­li­té des don­nées, dite Data Crunch. L’indicateur de mesure est l’alignement des don­nées, c’est-à-dire la simi­li­tude des des­crip­tions des pro­duits entre four­nis­seurs et dis­tri­bu­teurs. Les résul­tats sont sans appel : 80% des don­nées sont dis­sem­blables entre les par­te­naires pour le même pro­duit. C’est par­ti­cu­liè­re­ment vrai pour la dési­gna­tion, les dimen­sions, les condi­tions logis­tiques de trans­port et de stockage.

Dans la rela­tion B2B (busi­ness to busi­ness ; en fran­çais : com­merce inter­en­tre­prises), la qua­li­té des don­nées est un enjeu de pro­duc­ti­vi­té. Dans la rela­tion B2C (busi­ness to consu­mer [ou cus­to­mer] ; en fran­çais : des entre­prises au par­ti­cu­lier), elle est un enjeu de confiance et d’image de marque. Elle est sou­vent un risque de défiance et d’atteinte à l’image. En dépit de la forte demande, le consom­ma­teur ne trou­ve­ra aucune infor­ma­tion dis­po­nible en ligne pour plus de 90 % des articles com­mer­cia­li­sés dans la grande dis­tri­bu­tion. Et s’il trouve des infor­ma­tions, aucune ne pro­vien­dra d’une source auto­ri­sée. Elles auront toutes été mises en ligne par une tierce par­tie, soit un consom­ma­teur dans un réseau social, soit une start-up des appli­ca­tions mobiles.

Des organisations nouvelles

Inter­ro­gées sur leur absence sur ce ter­rain de la com­mu­ni­ca­tion directe avec le consom­ma­teur, les marques doivent recon­naître que c’est l’absence de confiance dans la qua­li­té de leurs propres don­nées qui les incite à la pru­dence dans l’investissement du champ de la com­mu­ni­ca­tion mobile. Il existe, bien sûr, des solu­tions, mais elles requièrent la mise en place d’organisations nou­velles pour concen­trer des don­nées éparses dans les mul­tiples ser­vices de l’entreprise, pour gérer la vali­da­tion de ces don­nées et en contrô­ler la dif­fu­sion. Les ERP (Enter­prise resource plan­ning ; en fran­çais : pro­gi­ciel de ges­tion inté­gré) doivent être com­plé­tés de modules de ges­tion de don­nées de base dont la mis­sion est de ras­sem­bler, de qua­li­fier et de vali­der les données.

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