Prédation et Prédateurs

Dossier : Arts, Lettres et SciencesMagazine N°634 Avril 2008Par : Michel Volle (60)Rédacteur : Frédéric Lefebvre-Naré (84)

Couverture livre Prédation et PrédateursMichel Volle est l’un des lapins blancs qui nous font pas­ser à pied, comme en rêve, du monde que nous vivons à sa repré­sen­ta­tion. Le sta­tis­ti­cien métho­do­logue, auteur du manuel d’Ana­lyse des don­nées (1997), qui a gui­dé mes pre­miers pas dans ce sec­teur, est aus­si, depuis sa jeu­nesse, citoyen enga­gé pour ce qu’on appelle aujourd’hui une mon­dia­li­sa­tion plus juste.

Dans l’économie nou­velle, « éco­no­mie du risque maxi­mum » expli­quait déjà Michel dans e‑conomie (2000), les mono­poles sont endo­gènes. Dans l’ancienne éco­no­mie des ren­de­ments décrois­sants (à laquelle nos déci­deurs et étu­diants res­tent intoxi­qués), la ren­ta­bi­li­té venait de la pro­duc­ti­vi­té horaire ; aujourd’hui la ren­ta­bi­li­té s’obtient en cap­tu­rant une part de mar­ché, donc au besoin en « ache­tant les ache­teurs ». L’échange équi­li­bré, sur un mar­ché libre et plei­ne­ment infor­mé, carac­té­ri­sait l’économie clas­sique : la pré­da­tion le rem­place comme norme. « Le pré­da­teur n’est ni plus ni moins ration­nel que les autres agents éco­no­miques. » Les sei­gneurs de la guerre de l’ultracapitalisme sont dans une situa­tion stra­té­gique com­pa­rable, non à celle des ingé­nieurs-entre­pre­neurs for­distes, mais à celle des féo­daux du Moyen Âge.

Choi­sir la civi­li­sa­tion contre la bar­ba­rie demande, comme au Moyen Âge, de « réduire la ren­ta­bi­li­té de la pré­da­tion en lui oppo­sant des obs­tacles qui accroissent son coût. S’indigner ne ferait qu’inciter à la démis­sion. Il faut com­prendre. » C’est dire l’importance de ce livre. La vision de l’historien, convo­quant Saint-Simon et Bloch, Adam Smith et Clau­se­witz, s’y conjugue avec le talent du modé­li­sa­teur pour mettre en mots simples et en petits sché­mas rétro­com­mis­sions et inno­va­tion, pres­sion média­tique et dérégulation.

Dans un monde mal com­pris, les com­por­te­ments ration­nels des déci­deurs conduisent leur entre­prise au sui­cide ; une effi­ca­ci­té durable passe par la lec­ture du monde à laquelle Pré­da­tion et Pré­da­teurs nous introduit.

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