Pourquoi Yannick d’Escatha croit en l’École

Dossier : ExpressionsMagazine N°570 Décembre 2001

Quel sentiment vous a inspiré votre nomination en mai dernier à la tête du conseil d’administration de l’X ?

Quel sentiment vous a inspiré votre nomination en mai dernier à la tête du conseil d’administration de l’X ?

C’est un grand hon­neur d’avoir été choi­si par le gou­ver­ne­ment. Et c’est un grand bon­heur de retrou­ver l’École et ses élèves, et ses ensei­gnants et ses cher­cheurs. Mais c’est aus­si une grande tris­tesse que ce soit dans de telles cir­cons­tances : la dis­pa­ri­tion subite de Pierre Faurre a bou­le­ver­sé tous ceux qui le connais­saient et qui l’aimaient. Je veux rendre hom­mage à ses excep­tion­nelles qua­li­tés : c’était un grand scien­ti­fique et un grand chef d’entreprise, de large culture et ouvert sur le monde, un homme de cœur aux ines­ti­mables qua­li­tés humaines.

Pierre Faurre a conçu, avec les forces vives de l’École et le sou­tien constant du ministre de la défense, Alain Richard, la réforme X 2000 qui pro­jette l’École dans le XXIe siècle : c’est cette pro­fonde réforme qui per­met­tra à l’École de res­ter au pre­mier rang en acqué­rant une renom­mée inter­na­tio­nale beau­coup plus large, en s’appuyant sur la qua­li­té de son ensei­gne­ment (et donc de ses ensei­gnants et de ses élèves) et sur la qua­li­té de sa recherche (et donc de ses chercheurs).

Vous avez connu l’X comme élève (de la promotion 66), comme enseignant (en mécanique), comme chercheur (au LMS, le laboratoire de mécanique des solides).
En quoi votre nouvelle fonction représente-t-elle quelque chose d’inédit dans votre carrière ?

C’est vrai que je n’ai jamais com­plè­te­ment quit­té l’École. En plus des fonc­tions que vous citez, j’ai pré­si­dé, à la demande du CNRS, le conseil scien­ti­fique d’évaluation du LMS. Et quand je tra­vaillais au CEA, je sui­vais de près les par­te­na­riats réa­li­sés avec l’École. Il se trouve, en plus, que j’ai débu­té ma car­rière dans la recherche, que je l’ai pour­sui­vie dans l’administration, puis dans l’industrie : ce sont les trois domaines qui consti­tuent la voca­tion de l’École et reflètent les dif­fé­rents métiers offerts aux polytechniciens.

Il existe une proxi­mi­té affec­tive entre l’X et moi, et je suis par­ti­cu­liè­re­ment moti­vé pour rele­ver le chal­lenge du moment : la mise en œuvre de la réforme X 2000. Cette réforme passe par trois axes fon­da­men­taux. D’abord le déve­lop­pe­ment de l’enseignement et tout par­ti­cu­liè­re­ment la créa­tion de la qua­trième année. Ensuite l’ouverture inter­na­tio­nale de l’École, aus­si bien au niveau des élèves qu’au niveau des ensei­gnants et des cher­cheurs : aller à l’étranger, y acqué­rir une expé­rience pro­fes­sion­nelle dans le monde de la recherche et de l’entreprise (nous sommes une école d’ingénieurs), accueillir des élèves et des col­lègues étran­gers. Enfin, la réforme passe par le déve­lop­pe­ment de la recherche, tout par­ti­cu­liè­re­ment en obte­nant le sou­tien des entreprises.

Quel a été le contenu de l’entretien que vous avez eu récemment avec M. Richard ?

Les grandes lignes de la réforme sont tra­cées. Main­te­nant nous avons devant nous le Grand Œuvre : sa mise en appli­ca­tion et sur­tout sa réus­site. Il y a beau­coup à faire et ce sera dif­fi­cile. Il fau­dra la mobi­li­sa­tion de tous les per­son­nels de l’École et des élèves, ain­si que le plein sou­tien de la tutelle. C’est pour­quoi j’ai deman­dé au ministre d’inscrire la réforme X 2000 dans un contrat plu­ri­an­nuel qui pré­cise bien les objec­tifs à atteindre, le calen­drier et les moyens néces­saires. Le ministre a bien vou­lu me don­ner son accord, et nous devrions pou­voir signer un tel contrat dans les pro­chains mois.

Quelle est la position de l’École à propos des rapports que les élèves doivent entretenir avec la défense ?
Pourquoi la réforme actuelle conserve-t- elle un statut militaire aux X ?

L’École a une triple voca­tion. D’abord, for­mer des cadres, des inno­va­teurs, des entre­pre­neurs, pour les entre­prises, dans un contexte de mon­dia­li­sa­tion. Ensuite, for­mer des hauts fonc­tion­naires pour l’État, dont les mis­sions évo­luent, dans le contexte d’intégration euro­péenne et d’internationalisation. Enfin for­mer des scien­ti­fiques, comme tou­jours dans un contexte d’excellence au niveau mon­dial. Fina­le­ment, cette triple voca­tion concerne l’ensemble des forces vives du pays, en liai­son extrê­me­ment étroite avec le reste du monde. Qui mieux que la défense peut por­ter une ambi­tion aus­si large, aus­si mul­ti­forme, concer­nant l’avenir de notre pays comme membre de l’Union euro­péenne et comme acteur enga­gé au sein de la com­mu­nau­té internationale ?

Quels sont les atouts de l’École en matière d’ouverture internationale ?

De nom­breux échanges existent déjà au niveau des ensei­gne­ments et des labo­ra­toires. Par ailleurs, un tra­vail impor­tant a été accom­pli pour accueillir des étu­diants étran­gers et pour envoyer nos élèves en stage ou en for­ma­tion en dehors de nos fron­tières. Pour pour­suivre cet effort, je crois qu’il faut s’appuyer sur les réseaux de rela­tions qu’ont construits les ensei­gnants et les cher­cheurs de l’École avec leurs col­lègues de nom­breux pays.

En fai­sant masse de toutes ces rela­tions, on peut en faire une véri­table poli­tique d’ouverture inter­na­tio­nale de l’École. Il faut choi­sir une cible de pays déve­lop­pés et de pays émer­gents prio­ri­taires, et sélec­tion­ner, dans chaque pays ciblé, des par­te­naires pri­vi­lé­giés afin de réa­li­ser avec eux (avec leurs ensei­gnants, leurs cher­cheurs et leurs étu­diants) des échanges dans les deux sens. Nous aurons aus­si besoin de l’appui de nos par­te­naires indus­triels : en effet, ils sont implan­tés à l’étranger et ils sont deman­deurs d’étudiants ayant une expé­rience inter­na­tio­nale. Ils sont donc tout dis­po­sés à nous aider, par exemple pour défi­nir les pays prio­ri­taires, ou pour pro­po­ser des stages à nos élèves ; ils peuvent aus­si nous aider à faire vivre notre poli­tique inter­na­tio­nale sur place.

Ont-ils également un rôle à jouer dans la recherche ? Le développement des ressources propres de l’École passe-t-il par eux ?

Bien sûr. Notre recherche est au meilleur niveau mon­dial. Donc elle inté­resse nos par­te­naires indus­triels. Nous sommes l’une des meilleures écoles d’ingénieurs du monde. Nous sommes donc par nature très proches du monde de l’entreprise (indus­trie ou ser­vice) qui recrute nos élèves et qui a besoin de nos recherches. L’enseignement et la recherche sont tous les deux concer­nés par cette proxi­mi­té. Pour nous déve­lop­per, c’est une oppor­tu­ni­té for­mi­dable que de pou­voir inté­res­ser les entre­prises. A nous de savoir faire ce qu’il faut pour répondre à leurs besoins et leur appor­ter ce qui les inté­resse. Avec leur sou­tien nous pour­rons déve­lop­per la recherche et l’enseignement, puisqu’on sait bien que les finances publiques seules ne nous le per­met­tront pas.

Comment le centre de recherche doit-il évoluer ? Quels sont les avantages et les inconvénients d’une structure de 23 laboratoires dont les domaines de recherche sont aussi différents les uns des autres ?

La recherche vise l’excellence mon­diale. Pour res­ter com­pé­ti­tifs, il est néces­saire que les labo­ra­toires d’une dis­ci­pline don­née soient maillés avec leurs homo­logues du monde entier. De plus, l’École poly­tech­nique, grâce à sa plu­ri­dis­ci­pli­na­ri­té, a la pos­si­bi­li­té de se posi­tion­ner aux inter­faces, extrê­me­ment fécondes, entre dif­fé­rentes sciences et dis­ci­plines. Cela fait sa force.

L’entreprise à laquelle vous appartenez, EDF, axe actuellement sa communication sur l’écologie et le développement durable. Est-ce que vous serez sensible, dans les limites permises par votre fonction à l’X mais avec peut-être plus d’acuité que d’autres chefs d’entreprise (moins habitués par leurs secteurs d’activité à ces préoccupations), à faire en sorte que les polytechniciens qui sortent de l’École gardent le souci de l’environnement, de la cohésion sociale, de l’intérêt général ?

Ce n’est pas la com­mu­ni­ca­tion d’EDF qui est axée sur le déve­lop­pe­ment durable : c’est sa stra­té­gie ! (la com­mu­ni­ca­tion ne fait que suivre). À EDF, nous misons sur le déve­lop­pe­ment durable parce que nous maî­tri­sons la tota­li­té des sources d’énergie (de l’hydraulique aux piles à com­bus­tible, du nucléaire à l’énergie éolienne…) et que toute cette varié­té, ce mix éner­gé­tique, est néces­saire pour faire face à la crois­sance de la demande dans le monde, tout en pré­ser­vant l’environnement dans la durée. C’est pour nous, dans la concur­rence, un atout qui nous per­met de mieux ser­vir nos clients dans le monde entier, et de satis­faire toutes leurs demandes en leur fai­sant des offres adap­tées à n’importe quelle situa­tion locale.

A prio­ri, je pré­fère ne pas mélan­ger mes cas­quettes de pré­sident du conseil d’administration de l’École et de direc­teur géné­ral délé­gué indus­trie d’EDF. Mais peut-être y a‑t-il, en effet, une idée à creu­ser, car le déve­lop­pe­ment durable consiste à répondre de façon équi­li­brée aux besoins de déve­lop­pe­ment éco­no­mique, de déve­lop­pe­ment social et de pro­tec­tion de l’environnement. Or, ces valeurs sont jus­te­ment celles de l’École : par les dif­fé­rentes facettes de sa for­ma­tion, elle pré­pare les élèves à être plei­ne­ment acteurs de ce défi majeur pour l’avenir qu’est le déve­lop­pe­ment durable.

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