Pour qui roulent les polytechniciens ? — (2)

Dossier : ExpressionsMagazine N°696 Juin/Juillet 2014
Par François GIBERT (70)

En juin 2003, Marc Flen­der (92) avait posé la ques­tion dans les libres opi­nions de La Jaune et la Rouge. Pour l’entreprise, le libé­ra­lisme, l’argent ? C’est ain­si qu’est né le groupe Poly­dées, qui regroupe une soixan­taine de membres actifs.

Les échanges entre­te­nus depuis plus de dix ans ont été riches. Citons, pêle-mêle, néces­si­té des très hautes rému­né­ra­tions, libre cir­cu­la­tion des capi­taux et mon­naies, consan­gui­ni­té des hauts fonc­tion­naires et des diri­geants des grands groupes, ou éta­blis­se­ments finan­ciers, fis­ca­li­té du tra­vail et du capi­tal, réchauf­fe­ment cli­ma­tique et fini­tude de notre pla­nète, etc.

Et puis est arri­vée la crise finan­cière de 2007 et 2008, qui est venue confir­mer la jus­tesse des inter­ro­ga­tions de ce petit groupe, à défaut d’y appor­ter des réponses.

Ces inter­ro­ga­tions se retrouvent aujourd’hui dans La Jaune et la Rouge, comme en témoignent quelques extraits pio­chés dans le numé­ro de décembre 2013 consa­cré à l’entreprise dans la société :

  • Gil­bert Ribes (56) : « En qua­rante ans le capi­ta­lisme serait pas­sé d’une logique indus­trielle et entre­pre­neu­riale à une logique finan­cière et spé­cu­la­tive, moins sou­cieuse des inté­rêts des sala­riés et de la société ?»
  • Fran­çois Drouin (71) : « Cela sup­pose des inves­tis­seurs avi­sés, patients, res­pec­tueux du pro­jet d’entreprise, qui n’attendent pas de retours déme­su­rés, rapides et dis­pro­por­tion­nés sur l’argent qu’ils ont immobilisé. »
  • Pierre Gat­taz : « La fis­ca­li­té devrait […] taxer la spé­cu­la­tion, la rente et le tra­ding haute fré­quence. » Il dénonce aus­si « les para­chutes dorés et les retraites indécentes ».
  • Franck Lir­zin (2003) et Laurent Daniel (96) : « Il faut encou­ra­ger les capi­taux patients et les action­naires de long terme, résis­ter à la ten­ta­tion des éva­lua­tions permanentes. »

Aujourd’hui, que dire, que faire ? Une ana­lyse cou­rante est de consi­dé­rer que la crise est pas­sée et que seule la France est encore à la traîne en rai­son des défauts de son cen­tra­lisme, de ses struc­tures admi­nis­tra­tives hyper­tro­phiées et de son manque de flexibilité.

Même si ces freins et tares sont bien réels, nous consi­dé­rons que cette approche est très insuf­fi­sante. Les fon­da­men­taux demeurent : la masse des actifs finan­ciers est reve­nue en 2013 à des ratios d’avant-crise, soit plus de quatre fois le PIB mon­dial, contre une fois dans les années 1970. Les pro­fits aug­mentent, mais ali­mentent moins l’investissement pro­duc­tif que la spé­cu­la­tion sur actifs divers (dont immo­bi­liers). L’emprise du court terme se pour­suit avec des recherches de ren­de­ments éco­no­miques incom­pa­tibles avec un déve­lop­pe­ment durable et équi­li­bré de notre planète.

Des hommes cou­ra­geux et des pen­sées nova­trices et struc­tu­rantes sont néces­saires. En 1930, l’économie libre a pro­duit à la fois Roo­se­velt (qui s’est bat­tu pied à pied et avec suc­cès contre les excès de la finance) et Keynes (qui a déve­lop­pé un cor­pus éco­no­mique solide).

En 2014, le monde est plus inter­dé­pen­dant, et n’a plus de lea­der capable de chan­ger les règles. Les États- Unis sont affai­blis par leur dette, l’Europe est divi­sée, et la Chine doit résoudre ses pro­blèmes de crois­sance dés­équi­li­brée. Cette absence ne doit pas nous empê­cher de réflé­chir à ces règles du jeu économique.

C’est même essen­tiel pour la France, pour l’Europe et le monde entier. Il est de la res­pon­sa­bi­li­té des élites de bien com­prendre les erreurs pas­sées comme de pro­po­ser des voies pour rele­ver ces défis et faire émer­ger des consensus.

À notre modeste échelle, ici fran­çaise et poly­tech­ni­cienne, nous invi­tons donc tous ceux que ce dis­cours inter­pelle à nous écrire, à rejoindre notre groupe d’échange, à l’enrichir, à le dynamiser.

L’ar­ticle ini­tial : Pour qui roulent les poly­tech­ni­ciens de Marc Flen­der (92)

De nom­breuses réac­tions sont parues dans La Jaune et la Rouge, et sont regrou­pées sur le site de Polydées.

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