Pierre LUCAS (44)

Dossier : ExpressionsMagazine N°621 Janvier 2007
Par Jean DUQUESNE (52)

Pierre LUCAS nous a quit­tés le 29 sep­tembre der­nier. Né à Givry-en-Argonne le 13 juillet 1924, il fait ses études secon­daires au lycée de Rennes et y pré­pare l’X.

Il est reçu à l’É­cole en 1944, mais pour des rai­sons de san­té, il fait ses deux ans d’é­tudes avec la pro­mo 45. Il en sort dans le corps des télé­com­mu­ni­ca­tions et après deux ans à l’ENST débute à la direc­tion régio­nale de Rennes, où il est char­gé de remettre en route le réseau per­tur­bé par la guerre, notam­ment dans des villes sinis­trées comme Saint-Malo et Brest. 

Au bout d’un an il est affec­té au CNET1 au dépar­te­ment com­mu­ta­tion diri­gé par Gas­ton Letel­lier (23), où il devient très rapi­de­ment le spé­cia­lise des sys­tèmes à barres croi­sées (ou cross­bar) qui repré­sen­taient à l’é­poque le nec plus ultra en matière de cen­traux téléphoniques.

Il par­ti­cipe avec brio à la mise au point des pre­miers cen­traux cross­bar, en sys­tème Penta­con­ta à Melun (1955) et en sys­tème CP400 à Beau­vais (1956). Pierre Mar­zin (25), direc­teur du CNET, crée alors au prin­temps 1957 le dépar­te­ment Recherches sur les machines élec­tro­niques (RME) qu’il confie à Louis-Joseph Libois (41), futur direc­teur géné­ral des télé­com­mu­ni­ca­tions. Pierre Lucas le rejoint alors pour faire pro­fi­ter le nou­veau dépar­te­ment de son expé­rience des com­mu­ta­teurs et des réseaux. Le pro­gramme était ambi­tieux : il s’a­gis­sait ni plus ni moins de his­ser la France au niveau qu’a­vaient atteint les États- Unis, à une époque où notre pays était obli­gé d’im­por­ter les tech­no­lo­gies néces­saires aux télé­com­mu­ni­ca­tions. Cin­quante ans après, l’exis­tence de France Télé­com et d’Al­ca­tel atteste que ce pari fut gagné.

Pierre Lucas en fut un des acteurs émi­nents, dis­cret mais ins­pi­ré, grâce à une ima­gi­na­tion tech­nique foi­son­nante et à une vision pros­pec­tive par­ti­cu­liè­re­ment aiguë. Grâce à lui diverses solu­tions tech­niques ont pu être explo­rées, avant le choix des sys­tèmes de com­mu­ta­tion tem­po­relle d’au­jourd’­hui : en par­ti­cu­lier sys­tème semi­élec­tro­nique à com­mu­ta­teurs cross­bar (pro­jet SOCRATE), sys­tèmes à relais à tiges (pro­jet PÉRICLÈS). Même si ces solu­tions n’ont pas été rete­nues par la suite, grâce aux tra­vaux du Centre de recherches du CNET à Lan­nion sur la com­mu­ta­tion tem­po­relle, ani­mé par Louis-Joseph Libois et André Pinet, elles ont per­mis de résoudre les pro­blèmes de la com­mande des com­mu­ta­teurs par ordi­na­teur, notam­ment ceux de la per­ma­nence du ser­vice et de l’é­cou­le­ment du trafic.

Pierre Lucas n’a pas limi­té aux com­mu­ta­teurs télé­pho­niques son acti­vi­té tech­nique ; il a joué un rôle impor­tant dans la com­mu­ta­tion de paquets (réseau TRANSPAC) et a créé les pre­mières bases de ce qui allait deve­nir par la suite le réseau Inter­net. Sa fécon­di­té s’est concré­ti­sée par le dépôt de cin­quante-quatre bre­vets et la rédac­tion de très nom­breux articles, fai­sant men­tir l’i­dée reçue selon laquelle les poly­tech­ni­ciens ne seraient pas créa­tifs. Il reçut d’ailleurs en 1985 le prix Chris­tophe Colomb de la ville de Gênes pour l’en­semble de son œuvre, dis­tinc­tion pres­ti­gieuse attri­buée avant et après lui à des acteurs majeurs de la science et de la tech­nique. Il fut l’un des trois Fran­çais avec Louis Armand et Mau­rice Ponte à le rece­voir depuis 1955. Par­mi les étran­gers on relè­ve­ra David Sar­nof, George H. Gal­lup, Lojo­la de Pala­cio, com­mis­saire euro­péenne, la NASA ou l’A­ca­dé­mie des sciences de l’URSS, excu­sez du peu !

Ses tra­vaux s’ac­com­pa­gnèrent d’une intense col­la­bo­ra­tion avec les orga­nismes inter­na­tio­naux, notam­ment l’UIT (Union inter­na­tio­nale des télécommunications).

Retrai­té en 1989, il s’ins­talle dans la mai­son fami­liale de Lézat-sur-Lèze (Ariège) avec son épouse Simone où il se met aus­si­tôt au tra­vail dans un domaine nou­veau et rédige une His­toire de Lézat, qui est, pou­vait-on en dou­ter, un monu­ment d’é­ru­di­tion. Il nous a quit­tés le 29 sep­tembre et, dans un syn­chro­nisme émou­vant, sa femme le sui­vit deux jours après lais­sant deux fils et une fille, huit petits-enfants et deux arrière-petits-enfants. Ingé­nieur géné­ral des télé­com­mu­ni­ca­tions, il était che­va­lier de la Légion d’hon­neur et com­man­deur de l’ordre natio­nal du Mérite. Nous gar­de­rons fidè­le­ment le sou­ve­nir de ce grand chré­tien, riche de remar­quables qua­li­tés humaines et de ce maître à pen­ser des télécommunications.

1. Centre natio­nal d’é­tudes des télé­com­mu­ni­ca­tions, aujourd’­hui France Télé­com Recherche

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