Pièces

Dossier : Arts, Lettres et SciencesMagazine N°572 Février 2002Par : Philippe Minyana, dans une mise en scène de Robert CantarellaRédacteur : Philippe OBLIN (46)

Dans une revue sérieuse à sou­hait, je lisais l’autre jour que la fonc­tion de met­teur en scène étant essen­tielle – au sens fort d’essence des choses, en l’occurrence du théâtre – le met­teur en scène pou­vait, selon son gré, pro­duire un spec­tacle rin­gard à par­tir d’un texte contem­po­rain ou, au contraire, rendre contem­po­rain un texte clas­sique. L’auteur ne disait pas que le clas­sique fût rin­gard par nature, mais il écla­tait au regard qu’il l’en soupçonnait.

On com­pre­nait ain­si que le théâtre ne sau­rait être que contem­po­rain ou rin­gard. Cet adjec­tif ne pas­sant pas pour flat­teur, l’atroce alter­na­tive me frap­pa si vive­ment que je sen­tis l’urgente néces­si­té de me réno­ver l’esprit en voyant jouer une pièce qui serait toute contem­po­raine, tant par le texte que par la mise en scène, c’est-à-dire exempte du moindre relent de ringardise.

Il se trou­va que le Centre Dra­ma­tique Natio­nal de Créa­tion – je res­pecte les majus­cules du pros­pec­tus – en son THÉÂTRE OUVERT don­nait Pièces de Phi­lippe Minya­na, dans une mise en scène de Robert Can­ta­rel­la. La seule lec­ture de la pré­sen­ta­tion par le met­teur en scène me convain­quit de la per­ti­nence de mon choix. On y appre­nait en effet que Pièces “ était la mise en écri­ture d’un che­min de croix (…) avec des des­crip­tions arpen­tant les espaces de nos fic­tions contem­po­raines ”. Sur le pros­pec­tus, on voyait en outre des pièces déta­chées de diverses tailles, aidant le spec­ta­teur à com­prendre le sens de ce titre un peu mys­té­rieux. Tout à fait donc ce que je cher­chais : du contem­po­rain commenté.

Il ne semble pour­tant pas atti­rer les foules : la salle, bien que petite, était plu­tôt clair­se­mée. On comp­tait tout de même plus de spec­ta­teurs que d’acteurs (huit pro­fes­sion­nels et neuf ama­teurs, ces der­niers tous excel­lents), mais pas tel­le­ment plus. Si l’on ajoute qu’il y a cin­quante-trois per­son­nages – chaque comé­dien joue plu­sieurs rôles – on dépas­sait sans doute ain­si le nombre de spectateurs.

Le sujet de Pièces sem­blait por­teur, et même assez ori­gi­nal : un homme seul, Tac, un peu ridi­cule, un peu pau­mé, face à l’opinion que se forgent sur lui ses voi­sins, des pas­sants, sa soeur, son pro­prié­taire. On se deman­dait cepen­dant si ce thème répon­dait bien aux apti­tudes de l’auteur, qui paraît plus à l’aise dans la trans­crip­tion scé­nique d’émotions ou de sou­ve­nirs per­son­nels que dans la conduite d’une action dra­ma­tique ou l’expression poé­tique d’une situation.

On voyait suc­ces­si­ve­ment des gens racon­ter l’expulsion de Tac, ce qu’on avait trou­vé dans les pou­belles, Tac reve­nir dans son vil­lage natal, un homme n’en finir pas de démo­lir un mur sans rien dire, une femme tenant une branche dis­pa­raître sous terre, et il ne res­tait plus que la branche, un pas­sant nar­rer ses démê­lés avec l’hôpital après la mort acci­den­telle de son fils, à pro­pos de pré­lè­ve­ments d’organes, quatre dames prendre le thé en répé­tant tout le temps les mêmes phrases et, après leur départ, la petite bonne qui les avait ser­vies se jeter par la fenêtre avec un cri affreux mais sans rai­son appa­rente, et quan­ti­té d’autres choses aus­si sai­sis­santes, mais par­fois sans lien clair avec la vie de Tac.

M. Minya­na écrit sou­vent pour la radio, et cela s’entendait : beau­coup de brui­tages, son­nette à une porte, chien qui aboie au loin, la cloche du vil­lage… J’attendis même (avec une brève inquié­tude) le bruit que ferait la petite bonne en s’écrasant sur le sol, mais non, le réa­lisme n’allait pas jusque-là.

Il est tou­jours ins­truc­tif d’observer le public à la sor­tie d’un théâtre. Après Pièces, on lisait sur les visages comme un silen­cieux acca­ble­ment. Né sans doute, pour les uns, du désar­roi hon­teux de n’avoir pas com­pris grand-chose et de s’être ennuyés à un spec­tacle pour­tant d’une moder­ni­té cen­sée leur vivi­fier l’intellect ; pour d’autres, jailli de la souf­france d’avoir, une fois de plus et deux heures durant, savou­ré la dure­té de la condi­tion humaine.

Un seul moment d’émotion vraie, dû beau­coup au talent d’Yves Duha­zé et de sa dic­tion d’halluciné, quand il joue le rôle de ce père évo­quant la mort de son fils trans­por­té dans le coma à l’hôpital. Mais pour le reste… L’auteur explique, en une longue page de bro­chure, avoir mis dans Pièces beau­coup de soi. On le croit, mais si les états d’âme aident peut-être à faire du théâtre contem­po­rain, je crains qu’ils ne suf­fisent pas au théâtre tout court.

Voi­là, chers lec­teurs, qu’une peur me sai­sit au moment de vous quit­ter : celle d’avoir une plume plus rin­garde qu’il n’est concevable.

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