CD Intégrale sonate Mozart par Fazil Say

Piano, pianistes

Dossier : Arts,Lettres et SciencesMagazine N°718 Octobre 2016Rédacteur : Jean SALMONA (56)

De tous les ins­tru­ments, c’est le pia­no qui offre la plus grande varié­té d’interprétations pos­sibles ; sans doute parce que le pia­no moderne, à la dif­fé­rence du cla­ve­cin, ouvre à l’interprète d’infinies nuances de tou­cher, d’attaque, de déca­lage entre les deux mains, sans par­ler du jeu des deux pédales ni de la vir­tuo­si­té que per­met la tech­nique « d’échappement libre ». 

En peu de mots : un orchestre aux pos­si­bi­li­tés presque infi­nies, sou­mis à la volon­té d’un seul inter­prète. Aus­si, la flèche de Satie n’est-elle que l’expression aigrie d’un atra­bi­laire excen­trique qui, comme The­lo­nius Monk, fut un grand créa­teur et un pia­niste médiocre. 

FAZIL SAY – L’INTÉGRALE DES SONATES DE MOZART

Fazil Say est sou­vent consi­dé­ré comme un inter­prète quelque peu sul­fu­reux. Vir­tuose, il n’hésite pas à jouer en bis une varia­tion sub­tile, drôle et brillan­tis­sime sur la Marche turque de Mozart, à impro­vi­ser en jazz, et autres fan­tai­sies hors des sen­tiers bat­tus qui font fron­cer les sour­cils aux puristes. 

Aus­si pou­vait-on attendre avec curio­si­té et une cer­taine méfiance l’intégrale des Sonates de Mozart enre­gis­trées en 2014 et dont l’édition sort ce mois-ci1.

Il y a deux façons de consi­dé­rer et d’interpréter la musique de Mozart. La plus cou­rante, celle qu’évoque Nietzsche, est de l’envelopper de mélan­co­lie, en ligne avec la per­cep­tion que l’on a de sa vie dif­fi­cile et de la jouer en demi-teinte. 

La seconde est à l’opposé : Mozart rageur, éter­nel enfant génial, sorte de Rim­baud de la musique. C’est de toute évi­dence cette der­nière vision de Mozart qui est celle de Fazil Say et le résul­tat, il faut bien le dire, est explo­sif et… mer­veilleu­se­ment jubilatoire. 

La tech­nique d’acier de Say est impec­cable, et son jeu d’une par­faite clar­té, comme il sié­rait à du Scar­lat­ti. En même temps, il déborde d’énergie et de créa­ti­vi­té, bous­cule les idées reçues mais sans jamais tirer la cou­ver­ture à lui, si l’on ose dire : c’est tou­jours du Mozart ser­vi par un pia­niste d’exception et res­pec­tueux du com­po­si­teur qu’il interprète. 

Écou­tez la Sonate n° 9 en la mineur, que vous connais­sez bien, écrite à Paris après la mort de sa mère, et vous la trou­ve­rez renou­ve­lée, non pas mélan­co­lique et rési­gnée mais révoltée. 

Écou­tez la Fan­tai­sie en ut mineur K.475 : ce n’est pas du pré­ro­man­tique comme on la joue sou­vent mais un Mozart vigou­reux et créa­tif qui met un point final au XVIIIe siècle. Et vous décou­vri­rez plu­sieurs de ces sonates – vous ne les connais­siez pas toutes – dans une inter­pré­ta­tion exem­plaire, enle­vée, tendre, colo­rée, diverse et lumineuse. 

Au fond, Fazil Say nous rap­pelle… Vla­di­mir Horo­witz. Un très grand enre­gis­tre­ment, qui renou­velle heu­reu­se­ment celui, ancien, de Gieseking. 

TIGRAN HAMASYAN – ATMOSPHÈRES

CD ATMOSPHÈRES de Tigran HamasyanTigran Hama­syan est un des plus créa­tifs pia­nistes de jazz d’aujourd’hui. Jazz n’est d’ailleurs pas le mot juste : il impro­vise en géné­ral sur des thèmes tra­di­tion­nels armé­niens, dans des for­ma­tions clas­siques de jazz, trio, quar­tette, quintette. 

Sous le titre Atmo­sphères, il vient d’enregistrer avec le trom­pet­tiste Arve Hen­rik­sen, le gui­ta­riste Eivind Aar­set et le mixeur Jan Bang une suite de pièces qui échappent à toute clas­si­fi­ca­tion2.

Ce sont des « pay­sages sonores » dans les­quels l’auditeur est invi­té à s’immerger, musique sereine et d’une extra­or­di­naire puis­sance oni­rique, qui incite à la médi­ta­tion. Musique tonale, sub­tile, douce et mini­ma­liste mais non répé­ti­tive, hyp­no­tique et dans laquelle on se fond avec délice. 

Voi­là qui change des élu­cu­bra­tions pré­ten­tieuses et sou­vent ennuyeuses de nombre de créa­teurs contem­po­rains. Si vous êtes stres­sé et res­sen­tez le besoin de décom­pres­ser, pre­nez un verre de votre vin pré­fé­ré, allon­gez-vous sur une chaise longue et plon­gez-vous dans Atmo­sphères. Vous en sor­ti­rez régénéré. 

VALENTINA LISITSA – LOVE STORY

La forme pia­no et orchestre, si bien déve­lop­pée dans les concer­tos roman­tiques et post­ro­man­tiques, a four­ni cer­taines des plus belles des musiques de film. Des films ont fait appel à des concer­tos pré­exis­tants, tel le 2e Concer­to de Rach­ma­ni­nov pour le film Brève Ren­contre de David Lean.CD Love Story de Valentina Lisitsa

Mais nombre d’autres petits « concer­tos » pour pia­no et orchestre ont été écrits spé­cia­le­ment pour des films. Il s’agit en géné­ral de musiques tonales, bien écrites mais sans aucune recherche, et qui n’ont d’autre pré­ten­tion que d’accompagner et d’amplifier l’émotion sus­ci­tée par les images. 

L’archétype en est le célèbre Concer­to de Var­so­vie de Richard Addin­sell écrit pour le film Dan­ge­rous Moon­light, dont les thèmes n’ont rien à envier à ceux des concer­tos de Rachmaninov. 

Il figure en tête des 15 « concer­tos de films » enre­gis­trés par Valen­ti­na Lisit­sa et le BBC Concert Orches­tra3 sous le titre Love Sto­ry – Pia­no themes from cinema’s gol­den age.

Les puristes feront la fine bouche devant ces musiques déli­cieu­se­ment sucrées et sédui­santes, que tel aya­tol­lah de la musique contem­po­raine aujourd’hui dis­pa­ru aurait sans doute mépri­sées : nous, nous aimons bien. 

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1. 6 CD WARNER CLASSICS.
2. 2 CD ECM.
3. 1 CD DECCA.

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