Normalisation et éthique, un mariage impossible ?

Dossier : ExpressionsMagazine N°668 Octobre 2011
Par Maurice BERNARD (48)

Point de départ
Ces réflexions font suite à une confé­rence orga­ni­sée en mai 2011 par l’As­so­cia­tion ami­cale des ingé­nieurs des mines. Les par­ti­ci­pants étaient pour la plu­part impli­qués pro­fes­sion­nel­le­ment dans les sys­tèmes d’é­la­bo­ra­tion de normes, dans les groupes de recherche de consensus.

La ques­tion cen­trale qui se pose en matière de nor­ma­li­sa­tion est l’im­pro­bable conver­gence entre inté­rêts pri­vés et inté­rêt géné­ral. Cette ques­tion n’a pas de solu­tion effec­tive, ou plu­tôt il ne pou­vait en exis­ter une que dans le cadre natio­nal où l’É­tat rem­plis­sait la fonc­tion réga­lienne de défi­nir l’in­té­rêt géné­ral, le » bien com­mun », et de faire obser­ver les règle­ments appro­priés. Cette conver­gence, à l’heure de la mon­dia­li­sa­tion, est deve­nue illu­soire puisque aucune fonc­tion réga­lienne n’existe plus au niveau euro­péen, et moins encore au niveau mondial.

Il s’a­git d’un pro­blème poli­tique que les spé­cia­listes de la nor­ma­li­sa­tion peinent à appré­hen­der. Mais les pou­voirs publics com­mencent enfin à vou­loir impli­quer les consom­ma­teurs dans la méca­nique de la normalisation.

Précédents

Sans le flam­beau de l’His­toire l’es­prit che­mine dans l’obscurité

Reve­nons aux leçons de l’his­toire, en nous sou­ve­nant des mots d’A­lexis de Toc­que­ville : » Sans le flam­beau de l’His­toire, l’es­prit che­mine dans l’obs­cu­ri­té. » Au début du XIXe siècle, l’i­dée de nor­ma­li­ser les échanges de mes­sages écrits, échange pra­ti­qué depuis des siècles, se fait jour. Ain­si naît le timbre-poste en 1840 en Angle­terre, le cachet de la poste, etc. L’U­nion pos­tale inter­na­tio­nale voit le jour, et devient en 1874 l’U­PU, l’U­nion pos­tale universelle.

À la fin du siècle, on nor­ma­lise les com­mu­ni­ca­tions télé­gra­phiques, télé­pho­niques, radio­élec­triques : ain­si naît l’UIT, Union inter­na­tio­nale des télé­com­mu­ni­ca­tions. Qui a fonc­tion­né plu­tôt bien jus­qu’au tsu­na­mi récent de la mon­dia­li­sa­tion à outrance. Dans ces deux domaines, des normes inter­na­tio­nales uni­ver­sel­le­ment adop­tées ont été res­pec­tées durant des décen­nies qui ont per­mis aux inté­rêts pri­vés de pros­pé­rer, sans que l’in­té­rêt géné­ral soit gra­ve­ment compromis.

Enjeux concurrentiels

Scan­dales
Le scan­dale des ascen­seurs fait l’ob­jet d’une indi­gna­tion una­nime chez les experts en matière de règles et normes. Mais per­sonne ne sait expli­quer com­ment l’É­tat a, en France, éta­bli à ce sujet les régle­men­ta­tions que l’on sait, qui appau­vrissent les plus modestes et enri­chissent quelques entre­prises. Car­touches d’encre pour impri­mantes, cap­sules pour machines à café, normes finan­cières et bien d’autres sujets sou­lèvent le même type de question.

Dans de nom­breux domaines, la nor­ma­li­sa­tion a long­temps été uti­li­sée comme frein à la concur­rence et comme défense de mono­poles abu­sifs. Il était légi­time, même du point de vue de l’in­té­rêt géné­ral, que l’a­dop­tion de normes évo­lue sous l’in­fluence du pro­grès technique.

Depuis plus de trente ans, le déve­lop­pe­ment accé­lé­ré des tech­no­lo­gies, pous­sé par un libé­ra­lisme éco­no­mique éri­gé en dogme uni­ver­sel, encou­rage l’a­dop­tion pré­ci­pi­tée de normes dans des domaines où manque le recul social et politique.

Dans les affron­te­ments d’au­jourd’­hui, l’in­té­rêt géné­ral ne fait pas le poids devant les inté­rêts pri­vés, notam­ment industriels.

Nouvelle éthique

Que faire ? Qu’es­pé­rer ? L’Eu­rope n’est pas près d’a­voir un numé­ro de télé­phone unique. Le gou­ver­ne­ment mon­dial reste un rêve. Pour­tant, par­fois, une cer­taine opi­nion pla­né­taire se dégage. Par exemple, l’i­dée que le vivant n’est pas bre­ve­table pro­gresse. Pour­quoi des éco­no­mistes, des socio­logues, des poli­tiques ne pour­raient-ils pas déve­lop­per l’i­dée que l’ac­cès au consom­mable est un droit uni­ver­sel et que par consé­quent les bre­vets tou­chant à la connec­tique devraient rele­ver d’un orga­nisme mon­dial spécifique ?

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