MUSIQUE ENTRE AMIS

Dossier : Arts, Lettres et SciencesMagazine N°662 Février 2011Rédacteur : Jean Salmona (56)

Faire de la musique entre amis : quoi de plus cha­leu­reux ? Mais aus­si quel risque de médio­cri­té, si la qua­li­té des inter­prètes n’est pas au ren­dez- vous, ou s’ils ne prennent pas leur musique au sérieux. Aus­si, ce qu’il y a de mieux, c’est de la musique jouée par des musi­ciens rigou­reux et géné­reux comme s’ils jouaient pour des amis.

Café Zimmermann

On sait qu’à l’époque de Bach il n’existait pas de salles de concert ni d’orchestres per­ma­nents en dehors des cours : des orchestres de for­tune, consti­tués essen­tiel­le­ment d’étudiants, jouaient notam­ment dans des cafés, pour les consom­ma­teurs. Ain­si, lorsque sa pro­duc­tion contrac­tuelle de can­tates pour les églises de Leip­zig lui en lais­sait le temps, Bach réunis­sait son col­le­gium musi­cum au Café Zim­mer­mann. En douze ans, il don­na ain­si plus de 600 concerts. C’est en sou­ve­nir de cette époque qu’un ensemble, dénom­mé pré­ci­sé­ment Café Zim­mer­mann, a enre­gis­tré quatre pièces que Bach1 a sans doute don­nées avec son col­le­gium : l’Ouverture (Suite) n° 3 en ré majeur, le 6e Concer­to bran­de­bour­geois, le Concer­to pour trois cla­ve­cins, et le Concer­to pour cla­ve­cin en fa majeur, à l’ineffable mou­ve­ment lent (qui joue un rôle cen­tral, vous vous en sou­ve­nez sans doute, dans le film Han­nah et ses soeurs de Woo­dy Allen). Musiques à la fois claires et jubi­la­toires, rigou­reuses mais rien moins que com­pas­sées, comme le bon vivant Bach aimait sans doute à les diri­ger. Un bon point : la célé­bris­sime aria de la Suite en ré est jouée andante à la dif­fé­rence de tant d’interprétations ada­gio larmoyantes.

Ferdinand Ries (1784−1838)

Une décou­verte comme on n’en fait pas deux par an : Ries, pia­niste rhé­nan, est un com­po­si­teur oublié et pour­tant majeur des débuts du Roman­tisme, dont l’ensemble Oxa­lys a enre­gis­tré les six Qua­tuors avec flûte2. Ries se sou­vient de Bee­tho­ven – qui a été son maître – et aus­si de Mozart et Haydn, et il écrit une musique mer­veilleu­se­ment mélo­dique, très tra­vaillée, super­be­ment écrite, d’une époque dorée où il n’était pas néces­saire d’inventer un lan­gage ni même un style nou­veau pour faire oeuvre nou­velle. Cou­rez, toutes affaires ces­santes, écou­ter les Qua­tuors avec flûte de Ries et prenez‑y un plai­sir sans mélange.

Musique russe à Giverny


Mai­son de Monet à Giverny

Le Fes­ti­val de Giver­ny réunit chaque année des cham­bristes confir­més et juniors autour d’un thème, ici la musique russe. L’originalité de ce mil­lé­sime (2008) est dans le choix des oeuvres : à côté de l’archiconnu mais déli­cieux 2e Qua­tuor de Boro­dine figurent Trois pièces pour qua­tuor à cordes de Stra­vins­ki, trois Mélo­dies pour sopra­no de Rach­ma­ni­nov et, sur­tout, une trans­crip­tion pour orchestre à cordes du 8e Qua­tuor de Chos­ta­ko­vitch3. Ce 8e Qua­tuor est sans doute le plus fort du com­po­si­teur, musique poi­gnante que l’on ne peut pas écou­ter les yeux secs. Son carac­tère dra­ma­tique, déses­pé­ré, bou­le­ver­sant, pousse en géné­ral les for­ma­tions de qua­tuors à leurs limites et trouve – ce qui n’est pas usuel – son équi­libre et son apo­gée dans cette trans­crip­tion, due, il est vrai, à Rudolf Barchaï.

François de Larrard – Zoo

Les ama­teurs de jazz connaissent bien notre cama­rade Fran­çois de Lar­rard, pia­niste jazz­man pro­fes­sion­nel. Sous le titre Zoo4, il nous pro­pose, dans son der­nier disque, un par­cours com­plexe et ambi­tieux : « Une suite en poin­tillé, sur le thème de la cap­ti­vi­té. Chaque mor­ceau de la suite est struc­tu­ré par un osti­na­to de main gauche, sorte de cage dans laquelle un ani­mal tourne en rond. La main droite exprime les dési­rs…» Entre deux « cages », des échap­pées plus libres, un peu secrètes, comme Rose fait des courses ou Mayo.

À l’in­té­rieur du pré­texte de ce scé­na­rio- ligne direc­trice, Fran­çois de Lar­rard crée un lan­gage musi­cal jaz­zique nou­veau, qui évoque par­fois Bar­tok, Debus­sy, Monk, Bill Evans, mais qui est tout à fait per­son­nel. Ce lan­gage se dis­tingue par la rigueur de la forme qui encadre l’improvisation, une clar­té totale ser­vie par une tech­nique par­faite, une cer­taine aus­té­ri­té har­mo­nique qui ne se laisse jamais aller à la faci­li­té, enfin une maî­trise per­ma­nente du jeu, un sens de la mesure qui sont la marque de Fran­çois de Lar­rard, et qui en font l’un des grands du jazz fran­çais contem­po­rain, dans la lignée… de Cou­pe­rin, dont la pra­tique l’a cer­tai­ne­ment aidé à acqué­rir cette manière. La musique de Fran­çois de Lar­rard n’est pas d’accès facile – elle se mérite – mais l’effort de l’auditeur est récompensé.

Un grand disque.

1. 1 CD ALPHA
2. 2 CD FUGA LIBERA
3. 1 CD HYBRID’MUSIC
4. 1 CD YOLK

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