Monnaie électronique : Quel avenir pour BITCOIN ?

Dossier : ExpressionsMagazine N°698 Octobre 2014
Par Adrien BICHET (08)
Par Nicolas CLAUSSET (08)
Par Arnaud SELLEM (08)

Bit­coin est une mon­naie numé­rique, qui per­met de réa­li­ser des tran­sac­tions via Inter­net, qua­si immé­diates et tota­le­ment irréversibles.

Elle est née en décembre 2008, dans le tumulte de la crise finan­cière. Et, depuis, son évo­lu­tion est mar­quée par des crises successives.

Fin 2013, le cours explo­sait de 100 dol­lars le 2 octobre à 1 147 dol­lars le 4 décembre, plus haut his­to­rique à ce jour, sus­ci­tant un fort inté­rêt notam­ment média­tique auquel une nou­velle chute mit un terme.

“ Ce ne sont plus les banques qui traitent les transactions ”

Simul­ta­né­ment, plu­sieurs affaires ont ébran­lé des acteurs clés, comme la fer­me­ture de la place de mar­ché his­to­rique, MtGox, en février 2014.

Si la spec­ta­cu­laire hausse du cours explique en par­tie l’attention dont il a fait l’objet, son poten­tiel d’innovation est indé­niable. Dans le cadre de notre for­ma­tion au corps des Mines, nous avons donc vou­lu com­prendre non seule­ment le rôle et le fonc­tion­ne­ment de bit­coin, mais sur­tout les contro­verses dont il est l’ob­jet et ce qu’il nous apprend sur l’évolution de notre rap­port aux monnaies.

Une validation décentralisée compensée par la création monétaire

La vali­da­tion des tran­sac­tions de manière décen­tra­li­sée est l’innovation majeure de bit­coin : ce ne sont plus des ins­ti­tu­tions – les banques – mais des uti­li­sa­teurs – dénom­més les mineurs – qui traitent les flux de tran­sac­tions en temps réel.

Pour faire fonc­tion­ner le sys­tème, les mineurs mettent à sa dis­po­si­tion de la puis­sance de cal­cul. Or cela repré­sente un coût pour ces der­niers, dont le maté­riel, déve­lop­pé spé­cia­le­ment à cet effet et très rapi­de­ment obso­lète (figure 2), peut valoir jusqu’à plu­sieurs mil­liers de dollars.

La solu­tion appor­tée par bit­coin consiste à rému­né­rer les mineurs, en plus d’une com­mis­sion pré­le­vée sur les tran­sac­tions qu’ils valident, par de la créa­tion moné­taire (de nou­veaux bit­coins leur sont distribués).

Cette créa­tion moné­taire, connue à l’avance, décroît avec le temps de sorte à faire conver­ger la masse moné­taire vers une limite arbi­traire de 21 mil­lions de bit­coins. Cette « poli­tique moné­taire », mini­ma­liste par sa ges­tion rigide de l’offre de mon­naie, ne manque pas d’interroger, tant sur ses consé­quences éco­no­miques que sur les moti­va­tions qui ont conduit à l’adopter.

Bien qu’il soit impos­sible de répondre avec cer­ti­tude à ces ques­tions, il est sou­vent avan­cé que bit­coin serait ain­si struc­tu­rel­le­ment défla­tion­niste. De plus, la pré­dic­ti­bi­li­té de cette créa­tion moné­taire est sou­vent pré­sen­tée comme pro­tec­tion contre d’éventuelles dérives.

En effet, cer­tains croient y voir une appli­ca­tion des idées de Mil­ton Fried­man qui, dans un entre­tien, s’était décla­ré « favo­rable à rem­pla­cer la Fed par un ordi­na­teur » pour gérer l’émission moné­taire indé­pen­dam­ment des pres­sions poli­tiques. Ces inno­va­tions sont mises en musique par un méca­nisme dont le fonc­tion­ne­ment est détaillé dans l’encadré.

L’écosystème bitcoin

Tout un éco­sys­tème s’est pro­gres­si­ve­ment déve­lop­pé autour de bit­coin. Elé­ments cen­traux, des plates-formes d’échange assurent la conver­sion bit­coin-devises natio­nales à tra­vers un méca­nisme de marché.

PRINCIPAUX MARCHÉS

La Chine est d’ores et déjà le premier marché en termes de volume de transactions (56 % des échanges en mai 2014), notamment parce que bitcoin permet de détourner les contraintes imposées sur les flux de capitaux.
L’Afrique semble être un marché prometteur. Ses lacunes en infrastructures de paiement, ainsi que les flux monétaires qu’elle reçoit de sa diaspora – 32 milliards d’euros en 2013 à un coût de transaction moyen de 12 % selon la Banque mondiale – en font un client de choix pour la nouvelle monnaie.

Les plus actives sont aujourd’hui OkCoin en Chine, Bit­fi­nex et Bits­tamp en Europe et aux États-Unis. Des plates-formes alter­na­tives voient éga­le­ment le jour, comme Pay­mium, déve­lop­pé par notre cama­rade Pierre Noi­zat (80), dans le res­pect des contraintes régle­men­taires et pru­den­tielles françaises.

Des ges­tion­naires de porte-mon­naie pro­posent aux uti­li­sa­teurs de gérer leurs comptes pour leur garan­tir une sécu­ri­té plus éle­vée, voire de béné­fi­cier d’assurances sur les dépôts (Ellip­tic Vault). L’heure est main­te­nant au déve­lop­pe­ment de plates-formes de tra­ding de pro­duits déri­vés ou de ser­vices de paiement.

Les mineurs ont rapi­de­ment fait le choix de majo­ri­tai­re­ment s’associer en pools pour mutua­li­ser leurs reve­nus, afin d’en réduire la varia­bi­li­té. Ces asso­cia­tions regrou­pe­raient aujourd’hui plus de 80 % de la puis­sance de calcul.

Les pro­gram­meurs, enfin, se sont fédé­rés autour de la Bit­coin Foun­da­tion, créée fin 2012, qui dis­pose d’un double rôle (auto­pro­cla­mé) de stan­dar­di­sa­tion et de porte-parole de bitcoin.

Ce sys­tème d’une com­plexi­té crois­sante se tra­duit par une gou­ver­nance de plus en plus com­plexe, évo­luant au gré des rap­ports de forces entre ces dif­fé­rents acteurs. Ce fonc­tion­ne­ment par­ti­cu­lier, inédit pour une mon­naie, ne manque pas de sus­ci­ter cer­taines réticences.

UN MODÈLE DÉCENTRALISÉ

Bit­coin est une mon­naie numé­rique qui repose sur un pro­to­cole décen­tra­li­sé : la vali­da­tion des tran­sac­tions ne fait appel à aucun tiers de confiance : elle est confiée à des ordi­na­teurs ne se connais­sant pas, répar­tis sur le réseau. Le code des logi­ciels est public (open-source). Les tran­sac­tions se font en bit­coin (abré­gé XBT, ou BTC). Chaque bit­coin est divi­sé en 108 sato­shis, per­met­tant ain­si des paie­ments de mon­tants très faibles (au maxi­mum de son cours 1 sato­shi valait envi­ron 10-5 USD).

Les tran­sac­tions sont assi­mi­lables à des vire­ments entre des comptes que les uti­li­sa­teurs gèrent eux-mêmes, sans banque. Dans le pro­to­cole bit­coin, les comptes sont appe­lés adresses bit­coin et per­mettent de rece­voir, sto­cker et envoyer de la mon­naie. Ces adresses sont publiques et connues de tous. Une tran­sac­tion est un mes­sage com­mu­ni­qué à tout le réseau et qui spé­ci­fie une adresse d’origine, une adresse de des­ti­na­tion et un montant.

S’ASSURER DE L’IDENTITÉ D’UTILISATEURS ANONYMES

Un uti­li­sa­teur dis­pose d’une clé pri­vée connue de lui seul pour cha­cune de ses adresses. Lorsqu’il émet une tran­sac­tion, il la signe, ce qui per­met de véri­fier l’identité de l’émetteur et l’intégrité de la tran­sac­tion au moyen d’un pro­cé­dé cryp­to­gra­phique. Cha­cun peut ensuite véri­fier que la signa­ture cor­res­pond bien à la clé publique et ain­si s’assurer que l’individu à l’origine de la tran­sac­tion est bien le pos­ses­seur de l’adresse.

ÉVITER LA DOUBLE-DÉPENSE

Un des pro­blèmes d’une mon­naie numé­rique non cen­tra­li­sée est celui dit de la double-dépense : com­ment s’assurer qu’un bit­coin n’est bien dépen­sé qu’une seule fois et n’est pas la copie d’un autre déjà dépen­sé ? Bit­coin résout ce pro­blème au moyen d’un livre fai­sant état de toutes les tran­sac­tions de bit­coin depuis son ori­gine. Ce livre est par­ta­gé par tous les nœuds du réseau, qui en ont cha­cun une copie.

Les tran­sac­tions sont regrou­pées par blocs de tran­sac­tions (for­mant ain­si une chaîne de blocs, ou blo­ck­chain). Lorsqu’une tran­sac­tion est émise sur le réseau, il est donc pos­sible de véri­fier quels sont les fonds dis­po­nibles sur une adresse en retrou­vant dans le livre de compte tous les mou­ve­ments réa­li­sés vers et depuis cette adresse. Si les fonds sont bien dis­po­nibles, la tran­sac­tion est dite valide.

VALIDER LES TRANSACTIONS

Toutes les dix minutes en moyenne, un nou­veau bloc de tran­sac­tions est vali­dé par le réseau et est ins­crit dans la blo­ck­chain. La vali­da­tion inclut, outre la véri­fi­ca­tion que les tran­sac­tions sont valides, une preuve de cal­cul : un cal­cul arbi­trai­re­ment com­pli­qué mais facile à véri­fier, qui per­met de s’assurer qu’un uti­li­sa­teur mal­veillant ne pour­ra pas vali­der de tran­sac­tions frau­du­leuses. Le pre­mier mineur (un uti­li­sa­teur qui a accep­té de mettre de la puis­sance de cal­cul au ser­vice du réseau) à finir ce cal­cul com­plexe gagne le droit d’inscrire ce nou­veau bloc dans la blo­ck­chain.

Anonymat vs contrôle

L’impossibilité pour un uti­li­sa­teur d’identifier le pro­prié­taire d’une adresse est sou­vent prise comme argu­ment contre bit­coin, car faci­li­tant des usages illi­cites (éva­sion fis­cale, blan­chi­ment, achat de drogue, finan­ce­ment du ter­ro­risme, etc.).

“ L’opacité du système a contribué à attirer certaines activités illégales ”

Cet ano­ny­mat, néces­saire pour pré­ser­ver la vie pri­vée des uti­li­sa­teurs, consti­tue néan­moins un sujet d’attention légi­time pour les auto­ri­tés natio­nales. En impo­sant aux plates-formes d’échange les mêmes contraintes qu’aux banques – connaître leurs clients, signa­ler les tran­sac­tions sus­pectes, etc. – il est déjà pos­sible aux auto­ri­tés fran­çaises d’identifier l’origine et la des­ti­na­tion d’un flux entrant ou sor­tant du sys­tème à tra­vers ces plates-formes.

Par ailleurs, la recherche de traces lais­sées sur Inter­net par un uti­li­sa­teur per­met, dans cer­tains cas, de remon­ter à son iden­ti­té. Des solu­tions d’anonymisation plus effi­caces sont tou­te­fois en déve­lop­pe­ment, comme Dark­Wal­let. Elles peuvent deve­nir par­ti­cu­liè­re­ment préoccupantes.

Usages illicites

L’opacité du sys­tème a contri­bué à atti­rer cer­taines acti­vi­tés illé­gales qui, à leur tour, ont engen­dré une cer­taine méfiance vis-à-vis de bit­coin. Le site de vente en ligne de sub­stances et ser­vices illi­cites Silk Road, fer­mé en novembre 2013 par le FBI, et rou­vert depuis, exige par exemple des paie­ments en bitcoin.

Cepen­dant, la conser­va­tion dans la blo­ck­chain de l’intégralité de l’historique des tran­sac­tions dans le sys­tème bit­coin consti­tue un risque d’identification des uti­li­sa­teurs, même après de nom­breuses années.

Enfin, les volumes d’échange en bit­coin res­tent pour l’instant faibles par rap­port aux esti­ma­tions des mon­tants des tran­sac­tions illé­gales comme le blan­chi­ment (entre 800 et 2 000 mil­liards de dol­lars par an1 contre 14 mil­liards de dol­lars de tran­sac­tions bit­coin en 2013), ce qui rend bit­coin peu adap­té à ce genre d’activités pour le moment.

Ain­si, bit­coin n’est guère la mon­naie idéale pour les tran­sac­tions illé­gales, pour les­quelles le « cash » reste une manière pro­ba­ble­ment aus­si sûre de procéder.

Des transactions peu coûteuses… pour le moment

Figure 2 – L’é­vo­lu­tion de la créa­tion moné­taire devrait conduire à une évo­lu­tion de la rému­né­ra­tion des mineurs.

Bit­coin se pro­pose éga­le­ment de réduire les coûts de tran­sac­tions en s’affranchissant d’un inter­mé­diaire. L’atteinte de cet objec­tif mérite tou­te­fois d’être nuancée.

Tout d’abord, l’utilisateur de bit­coin paye sou­vent de faibles frais de tran­sac­tions. Cepen­dant ceux-ci ne forment qu’une part minime de la rému­né­ra­tion des mineurs (moins de 0,5% en 2013), le reste pro­ve­nant de la créa­tion monétaire.

À terme, il est très pro­bable que le modèle éco­no­mique actuel soit remis en cause par le ralen­tis­se­ment pro­gres­sif de la créa­tion moné­taire, condui­sant vrai­sem­bla­ble­ment à des coûts de tran­sac­tions net­te­ment plus éle­vés, ou à une dimi­nu­tion de la puis­sance dédiée au minage, se tra­dui­sant par une baisse de la sécu­ri­té du système.

Les ser­vices ban­caires pour­raient ain­si se révé­ler plus com­pé­ti­tifs que bit­coin, l’architecture décen­tra­li­sée de bit­coin se révé­lant intrin­sè­que­ment plus chère à main­te­nir qu’un sys­tème centralisé.

Bitcoin, demain

Trop vola­til pour ser­vir d’unité de compte ou de réserve de valeur, encore peu recon­nu par les com­mer­çants comme moyen de paie­ment, bit­coin est encore loin d’être une mon­naie à part entière.

“ Bitcoin est encore loin d’être une monnaie à part entière ”

Pour sur­vivre, bit­coin devra tou­te­fois consen­tir à des évo­lu­tions. Or, celles-ci sont incer­taines, notam­ment du fait d’une gou­ver­nance com­plexe. De là le déve­lop­pe­ment, dans le sillage de bit­coin, de nou­velles mon­naies numé­riques cher­chant à cor­ri­ger ces imperfections.

C’est sur­tout le poids des régle­men­ta­tions que bit­coin se ver­ra impo­ser à terme, en par­ti­cu­lier en matière de fis­ca­li­té, qui déter­mi­ne­ront son ave­nir. Une posi­tion claire des États en la matière est atten­due, mais ces der­niers hésitent à s’engager et donc à aban­don­ner, taci­te­ment, leur mono­pole en matière de créa­tion monétaire.

L’enthousiasme sus­ci­té chez cer­tains peut aus­si révé­ler un mou­ve­ment pro­fond de remise en cause des mon­naies offi­cielles. La défiance à l’égard du sys­tème ban­caire de réserve frac­tion­naire et des banques cen­trales, jugées inca­pables de mener une poli­tique moné­taire indé­pen­dante, a pu pro­vo­quer chez d’autres un glis­se­ment pro­gres­sif de la confiance envers les ins­ti­tu­tions vers un algo­rithme comme bitcoin.

Brau­del voyait les mon­naies comme « à la fois des moteurs et des indi­ca­teurs ; elles pro­voquent, elles signalent le chan­ge­ment. Elles en sont aus­si la consé­quence. » L’avenir dira ce qu’est bitcoin.

_____________________________
1. Source : Uni­ted Nations Office on drugs and crimes.

Commentaire

Ajouter un commentaire

Adolphrépondre
16 mars 2018 à 12 h 07 min

je crois en l’a­ve­nir du bit­coin et sa hausse future
Les pré­vi­sions que l’on avait il y a 1, 2, 3 voire 10 ans sur l’avenir du bit­coin sont aujourd’hui fon­dées. Cette mon­naie vir­tuelle a un futur pro­met­teur et il faut y inves­tir pour le voir. De ma petite expé­rience dans le tra­ding sur Coin­pa­tri­moine, j’ai pu déni­cher ma stra­té­gie secrète pour évoluer.
Le bit­coin est la seule mon­naie qui chute consé­quem­ment et qui se relève après quelque temps. A bien réflé­chir, c’est la seule que je connaisse qui, à une période navi­guait dans les 20 000 USD. Rien que pour cela, c’est ma mon­naie par excellence.

Répondre