Management de transition : un métier pour des situations d’exception

Dossier : Management : changer pour rester dans la courseMagazine N°678 Octobre 2012
Par François LEPICARD (82)

Né il y a trente ans aux Pays-Bas, le mana­ge­ment de tran­si­tion ne s’est déve­lop­pé en France que ces dix der­nières années. Cepen­dant, alors qu’il repré­sente près de 0,5 % du PIB néer­lan­dais (soit 4 mil­liards d’euros), il ne génère que 350 mil­lions d’euros de chiffre d’affaires dans l’Hexagone. Le poten­tiel de crois­sance est donc énorme pour cette acti­vi­té mécon­nue et sou­vent réduite, aux yeux des diri­geants, à des cas média­ti­sés et par­fois dra­ma­tiques, comme les fer­me­tures d’usines ou les restruc­tu­ra­tions bru­tales d’activité. Or ces situa­tions, sur les­quelles les pre­miers cabi­nets ont bâti leur répu­ta­tion au début des années 1990, repré­sentent moins de 20% des 1500 mis­sions menées chaque année en France.

REPÈRES
Le mana­ge­ment de tran­si­tion se situe à la lisière de plu­sieurs acti­vi­tés. Dans les faits, le mana­ge­ment de tran­si­tion prend une place inter­mé­diaire entre le conseil et l’intérim. Car, comme le conseil, il vise à accom­pa­gner l’entreprise dans la réa­li­sa­tion de pro­jets cor­res­pon­dant à des situa­tions nou­velles, mais dans une pers­pec­tive opé­ra­tion­nelle. Et, comme l’intérim, il met à dis­po­si­tion des com­pé­tences « per­son­na­li­sées » pour une durée limitée.

Une profession aux multiples facettes

Un poten­tiel de crois­sance énorme pour une acti­vi­té méconnue

Il n’y a théo­ri­que­ment pas de limite aux types de mis­sions opé­ra­tion­nelles qu’un mana­ger de tran­si­tion puisse assu­mer. Elles ont néan­moins une com­po­sante pro­jet – accom­pa­gnée d’objectifs mini­mums – et une com­po­sante de changement.

Géné­ra­le­ment, il est pos­sible de dis­tin­guer trois grands types de mis­sions pour les­quelles une entre­prise fait appel à un mana­ger de tran­si­tion : les situa­tions humaines dif­fi­ciles ; les défi­cits de com­pé­tences qui néces­sitent d’être com­blés de façon tran­si­toire ou per­ma­nente ; les pro­jets à mettre en place ou à développer.

Manque de volontaires

Carve out
Ce terme anglo-saxon désigne une opé­ra­tion par laquelle un groupe intro­duit en Bourse une par­tie du capi­tal d’une de ses filiales. Cette opé­ra­tion per­met d’attirer des inves­tis­seurs plus spé­cia­le­ment inté­res­sés par l’activité de la filiale consi­dé­rée et per­met de déve­lop­per les capi­taux propres du groupe.

Dans le pre­mier cas – les situa­tions humaines dif­fi­ciles –, un pro­fes­sion­nel exté­rieur à l’entreprise devient néces­saire. Car, en géné­ral, il y a peu ou pas de volon­taires en interne prêts à se dévouer, au risque de voir leur répu­ta­tion ter­nie à cause de déci­sions radi­cales. C’est le cas, par exemple, des restruc­tu­ra­tions internes qui ont un impact fort sur les res­sources humaines.

Mais le besoin peut aus­si se faire sen­tir lorsqu’une filiale ou une enti­té de l’entreprise est cédée (carve out). Pour un mana­ger, il est alors dif­fi­cile de prendre la tête d’une struc­ture qui va être ven­due, tout en sachant que les nou­veaux action­naires risquent de vou­loir pla­cer leur propre diri­geant à la tête de la struc­ture. Il faut pour­tant que la socié­té conti­nue d’être diri­gée jusqu’à l’arrivée du nou­vel acquéreur.

Besoins ponctuels

La deuxième situa­tion vise à pal­lier les manques tran­si­toires à des moments clés de la vie de l’entreprise : nou­velle implan­ta­tion, mise en place d’un canal de dis­tri­bu­tion, migra­tion du sys­tème d’information ou lan­ce­ment d’un pro­duit. Il s’agit là pour l’organisation de s’adjoindre une exper­tise fonc­tion­nelle ou tech­nique nou­velle, qui n’a pas voca­tion à deve­nir pérenne.

Un accom­pa­gne­ment humain pour toutes les entreprises

Enfin, dans le cadre de l’exécution d’un pro­jet, le mana­ger de tran­si­tion inter­vient sur­tout sur des mis­sions de type PMO (ges­tion de pro­jet) ou MOA (maî­trise d’ouvrage), en par­ti­cu­lier dans les phases en amont et de démar­rage. Il peut alors s’agir d’une inté­gra­tion à la suite d’une fusion, de la pré­pa­ra­tion d’une acqui­si­tion ou de la mise en place d’une nou­velle organisation.

Accompagner toutes les tailles d’entreprises

Toutes les orga­ni­sa­tions, de la start-up à la mul­ti­na­tio­nale, sont sus­cep­tibles de recou­rir à ce type d’accompagnement humain.

Ain­si, les PME et les ETI (entre­prises de taille inter­mé­diaire), qui ont rare­ment les com­pé­tences suf­fi­santes en nombre et en diver­si­té, peuvent faire appel à des mana­gers de tran­si­tion pour des situa­tions d’urgence ou pour gérer le changement.

Par­fois aus­si, la demande émane des action­naires, lorsque ces der­niers sou­haitent intro­duire des élé­ments de gou­ver­nance ou de chan­ge­ment indé­pen­dants du mana­ge­ment en place.

Dans les grandes entre­prises, qui pos­sèdent déjà un staff de mana­gers, deux cas de figure prin­ci­paux se pré­sentent : soit la situa­tion ne mérite pas l’affectation d’un res­pon­sable du groupe ni un recru­te­ment spé­ci­fique, car la com­pé­tence recher­chée est très rare ou la situa­tion non pérenne (carve out, inté­gra­tion d’acquisition); soit le groupe a déjà inté­gré le mana­ge­ment de tran­si­tion dans ses pra­tiques de ges­tion en tant que force supplétive.

Charisme et dynamisme

Si le pro­fil des mana­gers de tran­si­tion reste très diver­si­fié, l’exercice de cette acti­vi­té néces­site, quoi qu’il en soit, de nom­breuses qua­li­tés, au pre­mier rang des­quelles figure la capa­ci­té à fonc­tion­ner en « mode pro­jet ».Au-delà du bagage tech­nique, l’expérience des situa­tions humaines se révèle pri­mor­diale : psy­cho­lo­gie, apti­tude à diri­ger, capa­ci­té à s’insérer rapi­de­ment dans la culture de l’entreprise, tels sont les élé­ments déter­mi­nants dont doit faire preuve un mana­ger de tran­si­tion. Car, dans un pro­jet opé­ra­tion­nel, 90 % de l’impact vient du per­son­nel en place.

Aider l’entreprise à fran­chir un cap difficile

Au mana­ger de tran­si­tion de savoir recon­naître et mettre en avant les indi­vi­dua­li­tés de l’entreprise, tout en les accom­pa­gnant dans leurs efforts. Cette capa­ci­té à tirer le meilleur par­ti des forces en place est l’apanage d’une cer­taine matu­ri­té professionnelle.

Et cela tombe bien : les mana­gers plus jeunes pré­fèrent géné­ra­le­ment recher­cher un poste fixe. Cette matu­ri­té doit être accom­pa­gnée d’un tem­pé­ra­ment éner­gique car, pour s’imposer rapi­de­ment dans une fonc­tion, le mana­ger de tran­si­tion doit faire preuve de dyna­misme et de charisme.

Dyna­misme pour faire rapi­de­ment le tour des inter­lo­cu­teurs tout en façon­nant son diag­nos­tic et son plan d’action en quelques semaines, cha­risme pour faire recon­naître son auto­ri­té dans une posi­tion hié­rar­chique par défi­ni­tion tran­si­toire. Le coa­ching et l’apport métho­do­lo­gique des cabi­nets spé­cia­li­sés apportent un œil exté­rieur qui per­met d’anticiper les embûches et les incom­pré­hen­sions : ils sont l’assurance de la mis­sion, à la fois pour le client et le manager.

Une profession qui se structure

Une offre disparate
Le mar­ché du mana­ge­ment de tran­si­tion reste encore dis­pa­rate et se par­tage entre les indé­pen­dants iso­lés, les indé­pen­dants orga­ni­sés en réseaux asso­cia­tifs – au sein des­quels les membres réa­lisent eux-mêmes les mis­sions –, les cabi­nets spé­cia­li­sés, les cabi­nets issus du recru­te­ment, du conseil, de la chasse de têtes ou de l’intérim.

Depuis une dizaine d’années, la pro­fes­sion a pris conscience de la néces­si­té de se struc­tu­rer pour per­mettre aux entre­prises d’y voir plus clair. Le réseau Ama­deus, né en 2002 et qui compte une cin­quan­taine de mana­gers de tran­si­tion, n’accepte de nou­veaux membres que par cooptation.

L’Association fran­çaise du mana­ge­ment de tran­si­tion (AFMDT), qui fédère la majo­ri­té des cabi­nets, a mis en place une charte déon­to­lo­gique et un label qua­li­té avec le bureau Veri­tas. Le SNMT (Syn­di­cat natio­nal du mana­ge­ment de tran­si­tion), pour sa part, est par­te­naire de la for­ma­tion en mana­ge­ment de tran­si­tion pro­po­sée par l’université Paris- Dauphine.

Bien planifier la fin de la mission

Il est impor­tant d’avoir en tête les spé­ci­fi­ci­tés d’un tel métier, car la mis­sion de mana­ge­ment de tran­si­tion est très dif­fé­rente d’une prise de poste : elle vaut pour un temps a prio­ri limi­té (même si, par le jeu des recon­duc­tions, cer­taines mis­sions ont lar­ge­ment la durée d’une occu­pa­tion moyenne de poste) et en géné­ral pour des objec­tifs pré­cis, foca­li­sés sur un aspect par­ti­cu­lier du poste.

Deve­nir mana­ger de transition
Pour deve­nir mana­ger de tran­si­tion, il faut impé­ra­ti­ve­ment apprendre à entre­te­nir son réseau, à se pré­sen­ter en trois minutes, convaincre en vingt minutes. Appré­hen­der immé­dia­te­ment le contexte et adap­ter sa com­mu­ni­ca­tion, prendre en main une équipe, s’insérer dans une équipe en dix jours sont éga­le­ment des qua­li­tés indispensables.
Tout comme la capa­ci­té de struc­tu­rer en conti­nu pour gar­der le cap sur l’objectif, et de res­pec­ter la rela­tion contrac­tuelle avec le client et en par­ti­cu­lier com­mu­ni­quer par écrit.
L’acquisition de quelques métho­do­lo­gies de base et la facul­té de s’insérer dans un cadre contrac­tuel spé­ci­fique (ni consul­tant, ni employé) sont éga­le­ment néces­saires. Enfin, il faut veiller à l’équilibre de son éco­sys­tème per­son­nel (alter­nance entre mis­sions et intermissions).

D’où une ges­tion spé­ci­fique du temps, avec une phase ini­tiale cru­ciale qui sert à vali­der ou requa­li­fier le contexte et les condi­tions du pro­jet, tout en iden­ti­fiant les leviers qui per­met­tront d’atteindre effec­ti­ve­ment l’objectif. Cette phase est par­ti­cu­liè­re­ment impor­tante, très intense, et condi­tionne for­te­ment la réus­site de la mission.

De la même manière, la fin de mis­sion doit être pré­ci­sé­ment iden­ti­fiée et pla­ni­fiée, au moins dans son approche : c’est l’occasion d’une part de faire pas­ser les pra­tiques mises en place au sein de l’organisation, d’autre part d’ouvrir le débat sur d’éventuels futurs pro­jets, à par­tir notam­ment de la confron­ta­tion entre l’expérience du mana­ger et les pra­tiques de son client. Sou­vent, du reste, un temps par­tiel est amé­na­gé pour assu­rer la mise sur les rails de la suc­ces­sion du manager.

Le tra­vail avec un client plu­tôt qu’un supé­rieur impose une com­mu­ni­ca­tion plus for­melle, tant dans le caden­ce­ment, avec des mises au point ini­tia­le­ment très rap­pro­chées, que dans la forme, qui doit être écrite et très struc­tu­rée, et cou­vrir les volets d’avancement comme d’approche du pro­jet. À ces condi­tions, le mana­ger de tran­si­tion, libé­ré des contraintes poli­tiques, peu sus­pect de manœuvre car­rié­riste et enri­chi par son expé­rience hors de la struc­ture de son client, est dans une posi­tion unique pour aider l’entreprise à fran­chir un cap difficile.

Témoignage

Daniel Lechan­teux (68) explique ce qui l’a conduit au mana­ge­ment de tran­si­tion, ce qui a chan­gé dans sa pra­tique du mana­ge­ment, et les satis­fac­tions que lui apporte cette nou­velle vie.

Mon expé­rience des opé­ra­tions (notam­ment ex-pré­sident d’AT&T France), dou­blée de celle du conseil (ex-VP Europe NTIC Gemi­ni Consul­ting, par exemple), le tout en entre­prises anglo­saxonnes (DEC, AT&T et IBM) et fran­çaises (Cap­ge­mi­ni et Bull), est à l’origine de mon inté­rêt pour le mana­ge­ment de transition.

Tout en réa­li­sant des mis­sions de conseil et en ensei­gnant à Paris-Dau­phine, dans le domaine de l’économie numé­rique, j’ai recher­ché une pre­mière oppor­tu­ni­té de diri­geant de tran­si­tion. Celle-ci s’est pré­sen­tée avec Val­tus Tran­si­tion, comme direc­teur des opé­ra­tions d’une PMI de l’Internet dyna­mique à voca­tion euro­péenne. Cette PMI devait faire face au chan­ge­ment de stra­té­gie de l’un de ses clients avec un fort impact sur ses ventes, tout en main­te­nant et déve­lop­pant ses inves­tis­se­ments de R&D et en cher­chant à accroître encore plus rapi­de­ment ses per­for­mances et sa valo­ri­sa­tion finan­cière. Les résul­tats obte­nus m’ont confir­mé tout l’intérêt de ce type de mis­sion. Ma nou­velle voca­tion de diri­geant de tran­si­tion était concré­ti­sée, réfé­rence à la clé.

Une vie nouvelle

Tout d’abord, le contrat pas­sé est de nature dif­fé­rente. Il s’agit d’une mise en res­pon­sa­bi­li­té opé­ra­tion­nelle dans l’organigramme pour une durée très limi­tée fixée à l’avance, avec un objec­tif pré­cis à atteindre.

Dans un pre­mier temps, l’alliance des opé­ra­tions et du conseil est essen­tielle. En effet, il faut rem­plir les tâches cou­rantes de sa nou­velle fonc­tion tout en éta­blis­sant en quelques semaines un diag­nos­tic, des recom­man­da­tions et un plan d’action chif­fré détaillé.

Une fois ce plan vali­dé par le client (action­naires, conseil d’administration, etc., selon les cas), sa mise en œuvre doit se faire dans le strict res­pect des délais impar­tis. Il faut par­ve­nir aux résul­tats au plus vite tout en met­tant en place des dis­po­si­tifs assu­rant la péren­ni­té du pro­jet, une fois la mis­sion terminée.

Il en résulte une rela­tion avec les équipes, les diri­geants et les action­naires bien dif­fé­rente de celle d’un sala­rié. Le mana­ger de tran­si­tion n’ayant pas d’objectif de car­rière, les échanges se font sans com­pro­mis et en toute liber­té, dans l’intérêt de l’entreprise.

Pour par­ve­nir aux résul­tats dans les temps, il faut être dis­po­nible en per­ma­nence, y com­pris le week-end si néces­saire. Cette dis­po­ni­bi­li­té est géné­ra­le­ment for­te­ment mise à l’épreuve.

C’est pour­quoi une atten­tion toute par­ti­cu­lière doit être por­tée au main­tien d’une très bonne forme phy­sique. Il faut en effet veiller à être tou­jours dis­po­nible et à l’écoute pour inté­grer toutes les dimen­sions de l’entreprise et anti­ci­per les pro­blèmes. Le défi est de pro­po­ser puis de mettre en œuvre les solu­tions avec, en per­ma­nence, tout le cha­risme et toute l’énergie néces­saires pour obte­nir et faire par­ta­ger les résultats.

Dans mon cas, il me faut éga­le­ment pen­ser à pré­pa­rer une ges­tion rigou­reuse des inter­con­trats, avec une acti­vi­té de conseil et d’enseignement dans le domaine de l’économie numérique.

Des challenges permanents

Les satis­fac­tions pro­fes­sion­nelles sont nom­breuses. D’abord, je peux choi­sir le chal­lenge à rele­ver, en fonc­tion de mes apti­tudes à par­ve­nir dans des délais très courts aux résul­tats atten­dus, sur la base de mon expé­rience et de mon exper­tise. Ensuite, la spé­ci­fi­ci­té de chaque mis­sion exige à chaque fois une approche dif­fé­rente en fonc­tion du contexte. J’apprécie aus­si d’apporter mon aide à des entre­prises high-tech géné­ra­trices d’emplois très qua­li­fiés face à des caps dif­fi­ciles et impor­tants de leur crois­sance, en France, en Europe, cela encore plus dans le contexte de crise que nous connais­sons actuellement.

Après avoir pro­po­sé et fait adop­ter une vision, une stra­té­gie avec un plan d’action à la clé et, si néces­saire, une orga­ni­sa­tion réno­vée, dans une pers­pec­tive de crois­sance pro­fi­table et pérenne, j’ai beau­coup de satis­fac­tion à faire par­ta­ger le tout par le plus grand nombre et à mobi­li­ser des équipes déter­mi­nées sur les objec­tifs rete­nus. Une fois la mis­sion ter­mi­née, je reçois régu­liè­re­ment des retours posi­tifs, notam­ment des poten­tiels deve­nus por­teurs du pro­jet d’entreprise et de sa pérennité.

Ain­si, chaque mis­sion devient une nou­velle réfé­rence enri­chis­sante pour mon acti­vi­té de diri­geant de tran­si­tion dans le domaine de l’économie numérique.

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