Lire et écrire autrement

Dossier : Google m'a tuer ! (Le livre et Internet)Magazine N°653 Mars 2010
Par Pierre LASZLO

Le livre s’est déjà cou­lé à moi­tié dans le moule d’In­ter­net. L’ac­cès immé­diat à des mil­liers de livres est pos­sible, à par­tir d’un ordi­na­teur ou d’un simple télé­phone. Appa­raissent des écrans spé­cia­le­ment dédiés à la lec­ture de livres. Il faut s’en féli­ci­ter. Comme Alfred Sau­vy l’ob­ser­vait : » Le fac­teur essen­tiel du déve­lop­pe­ment et du pro­grès n’est pas le capi­tal, mais le savoir des hommes. » Inter­net col­porte aujourd’­hui une grande part de ce savoir.

Il est donc per­ti­nent d’a­li­men­ter la réflexion par la pros­pec­tion d’un ave­nir déjà bien amor­cé : quelles sont les muta­tions en cours dans l’é­di­tion ? La numé­ri­sa­tion des biblio­thèques contri­bue­ra-t-elle à la construc­tion euro­péenne ? À la vita­li­té de la fran­co­pho­nie ? Les liseuses élec­tro­niques seront-elles bien­tôt dans toutes les mains, éco­liers y com­pris ? En quoi le métier d’é­cri­vain se nour­rit-il désor­mais des res­sources de la Toile ? Quelles sont les formes nou­velles de publi­ca­tions scientifiques ?

Bref, ce dos­sier à plu­sieurs voix explore les moda­li­tés d’une sym­biose d’In­ter­net et du livre traditionnel.

Certes, à côté d’une meilleure dif­fu­sion de la culture, cer­tains craignent un appau­vris­se­ment de cette culture. La nou­velle façon de lire et d’é­crire ne va-t-elle pas se résu­mer à la forme tri­viale d’une petite annonce : cherche rédac­teur réduc­teur pour lec­teur butineur ?

» Ceci tue­ra cela, le livre tue­ra l’é­di­fice « , écri­vait Vic­tor Hugo de l’in­ven­tion de l’im­pri­me­rie expul­sant des cathé­drales leur sta­tuaire. Notre inquié­tude quant à la péren­ni­té du livre s’ancre dans de telles ana­lo­gies. Ne sont-elles pas fallacieuses ?

La Toile ne tue­ra pas plus le livre que le livre n’a tué le monu­ment. Si elles ont per­du leur rôle de bande des­si­née hié­ra­tique, nos cathé­drales sont de plus en plus admi­rées et visi­tées. Et l’on n’a jamais publié autant de livres.

Témoignage

Papier, ou électrons ?

les deux, mon Colo­nel, ou plu­tôt le papier pour la volup­té d’en humer les sen­teurs sur­an­nées, de le cares­ser amou­reu­se­ment, d’en cap­ter le fin duvet au bout des doigts ou, du regard, tout le lustre ; pour le plai­sir d’entendre le doux cris­se­ment des feuillets que, d’un vieux gri­moire, l’on égrène ; pour la sur­prise de tom­ber, dans une ruelle d’Alexandrie, sur une fabrique arti­sa­nale de papy­rus, plon­geon dans les siècles et dans les presque débuts de l’écriture ; pour l’émotion de tenir entre des mains sou­dain trem­blantes une longue lettre de Leib­niz décou­verte par hasard dans un tome des comptes ren­dus de l’Académie des sciences, année 1715 ; pour le sai­sis­se­ment d’entrevoir, en pen­sée, cou­rir la main fré­mis­sante de Mozart fai­sant jaillir son Don Gio­van­ni sur l’admirable manus­crit qu’en a offert Pau­line Viar­dot à la France ; ou tout sim­ple­ment pour le bon­heur de tour­ner len­te­ment les pages denses d’un roman de Léon Tol­stoï, celles d’un manus­crit de Pierre-Gilles de Gennes ou celles d’un cours de Laurent Schwartz…
… et les élec­trons pour le reste, c’est-à-dire peu de choses en somme.

Yves Qué­ré, ancien direc­teur de l’Enseignement à l’École polytechnique

Poster un commentaire