L’intelligence économique, fille de l’École polytechnique

Dossier : L'Intelligence économiqueMagazine N°640 Décembre 2008
Par Philippe LAURIER

Pour la patrie, les sciences et la gloire. Cette devise aurait pu, pour une part, s’ins­crire éga­le­ment au fron­ton de l’in­tel­li­gence économique :

• pré­pa­rer l’in­no­va­tion par une veille tech­no­lo­gique, socié­tale, nor­ma­tive, etc. (Pour la science…) ;
• trans­for­mer l’in­for­ma­tion recueillie en déci­sion » heu­reuse » et gagnante (la gloire…), dans les sciences, l’en­tre­pre­neu­riat ou l’État.

Napo­léon avait cou­tume de deman­der avant de pro­mou­voir un offi­cier s’il savait mettre la » chance » de son côté et la trans­for­mer en réus­site, c’est-à-dire savoir anti­ci­per, détec­ter les signaux faibles, ou, comme le disait Pas­teur, pré­pa­rer son esprit pour favo­ri­ser le » hasard » et décou­vrir. Cette notion de suc­cès pré­pa­rable res­sort plus vigou­reu­se­ment dans la for­mu­la­tion anglo-saxonne de l’in­tel­li­gence éco­no­mique, nom­mée par eux intel­li­gence com­pé­ti­tive, qui pri­vi­lé­gie une logique concur­ren­tielle. L’ap­proche amé­ri­caine se veut tran­chante quant aux objec­tifs d’é­vic­tion du concur­rent, tan­dis que l’ac­cep­tion fran­çaise se désire plus glo­bale, moins mar­gi­na­li­sante d’au­trui, plus en recherche de solu­tions com­munes et équi­li­brées ; en quelque sorte si besoin, de gloire collective ;
• évo­quer les thèmes du patrio­tisme éco­no­mique (et la patrie). Les États-Unis – qui ont refu­sé l’a­chat d’une de leurs socié­tés pétro­lières par la Chine – ou l’Al­le­magne – qui vient d’a­dop­ter des décrets en ce sens – redé­couvrent ses ver­tus pour sou­te­nir leurs indus­tries clés. Le déman­tè­le­ment de Péchi­ney a lais­sé dans l’Hexa­gone un goût amer de gâchis.

La paren­té entre intel­li­gence éco­no­mique et École poly­tech­nique trans­pa­raît en rap­por­tant sa nais­sance à ses pères fon­da­teurs. Hen­ri Martre a por­té ce concept sur les fonds bap­tis­maux par son rap­port de 1994 au Com­mis­sa­riat géné­ral au Plan, Ber­nard Esam­bert pour sa part a, dès les années 1970, déga­gé le concept de guerre éco­no­mique. Nous ver­rons ici que d’autres anciens élèves explorent diverses voies ou leur apportent des appli­ca­tions indus­trielles, à l’exemple des moteurs de recherche dans l’informatique.

Un troi­sième cou­si­nage se découvre à tra­vers la per­son­na­li­té des fon­da­teurs de l’É­cole. Monge, on l’a oublié, super­vi­sa l’es­pion­nage tech­no­lo­gique fran­çais des années 1780 et 1790.

Un rap­pel his­to­rique évo­que­ra dans ce numé­ro la mis­sion d’es­pion­nage d’un futur pro­fes­seur de l’É­cole, le che­va­lier Bétan­court. De même, Gas­pard-Marie Pro­ny, ensei­gnant à l’X et direc­teur de l’É­cole des ponts et chaus­sées, s’im­pli­qua dans plu­sieurs opé­ra­tions. L’une, en Ita­lie, lui vau­dra une courte arres­ta­tion par l’au­to­ri­té autri­chienne d’alors.

En Ita­lie tou­jours, les lettres de Monge conser­vées à la biblio­thèque de l’X sont savou­reuses en ce que la » veille tech­no­lo­gique » effec­tuée par ses soins dans les villes conquises par Bona­parte eut pour tra­duc­tion des maté­riels scien­ti­fiques sai­sis et expé­diés sous escorte à Paris, pour doter les labo­ra­toires de Nor­male supé­rieure et autres écoles, sous la réserve, notait-il, que » si ces ins­tru­ments avaient été de quelque uti­li­té aux sciences dans les mains de ceux qui les déte­naient, nous les aurions res­pec­tés, mais ils n’ont pu seule­ment nous en mon­trer l’usage » :

Rome, le 10 ger­mi­nal de l’an V de la Répu­blique une et indivisible,

Citoyens col­lègues,

Nous avons trou­vé dans le cabi­net de phy­sique du ci-devant gou­ver­neur de Milan, une machine élec­trique anglaise qui n’avoit pas été débal­lée, et que nous avons cru pou­voir être utile à l’É­cole poly­tech­nique. Salut et fraternité

Monge

On le constate, Poly­tech­nique et l’in­tel­li­gence éco­no­mique étaient voués à se croi­ser, pro­ba­ble­ment à faire un bout de che­min com­mun, pour la Patrie, les sciences et la gloire.

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