L’instabilité monétaire

Dossier : Arts, Lettres et SciencesMagazine N°591 Janvier 2004Par : Béatrice MAJNONI D'INTIGNANORédacteur : Jean-Pierre GÉRARD (60), Ancien membre du Conseil de politique monétaire

Lire les œuvres de Béa­trice Maj­no­ni d’Intignano m’est tou­jours un grand plai­sir. La sim­pli­ci­té et la flui­di­té du style s’allient à une pen­sée tou­jours pro­fonde, mûrie et réflé­chie. Ce livre sur la mon­naie n’échappe pas, mal­gré l’aridité du sujet, à ce com­men­taire. Spé­cia­liste des pro­blèmes éco­no­miques de la san­té, elle signe un “ Que saisje ? ” sur l’instabilité moné­taire qui mérite le détour.

La pre­mière par­tie est la plus des­crip­tive. Incon­tes­table, elle rap­pelle les grands prin­cipes (p. 28) et que l’inflation est un impôt for­cé sur les liqui­di­tés et sur les reve­nus (pour autant qu’ils ne soient pas indexés). Elle donne éga­le­ment, ce qui est rare, un aper­çu des infla­tions de tout le XXe siècle pour la France et depuis cin­quante ans pour les dif­fé­rents pays.

J’ai par­ti­cu­liè­re­ment appré­cié le cha­pitre III, “ Bulles et Défla­tion ”, et tout par­ti­cu­liè­re­ment le rap­pel tou­jours utile de l’aspect non symé­trique des risques d’inflation et de défla­tion et la recom­man­da­tion donc aux banques cen­trales d’être plus atten­tives au second qu’au pre­mier. Par ailleurs, je suis d’autant plus sen­sible au lien que Mme Maj­no­ni d’Intignano fait entre le vieillis­se­ment de la popu­la­tion et la dés­in­fla­tion, que je l’avais moi-même sou­li­gné dans mon livre La Tri­lo­gie. Je pense même que l’indépendance de la Banque de France est lar­ge­ment la consé­quence du poids poli­tique des géné­ra­tions âgées sou­cieuses de main­te­nir leur patri­moine finan­cier. J’approuve éga­le­ment tous les déve­lop­pe­ments sur l’objectif de sta­bi­li­té tels que défi­nis par la BCE qui aurait dû fixer une cible d’inflation d’au moins 3%.

On l’aura com­pris, je recom­mande vive­ment la lec­ture de ce livre. Mais j’en regrette le côté par trop macroé­co­no­mique. Sans doute avec les outils dont dis­pose Mme Maj­no­ni d’Intignano ne pou­vait-elle aller plus loin, dans la mesure où la poli­tique moné­taire se veut macroé­co­no­mique et uni­que­ment macroé­co­no­mique. Je ferai trois remarques sur les com­plé­ments de réflexion et d’information qui me sem­ble­raient souhaitables.

1. L’inflation de tran­si­tion semble accep­tée par Mme Maj­no­ni d’Intignano pour les pays qui subissent un choc d’économie moné­taire. Elle en condamne seule­ment les excès qu’ont connus la Rus­sie, l’Ukraine, la Géor­gie. Mais la consti­tu­tion de la zone euro, avec des écarts mani­festes à tous niveaux, prix, demande, offre, etc., ne jus­ti­fiait- elle pas d’une infla­tion de tran­si­tion maî­tri­sée (on retrouve ici la remarque sur la cible de la BCE).

2. Enfin le phé­no­mène de yo-yo qu’elle décrit me semble par­fai­te­ment ana­ly­sé dans le sys­tème actuel. Je crains seule­ment que per­sonne n’en voie les ravages, car il est impos­sible pour des entre­prises de rat­tra­per 30% de pro­duc­ti­vi­té sur d’aussi courtes périodes. À mon sens, l’euro exi­ge­rait une défi­ni­tion de pari­té stable et ajus­table (une espèce de ser­pent) avec le dol­lar, et une concer­ta­tion poli­tique. Per­son­nel­le­ment je ne sou­haite pas que ce rôle soit dévo­lu au pré­sident de la BCE en rai­son de l’insensibilité de l’institution aux consé­quences moné­taires de l’activité éco­no­mique, et qu’il s’agit d’une vraie fonc­tion réga­lienne. Pour­quoi pas, en atten­dant un pré­sident de l’Europe, un ministre euro­péen de la Monnaie ?

3. Mon seul vrai désac­cord porte sur l’endettement qui n’est vu ici que sous l’angle macroé­co­no­mique. On constate l’impossibilité d’éviter la créa­tion de bulles, et cette affir­ma­tion semble his­to­ri­que­ment par­fai­te­ment exacte. En revanche, il y a bulle et bulle et ce n’est pas lié au taux d’endettement, cela est lié à la ren­ta­bi­li­té des pro­jets que ces endet­te­ments per­mettent de finan­cer. (À ma connais­sance, seule la FED a fait des études en ce sens, et moi-même à la Banque de France ai ten­té d’introduire sans trop de suc­cès ces concepts.) Vous avez une bulle lorsque les endet­te­ments financent trop de pro­jets à ren­ta­bi­li­té insuf­fi­sante. Or nous pou­vons trou­ver deux situa­tions, entre autres :

Un chan­ge­ment de tech­no­lo­gie qui géné­ra­le­ment per­met d’accroître les taux de ren­ta­bi­li­té des capi­taux inves­tis et il est nor­mal et sou­hai­table que l’endettement s’accroisse. C’est ce qu’on a consta­té au début d’Internet avec les pro­grès de pro­duc­ti­vi­té sur­tout aux États-Unis. Mais comme par la suite per­sonne ne se sou­ciait de la vraie ren­ta­bi­li­té des pro­jets, tout e‑projet trou­vait un finan­ce­ment quelle que soit sa ren­ta­bi­li­té, d’où une insuf­fi­sance de la ren­ta­bi­li­té moyenne des activités.

La 2e pos­si­bi­li­té d’un accrois­se­ment de l’endettement sans bulle vien­drait de l’accroissement des taux de ren­ta­bi­li­té vraie des entre­prises et des acti­vi­tés nou­velles (peu par baisse d’impôt). Un tel accrois­se­ment per­met­trait de finan­cer plus de pro­jets donc sans doute pro­por­tion­nel­le­ment plus d’échecs. Mais avec des suc­cès plus rému­né­ra­teurs (je rap­pelle que le taux d’échec des pro­jets est aujourd’hui d’environ 30 % avec une ren­ta­bi­li­té moyenne des capi­taux inves­tis de 9 à 10 %), glo­ba­le­ment le nombre d’activités nou­velles (donc l’emploi) serait plus élevé.

Ain­si, les pro­jets euro­péens pro­po­sés par la Com­mis­sion euro­péenne et les emprunts qui les financent sont sans doute de bons emprunts qui cor­res­pondent à une vraie vision dans la mesure où ils financent des pro­jets de “ désar­chi­pe­li­sa­tion ” de cer­taines zones fron­ta­lières et donc, au moins pour la plu­part d’entre eux, à forte rentabilité.

Mal­heu­reu­se­ment avec les don­nées dis­po­nibles en France, et la for­ma­tion par trop macroé­co­no­mique de nos élites et de l’INSEE, Mme Maj­no­ni d’Intignano ne pou­vait sans doute aller plus loin. Je sais qu’elle en a conscience, mais cela devra faire l’objet d’autres recherches

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