L’industrie du dispositif médical dans le monde

Dossier : La santé et la médecine à l'aube du XXIe siècleMagazine N°562 Février 2001
Par Philippe CHÊNE
Par Alain JOSEPH

L’indus­trie du dis­po­si­tif médi­cal est une indus­trie com­plexe et hété­ro­gène. C’est la loi du 18 jan­vier 1994 qui intro­duit dans le droit fran­çais la défi­ni­tion du dis­po­si­tif médi­cal (article L. 665–3 du Code de la san­té publique).

On entend par dis­po­si­tif médi­cal tout ins­tru­ment, appa­reil, équi­pe­ment, matière, pro­duit, à l’ex­cep­tion des pro­duits d’o­ri­gine humaine, ou autre article uti­li­sé seul ou en asso­cia­tion, y com­pris les acces­soires et logi­ciels inter­ve­nant dans son fonc­tion­ne­ment, des­ti­né par le fabri­cant à être uti­li­sé chez l’homme à des fins médi­cales et dont l’ac­tion prin­ci­pale vou­lue n’est pas obte­nue par des moyens phar­ma­co­lo­giques ou immu­no­lo­giques ni par méta­bo­lisme, mais dont la fonc­tion peut être assis­tée par de tels moyens. Les dis­po­si­tifs médi­caux qui sont conçus pour être implan­tés en tota­li­té ou en par­tie dans le corps humain ou pla­cés dans un ori­fice natu­rel, et qui dépendent pour leur bon fonc­tion­ne­ment d’une source d’éner­gie élec­trique ou de toute source d’éner­gie autre que celle qui est géné­rée direc­te­ment par le corps humain ou la pesan­teur, sont dénom­més dis­po­si­tifs médi­caux implan­tables actifs.

L’in­dus­trie du dis­po­si­tif médi­cal com­prend par exemple les maté­riels d’i­ma­ge­rie médi­cale, les pan­se­ments uti­li­sés dans les salles opé­ra­toires, mais aus­si les pro­thèses externes uti­li­sées par les ortho­pé­distes, les pro­thèses internes telles que les valves car­diaques, les maté­riaux de per­fu­sion ou de dis­tri­bu­tion des fluides. Il y a plus de 3 000 familles de pro­duits dif­fé­rentes repré­sen­tant envi­ron 84 000 pro­duits en tout.

Le tableau I illustre cette diversité.

La com­plexi­té des domaines cou­verts par l’in­dus­trie des dis­po­si­tifs médi­caux, la mul­ti­pli­ci­té des sec­teurs et l’ab­sence de nomen­cla­ture inter­na­tio­nale des pro­duits rendent la col­lecte des sta­tis­tiques dif­fi­cile et leur com­pa­rai­son aléa­toire. Le tableau II illustre la répar­ti­tion géo­gra­phique de cette industrie.

Enfin les prix de ces pro­duits sont très variables, de quelques cen­times à 20 mil­lions de francs. En France, l’in­dus­trie des tech­no­lo­gies médi­cales repré­sente un sec­teur de poids avec un chiffre d’af­faires d’en­vi­ron 30 mil­liards, employant 20 000 per­sonnes et réa­li­sant 25 % à l’export.

Avant sa mise sur le mar­ché, tout dis­po­si­tif médi­cal doit obte­nir le mar­quage CE (Confor­mi­té euro­péenne). Ce mar­quage CE est déli­vré par un orga­nisme noti­fié (auto­ri­té natio­nale d’un État membre de l’EU) qui éva­lue la confor­mi­té du dis­po­si­tif médi­cal en matière de sécu­ri­té et de san­té par rap­port aux textes de la direc­tive euro­péenne dont il dépend (93÷42, 9879, ou 90385). Une fois que le pro­duit a reçu le mar­quage CE, il peut être ven­du libre­ment dans tous les États membres de l’U­nion euro­péenne sans autre véri­fi­ca­tion ou modification.

Des compétences et des métiers multiples

L’in­dus­trie du dis­po­si­tif médi­cal est une indus­trie qui com­porte une forte pré­sence d’in­gé­nieurs. Toutes les tech­no­lo­gies sont mises en œuvre, méca­nique, élec­tri­ci­té, élec­tro­nique, infor­ma­tique, tex­tile, chi­mie… Plus de 50 dis­ci­plines telles que, par exemple, la phy­sique des solides ou l’ho­lo­gra­phie sont pré­sentes dans l’in­dus­trie du dis­po­si­tif médi­cal. Plus de 50 spé­cia­li­tés médi­cales telles que la chi­rur­gie ortho­pé­dique, la car­dio­lo­gie, l’oph­tal­mo­lo­gie ou la néphro­lo­gie uti­lisent les pro­duits et sys­tèmes de l’in­dus­trie du dis­po­si­tif médical.

Celle-ci déve­loppe, fabrique et condi­tionne des pro­duits à l’at­ten­tion des méde­cins, chi­rur­giens et des pro­fes­sions para­mé­di­cales, afin que, à leur tour, ils en fassent béné­fi­cier le patient. On com­prend, par exemple, que ce ne peut être le malade lui- même qui achète sa pro­thèse de hanche et donc le risque inhé­rent à l’acte chi­rur­gi­cal engage la res­pon­sa­bi­li­té du chi­rur­gien avant celle du fabri­cant du dispositif.

Les dis­po­si­tifs implan­tables néces­sitent une adap­ta­tion au patient. De ce fait cet aspect doit être inté­gré lors des phases de recherche et déve­lop­pe­ment. Cela est évident pour les pro­thèses externes, telles les jambes ou les mains arti­cu­lées qui s’a­daptent aux acti­vi­tés des patients en fonc­tion de l’âge, de l’ac­ti­vi­té, de la pra­tique éven­tuelle d’un sport, mais s’ap­plique aus­si dans le cas de pro­thèses internes (valves car­diaques, défi­bril­la­teurs implan­tables ou cœur artificiel).

En com­plé­ment des pro­duits, l’in­dus­trie du dis­po­si­tif médi­cal four­nit à ses clients des ser­vices en rap­port avec l’ex­ploi­ta­tion du dis­po­si­tif, tels que la for­ma­tion à l’u­ti­li­sa­tion pra­tique, un ser­vice d’as­sis­tance tech­nique dis­po­nible vingt-quatre heures sur vingt-quatre, des com­pé­tences en matière de ges­tion du parc de maté­riel ou en matière de logis­tique pour la livrai­son des patients à domi­cile, par exemple.

Bax­ter est une socié­té amé­ri­caine dont la moi­tié du chiffre d’af­faires (6 mil­liards de dol­lars) est réa­li­sée dans le dis­po­si­tif médi­cal. L’en­tre­prise est pré­sente dans plus de 100 pays et com­porte 175 sites de pro­duc­tion. 40 000 per­sonnes tra­vaillent dans les dif­fé­rents domaines d’ac­ti­vi­té du groupe : la trans­fu­sion san­guine, les médi­ca­ments déri­vés du sang et les vac­cins, l’ad­mi­nis­tra­tion des médi­ca­ments (sys­tèmes de per­fu­sion, pompes et dif­fu­seurs por­tables), la nutri­tion paren­té­rale, les gaz anes­thé­siques et les pro­duits des­ti­nés aux trai­te­ments de l’in­suf­fi­sance rénale chro­nique terminale.

L’association des technologies

Dans l’in­dus­trie du dis­po­si­tif médi­cal, la recherche pro­pre­ment dite, c’est-à-dire fon­da­men­tale, est peu réa­li­sée par l’en­tre­prise et c’est plu­tôt le déve­lop­pe­ment au sens anglo-saxon du terme (deve­lop­ment = mise au point) qui draine la majo­ri­té des inves­tis­se­ments. En matière de recherche, ce sont essen­tiel­le­ment des contrats de col­la­bo­ra­tion qui sont mis en place avec des struc­tures publiques.

Dans le déve­lop­pe­ment de nou­veaux pro­duits, Bax­ter dépense envi­ron 1 mil­lion de dol­lars en R & D par jour, ce qui repré­sente envi­ron 6 % du chiffre d’af­faires, et s’in­té­resse à des dis­ci­plines très diverses. Nous allons illus­trer la plu­ri­dis­ci­pli­na­ri­té des connais­sances néces­saires à ces déve­lop­pe­ments, à par­tir de domaines dans les­quels Bax­ter est présent.

Dans le cadre de l’a­mé­lio­ra­tion de l’ad­mi­nis­tra­tion des médi­ca­ments, il existe depuis quelques années des domaines de recherche sur les injec­tions trans­der­miques à base de micro-aiguilles. Com­pa­rable au patch, simple à uti­li­ser, cette tech­nique per­met­trait aus­si d’ad­mi­nis­trer des médi­ca­ments qui sont habi­tuel­le­ment injec­tés par une seringue.

Ces microai­guilles, tra­ver­sant l’é­pi­derme, per­met­traient d’in­jec­ter une grande varié­tés de molé­cules. N’at­tei­gnant pas les ter­mi­nai­sons ner­veuses du derme elles seraient indo­lores. La capa­ci­té de ces microai­guilles à dif­fu­ser sur des tis­sus de peau de grosses pro­téines telles que la sérum albu­mine est à l’étude.

C’est une tech­nique clas­sique de micro­élec­tro­nique, la pul­vé­ri­sa­tion ionique réac­tive, qui per­met de fabri­quer un réseau de microai­guilles en sili­cium : un car­ré de 3 mm de côté, héris­sé de 400 microai­guilles longues de 150 micro­mètres et pas plus épaisses qu’un che­veu. Le pro­cé­dé consiste à arra­cher des atomes à une cible (ici en sili­cium) sous l’ef­fet d’un fais­ceau d’ions (fluo­rine et oxy­gène dans ce cas) avec les­quels elle est par­ti­cu­liè­re­ment réac­tive. Un masque en résine per­met d’o­pé­rer une sorte d’u­si­nage à l’é­chelle ato­mique. La tech­nique est cou­ram­ment uti­li­sée pour l’im­pres­sion des cir­cuits inté­grés, mais pour des épais­seurs bien moindres.

Si ce sys­tème fait ses preuves on pour­rait alors ima­gi­ner de gra­ver un micro­pro­ces­seur en même temps que les microai­guilles pour dis­po­ser d’un sys­tème pro­gram­mable de déli­vrance de médi­ca­ments, par exemple chez les dia­bé­tiques pour contrô­ler l’in­jec­tion d’in­su­line en fonc­tion de leur glycémie.

Tou­jours dans le domaine du trai­te­ment du dia­bète, nous pou­vons men­tion­ner les pompes à insu­line implan­tables. Trois élé­ments consti­tuent le sys­tème d’in­fu­sion conti­nue (sur plu­sieurs jours) d’in­su­line. Un boî­tier en titane en forme de disque implan­té dans le tis­su abdo­mi­nal sous-cuta­né com­prend le réser­voir d’in­su­line, un sys­tème de pis­ton, un réser­voir élec­tro­nique et une pile au lithium.

Un sys­tème télé­mé­trique per­met au patient ou au méde­cin de pro­gram­mer la pompe, ou d’a­jus­ter le débit d’in­fu­sion. De nom­breux tra­vaux sont actuel­le­ment en cours pour amé­lio­rer la bio­com­pa­ti­bi­li­té de ces sys­tèmes et repro­duire au mieux le fonc­tion­ne­ment phy­sio­lo­gique du pancréas.

L’in­suf­fi­sance rénale chro­nique ter­mi­nale touche actuel­le­ment envi­ron 35 000 per­sonnes en France. Les patients atteints de cette mala­die peuvent être trai­tés, en dehors de la greffe rénale, par deux tech­niques de sup­pléance, l’hé­mo­dia­lyse ou la dia­lyse péri­to­néale. Ces tech­niques peuvent être mises en place soit dans un cadre hos­pi­ta­lier soit à domicile.

Majo­ri­tai­re­ment, les patients atteints de mala­dies chro­niques sou­haitent un retour au domi­cile dès que pos­sible. Aujourd’­hui, il existe encore des bar­rières tech­niques pour exau­cer ces sou­haits. La télé­mé­de­cine pour­rait appor­ter, dans cer­tains cas, une solu­tion à ces problèmes.

La télé­mé­de­cine c’est l’u­ti­li­sa­tion des télé­com­mu­ni­ca­tions et de l’in­for­ma­tique dans la pra­tique et la for­ma­tion médi­cale. Des méde­cins effec­tuent des consul­ta­tions à dis­tance (télé­con­sul­ta­tion), inter­prètent des images médi­cales à dis­tance (télé­ex­per­tise), ou encore des patients sont sur­veillés à domi­cile plu­tôt qu’à l’hô­pi­tal (télé­sur­veillance).

La télé­mé­de­cine néces­site une col­la­bo­ra­tion entre infor­ma­ti­ciens, indus­triels du dis­po­si­tif médi­cal sus­cep­tibles de trans­mettre les infor­ma­tions médi­cales utiles au méde­cin (pouls, pres­sion arté­rielle, sur­veillance visuelle du cathé­ter de dia­lyse péri­to­néale par exemple), indus­triels des télé­com­mu­ni­ca­tions (trans­mis­sion en conti­nu et immé­diate de grandes quan­ti­tés d’in­for­ma­tions), méde­cins, éco­no­mistes (éva­lua­tion du rap­port coût/efficacité de la technique).

Les bio­tech­no­lo­gies font aus­si par­tie du monde des dis­po­si­tifs médi­caux. De nom­breux patients atteints de can­cer sont trai­tés par chi­mio­thé­ra­pie afin de détruire les cel­lules tumo­rales. L’un des obs­tacles à l’ef­fi­ca­ci­té du trai­te­ment réside dans l’ac­qui­si­tion, par ces cel­lules, de résis­tances aux anti­mi­to­tiques. Dif­fé­rentes stra­té­gies ont été pro­po­sées pour ten­ter de s’op­po­ser à ces résis­tances. En par­ti­cu­lier, l’aug­men­ta­tion des doses de chi­mio­thé­ra­pie paraît capable, dans un cer­tain nombre de cas, d’an­nu­ler les méca­nismes de pro­tec­tion mis en œuvre par la cellule.

Intro­duite au début des années 1980, la chi­mio­thé­ra­pie à hautes doses avec auto­greffe de moelle osseuse (ou, à l’heure actuelle, auto­greffe de cel­lules souches héma­to­poïé­tiques) a dans ce domaine consti­tué un des espoirs de ces der­nières années. Les cel­lules souches, ou indif­fé­ren­ciées, du sang ont tou­jours été consi­dé­rées comme » le Saint-Graal de l’hé­ma­to­lo­gie et de l’immunologie « .

Ces cel­lules, créées par la moelle osseuse, sont les seules à pos­sé­der deux capa­ci­tés : se dif­fé­ren­cier en n’im­porte quelle cel­lule du sang (glo­bules rouges et blancs, pla­quettes) et se renou­ve­ler en nou­velles cel­lules souches. Le pro­blème est qu’elles sont très rares – une sur 100 000 cel­lules de la moelle – et qu’elles sont très dif­fi­ciles à dis­tin­guer d’autres cel­lules qui en sont à un stade plus avan­cé de la dif­fé­ren­cia­tion. Elles ont main­te­nant été trou­vées et iso­lées grâce à l’i­den­ti­fi­ca­tion d’un mar­queur par­ti­cu­lier, l’an­ti­gène de sur­face CD34 expri­mé au niveau d’une sous-popu­la­tion de cellules.

Mal­gré cette limi­ta­tion, la gly­co­pro­téine CD34 est deve­nue le mar­queur de choix dans la puri­fi­ca­tion de cel­lules souches. Actuel­le­ment tous les pro­to­coles expé­ri­men­taux et cli­niques sont en effet ciblés sur la popu­la­tion cel­lu­laire CD34+ (quan­ti­fi­ca­tion ou puri­fi­ca­tion). Dif­fé­rents dis­po­si­tifs médi­caux de puri­fi­ca­tion ont été employés, basés sur des dif­fé­rences de den­si­té, d’ex­pres­sion d’an­ti­gènes, de niveau du cycle cel­lu­laire, et d’ac­ti­va­tion pour l’ob­ten­tion des cel­lules souches.

Conclusion

La plu­ri­dis­ci­pli­na­ri­té des sciences, des tech­niques et des métiers se déve­loppe à grande vitesse dans le domaine des sciences de la vie et favo­rise l’in­no­va­tion. Pour mettre en œuvre les thé­ra­pies et pra­tiques cli­niques nou­velles, l’in­dus­trie du médi­ca­ment et l’in­dus­trie des dis­po­si­tifs médi­caux tra­vaille­ront de plus en plus en commun.

À titre d’exemple, les stents1 exten­sibles sont lar­ge­ment uti­li­sés au cours des pro­cé­dures d’an­gio­plas­tie coro­naire2. Un sérieux pro­blème réside dans la sur­ve­nue d’une réobs­truc­tion pro­gres­sive. Aujourd’­hui est à l’é­tude un stent coro­naire ori­gi­nal recou­vert d’un poly­mère por­teur d’un plas­mide à ADN, qui per­met une libé­ra­tion locale d’un pro­duit lut­tant contre la réobs­truc­tion tout en per­met­tant l’ex­ten­sion et le déploie­ment du stent. La mise au point de ce prin­cipe pose de nom­breux défis, notam­ment en ce qui concerne la sur­face très réduite du stent et la néces­si­té du main­tien de sa fonc­tion­na­li­té avec un revê­te­ment poly­mé­rique circonférentiel.

Indis­pen­sable au pro­grès des pra­tiques médi­cales, l’in­dus­trie du dis­po­si­tif médi­cal est aus­si créa­trice d’a­mé­lio­ra­tion de la qua­li­té de vie des patients tout en res­pec­tant un coût accep­table pour la col­lec­ti­vi­té. Son déve­lop­pe­ment passe par une ouver­ture et une col­la­bo­ra­tion avec de nom­breuses disciplines. 

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1. L’en­do­pro­thèse coro­naire ou stent est défi­nie comme un cylindre métal­lique à mailles plus ou moins lâches, des­ti­né à être encas­tré dans la paroi arté­rielle. Ces treillis métal­liques exercent une force radiale qui per­met de main­te­nir, après angio­plas­tie, le calibre arté­riel à une valeur prédéterminée.
L’ac­tion essen­tielle du stent est d’é­vi­ter le retour élas­tique de la paroi.
2. L’ob­jec­tif de l’an­gio­plas­tie est de dila­ter (en cas de sté­nose) ou de reper­méa­bi­li­ser (en cas d’oc­clu­sion) la lumière arté­rielle pour res­ti­tuer un flux san­guin satisfaisant.

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