L’éthanol carburant au Brésil : réalité ou fantasme ?

Dossier : Le BrésilMagazine N°626 Juin/Juillet 2007Par Guy DUPIRE (68)

La situation aujourd’hui

L’a­gri­cul­ture bré­si­lienne est une des plus puis­santes et per­for­mantes du monde. Le Bré­sil est lea­der mon­dial pour le soja, les agrumes, le café, le tabac, la viande, les volailles, la canne à sucre, avec des coûts de pro­duc­tion très bas et, comme le Bré­sil le répète inlas­sa­ble­ment dans les réunions sur le com­merce inter­na­tio­nal, sans sub­ven­tions (en réa­li­té : presque pas…). 

L’ex­por­ta­tion de l’a­gro-indus­trie repré­sente 40 % de la balance commerciale.
La filière sucre-étha­nol est le qua­trième poste à l’ex­port, après le soja, la viande et la filière bois-papier. 

L’éthanol carburant

L’al­cool car­bu­rant (étha­nol) est obte­nu par fer­men­ta­tion du jus de la canne à sucre. Toutes les usines sont mixtes et pro­duisent à la fois du sucre et de l’é­tha­nol. Rap­pe­lons que l’Eu­rope uti­lise la bet­te­rave ou les céréales. Les USA uti­lisent uni­que­ment le maïs.
Le coût de pro­duc­tion de l’al­cool bré­si­lien est le plus bas du monde : 240 US $/m3. À titre de com­pa­rai­son : USA = 350 US $/m3, Europe = 650 US $/m3.

Le poids de la canne à sucre dans la matrice éner­gé­tique est signi­fi­ca­tif, aus­si bien par l’al­cool pro­duit que par l’u­ti­li­sa­tion de la bagasse (rési­du fibreux de la canne après extrac­tion du jus). Si on addi­tionne l’u­ti­li­sa­tion de la bio­masse (essen­tiel­le­ment la canne à sucre) et l’hy­dro­élec­tri­ci­té, on constate que l’éner­gie renou­ve­lable repré­sente 40 % des besoins éner­gé­tiques, un des records mondiaux. 

Le Bré­sil peut faire valoir qu’il est, à cet égard, « éco­lo­gi­que­ment cor­rect ».

Le bilan éco­lo­gique de la pro­duc­tion d’al­cool de canne est incon­tes­ta­ble­ment favo­rable : pour une calo­rie uti­li­sée pour le pro­duire, on récu­père entre 8 et 9 dans le car­bu­rant. Un cal­cul simi­laire pour l’é­tha­nol de bet­te­rave en France donne, au mieux, un ratio de 2. 

Deux alcools sont aujourd’­hui uti­li­sés au Brésil :
l’al­cool hydra­té, uti­li­sé tel quel dans les moteurs adap­tés ou les véhi­cules flex­fuel, au choix du consom­ma­teur à la pompe,
 l’al­cool anhydre, uti­li­sé en mélange dans toutes les essences, sans que le consom­ma­teur ait le choix. 

La pro­duc­tion totale est envi­ron 20 mil­lions de mètres cubes, dont 3 sont exportés. 

Rapide regard sur le passé

Le pro­gramme Pro­al­cool a été lan­cé au milieu des années 1970, après le pre­mier choc pétro­lier. L’é­co­no­mie était régle­men­tée et rela­ti­ve­ment fer­mée aux échanges exté­rieurs. Le gou­ver­ne­ment a mis en place un pro­gramme per­met­tant d’u­ti­li­ser l’al­cool hydra­té direc­te­ment dans les moteurs adap­tés à ce combustible. 

À cette époque, la pro­duc­tion de sucre n’é­tait pas très impor­tante. Elle était essen­tiel­le­ment concen­trée dans le Nor­deste ; le Bré­sil n’ex­por­tait pas. 

La culture de la canne s’est rapi­de­ment déve­lop­pée pour satis­faire cette nou­velle demande d’al­cool. L’ex­pan­sion a eu lieu essen­tiel­le­ment dans l’É­tat de São Paulo. 

Le suc­cès ini­tial du pro­gramme Pro­al­cool a incon­tes­ta­ble­ment enclen­ché un cercle ver­tueux : le déve­lop­pe­ment de la culture de la canne a per­mis de créer des usines per­for­mantes et modernes et de grande capa­ci­té, entraî­nant une baisse des coûts de pro­duc­tion agri­coles et industriels. 

La pro­duc­tion com­bi­née de sucre et d’al­cool a per­mis d’a­mor­tir les frais fixes sur l’en­semble des deux pro­duits, donc de bais­ser les coûts de pro­duc­tion des deux. Le Bré­sil est ain­si deve­nu en quelques années le plus gros pro­duc­teur de canne à sucre du monde. 

Suite à l’ou­ver­ture éco­no­mique du pays ren­dant pos­sible l’im­por­ta­tion et la pro­duc­tion locale de véhi­cules modernes, non équi­pés pour consom­mer de l’al­cool tel quel, la demande d’al­cool hydra­té a diminué. 

Afin de com­pen­ser la baisse de pro­duc­tion d’al­cool hydra­té, le gou­ver­ne­ment a ren­du obli­ga­toire l’in­cor­po­ra­tion d’al­cool anhydre dans toutes les essences – aujourd’­hui 23 %. 

La sub­sti­tu­tion pro­gres­sive du parc auto­mo­bile ancien par les nou­veaux modèles et l’aug­men­ta­tion du parc auto­mo­bile ont per­mis de main­te­nir la demande totale d’alcool. 

Depuis le début de 2004, le lan­ce­ment de véhi­cules « flex­fuel » relance la demande d’al­cool hydraté.
Ces véhi­cules peuvent consom­mer indif­fé­rem­ment, au choix de l’u­ti­li­sa­teur, soit de l’es­sence, soit de l’alcool. 

L’a­dap­ta­tion néces­saire est l’u­ti­li­sa­tion d’un sys­tème d’in­jec­tion élec­tro­nique spé­cial qui règle le mélange air/essence en fonc­tion de la mesure de la teneur en oxy­gène du car­bu­rant et des rejets. 

Les véhi­cules flex­fuel repré­sentent actuel­le­ment 70 % des ventes de véhi­cules neufs. 

L’économie

N.B. : 1 USD = 2,15 R$ Les alcools ne payent pas la taxe pétro­lière sur les car­bu­rants (CIDE).

Le gra­phique ci-des­sous com­pare les prix de l’es­sence et de l’al­cool, cor­rec­tion faite de la dif­fé­rence des pou­voirs énergétiques. 

Le coût de pro­duc­tion de l’al­cool est infé­rieur ou égal au prix de l’es­sence, départ raf­fi­ne­rie, hors taxes : le Bré­sil est le seul pays au monde dans ce cas. En d’autres termes, pour un prix du pétrole supé­rieur à 40 US$/bl, la pro­duc­tion d’al­cool est ren­table, sans défiscalisation. 

L’exemp­tion de la taxe pétro­lière (CIDE) per­met à la fois aux pro­duc­teurs d’as­su­rer une bonne marge et aux pro­prié­taires de flex­fuel d’économiser. 

La pos­si­bi­li­té pour « l’u­si­nei­ro » d’ar­bi­trer entre la pro­duc­tion de sucre et d’al­cool en fonc­tion des marges, et pour le pro­prié­taire d’un véhi­cule flex­fuel d’ar­bi­trer entre alcool et essence induit des cor­ré­la­tions de prix entre sucre, alcool, essence et pétrole au Brésil. 

Compte tenu de la place domi­nante du Bré­sil sur les mar­chés du sucre et de l’al­cool, ces cor­ré­la­tions se réper­cutent sur les mar­chés mondiaux. 

Les perspectives

Le Bré­sil dis­pose de la plus grande réserve mon­diale de terres culti­vables non exploitées. 

Le Bré­sil n’u­ti­lise pour son agri­cul­ture que 55 mil­lions d’hec­tares, dont 6 pour la canne à sucre. 

90 mil­lions d’hec­tares sont dis­po­nibles pour l’a­gri­cul­ture, sans déboi­ser la forêt : le « cer­ra­do » s’é­tend sur la majeure par­tie du Mato Gros­so, du Goias et du Minas Gerais. 

220 mil­lions d’hec­tares sont consa­crés à l’é­le­vage, pour un chep­tel d’en­vi­ron 180 mil­lions de têtes. L’é­le­vage est donc très exten­sif. Il est pos­sible d’aug­men­ter le chep­tel tout en dimi­nuant la sur­face consa­crée à l’é­le­vage, et donc de libé­rer des sur­faces supplémentaires. 

Le poten­tiel appa­raît gigan­tesque, presque illi­mi­té, et cer­tains, au Bré­sil et à l’é­tran­ger, voient le Bré­sil comme le grand pays de « l’O­pep vert », capable d’ap­por­ter la solu­tion à l’é­pui­se­ment des réserves pétrolières. 

La réalité est bien différente…

Le Bré­sil est deve­nu en quelques années un des plus gros consom­ma­teurs d’en­grais du monde et il est éga­le­ment gros impor­ta­teur : son agri­cul­ture est donc dépen­dante des mar­chés mon­diaux des engrais, eux-mêmes cor­ré­lés au prix de l’énergie. 

La forte consom­ma­tion de phy­to­sa­ni­taires (plus de 3 mil­liards US $/an) est cri­ti­quée par cer­tains qui la jugent très exces­sive et pré­ju­di­ciable à l’en­vi­ron­ne­ment. Cer­taines pra­tiques (épan­dage par avion, par exemple) sont certes effi­caces, mais peu « éco­lo­giques ». On dénonce déjà des pol­lu­tions de nappes phréa­tiques par l’ex­cès de phytosanitaires. 

Dans la majeure par­tie des « nou­velles fron­tières » qui seront exploi­tées pour la pro­duc­tion de canne et de bio­car­bu­rants, l’hi­ver (mai à sep­tembre) est chaud et sec. La culture de la canne exige l’irrigation. 


On oublie de dire que dans ces régions il faut ajou­ter, en plus de l’eau plu­viale, 500 mètres cubes d’eau pour pro­duire UN mètre cube d’alcool. 


Les infra­struc­tures sont dans l’en­semble insuf­fi­santes pour satis­faire la volon­té du Bré­sil d’aug­men­ter ses expor­ta­tions, compte tenu de l’im­men­si­té du ter­ri­toire (15 fois la France !) : 


 le réseau rou­tier est insuf­fi­sant pour per­mettre l’é­cou­le­ment des mar­chan­dises qui seront pro­duites dans les nou­velles zones agri­coles et les routes non asphal­tées sont impra­ti­cables en période de pluies. On assiste sou­vent en période de récolte de soja et de sucre à d’im­por­tants bou­chons sur les routes d’ac­cès aux ports ;
. le réseau fer­ro­viaire est limi­té et en mau­vais état ;
 les voies flu­viales ne sont pas exploi­tées comme elles pour­raient l’être ;
 last but not least, les ins­tal­la­tions por­tuaires sont saturées. 

Compte tenu de ces contraintes et aus­si des énormes besoins en finan­ce­ment, il appa­raît impos­sible de déve­lop­per plus de 400 000 hec­tares de nou­velles terres can­nières par an. Pour pro­duire sur les 90 mil­lions d’hec­tares dis­po­nibles théo­ri­que­ment, il faut plus de deux siècles, hori­zon lar­ge­ment plus loin­tain que les réserves de pétrole. 

Une crois­sance de 400 000 hec­tares par an est : 

 énorme du point de vue bré­si­lien. Cela sup­pose la construc­tion d’une usine par mois, des inves­tis­se­ments supé­rieurs à 2 mil­liards US$ par an, la créa­tion de 20 000 emplois sup­plé­men­taires par an ;
• insi­gni­fiante du point de vue de la matrice éner­gé­tique mondiale. 

Compte tenu de la crois­sance de la demande de sucre bré­si­lien et de la crois­sance de la consom­ma­tion locale d’al­cool, les volumes dis­po­nibles à l’ex­por­ta­tion ne dépas­se­ront pas 10 mil­lions de mètres cubes (équi­valent essence) par an en 2030, moins de 1 % de la consom­ma­tion mondiale. 

Conclusion

Sou­te­nue par une insa­tiable demande inter­na­tio­nale, la pro­duc­tion d’al­cool de canne au Bré­sil conti­nue­ra à croître et à atti­rer les inves­tis­seurs qui y trou­ve­ront des oppor­tu­ni­tés de déve­lop­per une acti­vi­té ren­table. L’u­ti­li­sa­tion de l’al­cool par les Bré­si­liens eux-mêmes aura un impact très signi­fi­ca­tif sur leur propre matrice éner­gé­tique. Cepen­dant, les quan­ti­tés que le Bré­sil pour­ra expor­ter seront insi­gni­fiantes par rap­port à la consom­ma­tion d’es­sence mondiale. 

Pour répondre à la ques­tion posée en titre, nous pou­vons donc conclure ain­si : réa­li­té ET fan­tasme.

Commentaire

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Kirorépondre
22 septembre 2013 à 10 h 09 min

L’é­tha­nol et ses déclinaisons

Les avan­cées cer­taines en matières d’u­ti­li­sa­tion de l’é­tha­nol font que l’on ne peut plus par­ler de fan­tasmes, au Bré­sil ou ailleurs. Le meilleur exemple réside d’ailleurs dans le domaine des che­mi­nées. Samir web­mas­ter du site gayomart.fr

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