Les tribunaux de commerce

Dossier : Les X et le droitMagazine N°625 Mai 2007
Par Bernard PRUGNAT (52)
Par Jean-René MAILLARD (55)
Par Roland SCHIFF (60)
Par Jean-Pierre BÉGON-LOURS (62)

Il y a actuel­le­ment 185 tri­bu­naux de com­merce dans les­quels il y a au total 3 100 juges. Leur mis­sion, telle que vou­lue par les opé­ra­teurs du com­merce, à l’é­poque puis tout au long de leur exis­tence, est de voir les litiges trai­tés hors des lour­deurs de la jus­tice de droit com­mun par des juges bien au fait des spé­ci­fi­ci­tés des opé­ra­tions com­mer­ciales. Ain­si la juri­dic­tion com­mer­ciale est tou­jours la seule juri­dic­tion com­po­sée exclu­si­ve­ment de juges qui ne sont pas des magis­trats de car­rière. Si à l’o­ri­gine l’as­sis­tance d’un avo­cat n’é­tait pas per­mise devant un tri­bu­nal de com­merce, tel n’est plus le cas aujourd’­hui où sou­vent les par­ties se font repré­sen­ter par des avo­cats. Cela n’a rien d’o­bli­ga­toire et des par­ties viennent elles-mêmes sou­te­nir leur affaire ce qui leur est faci­li­té par le fait que la pro­cé­dure est dite orale (ce qui n’empêche pas les écrits).

Les juges du com­merce, qui sont des res­pon­sables d’en­tre­prises ou cadres supé­rieurs de socié­tés com­mer­ciales, sont élus par leurs pairs pour qua­torze ans au maxi­mum, une pre­mière fois pour deux ans puis rééli­gibles trois fois de quatre ans en quatre ans. Ils effec­tuent leur mis­sion de façon tota­le­ment béné­vole sans aucune rému­né­ra­tion ni rem­bour­se­ment de frais. Ils prêtent le même ser­ment que les magis­trats de carrière.

Le pré­sident du tri­bu­nal de com­merce, qui est lui-même l’un d’entre eux ayant au moins six ans d’an­cien­ne­té, est élu par les juges du tribunal.

Plus d’un mil­lion de déci­sions de toutes natures sont ren­dues chaque année par les tri­bu­naux de com­merce (voir enca­dré), dont envi­ron 10 % par celui de Paris qui com­prend 172 juges.

Ce qu’est, aujourd’hui, l’activité des tribunaux de commerce

C’est le rôle des tri­bu­naux de com­merce lors des défaillances d’en­tre­prises com­mer­ciales et arti­sa­nales (les faillites) qui est le plus connu. En fait les » pro­cé­dures col­lec­tives » (redres­se­ments et liqui­da­tions judi­ciaires) repré­sentent net­te­ment moins de la moi­tié de leur acti­vi­té, la part la plus impor­tante étant consa­crée au contentieux.

Le contentieux

Il s’a­git de don­ner une solu­tion juri­dique conforme à la règle de droit, aux litiges entre acteurs du com­merce et de l’in­dus­trie pour faits de com­merce, en ce com­pris ce qui relève du droit bour­sier et des dif­fé­rends entre asso­ciés de socié­tés commerciales.

Sta­tis­tiques année 2005

Nombre total de décision

 

 Dont juge­ments de contentieux

Dont ordon­nances de référé

Dont injonc­tions de payer

Dont juge­ments d’ou­ver­ture d’une pro­cé­dure collective

Pré­ven­tions des difficultés

Man­dats ad hoc

Règle­ments amiables

117 832

28 597

125 329

42 736

1524

318

1 075 606

 


De même que tous les tri­bu­naux civils les tri­bu­naux de com­merce ne sanc­tionnent pas et ne peuvent pas se sai­sir, de leur propre ini­tia­tive, de com­por­te­ments com­mer­ciaux irré­gu­liers. Ils ne peuvent être sai­sis que par les par­ties en conflit. C’est à celui qui estime être vic­time du com­por­te­ment d’un concur­rent que revient l’i­ni­tia­tive de l’as­si­gner devant le tri­bu­nal et c’est à lui de pré­sen­ter ses griefs qui seront exa­mi­nés dans le res­pect du contra­dic­toire. Ce ne pour­ra pas être au juge du com­merce (qui est un juge civil) de sou­le­ver des points ou moyens, sauf d’ordre public, qui ne l’ont pas été par les parties.

Il existe une mul­ti­tude de litiges de natures dif­fé­rentes et il est impos­sible d’en don­ner une liste exhaus­tive. On peut cepen­dant citer en particulier :

  • les inexé­cu­tions, ou exé­cu­tions par­tielles, d’o­bli­ga­tions contrac­tuelles dont un grand nombre concerne le non-paie­ment de fac­tures et aus­si la rup­ture de contrats de crédit-bail,
  • les litiges résul­tant de pro­blèmes sur­ve­nus lors de trans­ports ter­restres ou maritimes,
  • tout ce qui concerne la vie des socié­tés, depuis les abus de majo­ri­té ou de mino­ri­té jus­qu’aux révo­ca­tions de man­da­taires sociaux et aux irré­gu­la­ri­tés sur­ve­nant lors d’as­sem­blées géné­rales et de conseils d’administration,
  • ce qui relève de la contre­fa­çon de des­sins et modèles (mais non des marques et des bre­vets qui sont de la com­pé­tence exclu­sive de tri­bu­naux de grande ins­tance) et de la concur­rence déloyale. En outre com­pé­tence a été don­née aux huit plus grands tri­bu­naux de com­merce, donc à celui de Paris, pour trai­ter les litiges rele­vant des articles 81 et 82 du trai­té ins­ti­tuant la Com­mu­nau­té euro­péenne (pra­tiques anti­con­cur­ren­tielles et abus de posi­tion dominante),
  • la mise en jeu de » garan­ties à pre­mière demande » et les dif­fi­cul­tés d’exé­cu­tion de cré­dits documentaires.

De nom­breux litiges com­por­tant des enjeux majeurs sont por­tés devant les tri­bu­naux de com­merce. Par­mi ceux, récents et qui ont eu un écho média­tique, on peut citer le litige entre LVMH et Mor­gan Stan­ley. Mais il y a aus­si tous ceux qui relèvent de la vie des entre­prises tous les jours.

S’il est de l’es­sence même d’un tri­bu­nal de rendre des juge­ments et si les tri­bu­naux de com­merce rendent chaque année des dizaines de mil­liers de juge­ments (voir l’en­ca­dré), il n’en demeure pas moins que les juges du com­merce, de par leur ori­gine, sont très sen­si­bi­li­sés au fait qu’un accord vaut mieux qu’un bon pro­cès et qu’ils sont bien en mesure de faci­li­ter l’a­bou­tis­se­ment d’ac­cords entre les par­ties, soit direc­te­ment en jouant un rôle de conci­lia­teur, soit par l’en­tre­mise d’un média­teur qu’ils dési­gnent avec l’ac­cord des parties.

Les litiges de toutes natures peuvent être trai­tés » au fond « , après que les par­ties, ou le plus sou­vent leurs avo­cats, ont été enten­dues et ont remis, s’il y a lieu, leurs dos­siers, par une for­ma­tion com­po­sée d’un nombre impair de juges (géné­ra­le­ment trois).

À Paris et dans les tri­bu­naux de la Région pari­sienne, ain­si que dans d’autres grands tri­bu­naux de grandes villes, la pra­tique la plus cou­rante est que l’af­faire soit enten­due par un seul juge qui a préa­la­ble­ment reçu, et pris connais­sance, des dos­siers des par­ties. Se déroule alors devant ce juge non des audiences de plai­doi­ries mais un véri­table débat por­tant sur l’es­sence même du litige. À l’is­sue de ce débat ce juge éta­blit un pro­jet de juge­ment qu’il sou­met pour en déli­bé­rer à deux autres juges (et il n’est pas rare qu’il soit » reto­qué « , c’est-à-dire obli­gé de faire, puis de sou­mettre, un pro­jet différent).

Il est dif­fi­cile d’in­di­quer le délai qui court entre la date d’une assi­gna­tion et celle où le juge­ment est ren­du. En effet les par­ties ont très lar­ge­ment la maî­trise de leur pro­cé­dure et il n’est pas rare que ce ne soit qu’au terme de plu­sieurs mois (sinon même années) après l’as­si­gna­tion que les par­ties consi­dèrent que leur affaire est en état d’être jugée. Par contre lors­qu’il y a urgence les tri­bu­naux de com­merce sont capables de tran­cher un litige au fond dans des délais extrê­me­ment brefs. Citons par exemple un litige por­tant sur des droits de retrans­mis­sion télé­vi­suelle de matchs de foot­ball lors de la coupe du monde de 2002 et pour lequel le juge­ment a été ren­du en moins de trois jours tout compris.

Une deuxième voie de trai­te­ment des litiges est celle du réfé­ré où les par­ties viennent devant un juge unique. Cette voie est réser­vée, pour l’es­sen­tiel, d’une part aux cas où la demande est jugée non sérieu­se­ment contes­table (donc, sou­vent, en vue de l’ob­ten­tion d’un titre per­met­tant le recou­vre­ment for­cé de créances). D’autre part à ceux pour les­quels il y a lieu de pres­crire des mesures conser­va­toires ou de remise en état que ce soit pour pré­ve­nir un dom­mage immi­nent ou faire ces­ser un trouble mani­fes­te­ment illi­cite. Ou encore lors­qu’il est deman­dé, avant tout pro­cès, la dési­gna­tion d’un expert afin d’é­ta­blir ou de conser­ver des preuves.

Il s’a­git d’une pro­cé­dure rapide rele­vant du pré­sident du tri­bu­nal (qui dans les grands tri­bu­naux délègue ses pou­voirs à des juges du tri­bu­nal). Le délai entre l’as­si­gna­tion et la déci­sion va de moins d’un mois à quelques heures dans les cas d’ex­trême urgence (tels que les contes­ta­tions sou­le­vées lors de cam­pagnes de publi­ci­té, au cours de salons professionnels…).

Enfin de mul­tiples autres déci­sions sont ren­dues par les juges des tri­bu­naux de com­merce. Citons, entre autres, les injonc­tions de payer (déci­sions ren­dues non contra­dic­toi­re­ment qui per­mettent l’ob­ten­tion d’un titre exé­cu­toire s’il n’y a pas été fait oppo­si­tion dans le délai d’un mois), le sui­vi et le contrôle des exper­tises qui ont été ordon­nées, le trai­te­ment des contes­ta­tions en rap­port avec le registre du commerce.

Sauf lorsque le litige porte sur un mon­tant rela­ti­ve­ment faible (à l’heure actuelle 4 000 ?) les déci­sions des tri­bu­naux de com­merce sont sus­cep­tibles d’ap­pel devant les cours d’ap­pel. Sta­tis­ti­que­ment moins de 10 % des juge­ments donnent lieu à appel et il n’y en a que 3 % qui sont infir­més en appel.

La prévention des difficultés des entreprises


Michel de l’Hospital, chan­ce­lier de France, École fran­çaise (deuxième moi­tié du XVIe siècle), huile sur bois.
Musée du Louvre.

Pour en venir aux défaillances d’en­tre­prises com­mer­ciales et arti­sa­nales il faut savoir qu’une par­tie impor­tante de l’ac­ti­vi­té des tri­bu­naux de com­merce dans ce domaine, et cepen­dant très peu connue du public, est jus­te­ment la pré­ven­tion de ces défaillances.

C’est ain­si que, d’une part, des diri­geants d’en­tre­prises sont convo­qués, à l’i­ni­tia­tive du pré­sident du tri­bu­nal, afin que leur atten­tion soit atti­rée sur la situa­tion de leur entre­prise et qu’ils soient invi­tés à prendre, à temps, des mesures de redressement.

D’autre part tout diri­geant d’en­tre­prise peut, de sa propre ini­tia­tive, sol­li­ci­ter le pré­sident du tri­bu­nal (ou le juge qui a été délé­gué à cette fin) afin d’être sou­te­nu et assis­té, de façon confi­den­tielle, dans la mise en oeuvre d’une action de redres­se­ment com­por­tant, en par­ti­cu­lier, une rené­go­cia­tion des enga­ge­ments finan­ciers. Dans la mesure où la situa­tion de l’en­tre­prise n’est pas déses­pé­rée, un man­da­taire ad hoc est dési­gné à cette fin. Il tra­vaille­ra sous le contrôle étroit du pré­sident du tri­bu­nal (ou du juge délégué).

Enfin depuis le 1er jan­vier 2006 (loi du 26 juillet 2005 et décret du 28 décembre 2005), outre des modi­fi­ca­tions par rap­port aux textes pré­cé­dents, une pro­cé­dure publique de pré­ven­tion a été ins­ti­tuée. Pour sim­pli­fier, disons qu’elle est l’é­qui­valent fran­çais du célèbre cha­pitre ele­ven du droit fédé­ral amé­ri­cain. La socié­té Euro­tun­nel, pour prendre un exemple, y a eu recours en juillet 2006. Les nom­breux déve­lop­pe­ments et expli­ca­tions aux­quels cela a don­né lieu dans la presse nous dis­pensent d’y reve­nir. Il suf­fit d’at­ti­rer l’at­ten­tion sur l’im­por­tance de l’an­ti­ci­pa­tion des dif­fi­cul­tés et sur le fait que le légis­la­teur a don­né des outils pour y remédier.

Si, comme on le ver­ra ci-des­sous, à la suite d’un dépôt de bilan les chances de sur­vie de l’en­tre­prise sont faibles, au contraire les actions de pré­ven­tion conduites sous l’é­gide des tri­bu­naux de com­merce abou­tissent à des solu­tions qui per­mettent à plus de 65 % des entre­prises concer­nées de pour­suivre leurs acti­vi­tés. Les tri­bu­naux de com­merce rem­plissent ain­si plei­ne­ment ce qui dans leur mis­sion relève du bon fonc­tion­ne­ment de l’é­co­no­mie puisque non seule­ment des mil­liers d’emploi sont sau­ve­gar­dés mais aus­si que tous les par­te­naires de l’en­tre­prise, dont ne l’ou­blions pas les orga­nismes sociaux et fis­caux, y trouvent leur compte.

Les procédures collectives

Enfin il faut citer ce que l’on appelle les pro­cé­dures col­lec­tives, c’est-à-dire ce qu’il advient après un dépôt de bilan ou une assi­gna­tion de la part d’un créan­cier dis­po­sant d’un titre exé­cu­toire et qui sol­li­cite la mise en liqui­da­tion ou celle en redres­se­ment judi­ciaire de son débi­teur ou, enfin, une demande simi­laire du par­quet (géné­ra­le­ment aler­té par des sala­riés impayés).


Vue du tri­bu­nal de com­merce de Paris.

Disons tout de suite qu’en­vi­ron neuf entre­prises sur dix qui déposent leur bilan sol­li­citent d’être mises en liqui­da­tion judi­ciaire. Dans ce cas le tri­bu­nal désigne d’une part un man­da­taire liqui­da­teur (dans une liste désor­mais natio­nale) dont la mis­sion essen­tielle est de liqui­der les actifs (lors­qu’il y en a !) et un juge-com­mis­saire char­gé de veiller au bon dérou­le­ment de la pro­cé­dure et à la pro­tec­tion des inté­rêts en pré­sence. Les cas récents, sans doute les plus connus, ont été la faillite de la banque Pal­las Stern et la mise en liqui­da­tion judi­ciaire des socié­tés du groupe ani­mé par Mon­sieur Ber­nard Tapie.

Lorsque la mise en redres­se­ment judi­ciaire de l’en­tre­prise est sol­li­ci­tée, et que la situa­tion n’est pas sans aucun espoir, l’en­tre­prise fait l’ob­jet d’un juge­ment qui ouvre une période d’ob­ser­va­tion pen­dant laquelle le paie­ment des dettes contrac­tées anté­rieu­re­ment est sus­pen­du et l’ac­ti­vi­té de l’en­tre­prise pour­sui­vie. Sont dési­gnés un repré­sen­tant des créan­ciers, avec pour pre­mière mis­sion d’é­ta­blir l’é­tat des dettes et la liste des créan­ciers, et un admi­nis­tra­teur judi­ciaire avec, le plus sou­vent, la mis­sion d’as­sis­ter le chef d’en­tre­prise. De même un juge-com­mis­saire est dési­gné avec la mis­sion de veiller au bon dérou­le­ment de la pro­cé­dure et à la pro­tec­tion des inté­rêts en pré­sence. La durée de cette période d’ob­ser­va­tion est mise à pro­fit pour l’é­ta­blis­se­ment de plans per­met­tant la pour­suite de l’activité.

À l’is­sue de la période d’ob­ser­va­tion, si aucun plan cré­dible n’a vu le jour, l’en­tre­prise est mise en liqui­da­tion judi­ciaire. Cela se pro­duit pra­ti­que­ment une fois sur deux. Si un ou plu­sieurs plans sont pré­sen­tés le tri­bu­nal sta­tue après avoir recueilli les obser­va­tions de toutes les par­ties inté­res­sées, notam­ment les repré­sen­tants du per­son­nel, ain­si que de l’ad­mi­nis­tra­teur judi­ciaire et du repré­sen­tant des créan­ciers et enfin des réqui­si­tions du parquet.

Si le par­quet est peu pré­sent, sinon sou­vent tota­le­ment absent, dans les affaires de conten­tieux que traitent les tri­bu­naux de com­merce il est au contraire très pré­sent, et très actif, dans le domaine des pro­cé­dures collectives.

Perspectives

À l’heure actuelle, ce sont les pro­cé­dures col­lec­tives qui sus­citent l’es­sen­tiel des cri­tiques for­mu­lées à l’en­contre des tri­bu­naux de com­merce. Ces pro­cé­dures col­lec­tives ne peuvent que pro­vo­quer dou­leurs et amer­tumes tant de la part du chef d’en­tre­prise, dont les efforts sont rui­nés, que des sala­riés, qui perdent leur emploi, et que des clients et four­nis­seurs qui voient leurs créances deve­nir le plus sou­vent irré­cou­vrables. La ten­ta­tion est grande, et cer­tains y suc­combent, d’en rendre res­pon­sables ceux qui constatent l’é­tat de fait et en tirent les consé­quences, c’est-à-dire les juges des tri­bu­naux de commerce.

Le juge n’est d’ailleurs pas le seul en cause puisque les man­da­taires liqui­da­teurs et les admi­nis­tra­teurs judi­ciaires inter­viennent de façon très impor­tante dans le pro­ces­sus. Si per­sonne n’est à l’a­bri de cri­tiques, et si cer­taines sont jus­ti­fiées, cela ne sau­rait suf­fire pour condam­ner l’en­semble. Le trai­te­ment de la mort ou de la mala­die grave (de l’en­tre­prise s’en­tend) n’est pas un sujet facile et ne peut qu’être source de mécon­ten­te­ments. Les lois suc­ces­sives qui régissent la ques­tion sont néces­sai­re­ment des com­pro­mis, par nature impar­faits, entre des inté­rêts et des exi­gences contradictoires.

Il n’en demeure pas moins que, tout par­ti­cu­liè­re­ment dans les villes petites et moyennes, la proxi­mi­té des juges, béné­voles, et des jus­ti­ciables, les lacunes juri­diques, réelles ou sup­po­sées, des juges ain­si que la pos­si­bi­li­té de soup­çon de col­lu­sion posent cer­tai­ne­ment question.

Par ailleurs l’exis­tence même de tri­bu­naux dans les­quels ne siège aucun repré­sen­tant du corps des magis­trats de car­rière a tou­jours fait ques­tion pour ces der­niers. Ceci dès l’o­ri­gine et d’une façon qua­si conti­nue puisque déjà l’é­dit de 1563 créant le tri­bu­nal de com­merce de Paris avait été éta­bli mal­gré l’op­po­si­tion du Par­le­ment de Paris. Cette longue his­toire a même fait récem­ment l’ob­jet d’une thèse de doc­to­rat par une étu­diante japonaise !

Ain­si en 1982–1983 puis dans les années 2000, à la suite d’une viru­lente cam­pagne de déni­gre­ment, des pro­jets de loi ont vu le jour afin d’ins­ti­tuer un éche­vi­nage, tel qu’il se pra­tique en Bel­gique et aus­si en Alsace-Moselle. Cela consis­tait à confier à des magis­trats de car­rière la pré­si­dence des for­ma­tions de juge­ment dont les asses­seurs seraient des juges consu­laires. Ces pro­jets n’ont pas abou­ti tant il s’a­git d’une fausse bonne idée. Un mariage har­mo­nieux n’est sans doute pas pos­sible tant sont grandes les dif­fé­rences de culture et la pré­gnance des tra­di­tions. Éga­le­ment les juges consu­laires estiment que l’é­co­no­mique, qu’ils estiment per­son­ni­fier, n’est pas infé­rieur au juri­dique et, inver­se­ment, les magis­trats de car­rière ne peuvent pas envi­sa­ger leur pré­sence dans une ins­ti­tu­tion judi­ciaire où leur rôle ne serait pas premier.

À titre d’illus­tra­tion de ces blo­cages, dans un tout autre domaine, on peut consta­ter les dif­fi­cul­tés consi­dé­rables ren­con­trées dans la mise en place de juges de proxi­mi­té, ce alors même que la très grande majo­ri­té de ceux-ci sont issus de pro­fes­sions juri­diques ou même sou­vent des magis­trats de car­rière en retraite.

Peut-être qu’à long terme, les esprits de corps, de part et d’autre, pour­ront-ils être dépas­sés et qu’une plu­ri­dis­ci­pli­na­ri­té pour­ra être mise en oeuvre lorsque la socié­té civile pour­ra trou­ver une place dans les ins­ti­tu­tions judi­ciaires. À l’heure actuelle tel n’est, à l’é­vi­dence, pas le cas.

Cela étant, ni la puis­sance éta­tique ni les juges consu­laires ne sont res­tés inac­tifs et les moyens de remé­dier aux pro­blèmes sont en oeuvre. C’est ain­si que, outre l’in­dis­pen­sable réduc­tion du nombre de tri­bu­naux de com­merce qui se pour­suit mal­gré la résis­tance des poli­tiques locaux, des mesures fon­da­men­tales sont mises en œuvre :

la Confé­rence géné­rale des juges consu­laires de France (www.cgtribc. org), asso­cia­tion créée il y a cent huit ans qui fédère l’en­semble des juges consu­laires, est l’or­gane de repré­sen­ta­tion des juges de tri­bu­naux de com­merce auprès du minis­tère de la Jus­tice, des pou­voirs publics et des milieux judi­ciaires, poli­tiques et éco­no­miques. Elle a éga­le­ment une part active dans la for­ma­tion des juges grâce à ses publications,
• un Conseil natio­nal des tri­bu­naux de com­merce a été ins­tal­lé le 31 jan­vier de cette année avec comme domaines de com­pé­tence la for­ma­tion et la déon­to­lo­gie, l’or­ga­ni­sa­tion et le fonc­tion­ne­ment des tri­bu­naux de com­merce, la com­pé­tence et l’im­plan­ta­tion des tri­bu­naux de com­merce. Il est pré­si­dé par le garde des Sceaux avec pour vice-pré­sident le Pré­sident du tri­bu­nal de com­merce de Paris. Il com­prend 20 per­sonnes, dix juges consu­laires, trois direc­teurs du minis­tère de la Jus­tice, un membre du Conseil d’É­tat, un gref­fier et deux per­son­na­li­tés qualifiées,
une for­ma­tion des juges consu­laires est assu­rée en col­la­bo­ra­tion avec l’É­cole natio­nale de la magis­tra­ture. Elle vient s’a­jou­ter, en la com­plé­tant, à celle qui est reçue dans le cadre de chaque juri­dic­tion et sur­tout dans la pra­tique quo­ti­dienne des affaires judiciaires.

Enfin, en conclu­sion, après avoir obser­vé qu’il y a en 2006 trente-deux poly­tech­ni­ciens par­mi les juges des tri­bu­naux de com­merce de la Région pari­sienne, deman­dons-nous pour­quoi des X par­ti­cipent à l’ac­ti­vi­té des tri­bu­naux de commerce.

Il faut d’a­bord obser­ver qu’il s’a­git d’être capable de conduire un rai­son­ne­ment juri­dique donc logique et que la nature de la démarche du scien­ti­fique n’est pas dif­fé­rente de celle du juriste. En effet il s’a­git de don­ner aux faits leur qua­li­fi­ca­tion juri­dique puis de leur appli­quer la règle de droit (plus facile à dire qu’à faire !). D’autre part ce qui est néces­saire est une solide expé­rience, à haut niveau, du monde des affaires. Les connais­sances juri­diques s’ac­quièrent, au besoin, grâce à la for­ma­tion dis­pen­sée et aus­si grâce à l’aide de col­lègues plus anciens, ou de for­ma­tion juri­dique, aide accor­dée natu­rel­le­ment et sans réserve du fait de la bonne atmo­sphère de convi­via­li­té qui règne au sein des tri­bu­naux de commerce.

Ceux qui sont en acti­vi­té pro­fes­sion­nelle trouvent là le moyen d’é­lar­gir consi­dé­ra­ble­ment leur hori­zon et aus­si de prendre une meilleure conscience des com­por­te­ments à res­pec­ter ou au contraire à évi­ter dans la conduite des affaires de leur entre­prise. Ils sont mieux à même de com­prendre et de déchif­frer les atti­tudes de leurs clients, four­nis­seurs et sous trai­tants. Ils ont l’oc­ca­sion de rece­voir un nou­vel éclai­rage sur les com­por­te­ments des pro­fes­sion­nels du droit (avo­cats, experts, etc.). Ceux qui sont en retraite, ou qui sont sur le point de l’être, conti­nuent de par­ti­ci­per, d’une nou­velle façon, à la vie des affaires et gardent une acti­vi­té de type pro­fes­sion­nel. Dans tous les cas, du fait de l’ex­trême diver­si­té des cas trai­tés, le juge du com­merce trouve dans son acti­vi­té la connais­sance d’ho­ri­zons qui lui seraient autre­ment res­tés inconnus.

Enfin, cela va sans dire mais encore mieux en le disant, il est stric­te­ment inter­dit à un juge consu­laire de tirer, direc­te­ment ou indi­rec­te­ment, le moindre avan­tage éco­no­mique de son acti­vi­té au sein du tri­bu­nal. Par exemple ni lui-même ni l’en­tre­prise qui l’emploie ne peut se por­ter acqué­reur de biens issus d’une pro­cé­dure col­lec­tive ouverte dans le res­sort du tri­bu­nal où il siège.

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