Les spécificités de l’expertise dommages-ouvrage

Dossier : Juges - Experts - CitoyensMagazine N°610 Décembre 2005
Par Pierre TAILLÉ (61)
Par Isabelle ULRADIC

Présentation de la loi Spinetta du 4 janvier 1978

La loi du 4 jan­vier 1978, issue des tra­vaux d’une Com­mis­sion gou­ver­ne­men­tale pré­si­dée par M. SPINETTA, a vou­lu répondre à l’é­vo­lu­tion du sec­teur du bâti­ment en se fixant comme axes : une pro­tec­tion effec­tive des maîtres d’ou­vrage et des acqué­reurs suc­ces­sifs, une pré­ven­tion amé­lio­rée des sinistres ain­si qu’une mora­li­sa­tion du sec­teur de la construction.

Cette loi rela­tive à la res­pon­sa­bi­li­té et à l’as­su­rance dans le domaine de la construc­tion est entrée en vigueur le 1er jan­vier 1979. Elle a adap­té le régime de la res­pon­sa­bi­li­té des construc­teurs aux don­nées nou­velles de la construc­tion en modi­fiant les articles 1792–1 à 1792–6 et 2270 du Code civil. Elle a éga­le­ment réfor­mé le contrôle tech­nique des ouvrages de bâti­ment. Enfin, elle a ins­ti­tué des méca­nismes d’as­su­rances ori­gi­naux de la res­pon­sa­bi­li­té décen­nale des construc­teurs et des ouvrages de bâtiment.

Les responsabilités des constructeurs

La loi Spi­net­ta a trans­for­mé radi­ca­le­ment les garan­ties et res­pon­sa­bi­li­tés des construc­teurs pré­vues par les articles 1792 à 1792–6 du Code civil en :

  • aban­don­nant la dis­tinc­tion issue de la loi de 1967 fon­dée sur l’im­por­tance des ouvrages, au pro­fit d’une dis­tinc­tion plus fonc­tion­nelle oppo­sant les ouvrages rele­vant de la fonc­tion construc­tion (englo­bant l’in­fra­struc­ture, la struc­ture, le clos et le cou­vert) des ouvrages rele­vant de la fonc­tion équi­pe­ment (c’est-à-dire tous les amé­na­ge­ments inté­rieurs de l’es­pace déli­mi­té par le clos et le couvert) ;
  • édic­tant une res­pon­sa­bi­li­té de plein droit d’une durée de dix ans à comp­ter de la récep­tion pesant sur tout construc­teur d’un ouvrage, et ce pour les dom­mages com­pro­met­tant la soli­di­té de l’ou­vrage ou le ren­dant impropre à sa des­ti­na­tion (nota : ceci exclut par exemple les man­que­ments d’ordre contrac­tuel, les dom­mages connus à la réception…) ;
  • aug­men­tant le nombre des res­pon­sables de plein droit. Sont en effet répu­tés construc­teurs non seule­ment les loca­teurs d’ou­vrage mais éga­le­ment toute une foule de par­ti­ci­pants directs ou indi­rects à l’acte de construire (contrô­leur tech­nique, ven­deur après achèvement…) ;
  • ins­ti­tuant une garan­tie de bon fonc­tion­ne­ment des élé­ments d’é­qui­pe­ment dis­so­ciables de l’ou­vrage d’une durée mini­male de deux ans à comp­ter de la réception ;

. ins­ti­tuant une garan­tie de par­fait achèvement.

Le mécanisme d’assurance obligatoire à double détente

Le légis­la­teur a dis­tin­gué la répa­ra­tion des désordres qui doit être, pour le maître de l’ou­vrage, aus­si rapide que pos­sible, de la déter­mi­na­tion pré­cise des res­pon­sa­bi­li­tés des divers inter­ve­nants à la construc­tion qui demande sou­vent beau­coup plus de temps.

Ain­si la rapi­di­té de la répa­ra­tion des désordres est satis­faite par une assu­rance de l’ou­vrage, assu­rance de choses qui a pour objet de garan­tir au pro­prié­taire de l’ou­vrage le pré­fi­nan­ce­ment de la répa­ra­tion des dom­mages graves, cela en dehors de toute recherche de responsabilité.

Cette assu­rance de l’ou­vrage est une assu­rance de pré­fi­nan­ce­ment et après avoir ver­sé l’in­dem­ni­té, l’as­su­reur dom­mages-ouvrage la récu­père en exer­çant des recours sur les construc­teurs assu­jet­tis à la pré­somp­tion de res­pon­sa­bi­li­té et leurs assureurs.

Aus­si dans ce cadre, le légis­la­teur impose au pro­prié­taire qui fait construire un ouvrage de bâti­ment de sous­crire une assu­rance dom­mages-ouvrage et aux construc­teurs qui réa­lisent des tra­vaux de bâti­ment de sous­crire un contrat d’as­su­rance garan­tis­sant leur res­pon­sa­bi­li­té lors­qu’elle peut être enga­gée sur le fon­de­ment des articles 1792 et 1792.2 du Code civil (contrat dit Res­pon­sa­bi­li­té civile décen­nale ou RCD).

À noter que cette assu­rance n’est obli­ga­toire que pour la réa­li­sa­tion d’ou­vrages de bâti­ment. Les ouvrages de génie civil ne sont pas sou­mis à l’o­bli­ga­tion d’assurance.

La procédure de règlement d’un sinistre dommages-ouvrage

La pro­cé­dure de règle­ment des sinistres dom­mages-ouvrage par l’as­su­reur pré­sente une par­ti­cu­la­ri­té, elle est pré­vue par un texte de loi insé­ré dans le Code des assu­rances. Cette pro­cé­dure défi­nit notamment :

  • les délais de noti­fi­ca­tion de la prise de posi­tion sur les garan­ties et de pro­po­si­tion d’in­dem­ni­té et les sanc­tions en cas de non-res­pect de ces délais (res­pec­ti­ve­ment soixante jours et quatre-vingt-dix jours à comp­ter de la récep­tion de la décla­ra­tion de sinistre par l’assureur) ;
  • les moda­li­tés de l’ex­per­tise amiable : mis­sion de l’ex­pert et règles en cas de récu­sa­tion, res­pect du contra­dic­toire, de la consul­ta­tion pour avis, rédac­tion et conte­nu des rap­ports d’expertise.
    Cette pro­cé­dure est éga­le­ment orga­ni­sée par une conven­tion signée par la plu­part des assu­reurs en construc­tion appe­lée Conven­tion de règle­ment assu­rance construc­tion (CRAC) qui a pour objec­tif d’a­mé­lio­rer l’ef­fi­ca­ci­té de l’as­su­rance construc­tion par :
  • un abais­se­ment du coût de ges­tion des sinistres en ins­ti­tuant un expert unique qui inter­vient à la fois pour l’as­su­reur dom­mages-ouvrage et pour les assu­reurs RCD concer­nés par le sinistre,
  • un règle­ment rapide et équi­table de ces sinistres entre les socié­tés adhé­rentes avec, en cas de désac­cord entre ces socié­tés, le recours à des orga­nismes consul­ta­tifs professionnels.


Une des par­ti­cu­la­ri­tés de la pro­cé­dure amiable de règle­ment d’un sinistre dom­mages-ouvrage est que cette pro­cé­dure amiable est obli­ga­toire et qu’a­vant toute assi­gna­tion en jus­tice et demande de dési­gna­tion d’un expert judi­ciaire, le maître de l’ou­vrage doit avoir mis en œuvre cette pro­cé­dure amiable et donc effec­tué une décla­ra­tion auprès de son assu­reur dom­mages-ouvrage (arrêt de la Cour de cas­sa­tion du 28 octobre 1997).

Les spécificités de l’expertise amiable dommages-ouvrage

Une mission d’expertise amiable définie par la loi (les clauses types dommages-ouvrage)

Le légis­la­teur a défi­ni de manière pré­cise les moda­li­tés de l’ex­per­tise amiable dom­mages-ouvrage et notamment :

  • de la dési­gna­tion de l’expert,
  • du constat des dommages,
  • du res­pect du contra­dic­toire et la consul­ta­tion pour avis,
  • de la pré­ser­va­tion des recours de l’as­su­reur dommages-ouvrage,
  • du conte­nu des rap­ports d’expertise.


Ain­si l’une des prin­ci­pales ori­gi­na­li­tés de cette exper­tise amiable est qu’elle est stric­te­ment orga­ni­sée par un texte de loi.

Une mission d’expertise amiable unique organisée par une convention entre assureurs, la Convention de règlement assurance construction

Cette conven­tion appe­lée com­mu­né­ment Conven­tion CRAC ins­taure le prin­cipe d’un expert unique dési­gné par l’as­su­reur dom­mages-ouvrage, expert com­mun aux dif­fé­rents assu­reurs en pré­sence (assu­reur dom­mages-ouvrage et assu­reurs en res­pon­sa­bi­li­té décen­nale des entreprises).

Cet expert unique doit être choi­si par l’as­su­reur dom­mages-ouvrage sur une liste d’ex­perts agréés CRAC. En effet, l’ex­pert doit rem­plir cer­taines condi­tions tenant à l’âge, à l’ex­pé­rience et doit avoir réus­si un exa­men. Par ailleurs la qua­li­té des pres­ta­tions de ces experts fait l’ob­jet de contrôles de la part des assureurs.

L’expert amiable dommages-ouvrage : le chef d’orchestre de la résolution du sinistre

La bonne réso­lu­tion du sinistre est donc étroi­te­ment liée à la qua­li­té de l’ex­per­tise réalisée.

Vis-à-vis du maître de l’ou­vrage, il s’a­git de lui per­mettre de faire pro­cé­der à la bonne répa­ra­tion dans les meilleurs délais. Vis-à-vis de l’as­su­reur dom­mages-ouvrage, l’ex­pert doit notam­ment mettre en mesure cet assu­reur de res­pec­ter ses obli­ga­tions légales de prise de posi­tion et de pro­po­si­tion d’in­dem­ni­té dans les délais, veiller à pré­ser­ver les recours de celui-ci en assu­rant le res­pect du contra­dic­toire tout au long de l’ex­per­tise et déter­mi­ner les res­pon­sa­bi­li­tés. Et enfin vis-à-vis des entre­prises concer­nées par le sinistre et de leurs assu­reurs de res­pon­sa­bi­li­té, il doit faire preuve de capa­ci­té d’é­coute, de dia­logue et les tenir stric­te­ment infor­més des dif­fé­rentes phases du dérou­le­ment de l’expertise.

Ain­si la conduite de l’ex­per­tise doit per­mettre le règle­ment du sinistre au mieux des inté­rêts de tous.

En cas d’ex­per­tise judi­ciaire suite à un désac­cord du maître de l’ou­vrage sur la prise de posi­tion sur les garan­ties de l’as­su­reur ou sur le mon­tant de l’in­dem­ni­té allouée à celui-là, l’ex­pert va être ame­né à pour­suivre sa mis­sion en rela­tion avec l’ex­pert judi­ciaire nommé.

Il res­te­ra un acteur essen­tiel de l’ex­per­tise et devra veiller à appor­ter toute sa tech­nique et sa com­pé­tence au ser­vice de cette exper­tise (recherche du mode répa­ra­toire, chif­frage des tra­vaux, assis­tance à la défi­ni­tion des inves­ti­ga­tions à réaliser).

Tout cela, bien sûr, en étroite rela­tion avec l’as­su­reur dom­mages-ouvrage qui reste sus­cep­tible de pré­fi­nan­cer cer­taines investigations. 

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