Les orphelins de Schumpeter ont besoin d’amour

Dossier : ExpressionsMagazine N°681 Janvier 2013
Par Laurent DALIMIER (65)

Hubert Lévy-Lam­bert (53) fit d’abord par­ler Schum­pe­ter pour com­men­ter la crise actuelle : l’État aux poches pro­fondes en qua­si-faillite, un Code du tra­vail plus volu­mi­neux que la Bible, un prin­cipe de pré­cau­tion dévoyé en prin­cipe d’inaction, tous les ingré­dients de l’horreur éco­no­mique sont réunis. De son exil à Londres, Joseph Schum­pe­ter aurait pro­ba­ble­ment appe­lé à natio­na­li­ser… l’État français.

Identifier les technologies-clés

Vincent Chri­qui (91) sou­ligne que les inno­va­tions sont des rup­tures et qu’elles ne se laissent pas pla­ni­fier. Jean-Pierre Gérard (60) rap­pelle que le taux de pro­fit est le coût du risque, et déplore que le pacte de com­pé­ti­ti­vi­té ne com­pense pas le choc fiscal.

À l’occasion du cen­te­naire de la publi­ca­tion par Joseph Schum­pe­ter de la Théo­rie de l’évolution éco­no­mique, X‑Sursaut orga­ni­sait le 10 décembre der­nier un col­loque regrou­pant une bonne cen­taine d’X et de leurs amis et don­nait la parole à 24 ténors de l’industrie, de la finance et de l’administration fran­çaises, autour de quatre « tables rondes » : les filières, l’entrepreneur, la recherche et l’innovation, les poli­tiques publiques.

David Lévy (78) pro­pose de mettre les grands cer­veaux sur les petits pro­jets rebelles, et de mesu­rer la per­for­mance de l’administration par ses temps de réponse.

Favoriser les entrepreneurs

La recherche se mesure par la dépense, et l’innovation par le résul­tat, ce qui réha­bi­lite « l’entrepreneur d’en bas ». Comme le sou­lignent Sté­phane Mar­chand (80) et Phi­lippe Vincent (61), il faut sau­ver le sol­dat PME, bien sûr, et « aimer les entrepreneurs ».

Ber­nard Esam­bert (54), lui, veut ren­for­cer les liens entre sec­teurs public et pri­vé, et lance un cri : « Aimez les cher­cheurs. » Marion Guillou (73) sou­tient le croi­se­ment entre sciences dures et sciences humaines ; on a besoin d’autres choses que de l’arrière- cui­sine, diantre.

Mieux utiliser les ressources

L’État et l’entreprise sont-ils mis­cibles ? Éric Labaye (80) veut relan­cer l’investissement pri­vé. Thier­ry Weil (78) plaide pour des poli­tiques publiques patientes. C’est aus­si l’avis de Karine Ber­ger (93), pour qui l’État ne doit pas rai­son­ner à deux ou trois ans ; mais la France est un mar­ché trop court pour le capi­tal-risque, qui doit d’emblée viser l’Europe.

Her­vé Mari­ton (77) estime qu’il faut créer mais en même temps ras­su­rer. Et puis la poli­tique, elle aus­si, a besoin d’innover. Com­ment mieux le dire : « Aimez les politiques. »

Claude Bébéar (55) peut alors conclure en patriarche : il est dif­fi­cile d’entreprendre en France, mais uti­li­sons mieux nos ressources.

Une panne d’innovation

Un peu plus, si nous n’avions pas été entre nous, on aurait pu entendre : « Aimez les polytechniciens. »

Mettre les grands cer­veaux sur les petits pro­jets rebelles

Deux regrets : aucun inter­ve­nant étran­ger, qui aurait pu appor­ter un regard exté­rieur ; aucun inter­ve­nant busi­ness angel non plus, qui aurait, lui aus­si, exi­gé beau­coup d’amour.

Mais fina­le­ment, dans les dis­cus­sions d’après tri­bune, beau­coup de par­ti­ci­pants étaient à deux doigts de poser la ques­tion : qu’aurait écrit Schum­pe­ter s’il avait déve­lop­pé sa théo­rie aujourd’hui ?

Lui qui pen­sait que le capi­ta­lisme était voué à l’effondrement sans pro­po­ser d’alternative, peut-être aurait-il appli­qué son modèle de la des­truc­tion créa­trice à la science éco­no­mique, aujourd’hui bien en panne d’innovation

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