Les nombres premiers

Dossier : Arts, Lettres et SciencesMagazine N°527 Septembre 1997Par : Gérald TENENBAUM et Michel MENDÈS FRANCE (57)Rédacteur : M. D. INDJOUDJIAN (41)

Les auteurs ont déli­bé­ré­ment choi­si de trai­ter le sujet de façon tout à fait dif­fé­rente de leurs deux pré­dé­ces­seurs dans la même col­lec­tion (et sous le même titre).

Ils ont eu rai­son, tant les connais­sances se sont accrues depuis un demi-siècle ; d’autant plus que les liens avec d’autres domaines des mathé­ma­tiques sont bien plus nom­breux et pro­fonds ; enfin que le sujet, long­temps consi­dé­ré comme un modèle de science dés­in­té­res­sée, voire “ inutile ”, trouve main­te­nant des appli­ca­tions pra­tiques impor­tantes, dont les plus connues – qui remontent à vingt ans, mais ne sont pas les seules – concernent la cryptologie.

Ils ont réus­si à expo­ser une par­tie notable des ques­tions et méthodes dites élé­men­taires, mais aus­si à don­ner une idée non super­fi­cielle des méthodes ana­ly­tiques. Ain­si, les pages consa­crées à la fonc­tion ζ(s) de Rie­mann sont-elles par­ti­cu­liè­re­ment inté­res­santes : lien avec le théo­rème cen­te­naire (de J. Hada­mard et C. de la Val­lée-Pous­sin) sur le nombre des nombres pre­miers infé­rieurs à x ; impor­tance et énorme dif­fi­cul­té de la conjec­ture de Rie­mann selon laquelle tous les zéros de ζ(s) autres que les entiers pairs néga­tifs auraient tous leur par­tie réelle égale à 12. Et cette conjonc­ture pré­sente, par sa nature et par ses consé­quences, une impor­tance pro­ba­ble­ment bien plus grande que celle de Fer­mat (trans­for­mée il y a peu en théo­rème par A. Wiles).

Certes la den­si­té est très grande et la lec­ture deman­de­ra à un nons­pé­cia­liste une atten­tion sou­te­nue ; mais l’effort en vaut la peine, car la vision est moderne – au meilleur sens du terme – et le pro­pos comme les nom­breuses démons­tra­tions sont clairs. Bien sûr ne sont pas trai­tés tous les aspects des pro­prié­tés sou­vent étranges des nombres pre­miers. Ain­si la part faite à la théo­rie des rési­dus qua­dra­tiques est-elle très faible et l’étude des nombres pre­miers de la forme x2 + n y2 n’est-elle pas abor­dée ; mais on ne peut évi­dem­ment pas le repro­cher aux auteurs : ils avaient à faire un choix et l’ont fait de façon heureuse.

Qu’il me soit per­mis tou­te­fois d’exprimer un regret : il me semble que des pro­fes­seurs d’université devraient être plus exi­geants quant à la langue.

“ La preuve… passe par la struc­ture des idéaux ”. “ Il suit… ” au lieu de “ Il s’ensuit que… ” ou encore “ Il nous entraî­ne­rait trop loin de… ” pour “ Cela nous entraî­ne­rait trop loin de… ”. “ Une situa­tion stan­dard de ce type ” pour “ Une situa­tion typique à cet égard ”. Autres angli­cismes : moti­va­tion, basique, tech­niques avan­cées… “ La lec­trice… ” est uti­li­sée (sous l’influence amé­ri­caine ?) alors que “ Le lec­teur ” a en fran­çais cor­rect une valeur neutre – et donc sans la moindre conno­ta­tion antiféministe !

Ces quelques incor­rec­tions ne retirent rien à la clar­té de l’ensemble, clar­té que seuls pou­vaient atteindre en pareille entre­prise des auteurs maî­tri­sant aus­si bien ces ques­tions pas­sion­nantes, mais com­plexes, sou­vent déli­cates et par­fois même déroutantes.

Je ne doute pas que la lec­ture de ce joli petit livre inci­te­ra beau­coup de non-spé­cia­listes à aller au-delà de cette excel­lente et très solide initiation

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