Les infrastructures, victimes de la crise et moteurs de la relance

Dossier : Partenariat public-privéMagazine N°646 Juin 2009
Par Paul LIGNIERES

Après avoir été mar­qué par un engoue­ment cer­tain ces der­nières années, le sec­teur des infra­struc­tures est certes vic­time de la crise finan­cière mais il est éga­le­ment per­çu comme un remède à la crise économique.

Les délé­ga­tions de ser­vice public trans­fèrent le risque de dis­po­ni­bi­li­té au sec­teur pri­vé, en plus du risque de construction

Les inves­tis­se­ments pri­vés dans les infra­struc­tures, ren­dus néces­saires par les contraintes bud­gé­taires des États, ont explo­sé dans les années 2000 tant sur le mar­ché pri­maire (appe­lé aus­si le mar­ché green­field, qui est le mar­ché de la construc­tion sous forme de PPP) que sur le mar­ché secon­daire (ou mar­ché brown­field, qui est le mar­ché des acqui­si­tions ou des refi­nan­ce­ments des actifs déjà construits).

La multiplication des constructions

Hôpi­taux et prisons
L’or­don­nance du 4 sep­tembre 2003 sur les baux emphy­téo­tiques hos­pi­ta­liers et l’or­don­nance du 17 juin 2004 sur les Contrats de par­te­na­riat ont per­mis l’é­mer­gence de PPP hos­pi­ta­liers (dont les pre­miers ont été le Logi­pôle de Douai et le CHNO des Quinze-Vingts à Paris) et du pro­gramme pénitentiaire.

En 2007, la valeur mon­diale des PPP dépasse 140 mil­lions de dol­lars pour plus de cent cin­quante tran­sac­tions. Le mar­ché le plus impor­tant est le mar­ché euro­péen et il est lar­ge­ment domi­né par le Royaume-Uni depuis le début des années quatre-vingt-dix.

La France, dotée d’une » Mis­sion d’ap­pui à la réa­li­sa­tion des contrats de par­te­na­riat » (MAPPP), a vu se mul­ti­plier les pro­jets, suite à l’a­dop­tion d’un nou­veau cadre légis­la­tif. De nou­veaux textes ont en effet auto­ri­sé les PPP pour des pro­jets dans les­quels le risque de dis­po­ni­bi­li­té est trans­fé­ré au sec­teur pri­vé en plus du risque de construction.

Les pro­jets se sont éga­le­ment mul­ti­pliés dans le cadre tra­di­tion­nel des délé­ga­tions de ser­vice public où le risque de demande est trans­fé­ré au sec­teur pri­vé en plus du risque de construc­tion : lignes fer­ro­viaires (Per­pi­gnan-Figue­ras, LGV Sud-Europe – Atlan­tique), centre de trai­te­ment des déchets de Fos-sur-Mer, auto­routes, via­duc de Mil­lau, etc.

L’âge d’or des acquisitions


Le pro­jet d’extension en mer de Mona­co, tel qu’il aurait vu le jour s’il avait été attri­bué au Consor­tium mené par Monte-Car­lo Sea Land, filiale com­mune d’investisseurs moné­gasques (familles Mar­zoc­co, Schri­qui et Segond) et de Limit­less (groupe Dubai World), l’un des deux finalistes.

L’é­vo­lu­tion la plus remar­quable est inter­ve­nue ces der­nières années dans le mar­ché secon­daire. La valeur mon­diale totale des tran­sac­tions sur le mar­ché secon­daire a dou­blé en six ans.

De nou­veaux acteurs ont vu le jour sur ce mar­ché. Les acteurs du » capi­tal inves­tis­se­ment » (pri­vate equi­ty) ont inves­ti dans les infra­struc­tures, sans doute à la recherche de reve­nus stables de long terme contrai­re­ment à leur pro­fil clas­sique d’in­ves­tis­se­ment à risque sur le court terme. Les fonds d’in­fra­struc­tures se sont mul­ti­pliés avec, en France, les implan­ta­tions de Mac­qua­rie ou de Bab­cock & Brown et le déve­lop­pe­ment de fonds dédiés par les grandes banques fran­çaises (Calyon, Natixis, BNP, etc.) ou par des assu­reurs (AXA Infra­struc­ture). Ces fonds ont éga­le­ment plus que dou­blé entre 2007 et 2008.

En outre, la fusion de Suez et GDF, l’ac­qui­si­tion de BAA par Fer­ro­vial, les pri­va­ti­sa­tions des auto­routes fran­çaises, l’in­ves­tis­se­ment de Car­lyle dans Numé­ri­cable, les intro­duc­tions en Bourse de GDF, EDF, ADP ou EDF EN ou le refi­nan­ce­ment du via­duc de Mil­lau sont autant d’o­pé­ra­tions qui ont mar­qué ces der­nières années.

Il n’en reste pas moins que le mar­ché fran­çais a pris conscience à cette occa­sion des consé­quences que la crise finan­cière pour­rait avoir sur les pro­jets au moment même où étaient lan­cés (ou venaient à terme) plu­sieurs pro­jets majeurs, en par­ti­cu­lier une série de grands pro­jets fer­ro­viaires en PPP, le plan uni­ver­si­taire Cam­pus et d’autres grands pro­jets comme l’aé­ro­port Notre-Dame-des-Landes, le Canal Seine-Nord, le pro­jet d’ex­ter­na­li­sa­tion des télé­com­mu­ni­ca­tions du minis­tère de la Défense, la construc­tion d’un » Penta­gone à la fran­çaise » ou le Tram-Train de la Réunion. Pour les seuls LGV Sud-Europe – Atlan­tique, LGV Bre­tagne – Pays-de-la-Loire et contour­ne­ment Nîmes-Mont­pel­lier, l’in­ves­tis­se­ment cumu­lé pré­vu est d’en­vi­ron 12 mil­liards d’euros.


Bien­tôt, à Fos-sur-Mer, un centre de trai­te­ment de déchets en PPP.

Relancer l’économie

Télé­coms à haut débit
Bou­clé en 2009, le pro­jet Opé­ra consiste en un refi­nan­ce­ment d’un por­te­feuille de 12 conces­sions de réseaux de télé­com­mu­ni­ca­tions à haut débit (avec Bouygues, la CDC et le Fideppp comme inves­tis­seurs et Ban­co San­tan­der, Calyon et le groupe Caisse d’É­pargne comme prêteurs).

Les atouts des infra­struc­tures ont déci­dé les États à les pla­cer au cœur de leurs plans de relance. Les infra­struc­tures sont vitales pour le déve­lop­pe­ment et le fonc­tion­ne­ment des éco­no­mies. Cela est vrai non seule­ment pour les pays émer­gents, du fait de l’ac­crois­se­ment de la popu­la­tion, mais éga­le­ment pour les éco­no­mies déve­lop­pées, comme, par exemple, en Europe, où la construc­tion du mar­ché unique aug­mente le besoin des réseaux de trans­port, les pro­grès tech­no­lo­giques ren­forcent les besoins de cer­tains types d’é­qui­pe­ment et les besoins en ser­vices croissent, comme dans l’é­du­ca­tion ou la san­té. En outre, les infra­struc­tures sont un véhi­cule de crois­sance : les télé­com­mu­ni­ca­tions, l’élec­tri­ci­té et l’eau inter­viennent dans la pro­duc­tion de la qua­si-tota­li­té des sec­teurs, et les trans­ports sont des intrants dans la pro­duc­tion des biens. Leurs carac­té­ris­tiques de base demeurent : en situa­tion de mono­pole, les infra­struc­tures assurent un ser­vice public essen­tiel et pro­curent un reve­nu à faible risque sur le long terme, ce qui leur a d’ailleurs per­mis de bien résis­ter face à la crise.

Les infra­struc­tures assurent un ser­vice public essen­tiel et pro­curent un reve­nu à faible risque

Le risque de demande est géné­ra­le­ment faible car la socié­té de pro­jet qui gère les actifs est soit rému­né­rée par un loyer payé par la col­lec­ti­vi­té publique (BEH, Contrats de par­te­na­riat), soit par une rede­vance payée par les usa­gers (conces­sions de ser­vice public) qui est régle­men­tée, ce qui peut per­mettre son aug­men­ta­tion en dépit d’une baisse de fré­quen­ta­tion de l’ou­vrage. Le mar­ché secon­daire des acqui­si­tions pré­sente des oppor­tu­ni­tés impor­tantes, notam­ment du fait de la mul­ti­pli­ca­tion des ven­deurs en dif­fi­cul­té pour des motifs finan­ciers (Bab­cock & Brown) ou liés au droit de la concur­rence (BAA). Quant au mar­ché pri­maire, il est sti­mu­lé par les plans de relance.

Le plan de relance français

Le refi­nan­ce­ment du via­duc de Millau

Après deux années d’ex­ploi­ta­tion de la conces­sion du via­duc de Mil­lau, Eif­fage a pro­cé­dé en 2007 à son refi­nan­ce­ment, struc­tu­ré sous la forme d’un finan­ce­ment de pro­jet rehaus­sé et com­pre­nant des prêts ban­caires à taux fixe indexés sur l’in­fla­tion, consen­tis à un véhi­cule ad hoc d’ac­qui­si­tion de la Com­pa­gnie Eif­fage du via­duc de Mil­lau. Ces prêts, d’un mon­tant total de 573 mil­lions d’eu­ros, ont été arran­gés par Dep­fa Bank, Dexia Cré­dit Local et la Banque euro­péenne d’in­ves­tis­se­ment et ont fait l’ob­jet d’un rehaus­se­ment de cré­dit, consi­dé­ré comme l’un des der­niers en date sur le mar­ché français.


En France, le plan de relance de 26 mil­liards d’eu­ros, pré­vu pour 2009 et 2010, pré­voit trois types de mesures principales.

D’a­bord, les modi­fi­ca­tions appor­tées à la légis­la­tion sur les Contrats de par­te­na­riat per­met­tront tem­po­rai­re­ment aux can­di­dats de sou­mettre leurs offres finales sans enga­ge­ments fermes des prê­teurs, l’at­tri­bu­taire pres­sen­ti dis­po­sant d’un délai pour pré­sen­ter son offre finan­cière défi­ni­tive ; en outre, les spon­sors pour­ront ne pas prendre en charge l’in­té­gra­li­té du finan­ce­ment de cer­tains pro­jets lais­sant ain­si une part du finan­ce­ment aux per­sonnes publiques.

Ensuite, afin d’aug­men­ter les dis­po­ni­bi­li­tés de finan­ce­ment, la Caisse des dépôts et consi­gna­tions prê­te­ra 8 mil­liards d’eu­ros aux socié­tés de pro­jet à par­tir des fonds d’é­pargne régle­men­tée ; au Royaume-Uni, le Trea­su­ry a créé une uni­té, dotée de 2 mil­liards de livres ster­ling pour la période 2009–2010, pour attri­buer des prêts en cas d’in­suf­fi­sance de financement.

Enfin, visant notam­ment à com­bler l’ab­sence des mono­lines, l’É­tat fran­çais garan­ti­ra la dette de plu­sieurs pro­jets à hau­teur de 10 mil­liards d’euros.

L’a­bou­tis­se­ment de cer­tains pro­jets dans les pro­chaines semaines ou les pro­chains mois sera un pre­mier test de l’ef­fi­ca­ci­té des mesures déci­dées dans le cadre du plan de relance.

Link­la­ters
Fon­dé en 1838 à Londres, Link­la­ters LLP est un des plus grands cabi­nets d’a­vo­cats dans le monde avec 2 500 avo­cats dont 500 asso­ciés. Le groupe inter­na­tio­nal d’ex­perts Infra­struc­ture inter­vient par­tout dans le monde dans la plu­part des tran­sac­tions phares les plus com­plexes dans le sec­teur des infra­struc­tures tant pour des finan­ce­ments de pro­jets que pour des acqui­si­tions d’en­tre­prises ou de par­ti­ci­pa­tions. Ouvert en 1973, le bureau de Paris compte envi­ron 200 col­la­bo­ra­teurs et 35 associés.

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