Les Indispensables de la Mécanique Quantique

Dossier : Arts, Lettres et SciencesMagazine N°622 Février 2007Par : Roland OmnèsRédacteur : Jean-Louis Basdevant, professeur honoraire de l’École polytechnique

La méca­nique quan­tique est un des grands mythes intel­lec­tuels de notre temps. Une des rai­sons fré­quem­ment invo­quées est la com­plexi­té de sa for­mu­la­tion mathé­ma­tique, qui ne per­met qu’à un cercle très res­treint d’initiés d’accéder à ses secrets. Des cau­se­ries avec des lycéens m’ont convain­cu que ce qui est sub­til dans la méca­nique quan­tique n’est pas tant la mathé­ma­tique que la phy­sique. Cette sub­ti­li­té peut par­fai­te­ment être res­sen­tie voire com­prise en se réfé­rant à l’expérience. L’autre rai­son, beau­coup plus per­ti­nente à mes yeux, est que la plu­part des spé­cia­listes s’accordent à dire que si cette théo­rie est clai­re­ment énon­cée, si elle per­met de pré­voir les phé­no­mènes obser­vables avec une par­faite pré­ci­sion, néan­moins, l’esprit de l’homme ne com­prend pas tout à fait ce qu’il a lui-même construit. Roland Omnès, dans son livre pas­sion­nant Les Indis­pen­sables de la Méca­nique Quan­tique, rap­pelle à ce sujet la phrase de Feyn­man : « Je peux affir­mer avec cer­ti­tude que per­sonne ne com­prend la méca­nique quan­tique. » Cette phrase date de 1965.

Depuis cette époque, la situa­tion a consi­dé­ra­ble­ment évo­lué. D’abord avec les célèbres inéga­li­tés de Bell et la preuve expé­ri­men­tale appor­tée par l’expérience, dans les années quatre-vingt, de la véra­ci­té de pro­po­si­tions de la méca­nique quan­tique qui sont en oppo­si­tion radi­cale avec nos idées sur l’espace et le temps. Il faut nous habi­tuer à « pen­ser autre­ment ». Puis, depuis une ving­taine d’années, un minu­tieux tra­vail mené par des théo­ri­ciens peu nom­breux, mais tous de haute volée, s’appuyant sur un tra­vail fon­da­teur de Grif­fiths, a vu émer­ger une série d’ouvrages sur la com­pré­hen­sion de la méca­nique quan­tique et sur son inter­pré­ta­tion. Roland Omnès a appor­té des contri­bu­tions aus­si nom­breuses que célèbres dans ce sec­teur, publiant une série d’articles et de livres de réfé­rence sur le sujet.

Roland Omnès relève ici le défi d’apporter le résul­tat de ses réflexions à cette par­tie du grand public qui sait inclure la science dans la culture. L’entreprise est dif­fi­cile. Dans les pre­miers cha­pitres, Roland Omnès plante le décor et donne les prin­cipes actuels de la méca­nique quan­tique dans son véri­table lan­gage. Il le fait avec vir­tuo­si­té, dans un espace éton­nam­ment court, allant droit aux pro­blèmes per­ti­nents pour la suite. On lui fera reproche de ne pas par­ta­ger sa croyance que le bagage scien­ti­fique actuel d’un bon élève de ter­mi­nale soit suf­fi­sant pour com­prendre ce livre. Mais qu’importe ! Le bagage d’un poly­tech­ni­cien l’est tout à fait, tout comme celui de beau­coup d’anciens élèves de pre­mier cycle uni­ver­si­taire. On est immé­dia­te­ment au cœur du sujet : com­ment com­prendre la phy­sique quan­tique ? Com­ment récon­ci­lier notre intui­tion, qui repose sur le fait de rame­ner les obser­va­tions de nos sens à l’espace et au temps, avec des concepts aus­si fon­da­men­taux que le prin­cipe de super­po­si­tion, et le célèbre para­doxe du chat de Schrödinger.

Roland Omnès expose avec brio et clar­té une décou­verte à laquelle il a lar­ge­ment contri­bué : la théo­rie de la déco­hé­rence, qui met un terme à ce type de para­doxe. En bref, un état macro­sco­pique « para­doxal » a une durée d’existence extra­or­di­nai­re­ment brève. Il se détruit dans un temps d’autant plus court que le nombre de consti­tuants est grand. Un sys­tème « clas­sique » n’est pas seule­ment un « gros » sys­tème, il doit aus­si être stable par rap­port aux fluc­tua­tions quan­tiques. La théo­rie de la déco­hé­rence a reçu des véri­fi­ca­tions expé­ri­men­tales remar­quables sur des sys­tèmes dits « méso­sco­piques », suf­fi­sam­ment petits pour être quan­tiques, mais suf­fi­sam­ment grands pour subir la déco­hé­rence. Cela mène Roland Omnès à des déve­lop­pe­ments fas­ci­nants sur l’irréversibilité du temps, comme sur la logique quan­tique, et la conclu­sion de Grif­fiths : Il n’y a aucun para­doxe en phy­sique quan­tique. Le livre se ter­mine par la limite clas­sique, c’est-à-dire la façon dont la phy­sique clas­sique naît comme forme limite de la phy­sique quan­tique, et par une très belle ana­lyse des mesures quan­tiques et de l’interprétation de Copenhague.

Le livre de Roland Omnès est beau et bien écrit. Il est certes dif­fi­cile, mais, par­fai­te­ment acces­sible, il per­met de remettre son esprit en marche.

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